Five reasons n°8 : The Schizophonics

Un beau programme bien calé peut toujours être bousculé, et cette semaine en est un excellent exemple avec ma contribution hebdomadaire à Five Minutes. Je pensais vous parler d’un doux EP aérien dans lequel se blottir, mais c’était sans compter sur la virée concert d’hier soir, avec The Schizophonics. Un groupe de rock que j’ai découvert en direct sur scène et avec qui la salle a passé une soirée assez dantesque. Mais qu’est-ce qui, à ce point, peut justifier de chambouler le planning d’articles établi pour mettre le doigt (et pas que) sur The Schizophonics ?

  1. The Schizophonics est un basique et minimaliste trio rock guitare-basse-batterie, mais qui envoie furieusement du bon et gros son. C’est assez rassurant de pouvoir constater que non, le rock n’est pas mort, et que oui, la rock attitude ça pourrait ressembler à ça. Des morceaux écrits courts, de l’énergie et une audace de tous les instants, pour replonger dans un rock décomplexé de la charnière fin 1960 – début 1970.
  2. The Schizophonics vient tout droit de San Diego, California, où le groupe est né voici une dizaine d’années. C’est un bon moyen de se rendre compte que le rock américain n’a pas dit ses derniers mots, et qu’il peut ressembler à autre chose qu’à du son prévisible, gras et perclus de manières et d’artifices. Le trio convoque les esprits du MC5 tout autant que des Stooges, et en revendique ouvertement l’influence tout en y mettant son grain de sel.
  3. The Schizophonics est porté et mené de main de maître par Pat Beers, chanteur/guitariste de la bande. Une sorte de loustic totalement habité et possédé qui gratte sa six cordes comme un furieux tout en glissant littéralement d’un bout à l’autre de la scène. Qui joue parfois à être Pete Townshend en moulinant du bras pour quelques riffs assassins. Un showman comme on n’en fait plus, explosif et généreux, infatigable, plongé dans sa musique pour mieux nous y embarquer. Contagieux. Et soutenu par une section rythmique de bûcherons.
  4. The Schizophonics s’écoute sans réserve et partout mais le meilleur endroit pour en profiter c’est une salle de concert, où le groupe et son meneur se lâchent comme jamais. Il y a bien longtemps que je n’avais pas vécu un concert rock d’une telle intensité. Peut-être cela remonte-t-il à une mémorable soirée du Printemps de Bourges d’avril 2010, où l’on avait eu droit successivement à Archive puis Iggy Pop et ses Stooges (tiens donc…). Encore que : ce soir là c’était avec des centaines de spectateurs sous chapiteau. Hier soir, on était à peine 100 dans une minuscule salle. Intensité démultipliée.
  5. The Schizophonics est un excellent moyen de se vider la tête, et aussi d’envoyer chier une journée/semaine toute pourrie. De pousser un peu (beaucoup ?) les potards et de lancer le son, en dépliant (même mentalement) un putain de gros doigt de fuck de la mort qui tue à tous les connards qui nous pourrissent nos journées et à ce monde qui nous entoure quand il prend la couleur et l’odeur de la merde. Kick out the jams motherfucker !

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°17:My Moon My Man de Feist (2007)

Un soir de rentrée, quand tu sens la fatigue peser de tout son poids, tu as juste besoin de Feistréconfort et de te ressourcer au coin du feu avec du bon son connu… C’est alors le moment où tu ouvres la boîte de Pandore et laisses s’échapper les pépites intemporelles qui vont illuminer ta soirée. Ce soir, c’est retour en 2007 avec la sortie du quatrième opus de Feist The Reminder, le meilleur à mon goût. Cette chanteuse canadienne, en plus de mener une carrière solo digne d’intérêt, prête sa voix de velours à différents groupes dont mes chouchous de Broken Social Scene. The Reminder est donc un album qui mériterait amplement d’être découvert si vous n’avez pas la chance de le connaître, un album porté par le single pop 1234 dont la douce mélodie est imparable. Cependant, j’ai choisi un titre un peu moins lumineux avec sa rythmique obsédante et sa voix plus affirmée et follement sensuelle, le diamant brut My Moon My Man. J’aime ce titre qui m’évoque une ballade nocturne où Feist s’embarque dans une virée qui va l’amener à redéfinir ses limites, une espèce d’échappée folle empreinte d’une électricité facilement décelable. Juste jouissif…

Un titre réussi, c’est aussi un titre que l’on a envie d’honorer en se le réappropriant à travers des remixes et je partage deux jolies performances avec les américains de Grizzly Bear qui apportent toute une palette variée de sons et ma revisite préférée de Boys Noize qui apporte des sonorités électro judicieuses. Un refrain à la voix robotique qui m’obsède toujours bien longtemps après l’écoute et une ambiance qui me donne une folle envie de faire fumer les dance-floors… Enjoy!

Sylphe

Pépite du moment n°22: Who de Modeselektor feat. Tommy Cash (2019)

Gernot Bronsert et Sebastian Szary, alias Modeselektor, savent se faire attendre et Modeselektordistillent avec parcimonie les albums studio. Hier est sorti leur troisième opus Who Else qui fait suite à l’excellent Monkeytown en 2011… et oui seulement troisième opus pour ce duo allemand passionné d’électro et de techno qui, en plus des nombreuses compilations, oeuvre avec Sascha Ring alias Apparat pour former le cultissime combo Moderat. Bon je vois que certains peinent à suivre et je vais la faire simple, une sortie de Modeselktor c’est de l’or brut qu’il convient de savourer comme un mets exquis…

Je serai bien présomptueux d’avoir déjà un avis sur l’album que je découvre à peine mais par contre rien ne m’interdit de dire tout le bien que je pense du single Who… Certes, le clip est quelque peu inquiétant et je prendrai sur moi de ne pas y repenser la prochaine fois que je me raserai ou que j’aurai mal à une dent mais aujourd’hui c’est bien le son qui m’importe, et quel son! Un kick obsédant, des sonorités indus, une montée étouffante magnifiée par le flow du rappeur estonien Tommy Cash, des ruptures acérées font de ce titre un hymne au dance-floor avant une fin plus surprenante où les choeurs enfantins nous assènent des blabla qui restent bien en tête. En tout cas pas de blabla avec ce Who qui nous file une claque magistrale qui devrait me permettre d’aborder plein d’énergie le dur lundi de rentrée. Humm j’ai presque du plaisir à penser à la douleur du réveil à 6h… (#contaminéparleclipsm)

Sylphe

Five reasons n°7 : Trafic (2018) de Gaëtan Roussel

Encore un petit saut en arrière pour un bel album de 2018 qui n’avait pas eu les honneurs du blog. Pour être dans l’actualité la plus immédiate, j’aurais pu vous parler du clip vertigineux qui accompagne désormais Remains of Nothing de Archive, ou encore de Deal with it, deuxième EP de Paillette, une artiste française à suivre (mais on verra ça d’ici quelques jours). Il faut pourtant s’attaquer (enfin ?) au dernier album studio de Gaëtan Roussel, au risque de passer à côté d’un des grands LP de l’année dernière. Pourquoi ? Comment ? Trafic est-il si indispensable ? Oui, voici la démonstration en 5 actes.

  1. Le single Hope, qui avait précédé et annoncé l’album, est un gros morceau à lui tout seul. Un titre pop et dansant pour un sujet pas dansant du tout qu’est la maladie d’Alzheimer, et donc la déliquescence de la mémoire. La mémoire, un sujet qui revient régulièrement dans la discographie de Gaëtan Roussel. Hope renvoie à Les belles choses (sur son premier opus solo), mais aussi à Un peu de patience (sur Anomalie, le dernier Louise Attaque). Deux titres qui, en plus de partager une grille musicale quasi-identique et la place de clôture d’album, questionnent ce qui reste en nous après. Après quoi ? Après tout ce qu’il est possible de vivre. C’est déjà fort, mais on touche au sublime avec une belle mise en abyme aux saveurs meta : Gaëtan Roussel n’est aujourd’hui l’artiste qu’il est que parce qu’il a vécu d’autres aventures artistiques. Ecouter Gaëtan Roussel et notamment ce Trafic, c’est aussi se souvenir de Louise Attaque, groupe séminal, puis de Tarmac ou de Lady Sir. Nous sommes spectateurs de tout cela, et aussi acteurs, en suivant et en accompagnant le garçon dans son évolution. Conservateurs de mémoire artistique, on se souvient de tout. Comme une boucle musicale obsédante et obsessionnelle qui s’incruste dans notre mémoire, Hope nous ramène aussi au Help myself (nous ne faisons que passer) du premier LP, qui éclaire encore différemment notre écoute. N’oublions pas que nous ne faisons que passer, n’oublions pas de ne pas oublier.
  2. Tu me manques (pourtant tu es là) nous tombe dessus en 4e place sur ce disque. C’est l’occasion d’un duo avec la toujours sublime Vanessa Paradis, le temps d’un titre qui rappelle furieusement Il y a, composé à l’époque par Gaëtan Roussel précisément, pour Vanessa Paradis bien sûr. Ou comment parler de la solitude moderne et du manque malgré la présence, malgré la vie, malgré parfois l’abondance de relations et de sentiments. J’adore ce titre, tout comme j’avais adoré Il y a, avant bien entendu qu’il ne soit méchamment salopé par la reprise des Frero Delavega.
  3. Trafic est un ensemble de titres qui jouent avec les mots et les boucles musicales et textuelles, pour cacher sous une apparente légèreté pop des préoccupations bien plus profondes : « J’entends battre mon cœur/J’entends des voix/J’entends trouver le bonheur » (J’entends des voix)… « N’être personne/Une image envolée/Des battements de cœur irréguliers/La légende du pas parler » (N’être personne)… « Il y a le mot je t’aime/Dedans il n’y a rien/Le mot encore/Dedans il y a fin » (Dedans il y a de l’or)… « Je me répétais sans cesse/Ne tombe pas/Je retombais sans cesse/Contre moi » (Ne tombe pas). Autant de ritournelles qui sont une des marques de fabrique de Gaëtan Roussel et qui, à chaque fois, fonctionnent toujours mieux.
  4. Dans le registre mélodie pop et vitaminée utilisée à contrepied, Tellement peur se pose là. Belle énumération des craintes humaines et contemporaines, quotidiennes, existentielles, futiles ou profondes, ce titre est une véritable mise à nu de toutes les fragilités possibles et imaginables : « D’hier et de demain/Des serpents, des requins/De toutes les représailles/Et puis que tu t’en ailles/De ne pas y arriver/De dégringoler/De ne plus voir le beau/De devenir vraiment trop/J’ai tellement peur ». Impossible de ne pas en trouver au moins une qui vous parlera. Bien sûr, il n’est pas interdit (et même rassurant) d’en retenir plus d’une. Cela fait de chacun de nous non pas des trouillards ou des peureux ingérables, mais plutôt des personnes conscientes de leurs fragilités. Le début du combat pour apprendre à vivre avec et les dompter.
  5. Clôture de l’album avec, en forme de pied de nez, un titre intitulé Début. Une histoire qui raconte tout à la fois le début et les prémisses, sans se préoccuper de la fin tout en la posant d’entrée de jeu. C’est là encore un bien beau texte, sur un mélodie entêtante et sombre. C’est aussi une façon de dire que toute chose qui commence est vouée, par nature et par définition, à se finir. La fin est intrinsèque à tout début, à toute chose qui se met en route et s’ébauche. A commencer par la vie, d’où la nécessité de profiter et de se souvenir (des belles choses). CQFD.

Raf Against The Machine

Review n°23: Gallipoli de Beirut (2019)

Pour la dernière review, James Blake ne m’avait pas franchement facilité la tâche maisBeirutZach Condon, alias Beirut, nous a offert un album sublime, dans la droite lignée de ses deux coups d’éclat des origines Gulag Orkestar en 2006 et The Flying Club Cup en 2007, qui s’avère un vrai bonheur à écouter et critiquer… le single Landslide (dont j’avais parlé ici ) laissait augurer de bien belles choses et il ne nous a clairement pas dupés.

Après un No No No un brin décevant en 2015, Zach Condon a quitté les Etats-Unis, le déclic ayant été une chute de skate pour l’anecdote, afin de vivre à Berlin. Il a composé ce nouvel album à Gallipoli, un petit village des Pouilles, dans une volonté pleinement assumée de retrouver les atmosphères empreintes d’une douce mélancolie de Gulag Orkestar, volonté symbolisée par le retour de cet orgue Farfisa qui avait fait les beaux jours de ses deux premiers albums. Gallipoli nous ramène donc 13 ans en arrière avec des titres nostalgiques à l’orchestration soignée rappelant les Balkans et j’ai toujours l’impression que Beirut serait la BO parfaite des films de Kusturica. Certes, on retrouve dans l’album quelques expérimentations mettant à l’honneur les influences électroniques et valorisant davantage les synthés, en particulier sur quelques morceaux instrumentaux, mais sincèrement il serait bien exagéré de parler de révolution musicale. Gulag Orkestar flottait déjà dans une atmosphère intemporelle, Gallipoli nous permettra de nager avec délectation dans cette même atmosphère. Les mauvaises langues diront que Beirut n’arrive pas à se renouveler mais je n’en fais pas partie et vous invite à savourer pleinement ce bien bel opus…

Le morceau d’ouverture When I Die nous ramène donc d’emblée en 2006 avec sa mélancolie exacerbée, la voix chaude de Zach Condon est brillamment accompagnée par la richesse de l’orchestration (ukulele et les cuivres qui sont devenus une référence incontestable). Gallipoli reste dans cette même veine et sort tout droit de Gulag Orkestar tant les cuivres sont le pivot central du morceau et rappellent que la tentation d’une pop baroque à la Get Well Soon n’est jamais bien loin… Après un Varieties of Exile plus intimiste et plus suggestif dans son orchestration, On Mainau Island nous surprend alors et me séduit pleinement, 2 minutes instrumentales très riches entre synthés discordants et palette de sonorités légères. Un superbe tableau se met subrepticement en place pour un résultat empreint de poésie… Corfu démontrera lui aussi cette volonté de bidouiller de Beirut pour deux minutes instrumentales s’appuyant sur une boucle tournant telle une ritournelle obsédante convoquant les souvenirs des bons Saint Germain et de The Cinematic Orchestra.

Un I Giardini que je vous trouve plutôt représentatif de l’album dans sa volonté d’allier le combo piano/voix et les synthés pour un résultat d’une grande douceur, un Gauze für Zah et ses 6 minutes d’une lenteur contemplative séduisante avec sa fin instrumentale, le single Landslide dont j’ai déjà parlé ici et tant d’autres titres que je vous laisserai découvrir pleinement font de ce Gallipoli un bijou qui mérite de trôner fièrement sur l’étagère des albums de pop intemporelle, au côté de Gulag Orkestar et The Flying Club Cup. Lorsque vous tenterez de prouver à une personne réfractaire que la musique est un art, économisez vos paroles et votre énergie, passez lui Gallipoli qui en est une superbe démonstration tout en humilité.

Sylphe

Pépite du moment n°21: Maddy la nuit de Flavien Berger (2018)

La vie de bloggeur musical indépendant (#titrepompeux) demande de rudes efforts pour Flavien Bergerassister à de nombreux concerts… Ce soir, la team Five-Minutes a rendez-vous avec une soirée hybride mêlant l’électro de Léonie Pernet et la pop loufoque de Flavien Berger. Loin de moi la volonté de délaisser Léonie Pernet car j’ai bien l’intention de vous en parler ultérieurement mais aujourd’hui j’ai l’intention d’évoquer un titre qui, depuis quelques mois, me trotte dans la tête régulièrement quand je tombe dessus, Maddy la nuit de Flavien Berger.

Ce serait mentir que de vous laisser croire à ma grande connaissance de la carrière de Flavien Berger et je dois reconnaître qu’avant ce Contre-temps sorti fin 2018 je ne connaissais le garçon que de nom sans avoir laissé traîner un tympan du côté de Léviathan ou Contrebande 01. le disque de Noël tous deux sortis en 2015. Incontestablement ce Contre-temps aurait mérité une belle review ici mais je prends le pari avec vous que j’y reviendrai plus longuement suite au concert de ce soir… J’aurais pu choisir l’odyssée électronique 999999999 et ses 9 minutes addictives ou bien encore la suavité et la douceur de Brutalisme mais ce sont bien les rythmiques pop de Maddy la nuit qui me séduisent aujourd’hui en cet après-midi ensoleillé de vacances. Une voix à la diction dilettante à souhait qui m’évoque Etienne Daho, une ribambelle de sons sortis de boîtes à rythmes et un pouvoir mélodique incontestable font de ce titre une superbe mélopée intemporelle qui est illustré brillamment par un clip tout en bidouillages et poésie. Un clip à l’image de ce Contre-temps que je vous laisse découvrir quelque peu à  contre-temps… (#chutepourriequonvoyaitvenir)

Sylphe

Clip du jour n°9 : Exits (2019) de Foals

On avait laissé Foals en 2015 avec What went down, un 4e album studio qui m’avait moins convaincu que ses deux prédécesseurs Holy Fire (2013) et surtout Total life forever (2010). Ajoutons à cela que le groupe avait annoncé début 2018 le départ de son bassiste, quelques semaines à peine après avoir communiqué sur un nouvel album à venir, et je dois bien dire que l’incertitude régnait quant à la suite des aventures de Foals et à ce qu’ils allaient bien pouvoir livrer.

C’est pourtant par la fenêtre que revient le désormais quatuor d’Oxford avec un single qui mérite la réécoute. Explication : au premier passage, je me suis dit « Ok, ça sonne pop-rock britannique, ça s’écoute mais c’est pas exceptionnel ». Exits est pourtant un titre qui réclame d’y revenir, pour finir par y retrouver à la fois la touche Foals, et notamment la voix si caractéristique de son chanteur Yannis Philippakis, mais aussi des sons bien travaillés qui rappellent par moments le Depeche Mode du tournant des années 80-90 (celles du siècle dernier ça va sans dire). C’est un titre qu’il faut laisser infuser en soi, dont il faut prendre le temps de rechercher les variations pour en profiter. Sous ses faux-airs un peu répétitifs et lisses, il finit par révéler quelque chose d’entêtant et loin d’être désagréable.

Là où Exits s’installe définitivement, c’est associé à son clip, notre (vrai) sujet du jour. Réalisé par Albert Moya (dont je vous invite à découvrir le travail, notamment via son Instagram), ce quasi court métrage nous emmène dans un univers assez intrigant où se croisent plusieurs lignes narratives autour d’un même personnage. Une jeune femme qui pourrait être plongée dans, ou sortie d’un Hunger Games version dépressive. Oui, dit comme ça, ça ne fait pas rêver… Et pourtant, pendant les un peu plus de six minutes que dure ce clip, impossible de détacher l’œil de l’écran. Beaucoup de questions se posent, et j’avoue ne pas avoir encore tout compris. Mais quand on vient de se binge-watcher la saison 3 de Twin Peaks, on est assez open et prêt à toutes sortes d’expériences visuelles et sonores.

La photo du clip est, quant à elle, assez incroyable, avec une mention spéciale à des moments de pure esthétique, comme les scènes d’escrime dans le silo, ou le corps plongé dans le cube de verre et d’eau. D’autres images feront inévitablement penser à l’esthétique Pink Floyd, portée pendant des années par le studio Hipgnosis , comme les plans de ces hommes costumés et austères dans un hémicycle, ou encore celui de l’homme en feu sortant d’une voiture, elle aussi en feu. Le voyage pictural proposé par Foals et Albert Moya est rapidement captivant, et appelle du revisionnage tout autant que de la réécoute.

Le son de Foals porte cette petite odyssée visuelle et il ne m’en faut, pour le coup, pas beaucoup plus pour avoir hâte d’être au 8 mars. Journée des droits des femmes (même si, on est bien d’accord, les droits des femmes c’est tous les jours qu’ils doivent être défendus et respectés), ce sera aussi la date de sortie de Everything not saved will be lost – Part 1, 5e album de Foals. Oui, vous avez bien lu : Part 1, car le groupe ne fait pas les choses à moitié, ou plutôt si, puisque ce nouvel album studio sera livré en deux temps (#vousl’avez?). Le second volet est prévu pour l’automne 2019. En attendant, nous aurons pu nous mettre sous la dent la première galette, que l’on espère aussi intrigante et passionnante que ce Exits. Cerise sur le gâteau : la pochette est assez magnifique et donne envie de choper le vinyle, rien que pour la beauté de l’image.

Raf Against The Machine

Review n°22: Assume Form de James Blake (2019)

Voilà bien un album qui m’aura donné du fil à retordre, tant il m’aura fallu d’écoutes James Blakeavant de me lancer dans cette review… Au moment d’écrire mes impressions sur le quatrième opus de James Blake, je ne sais pas forcément encore où ma plume va me mener tant cet album suscite chez moi foule d’interrogations et bien peu de certitudes. Paradoxalement, c’est justement parce que je suis rongé par la perplexité que je ressens le besoin d’écrire sur Assume Form… On ne présente plus James Blake depuis le coup de maître de son album éponyme en 2011, rencontre presque fantasmée entre une âme torturée experte en machines et les cendres d’un dubstep qui nous avait offert de beaux moments (#burialforever). Un Overgrown en 2013 confirmant le talent du garçon et The Colour in Anything en 2016 que nous qualifierons pudiquement de mou du genou nous amènent à ce Assume Form dont la pochette semble annoncer une volonté de se livrer pleinement et de se regarder en pleine lumière (#psychanalysedespochettespourlesnuls). Suivez-moi dans la découverte tortueuse d’une âme…

Le morceau d’ouverture éponyme est plutôt rassurant et ouvre brillamment l’album, on retrouve une voix chaude pas trop saturée par l’autotune qui m’évoque celle de Joe Newman, le chanteur d’Alt-J, des notes de piano fugaces, une atmosphère musicale richissime entre synthés et cordes et cette impression de distorsion inquiétante avec la litanie extatique d’un choeur enfantin. La richesse des propositions sur ce morceau est gargantuesque et va clairement contraster avec Mile High, qui met à l’honneur la trap avec Travis Scott en featuring. Le morceau n’est pas mauvais mais est-ce que j’ai vraiment envie de rap saturé d’autotune sur un album de James Blake? Pas vraiment… et même si le rap de Moses Sumney sur Tell Them est plus convaincant et réveille vaguement les fantômes du trip-hop j’ai clairement envie de vite passer à la suite…

La suite c’est un Into the Red pas foncièrement novateur mais dont la douceur cotonneuse est assez savoureuse et amène avec efficacité le très bon Barefoot in The Park qui est pour moi un des sommets de l’album. Un superbe duo de voix grâce à la voix sublime de ROSALIA et des gimmicks en arrière-front qui me rappellent l’univers atypique et candide des soeurs Cocorosie portent humblement le morceau pour un résultat épuré à souhait. Can’t Believe The Way We Flow vient ostensiblement bidouiller sur les plates-bandes de Baths pour un résultat un peu foutraque (#syndromeAnimalCollectivedupauvre), Are You in Love? aurait eu une place de choix sur le premier album et confirme les progrès au chant de James Blake mais bon l’ennui est en train de quelque peu venir pointer son nez…

Heureusement le flow d’André 3000 sur Where is the Catch? vient donner un coup de pied dans cette torpeur dangereuse pour un morceau plus subtil qu’il n’en a l’air avec ses boucles électroniques obsédantes, je préfère de loin cette incursion du rap dans la musique de Blake à Mile High et Tell Them. I’ll Come Too vient ensuite jouer la carte du grand écart artistique avec un morceau dépouillé et brillant, chanté quasiment a capella. James Blake crooner et oui… je vous avais prévenus que cet album aimait brouiller les genres. Finalement là où James Blake me touche le plus c’est lorsqu’il sature ses morceaux de propositions brinquebalantes qui semblent tenir par un sens de l’équilibre mystérieux comme l’illustre si bien Don’t Miss It avec son refrain falsetto inquiétant sorti des limbes, son piano raffiné et cette impression d’une mélancolie qui tourne en rond infiniment. Un moment de pure poésie que Lullaby For My Insomniac prolongera subtilement.

Ce Assume Form est résolument humain, d’une fragilité évidente, quelquefois brillant, quelquefois agaçant mais il confirme que James Blake foisonne encore et toujours de propositions artistiques que je prends plaisir à appréhender.

Sylphe

Pépite du moment n°20 : Remains of nothing (2019) de Archive feat. Band of Skulls

Il n’aura échappé à personne que nous sommes en 2019, ce qui n’est pas pour nous déplaire tant ce début d’année fourmille de sons assez ravageurs. Après la chouette trouvaille Marvin Jouno du copain Sylphe en début de semaine, c’est à une petite célébration qu’on vous convie sur Five Minutes. Ou tout du moins un début de célébration. En 2018, mois après mois, j’ai participé aux festivités des 40 années de chansons d’Hubert-Félix Thiéfaine, au fil des rééditions d’albums et de sa tournée anniversaire. 2019 me semble bien partie pour être celle des 25 ans d’Archive.

Né en 1994, le groupe britannique s’est formé et à depuis évolué autour de ses deux membres fondateurs Darius Keeler et Danny Griffiths. En douze albums (si l’on dissocie Controlling Crowds I-III et IV (2009) et que l’on intègre la BO de Michel Vaillant (2003)), la formation nous aura emmenés du trip-hop le plus sombre avec Londinium (1996) à l’électro-rock avec The False Foundation (2016), dernier album studio à ce jour. Pourtant, la musique d’Archive est bien plus riche et variée que ce simple parcours, puisque la formation oscille en permanence entre le rock progressif, l’ambient, l’électro en exploitant synthés et samples, le trip-hop et même le rap.

Archive c’est tout cela et bien plus encore, et ça n’est pas ce Remains of nothing qui me fera mentir : en un peu plus de 7 minutes, cette joyeuse bande de lascars semble vouloir nous faire entendre un condensé de leur talent. Ouverture sur un mini coup de clavier et une nappe grésillante à souhait, pour mettre en place une boucle de synthé appuyée par la batterie et la basse. Une forme entêtante qui s’enrichit de sons de guitare, et n’est pas sans rappeler les grands moments d’improvisation construite de Pink Floyd version fin 60-début 70. Comme une montée de 2 minutes 15 en kiff total. La question étant : comment va-t-on tenir émotionnellement encore plus de 5 minutes ?

La réponse étant : on ne tiendra pas. La boucle se suspend quelques secondes, le temps de se faire cueillir par une voix venue de nulle part, haut perchée, qui vient se poser sur la trame musicale préalablement injectée dans nos oreilles. Une trame qui, entre les mots, s’enrichit en permanence de multiples petits sons et samples. Tout ça confine au délire, et alors qu’on croit le son bien installé… bim ! Une sorte de refrain avec voix supplémentaire lancinante déboule une minute plus tard. C’est du Pink Floyd encore et toujours, mâtiné de Beatles pas encore rentrés de leur trip indien. S’ajouteront ensuite des cordes dans un pont musical inattendu, avant de retourner au charbon déjà exposé.

Un poil avant la 5e minute, c’est toujours sur cette même trame musicale que l’on basculera dans un presque nouveau morceau avec un flow rap qui finit de dévaster ce qui nous reste de résistance, en sachant que, pour ma part, j’ai déjà cédé depuis les premières notes. Avec une proposition initiale qui porte la totalité de cette pépite, Archive expose une palette de ce qu’il sait faire de mieux. Comme une façon de vouloir nous dire : « Voilà, notre point de départ est toujours le même. On est Archive, on fait ce son là de base mais on l’exploite de toutes les façons possibles, en l’emmenant dans de multiples recoins et styles différents sans perdre un miette de ce que l’on est ».

C’est peut-être bien ce tour de force qu’ont réussi Darius Keeler, Danny Griffiths et leur bande de potes, depuis 25 ans mais aussi en 7 minutes et des poussières. Ils se sont adjoint la collaboration de Band of Skulls, trio rock de Southampton que l’on recommande chaudement, pour un Remains of Nothing qui porte son titre avec une ironie absolument folle et provoc : appeler « Les restes de rien » un morceau aussi riche et puissant, c’est joueur. D’un côté, Remains of Nothing fait planer une sorte d’ambiance de fin du monde et de vide absolu désespérant, et en cela il porte bien son titre. De l’autre, il appelle sans délai à réécouter illico les précédents opus d’Archive, comme une rétrospective des restes de tout. Retourner se plonger tête la première dans Londinium (1996) et son trip-hop bristolien, dans You all look the same to me (2002) et son Again d’ouverture qui sonne bon comme un Animals pinkfloydien, dans le furieux et angoissant Controlling Crowds (2009) et ses Bullets et Pills, ou encore dans The False Foundation (2016) et son morceau éponyme bouillant comme de la glace.

A moins que l’on ne réécoute le Live at the Zénith (2007) et son hypnotique version de Lights, ses rageuses interprétations de Noise et Sane, et son désespéré Fuck U. Oui, voilà une partie de ce que ce Remains of Nothing d’Archive a fait sur moi ces derniers jours. Je ne suis toujours pas redescendu, et j’attends maintenant avec une impatience non dissimulée la suite de ces 25 ans. Au programme, un album-compilation augmenté d’inédits (dont notre pépite du moment) prévu pour le 10 mai prochain (pas moins de 4 CD ou 6 vinyles) et sobrement intitulé 25, quelques jours à peine avant une prestation à la Seine Musicale (16 mai 2019) qui s’annonce d’ores et déjà dantesque, mais surtout complète. Pas trop grave : la bande entamera ensuite à l’automne une tournée européenne 25 qui passera par bon nombre de villes en France (il reste des places mais ça part très vite !), non sans avoir livré en septembre un Live in Paris, captation du 16 mai parisien.

On suit ça de près et on en reparle bientôt. Pour le moment, je crois que dans ce rien sidérant qui nous entoure, il y a encore quelques beaux restes à écouter. J’y retourne.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°19: Sur Mars de Marvin Jouno (2019)

Après un premier opus Intérieur nuit séduisant en 2017 (ne pas hésiter à réécouter QuitteMarvin Jouno.jpg à me quitter ou encore L’Avalanche), Marvin Jouno vient de sortir Sur Mars qui confirme pleinement les belles promesses d’Intérieur nuit. Voilà quelques jours que je suis sous le charme de cette voix qui me rappelle par sa nonchalance Eddy de Pretto et Benjamin Biolay… voix brillamment mise en valeur dans des compositions rythmées qui savent faire les beaux yeux à une électro mélancolique comme savait si bien le faire Arman Méliès dans IV.

Plusieurs titres se distinguent et restent bien vrillés au coeur de mon cerveau et sur mes lèvres. J’aurais pu très bien sélectionner Clap de fin, Danse! ou encore On refait le monde mais je vais vous parler du titre éponyme dont j’aime particulièrement les contrastes. D’un côté cette voix mélancolique tout en dépouillement et retenue et de l’autre ce refrain addictif qui laisse la part belle aux sonorités électroniques. Le clip est juste, quant à lui, et résume parfaitement la vie avec tous ses instantanés de bonheur.

Pour l’anecdote vous entendrez un inattendu saxophone sur la fin du morceau… après Balthazar et Thylacine on ne peut désormais plus parler de coincidence, il y a bien une vaste conspiration internationale qui vise à réhabiliter cet instrument en 2019… Gardez les oreilles ouvertes, ils sont parmi nous… Trève de plaisanterie, j’ai succombé à cette perfide tentation et je vous laisse aussi On refait le monde, titre obsédant et angoissant qui s’impose un peu comme la version 2.0 de Respire de Mickey 3D.

Sylphe