Trente et un ans déjà que The Chemical Brothers nous envoient du son qui fait du bien. Fondé en 1992 par Tom Rowlands et Ed Simon, le duo anglais de musique électronique affiche 9 albums au compteur entre 1995 et 2019, tous plus captivants les uns que les autres. Depuis No Geography, dernier LP en date, c’est l’attente. On a beau se passer et repasser ces 9 galettes, depuis Exit Planet Dust (1995) jusqu’aux dernières secondes de Catch me I’m falling, qui referme No Geography, il faut avouer qu’on est un peu en manque de The Chemical Brothers. On avait bien eu le single The darkness that you fear en 2021, qui semblait annoncer un nouvel album. Pourtant, pas de nouvelles depuis, jusqu’à maintenant. Les deux anciens étudiants en histoire (comme quoi, en plus d’être une passionnante filière d’études, l’histoire mène décidément à tout) livrent ces jours-ci No Reason, un nouveau single inattendu et diablement efficace.
No Reason condense en 4 minutes tout ce qu’on aime des Chemical Brothers. Une basse funk sert de base rythmique et métronomique à un savant mélange de techno et d’acid house. L’ensemble est saupoudré de rock et de samples vocaux issus de Courts of war, titre du répertoire du groupe de new wave Second layer, sorti en 1979. Gros melting pot d’influences me direz-vous ? Exactement, et comme pour tout mélange des genres musicaux, c’est toujours une prise de risques qui peut finir en morceau casse-gueule et désastreux qui ne fonctionne pas. Sauf que nous avons là un des groupes les plus talentueux dans ses compositions, surtout lorsqu’il s’agit de préparer le genre de salade composée qui nous fait reprendre cinq assiettes.
No Reason est ainsi un titre bourré d’énergie(s), comme ont pu l’être en leur temps Block Rockin’ Beats (1997), Hey Boy Hey Girl (1999), Galaxy bounce (2002), ou encore Galvanize (2005). Si vous avez besoin de votre dose de groove qui donne le pêchon pour ce samedi, et même l’entièreté de votre weekend, No Reason est fait pour vous. Si vous voulez juste un bon son qui nous rappelle combien The Chemical Brothers sont indispensables au paysage musical, No Reason est fait pour vous. Si vous aimez la musique et la vie, No Reason est fait pour vous. En bref, listen it.
Après avoir écouté du 50 ans d’âge la semaine dernière, réduisons un peu la voilure pour revenir presque 30 ans en arrière. En 1994 plus précisément, pour nous replonger dans l’excellent Ill Communication des Beastie Boys. Pour leur quatrième album, Michael « Mike D » Diamond, feu Adam « MCA » Yauch et Adam « Ad-Rock » Horowitz mélangent hip-hop, punk rock et sonorités jazz. Ce mix aventureux pourrait tourner à la catastrophe. Entre les mains des Beastie Boys, l’ensemble constitue un des meilleurs albums du groupe. D’un titre à l’autre parmi les 20 qui constituent la galette, on navigue entre titres à chiller, ambiance plus vénère et flow hip-hop jazzy. C’est plutôt dans cette dernière case qu’on rangerait Sure Shot, titre inaugural de Ill Communication et pépite énergique et énergisante comme on n’en fait plus.
Exploitant au maximum le sample de Howlin’ for Judy du flûtiste de jazz américain Jeremy Steig, Sure Shot est un titre obsédant. Dans son rythme d’une part, qui se met en route et se tend sans jamais relâcher l’énergie durant ses 3 minutes 20. Dans son flow d’autre part, que se partagent les Beastie Boys, en semblant ne jamais respirer de la première à la dernière note. Les trois rappeurs se passent et repassent le micro dans un morceau qui sonne comme une profession de foi. Titre d’ouverture parfait pour un album, qui envoie sans délai toute l’énergie nécessaire pour se tarter immédiatement après les 19 autres compositions. Sure Shot fut mon titre de rencontre avec les Beastie Boys, et j’y reviens régulièrement. Dont aujourd’hui, avec partage ici-bas, ici même. Avec en prime le clip, qui fleure bon les années 1990.
Il est grand temps d’écrire ma chronique hebdomadaire, et si vous en avez lu le titre, vous voyez déjà la pirouette que je vais faire. Il est grand temps… et hop un titre avec le mot temps dedans, en anglais pour faire un peu stylé. It’s time ! Retour 50 ans en arrière, avec un ultra classique comme on n’en fait plus. Tout a déjà été dit et écrit sur Dark Side of the Moon de Pink Floyd. Paru le 1er mars 1973 aux Etats-Unis et le 23 mars 1973 (on reviendra sur cette date) au Royaume-Uni, ce huitième album studio est la concrétisation du son Pink Floyd en gestation depuis la galette studio de Ummagumma (1969), puis Atom Heart Mother sur l’album éponyme en 1970 et Echoes sur Meddle en 1971. Un rock progressif qui expérimente les sonorités, une production studio léchée et tirée au cordeau avec notamment un mixage quadriphonique, un concept sonore qui conduit à l’évasion totale. Les 43 minutes et 10 titres de l’album forment comme un seul et même morceau qui déroulerait ses différents mouvements. Figurant dans le top 25 des albums les plus vendus de tous les temps, Dark Side of the Moon est resté 736 semaines dans le classement des albums du Billboard, de 1973 à 1988. On pourrait aligner les chiffres à l’envi, le constat est bel et bien là. Au-delà des ventes, des chiffres de production, Pink Floyd publie en 1973 un album majeur de l’histoire de la musique, dont le succès et les qualités ne se sont jamais démentis depuis.
Difficile de scinder Dark Side of the Moon en titres séparés, tant l’unité et la cohérence musicales sont évidentes. On peut toutefois s’arrêter sur une composition plutôt qu’une autre, comme on préfèrerait dans les Quatre saisons de Vivaldi le Printemps à l’Eté, ou l’ouverture des Noces de Figaro chez Mozart au reste de l’œuvre. En quatrième position de Dark Side of the Moon se trouve Time. Le morceau s’ouvre sur de multiples sonneries d’horloge avant de dérouler une longue intro de près de 2 minutes 30. C’est ensuite un titre assez classiquement pop-rock qui s’installe, pour s’amenuiser petit à petit et nous amener vers le formidable The Great Gig in the Sky qui conclut la face A. Ceux qui connaissent l’album savent que les 5 titres de la face B seront encore plus impressionnants. Il n’y a rien à jeter dans Dark Side of the Moon. Pas une seconde de trop, pas un son inutile ou raté. Même si j’ai une infinie passion pour Animals (1977), je reconnais en Dark Side of the Moon un chef-d’œuvre qui me fascine à chaque fois. Ne serait-ce que pour Time, apparemment un anodin titre rock qui prend toute sa mesure au cœur de cet album de légende.
Album tellement légendaire que, à l’occasion de ses 50 ans, il ressort dans une édition Deluxe le 24 mars prochain (je vous avais dit qu’on reparlerait du presque 23 mars). Une réédition dantesque, une version remasterisée (une fois de plus) agrémentée de nombreux goodies collector et de moult supports. Vinyles, CD, DVD, blu-ray, tout y est pour (re)découvrir Dark Side of the Moon sous toutes ses formes et sous tous les angles. Merci Pink Floyd, et merci aussi le capitalisme : si le contenu du coffret est dantesque, son prix aussi. A 250 € la bête, même les plus passionnés y réfléchiront à deux fois.
En revanche, sort séparément (tout en étant inclus dans le coffret) le Live at Wembley Empire Pool enregistré en novembre 1974. Il ne s’agit pas du concert intégral donnant à entendre Echoes en live, ainsi que des pré-versions de Shine on your crazy diamond, Sheep et Dogs, mais du bloc Dark Side of the Moon. Entendez par là que, pour la première fois en vinyle et CD, on va pouvoir écouter la prestation intégrale de Pink Floyd ces soirs-là jouant Dark Side of the Moon en live, de la première à la dernière note. Sensiblement ce que le groupe proposera en 1995 sur son live Pulse, à deux différences notables. D’une part, sur cette tournée, Dark Side of the Moon est joué live, mais pas forcément dans son intégralité selon les soirs. D’autre part, l’enregistrement de 1974 permettra de retrouver le Pink Floyd quasi originel (car point de Syd Barrett), avec Roger Waters dans ses rangs. Ce Live at Wembley Empire Pool sera, lui aussi, disponible le 24 mars prochain, pour un prix autrement plus abordable. Il est fort possible que nous en reparlions bientôt pour décortiquer l’intérêt et la qualité de l’objet.
Pour le moment, il est grand temps de laisser place à la musique. Time et, en bonus, The Great Gig in the Sky qui lui fait suite directement sur l’album.
Le duo composé de Clara Cappagli et Armand Bultheel, alias Agar Agar, aime prendre son temps comme ils l’affirment dans une interview accordée aux Inrocks « On a besoin d’accueillir certaines propositions pour se les approprier et ne pas être dans un dialogue immédiat avec ce que l’on vit. » Dans une époque de l’immédiateté poussée à son paroxysme, la démarche est pour le moins à contre-courant. Le premier album The Dog and the Future (apprécié et chroniqué par ici pour l’inauguration des Five-Titles) date donc déjà de 2018 et c’est avec une véritable impatience que je me lance dans ce Player Non Player, album-concept qui est la bande-son du jeu vidéo dumême nom créée par un ami d’Armand, Jonathan Coryn. Un jeu vidéo au concept assez original où l’on incarne un personnage qui arrive sur une île et rencontre des personnages énigmatiques qu’il va aider à accomplir leurs rêves, la progression du jeu débloquant les clips musicaux interactifs d’Agar Agar.
Le morceau d’ouverture Grass nous emmène d’emblée en territoire connu avec ses synthés brumeux, ses beats de fond et cette voix d’une nonchalance toujours aussi sensuelle et séduisante. Les synthés d’Armand Bultheel sonnent toujours aussi eighties et on perçoit tout l’amour des consoles 8-bits, à l’image d’un groupe comme Crystal Castles. The visit creuse le même sillon dans une version cependant un peu plus pop uptempo, les synthés rappelant les débuts de CalvinHarris. On retrouvera cette électro-pop attendue et riche de contrastes dans l’excellent morceau final It’s Over dont la mélancolie est particulièrement poignante.
Néanmoins, ce Player Non Player se présente davantage comme un vrai patchwork d’inspirations diverses qui peut déstabiliser. Ainsi Trouble se présente-t-il comme un vrai casse-tête électronique qui part dans tous les sens et qui a dû se montrer particulièrement complexe à produire, dans la foulée Odile nous propose une belle plage de douceur, aussi belle qu’inattendue, contrastant avec l’intermède d’une minute 45 Dragon, électro dépouillée et languissante qui ferait penser à un morceau caché du Third de Portishead. Accrochez-vous car l’auditeur ne va pas cesser d’être trimballé dans de multiples univers: Dragonlie est un de mes morceaux préférés avec son trip-hop désincarné et cette froideur esthétique d’une grande beauté qui contraste à merveille avec Crave et ses 2 minutes angoissantes qui croisent l’univers de The Knife avec le goût du 8 bits de Crystal Castles. Ce Crave me déplaît et me met mal à l’aise et je retrouve avec plaisir la douceur de Fake names qui s’impose comme le plus bel exemple d’électrop-pop inventive d’Agar Agar.
L’électro-pop plus attendue de No Pressure, le featuring de Zombie-Chang qui apporte un texte en japonais bien senti sur Dude on Horse et la sublime plage contemplative Plaine qui ramène aux étendues balayées par le vent de Boards Of Canada confirment ce plaisir jouissif à explorer des contrées variées. Même si ce Player Non Player m’a demandé plusieurs écoutes pour appréhender son aspect protéiforme, je ne peux que vous engager à savourer l’inventivité d’Agar Agar, enjoy !
Qu’apprend-on la semaine dernière à la lecture des Inrockuptibles (27 février 2023, lien vers l’article complet en bas de chronique) ? Que le méga succès planétaire Clint Eastwood de Gorillaz repose sur une simple boucle de préréglage sur un instrument de musique électronique. Enfin pas vraiment. C’est plus exactement la rythmique de base et sa coloration traînante si particulière qui sort tout droit d’un Omnichord Suzuki OM-300. Le reste du titre relève du talent de composition de Damon Albarn, leader de Blur, mais aussi créateur (avec Jamie Hewlett) et tête pensante de Gorillaz. Rappelons que ce groupe existe sans exister, puisqu’il est officiellement composé de musiciens virtuels et/ou de fiction. Seul Damon Albarn existe réellement. C’est justement lui qui, récemment invité dans le Zane Lowe Show (podcast diffusé sur Apple Music), a révélé le secret du riff rythmique de Clint Eastwood, single emblématique de Gorillaz, premier album du groupe. Je vous invite à visionner les premiers instants dudit podcast ci-dessous, pour comprendre en quelques secondes. Albarn explique nonchalamment “That’s it. That’s the preset. It’s the Rock 1 preset”, avant de presser un bouton de la machine devant lui. Aucun doute possible, c’est à la note près la base de Clint Eastwood.
Si la révélation a de quoi étonner, elle prête plus à sourire qu’autre chose. Ici, point de soupçon de plagiat ou de sample malhonnêtement détourné. Damon Albarn s’est contenté de travailler autour d’une boucle de préréglage, qui existe depuis des années dans de nombreuses machines vendues dans le monde. Aucune cachotterie ou filouterie. N’importe quel possesseur/utilisateur d’un Omnichord Suzuki OM-300 était à même de découvrir le pot aux roses. Et, fort heureusement, la magie de Clint Eastwood ne repose pas que sur ce riff rythmique. Tout le reste, depuis la voix traînante de Damon Albarn qui s’oppose au flow de Del the Funky Homosapien jusqu’aux nombreuses gommettes musicales qui émaillent le titre, constitue un réel travail de création et de composition. Clint Eastwood et les nombreuses autres pépites qui constituent Gorillaz (dont le génial 5/4 et l’émouvant Latin Simone) font bien de cet album un must-have de toute discothèque. Cette galette constitue l’acte de naissance d’un des groupes les plus captivants de notre temps. Qu’il soit virtuel ou non n’a aucune espèce d’importance. Le duo Damon Albarn/Jamie Hewlett offre depuis plus de 20 ans maintenant un univers musical dont on ne se lasse pas. Retour aux origines avec Clint Eastwood et, dans la foulée, 5/4 pour vous convaincre (si besoin en était) de vous faire tout l’album.
Ce soir j’ai très envie de mettre la lumière sur un titre obsédant que j’ai croisé par hasard sur une compilation il y a 5 ans et qui m’électrise toujours autant lorsque l’aléatoire de ma playlist Top Choucroute (mon paradis musical qui envoie du lourd comme la choucroute…#nosrégionsontdutalent) me l’offre. Le titre original Mia Mia est sorti sur le trois titres Take My Way en 2017 par le français Üm, un beau morceau chill sublimé par des choeurs d’enfants et des cordes en fond qui rajoutent ce supplément d’âme sur une rythmique funk savoureuse. Cependant, j’ai découvert l’original après ce remix extatique de Romulus qui insuffle un vent de folie épique au morceau. Il y a dans ce titre tout ce que j’aime dans la musique électronique au sens le plus large, dans sa capacité à nous raconter et nous emporter sans paroles. C’est une véritable terre de contrastes entre une rythmique électro/techno affirmée et ces cordes initiales qui prennent une véritable place centrale avec sa construction d’une grande intelligence qui réveille en moi cette foutue envie de laisser mon corps prendre le pouvoir sur mon dance-floor intérieur. Un bijou que Baudelaire aurait bien placé au rang des paradis artificiels avec le vin et l’opium, enjoy !
Comme cela nous arrive parfois sur Five-Minutes, petite incursion dans le jazz pour découvrir un album sorti voici déjà quelques semaines. L’homme à tête de chou in Uruguay: variations sur la musique de Serge Gainsbourg est une bien belle galette proposée par Daniel Zimmermann. Tromboniste talentueux, le garçon s’est construit un petit parcours/CV dans le monde musical. A 49 ans, il peut se targuer d’avoir accompagné les plus grands (Claude Nougaro ou encore Manu Dibango), mais aussi d’avoir participé à plusieurs projets divers et variés, entre jazz et rock. On peut aussi citer ses collaborations avec le Sacre du Tympan de Fred Pallem, ou encore l’Orchestre National de Jazz. C’est à la tête d’un quartet jazz que Daniel Zimmermann a signé en novembre 2022 L’homme à tête de chou in Uruguay : 9 titres de Serge Gainsbourg revisités jazz. Non pas arrangés en version jazz, mais plutôt servant de support à une réinterprétation/réécriture et à de bien beaux chorus. Pour mener à bien ce projet, Daniel Zimmermann s’est entouré de Pierre Durand (guitare), Jérôme Regard (basse) et Julien Charlet (batterie). Un groupe déjà entendu sur Montagnes russes (2016).
Le quartet revisite en 51 minutes des titres plus ou moins connus de Serge Gainsbourg, dans un style très cool jazz qui n’oublie pas de groover. Si vous aimez les petites formations jazz qui déroulent du son pour chiller, cet album est fait pour vous. De la première à la dernière note, on se laisse porter par les thèmes musicaux qu’il ne faut surtout pas chercher à reconnaître. L’intelligence de ces revisites, c’est justement de nous ramener petit à petit sur l’original, pour toujours mieux s’en éloigner. Le parfait hommage. A commencer par le titre de l’album, qui est une contraction de deux chansons de Serge Gainsbourg : L’homme à tête de chou et S.S. in Uruguay. Une contraction que l’on retrouve d’ailleurs musicalement, puisque l’album s’ouvre sur S.S. in Uruguay, relecture décrite par Daniel Zimmermann comme « une espèce de mashup considérablement retravaillé de deux chansons de Gainsbourg, L’Homme à la tête de chou pour les harmonies et S.S. in Uruguay pour la mélodie. » (propos issus d’une interview donnée à France Info, lien en fin d’article).
Viennent ensuite 8 autres re-créations. Toutes sont de haute qualité, mais j’ai envie de retenir New-York U.S.A. pour son groove, Comic Strip pour son ambiance et ses cassures rythmiques, et Bonnie and Clyde pour sa tension tout en finesse. Une tension accrue par un cinquième musicien invité, et que l’on retrouve aussi sur Ballade de Melody Nelson et La noyée. Daniel Zimmermann a convié Eric Truffaz à venir éclairer de son jeu de trompette ses relectures de Gainsbourg. Si le quartet assure grandement et largement la performance, Eric Truffaz apporte une touche assez incomparable, qui enrichit considérablement l’ensemble.
Vous l’aurez compris : L’homme à tête de chou in Uruguay est une pépite qui vous baladera au pays de Gainsbourg, mais plus largement dans un jazz intelligent, accessible, savoureux et efficace. Daniel Zimmermann signe là un bien bel album, à côté duquel j’avoue être passé à sa sortie. Il était largement temps de le découvrir et de vous le partager, pour rendre honneur à cette virée musicale de haute volée. Un album que, a posteriori, j’intègre sans hésitation dans ma rétrospective 2022. Mieux vaut tard que jamais.
On ne sait pas vraiment dans quelle rubrique mettre la chronique du jour. Nous avons choisi les Pépites intemporelles mais elle aurait tout aussi bien pu passer en Ciné – Musique, ou encore en Five Reasons. Qu’importe la case : nous posons aujourd’hui quelques lignes pour rendre hommage à Leiji Matsumoto. Décédé le 13 février dernier à l’âge de 85 ans, le dessinateur japonais occupe une place toute particulière dans nos souvenirs d’enfance. Mais pas que. Leiji Matsumoto est un mangaka (auteur/dessinateur de manga) à l’œuvre prolifique. Il réalise ses premières planches dès l’âge de 9 ans, et remporte à 15 ans un concours du magazine Manga Shônen. Il est alors repéré par Osamu Tezuka, dont il deviendra l’assistant. Pour resituer, Osamu Tezuka est un autre mangaka, peut-être même le mangaka originel. Créateur d’Astro le petit robot, mais aussi auteur de nombreuses merveilles comme L’histoire des 3 Adolf, Osamu Tezuka est une référence absolue, parfois considéré comme le Walt Disney japonais. Retour de digression… C’est donc aux côtés de ce grand personnage que Leiji Matsumoto fait ses premières armes.
Leiji Matsumoto entre dans une période faste à partir des années 1970. Il produit de plus en plus, autour de trois thématiques récurrentes : la guerre, le western et la science-fiction. A la croisée de ces trois mondes, il publie entre janvier 1977 et janvier 1979 Capitaine Albator, peut-être son manga le plus connu. Manga qui sera adapté en série animée dès 1978, et qui arrivera sur nos écrans de télévision française en janvier 1980. Le voilà notre souvenir d’enfance. Souvenir d’un capitaine courage qui est quasiment le seul à mesurer le danger constitué par l’arrivée des Sylvidres. La société n’a plus aucune ambition, l’humanité est repue et oisive de sa propre suffisance. Personne ne mesure le péril grandissant, à l’exception d’Albator et de son équipage. On est loin des bluettes guimauves et des dessins animés sans profondeur. L’œuvre est brillante, humaniste, philosophique, existentielle. Quarante ans plus tard, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec les risques du dérèglement climatique et le trop peu de prise de conscience par les puissants qui pourraient réagir. La thématique sera d’ailleurs au cœur de l’excellent film Albator, Corsaire de l’espace (2013), tout aussi pessimiste et badass que l’est Albator 78. Oui, il y a aussi Albator 84, préquelle à Albator 78 bien que réalisée après, mais mon cœur bat définitivement pour la série 1978.
Vous avez remarqué ? Nous n’avons pas encore parlé musique, alors que nous sommes sur Five-Minutes, le blog qui garantit cinq minutes de bon son par article. Réparons cela, avec un autre souvenir d’enfance : le générique d’Albator 78. Avant de dire encore un mot sur Leiji Matsumoto, double pause musicale, avec le générique français qui éveillera vos souvenirs de goûter devant Récré A2, mais aussi le magnifique générique japonais, dont le texte plus sombre laisse entrevoir la réelle tonalité de la série.
Nous venons de parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître… pas directement du moins. Leiji Matsumoto ne se limite pourtant pas aux années 1950-1980. Si l’artiste se fait plus rare à partir des années 1990, il continue à créer, et reviendra sur le devant de la scène grâce notamment à sa collaboration avec Daft Punk. En 2003, le duo français sort son excellent album Discovery (le meilleur à mon goût), qui s’accompagne d’un film animé en forme de clip géant, couvrant l’intégralité de l’album. Intitulé Interstella 5555 : the 5story of the 5ecret 5tar 5ystem, l’animé est conçu par Leiji Matsumoto. La combinaison des deux mondes et le résultat sont incroyables. Est-on en train d’écouter un album de Daft Punk illustré par Leiji Matsumoto, ou bien de regarder un animé de Leiji Matsumoto dont la BO serait faite par Daft Punk ? Peu importe la réponse, le plaisir est là, et bien là. Pas moins de 68 minutes d’ultra-maitrise visuelle et sonore, de références à tout va, de souvenirs et d’émotions à retrouver encore tant de talent chez le mangaka.
Leiji Matsumoto n’était bien entendu pas qu’Albator et Interstella 5555. Ses mangas, ses séries, ses films, riches de préoccupations philosophiques et humanistes, sont autant d’œuvres dans lesquelles replonger pour s’échapper de ce monde, ou parfois tenter de le comprendre. Au-delà des souvenirs d’enfance et du plaisir procuré par son travail, Leiji Matsumoto nous laisse un peu orphelins de son intelligence et de son regard sur nous-mêmes et nos sociétés. C’est avec grande émotion que j’ai appris sa disparition voici quelques jours, et que j’ai relu quelques pages de ce grand monsieur. Avant de ressortir Interstella 5555, pour un énième visionnage. One more time, Monsieur Leiji Matsumoto.
Deux ans après l’excellent et percutant The shadow of their suns (2021), Wax Tailor (aka Jean-Christophe Le Saoût) est de retour dans les bacs avec Fishing for accidents. Sorti le 10 février dernier, ce nouvel et septième opus parvient de nouveau à nous étonner. Tout en s’inscrivant dans la continuité des sons de son créateur, il renoue avec l’esprit des premiers albums, et notamment de Tales of the forgotten melodies (2005), pierre fondatrice de la carrière de Wax Tailor. Un disque qui n’a donc rien d’un accident, et qui apporte son lot d’énergie et d’émotions autant qu’il bouleverse. Au fil de ses 12 titres et de ses 38 minutes, le musicien nous embarque dans un voyage dont il a le secret, en mixant allègrement samples musicaux et vocaux, mais aussi en convoquant moult featurings comme pour toujours élargir un peu plus sa famille et ses horizons musicaux. Que trouve-t-on dans Fishing for accidents, et pourquoi faut-il absolument l’écouter ? Décryptage de l’objet et de ses pépites, sans attendre.
Tout commence par des présentations. Craftsman, premier titre de l’album, s’ouvre par un collage de deux samples vocaux : « I forgot to introduce myself / Tailor you remember me ? ». Comme si on avait oublié ce cher Wax Tailor, Craftsman parmi les craftsmen. Le Craftsman, c’est l’artisan, le bricoleur de génie. Celui qui transforme en beauté tout ce qu’il touche. Pas celui qui cloue trois planches en espérant économiser le prix d’un étagère Ikea, pas non plus celui qui sortirait un album tous les 6 mois depuis 9 ans en mode usine à sons. Non, Wax Tailor c’est plutôt l’artiste artisan qui, depuis 2005, habille et décore notre intérieur musical de ses créations. Craftsman nous le rappelle avec style et simplicité, sur un son qui pourrait accompagner une scène de Ghost Dog.
Vont ensuite s’enchainer trois types de morceaux, pour un voyage somme toute assez feutré : les sons très low-tempo hip-hop, les étrangetés freaks et les mélodies capiteuses.
Du côté du low-tempo hip-hop, on relèvera Searchin, Home, Just rock on, Let them know et No more magical. Soit une bonne partie de l’album. Chacun de ces 5 titres recèle sa petite touche individuelle. Home par exemple déroule une grosse et très présente ligne de basse sur laquelle se colle une ambiance distordue, tandis que Just rock on pose un groove plus tranquille pour chiller après plusieurs titres troublants. No more magical, quant à lui, sera le onzième et avant-dernier titre de l’album. Un low-tempo pour porter un flow diablement efficace tout juste interrompu par de langoureux « No more magical ». Wax Tailor fait ce qu’il a toujours su faire. Du hip-hop, qui se fait pourtant plus intimiste sur cet opus. On n’est plus sur les House of Wax (sur Hope & Sorrow en 2007), The sound (sur Dusty rainbow from the dark en 2012) ou même Keep it movin (sur The shadow of their suns en 2021). Ici le low-tempo hip-hop se fait moins groovy, plus déconstruit, mais terriblement captivant et troublant.
Le trouble, c’est précisément ce qu’apportent les titres que nous regrouperont sous la bannière étrangetés freaks. Font partie de ceux-là That good old tomorrow, Freaky circus, et Forbidden cabinet. Ces trois morceaux apportent une couleur très nouvelle dans le son Wax Tailor. That good old tomorrow sonne comme un pied de nez au sépia « C’était mieux avant », en étant plutôt un « C’était mieux demain » (le meilleur étant à venir, rappelons-le). Sur un rythme de valse lente, Wax Tailor brouille les époques et les pistes. Et si le meilleur moment, c’était maintenant ? Freaky circus nous emmène dans un cabinet des curiosités sonores, en mixant un flow efficace et des samples qui évoquent une BO de Tim Burton et un film joyeux de David Lynch (oui, j’ai bien dit ça). Quant à Forbidden cabinet, c’est une avalanche de samples vocaux parfaitement mixés sur une trame musicale toujours plus intrigante. Ces trois titres, respectivement en 3e, 6e et 7e position sur la galette, tombent à point nommé pour nous surprendre et nous emmener là où on ne pensait pas aller.
Précisément, là où ne pensait pas aller, c’est dans un troisième univers avec Come with me et Shaman in your arms. Placés tous deux en 4e position des faces A et B, ils se parlent l’un à l’autre. Victoria Bigelow dans le premier, Jennifer Charles (de Elysian Fields) dans le second : deux voix féminines, langoureuses, envoutantes et captivantes. Voilà bien deux titres qui font penser très fort à Twin Peaks et ses scènes capiteuses à souhait. Comme deux bulles respiratoires autant que séduisantes, l’un et l’autre offrent un moment en suspension. Une sorte de Red Room dans laquelle on se poserait et s’abandonnerait, avant de reprendre le voyage.
Un voyage qui, vous l’aurez compris, n’a rien d’un gros son mal dégrossi. Wax Tailor livre ici un album d’une richesse et d’une finesse assez bouleversantes. Une fois de plus, il brouille nos attentes et les frontières musicales en mélangeant avec grand talent du low-tempo hip-hop (sa marque de fabrique) et divers univers qui trouvent pourtant une cohérence évidente. A aucun moment on ne se demande ce qu’est ce melting-pot sonore. En revanche, à chaque seconde et chaque titre, on frissonne d’émotions et de plaisir face à cette intelligence artistique qui, une fois encore, me laisse admiratif et captivé. Comme à son habitude, Wax Tailor convoque une longue liste de featurings parfaitement choisis, selon le climat qu’il veut donner à chacune de ses compositions.
Fishing for accidents est un magnifique album, qui se clôt sur The final note. Une conclusion au voyage, construite sur quelques notes de pianos et une nappe de cordes traînante. Un peu comme s’il était tard dans la nuit, au fin fond d’un bar lynchien, et que nous avions rêvé les 38 minutes qui viennent de passer. L’album est pourtant bien là, avec de plus une pochette absolument somptueuse réalisée par Hanako Saïto, artiste japonaise qui a notamment collaboré avec Tarantino sur Kill Bill. Tourné autant vers ses prédécesseurs (à commencer par Tales of the forgotten melodies) que vers l’avenir et de nouvelles pistes musicales, Fishing for accidents est la très belle surprise de ce début 2023. Après un excellent The shadow of their suns puissant mais assez sombre, Wax Tailor démontre une nouvelle fois ses talents de Craftsman avec ce nouvel opus tout aussi excellent que ses albums précédents. Procurez vous d’urgence cette merveille si ce n’est déjà fait : voilà un sérieux prétendant au podium 2023.
Un Five Titles pour le moins original cette semaine : alors que nous réservons généralement cette rubrique à l’extraction de cinq titres d’un même album pour vous donner envie d’en écouter le reste, nous allons plutôt partir sur un top 5. Étrange idée ? Pas tout à fait. Voici quelques semaines, j’ai vu passer et répondu sur Twitter à un petit jeu consistant à donner son top 5 des titres de Radiohead, tout album confondu (Twitter où, je le rappelle, vous pouvez nous suivre dans nos pérégrinations bloguesques et culturelles en rejoignant nos deux comptes @sylphe45 et @BatRafATM). Ce top 5 Radiohead fut une sacrée difficulté : comment extraire de la discographie du groupe seulement cinq titres au beau milieu de cette avalanche de pépites depuis le premier album Pablo Honey en 1993 ? Trente ans que la bande de Thom Yorke nous accompagne, avec à ce jour une carrière parfaite. Pas un mauvais album, pas un titre à jeter. Après les plutôt rock Pablo Honey et The Bends (1995) que j’aime beaucoup, OK Computer (1997) fut la claque absolue dont je ne suis toujours pas remis. En 2000 et 2001, le diptyque Kid A / Amnesiac (aujourd’hui réuni dans le triple vinyle Kid A Mnesia sorti en 2021) fait entrer le groupe dans une nouvelle dimension artistique, en venant prolonger OK Computer tout en éclatant tous les repères.
Les quatre albums suivants, respectivement Hail to the thief (2003), In Rainbows (2007), The King of limbs (2011) et A Moon Shaped Pool (2016), installent définitivement Radiohead au panthéon du rock et de la musique des 20 et 21e siècles. Dès lors, comment ne retenir que cinq titres ? Tout simplement en les laissant venir, spontanément. Quels sont les morceaux qui me viennent et qui vibrent le plus en moi lorsqu’on me parle de Radiohead ? Réponse immédiatement, ici-bas, ici même.
Paranoid Android (sur OK Computer) : titre rock, étiré, déconstruit, hors de toute norme single et radiophonique, Paranoid Android est un bijou de création qui alterne moments intimistes, dépressifs, planants, et explosions rock. Tout Radiohead est là, et si un jour il ne fallait en garder qu’un, le voilà.
Like Spinning Plates (sur Amnesiac) : je peine à trouver les mots justes pour décrire l’effet que me fait cette chanson. Notamment dans sa version ‘Why us ?’, entendue sur le live I might be wrong en 2001, et disponible sur Kid A Mnesia. A écouter, tout simplement. Une des merveilles musicales de notre temps.
Fake Plastic Trees (sur The Bends) : balade rock quasi acoustique qui empile les émotions comme les couches musicales, portée par la voix déchirée et déchirante de Thom Yorke. Là encore, une musicalité presque hors du temps.
Motion Picture Soundtrack (sur Kid A) : quasi titre de clôture du chef-d’œuvre Kid A, un titre sans aucune guitare ni aucun attribut rock pour une mélodie aérienne qui monte très très haut à la faveur de chœurs quasi mystiques. En découvrant Kid A pour la première fois, et en le refermant avec ce morceau, des vagues d’émotions encore intactes aujourd’hui.
Climbing up the walls (sur OK computer) : pour son travail sur le son, les dizaines d’artefacts et de glitches sonores (écoutez moi ça au casque je vous en prie), ce titre est une pépite d’écriture. Trois minutes contenues et posées en tension, pour finir sur un mur de guitares et de cordes déchirant, avant de s’échouer dans trente secondes de retombées. La transition avec No Surprises sur ce même OK Computer.
Vous aurez donc aujourd’hui non pas cinq minutes mais cinq titres de bon son fournis par une des plus grands groupes que la musique nous ait offert. On ne fait que relayer et vous partager ça, en attendant la review de fin de semaine qui concernera un autre grand musicien dont le dernier et bouleversant album est sorti vendredi dernier (spoiler/indice : on peut émouvoir avec des platines).