La pépite du jour aurait pu rester de moi longtemps inconnue, si je n’avais pas eu la chance qu’elle me soit indiquée par une fidèle lectrice Five-Minuteuse. Après discussions, bières et filtres Snapchat, lorsqu’est venu le temps de regagner nos chez nous respectifs, elle m’a conseillé ce Mon ami de Bertrand Betsch, sans doute guidée par une intuition après nos conversations. Et quelle intuition ! J’avoue, presque honteusement, que je n’avais jamais écouté le travail de ce garçon, à la discographie pourtant bien remplie. Depuis ses débuts en 1997, il totalise pas moins d’une quinzaine d’albums studios, pour un parcours musical et textuel en constante évolution.
La chanson du jour est nichée dans La chaleur humaine (2007), son quatrième album. Un titre qui est déjà tout un programme en soi, et que ce Mon ami illustre parfaitement. Sur un faux-air de balade légère, Bertrand Betsch propose une définition de ce qu’est un ami. Sans grandiloquence, sans effets inutiles, sans emphase, mais à travers des phrases et un vocabulaire simple : « Quand la pluie aura cessé / Tu viendras me visiter / Tu n’auras rien à me dire / Tu n’as jamais su mentir / On se sourira en buvant du muscat / En picorant des cacahuètes / En grillant quelques cigarettes / On regardera la télé / la tête penchée sur le côté. »
Une vision des choses que je valide sans réserve. Parce que oui, un ami, ça n’est (presque) rien d’autre que ça. Un ami, c’est celui qu’on peut voir quotidiennement, puis ne plus voir pendant des mois, et revoir sans que rien ne change. Ni reproches pour ce temps d’absence, ni altération du lien. Juste le plaisir de (re)passer un moment ensemble. Comme le dit le refrain : « Mon ami, tu n’es pas sans savoir / Mon ami, que j’aime bien te voir. » On aime voir un ami parce que chaque moment passé avec lui rend ce monde insupportable plus supportable, cette existence parfois invivable plus vivable.
L’ami se suffit à lui-même. Nul besoin de programmer de grandes festivités onéreuses ou un voyage lointain rempli d’activités pour alimenter et consolider le lien. Qu’il y ait entre nous un café, une bière, une tablette de chocolat, une bouteille de rhum, une currywurst… ou simplement du temps partagé, c’est amplement suffisant. Le plaisir de voir un ami, c’est ce moment passé ensemble à discuter, à refaire le monde, et parfois à se taire. Oui, un ami sait aussi le prix des silences et des moments suspendus.
Un ami écoutera blagues, confidences, propos insignifiants. Je ferai de même car il a mon entière attention. Nous rirons ensemble, nous pleurerons ensemble parfois. Il saura, car il l’a déjà fait, me laisser pleurer en silence ma tristesse, sans jugement, sans pitié détestable, sans complaisance non plus. Le moment venu, cet ami trouvera les mots et les gestes qu’il faut pour me redonner l’envie et l’espoir. Je lui rendrai la pareille, puisque la vie nous en donnera inévitablement l’occasion. Un ami est une lumière.
Un ami ne demande jamais rien. Il ne réclame pas qu’on se voit plus souvent, il ne demande aucune aide, et n’en propose pas non plus. Et il a raison : nous n’avons pas besoin de ça. Nous savons, l’un comme l’autre, que si besoin ou envie il y a, nous nous proposerons mutuellement ce qui sera le plus approprié. Il ne s’agit pas d’une quelconque télépathie fantasmée qui nous épargnerait les paroles. Non, il s’agit juste d’un ami. Tout ça ne s’explique pas, mais se ressent et se vit. Sans jacasser à tout vent « Mon ami ceci… mon ami cela… mes amis savent que… mes amis seront là… » Non, les amis ne seront pas là. Ils sont déjà là. Même absents.
Un ami, c’est un peu tout ça à la fois, et encore bien d’autres choses indicibles. On pourrait en parler et en écrire des tonnes, on pourrait relire aussi le chapitre 4 du merveilleux livre Mécanismes de survie en milieu hostile d’Olivia Rosenthal, dont ces lignes : « Mon ami fait écran, mon ami me protège, il me maintient provisoirement dans une région où aucune de mes silhouettes familières ne peut me rejoindre. Il oppose sa présence à mon passé. Il m’emmène dans des espaces vierges, des lieux où mes crimes sont abolis, mes fautes ignorées, où aucun des membres de ma famille n’a le droit d’entrer. Il m’offre un refuge, il me fournit un alibi, il cautionne et justifie mon silence, je me tais parce qu’il parle et il parle parce que je me tais. Il est mon nouveau foyer ».
Au final, peut-être est-ce Bertrand Betsch qui résume le mieux les choses, en quelques lignes, dans ce très beau et émouvant Mon ami. Inutile de préciser que, si la chanson et mes lignes sont écrites au masculin, tout cela fonctionne aussi très bien avec une amie.
Et puisqu’arrive l’heure du muscat, des cacahuètes et du grillage de cigarettes, je m’en vais vous laisser, en réécoutant, une fois encore, cette pépite déjà intemporelle. Mes amis, que vous soyez là ou pas ce soir, vous avez toute mon amitié et ma chaleur humaine (on y revient), tant il est bon de vous savoir en vie et jamais bien loin. Quant à toi, chère fidèle lectrice, merci du fond du cœur pour cette chouette découverte artistique, mais aussi pour notre belle rencontre faite de moments et rires partagés.
Raf Against The Machine