Pour fêter la 100e pépite intemporelle de Five-Minutes, il nous fallait bien un titre d’anthologie. C’est le cas avec Olé de John Coltrane, sorti en 1961 sur l’album éponyme. D’une durée de plus de dix-huit minutes, ce morceau incroyable à bien des égards est, possiblement, ma composition préférée de Coltrane. Pas ma première porte d’entrée dans le monde de ce jazzman hors normes, mais le son qui m’a empêché de dormir des nuits entières, et qui m’a donné envie d’attraper un jour un saxophone pour essayer d’en faire quelque chose. Peine perdue, et pourtant Olé reste un incontournable absolu dans ma discothèque, et une des compositions de jazz vers laquelle je reviens plus que régulièrement.
Le début des années 1960 est une charnière dans la carrière de John Coltrane. Bien qu’il joue dès 1945, sa carrière discographique, courte mais intense et dense, se déroule de 1955 à sa mort en 1967. Douze années pendant lesquelles il va révolutionner et réinventer le jazz. Après des collaborations multiples, dont celle au sein du quintet, puis du sextet de Miles Davis (on entend notamment Coltrane sur Milestones en 1958 et Kind of blue en 1959), Coltrane monte ses propres formations et offre, sous le label Atlantic, quelques unes des partitions de jazz les plus vertigineuses. Olé se situe à la toute fin de cette période, en étant le dernier album chez Atlantic, avant le passage chez Impulse! pour un jazz toujours plus inventif, toujours plus moderne, toujours plus free.
Album de clôture des années Atlantic, tout autant que clin d’œil/réponse au Sketches of Spain (1960) de Miles Davis, Olé s’ouvre sur dix-huit minutes fiévreuses, envoûtantes, hypnotiques, vénéneuses. Construit sur une rythmique piano/basse en syncope permanente, le morceau propose un thème sorti de nulle part, interprété au saxophone soprano que Coltrane a découvert quelques mois plus tôt. Ensuite… ensuite, on va enchaîner les chorus de folie. D’abord à la flûte avec Eric Dolphy, puis à la trumpette avec Freddie Hubbard, avant de laisser la place à McCoy Tyner au piano, et enfin la contrebasse d’Art Davis. Chacun a la parole durant les deux tiers du morceau. Le dernier tiers est une folie absolue, un délire musical qui explose toutes les frontières. Plus rien ne compte, si ce n’est la musique et la transe.
On ne tient pas encore ici le futur classic quartet de Coltrane, qui verra l’année suivante Jimmy Garrison s’emparer de la basse et Elvin Jones de la batterie. Toutefois, Olé est un incontournable de la discographie de Coltrane, et pour tout amateur de jazz. Viendront ensuite les années Impulse! avec des albums comme Ballads (1962), Impressions (1963) et surtout A love supreme (1964), considéré à la fois comme un chef-d’œuvre total et album majeur du jazz, mais aussi comme un des disques de Coltrane les plus accessibles. Mais ça, c’est une autre histoire. Pour le moment, Olé de Coltrane, suite à quoi vous pouvez écouter la suite de l’album pour découvrir les autres pépites qui le composent, à commencer par Dahomey Dance et Aisha.
Il serait définitivement temps que je m’intéresse à la discographie de Florent Marchet… Que j’aille me confronter à ses nombreuses musiques de films, que je réécoute ses albums (Rio Baril en 2007 et le dernier Bambi Galaxy en 2014 me viennent immédiatement en tête) ou que je lise son premier roman Le monde du vivant publié en 2020. Florent Marchet sortira son sixième album solo GardenParty le 10 juin prochain et, depuis quelques jours, je suis obsédé par un des titres qui en est extrait Paris-Nice… Ce titre sublime qui n’a qu’un lien bien secondaire avec la course cycliste est touchant d’humanité mais malheureusement je n’ai pas trouvé de vidéo de ce titre pour illustrer l’article – mon petit doigt me dit que ce ne sera que partie remise et que je risque bien de vous parler courant juin de Garden Party.
En fouinant, je me rends compte que plusieurs titres sont déjà sortis dont le dernier En famille le 12 mai et de nouveau, dès la première écoute, c’est bingo ! La voix feutrée de Florent Marchet et l’instrumentation subtile entre les claviers et la montée finale tout en cuivres permettent de parfaitement mettre en valeur la justesse et la pudeur des paroles qui traitent d’un sujet pourtant amplement rebattu : la famille. Florent Marchet traite de ces sempiternelles réunions de famille et souligne toute la complexité de la famille, à la fois nécessaire et constructrice de l’identité, mais aussi obstacle à l’émergence du vrai moi et source de frustrations fondamentales. Ce titre est un joli clin d’œil à la pièce de théâtre que j’étudie actuellement, Juste la fin du monde de Lagarce (pièce brillamment adaptée au cinéma par Xavier Dolan en 2014), qui révèle toute la difficulté de communiquer avec ses proches. Je ne peux que vous inviter à savourer ce En famille qui me donne une farouche envie d’écouter Garden Party, enjoy !
Quand tu prends le nom de Wet Leg et que ton premier titre -au passage un énorme carton- s’appelle Chaise Longue c’est que vraisemblablement tu as décidé de ne pas trop te prendre au sérieux et d’aborder l’aventure musicale avec légèreté. Rhian Teasdale, la voix principale, et Hester Chambers, la blonde plus introvertie, sont toutes les deux originaires de l’île de Wight -que nous plaçons tous les yeux fermés sur un planisphère bien sûr…- et viennent de faire une vraie entrée par effraction dans le monde de la musique indépendante. Tout commence donc en juillet 2021 avec la sortie de ce single punk jouissif Chaise Longue, la voix lancinante de Rhian Teasdale dont le charme anglais est imparable laisse place à un refrain jouissif porté par un riff de guitare aussi simple qu’évident. La litanie hypnotique autour de la chaise longue sur la fin témoigne de ce goût prononcé pour le second degré et il n’en faut guère plus pour que la toile se prenne de passion pour ce duo improbable.
Au moment d’enclencher la lecture de ce premier album éponyme, je n’ai pas d’attente particulière et presque plutôt la curiosité de voir où l’humour so british de Wet Leg a tenté de nous emmener… Le morceau d’ouverture Being In Love va nous donner des réponses rapides. En à peine deux minutes, sur la thématique ressassée de la souffrance en amour, le duo nous offre une belle leçon de pop débridée où le refrain tout en guitares contraste à merveille avec la nonchalance de la voix. Chaise Longue nous surprend ensuite toujours autant par son instantanéité presqu’un an après sa sortie initiale.
Angelica va alors jouer la carte de la surf music et de la coolitude assumée avec un refrain soyeux à souhait, j’ai l’impression d’entendre une version solaire et reposée de MGMT et je commence à me dire que les deux demoiselles ont décidément plus d’une corde à leur arc musical. Voilà en tout cas un tryptique initial assez excitant ! I Don’t Wanna Go Out creuse le sillon de cette surf music en se permettant de ralentir les rythmiques comme Air le faisait si bien dans la BO de Virgin Suicides entre autres pour une deuxième partie plus planante.
Wet Dream et ses connotations mutines pleinement assumées sous le voile du flegme britannique s’impose comme le deuxième single jouissif de l’album. Un sens inné de la mélodie et de ce genre de refrain addictif, l’humour décalé teinté d’une certaine provocation, tout fonctionne à merveille ! Après un Convincing qui m’évoque la sensualité de Goldfrapp et Loving You qui, sous des airs angéliques, exécute l’ancien amoureux en lui refusant une amitié factice, Ur Mom s’impose comme une version débridée de The XX qui aurait débauché Alison Goldfrapp au chant.
Une fois passée la rythmique plus saccadée et un brin agaçante de Oh No qui, pour moi, est le titre le plus faible de l’album dans cette envie punk un peu caricaturale, Piece of Shit introduit des sonorités électroniques judicieuses pour un résultat qui n’est pas sans rappeler l’univers de The Pixies auquel se serait greffé le démon de la pop. L’album tient la longueur de ses 36 minutes haut la main avec deux derniers titres séduisants : Supermarket flirte avec la tentation de la britpop et Too Late Now nous assène une belle montée rock finale digne de Clap Your Hands Say Yeah et ouvre un champ de possibilités infinies.
Voilà en tout cas un premier album de très grande qualité qui confirme que le buzz autour de Wet Leg est amplement mérité, ce Wet Leg a pris possession de mes futures playlists estivales et j’espère que nos deux Anglaises vont vite nous concocter une suite, enjoy !
Morceaux préférés (pour les plus pressés): 2. Chaise Longue – 5. Wet Dream – 12. Too Late Now – 3. Angelica
Chose promise… voici deux semaines, en toute fin de la review de Call to Arms & Angels, nouvel album d’Archive, nous évoquions une galette bonus : la soundtrack de Super8: A Call to Arms & Angels, le documentaire/making of qui accompagne la sortie de ce douzième opus studio. Evoquions seulement, car nous n’avions pas eu la possibilité de l’écouter pour en parler. Disponible uniquement dans les éditions Deluxe de Call to Arms & Angels* (soit en triple CD, soit en coffret quadruple LP/ triple CD), cette BO est désormais arrivée à la maison. Dix titres supplémentaires pour enrichir l’album, ou le précéder. Peu importe le sens, cette dizaine de morceaux vient s’ajouter au déjà gargantuesque album de dix-sept compositions, pour former, plus que jamais, un disque majeur chez Archive tout autant que pour la musique en général. Pas convaincus ? Petit tout d’horizon en cinq bonnes raisons de replonger.
1. Super8: A Call to Arms & Angels est, selon vos goûts et votre humeur, la galette qui introduira ou complètera Call to Arms & Angels. Excellente introduction, car les dix titres nous plongent d’entrée de jeu dans l’ambiance que l’album développera plus tard. Ecrit, composé, enregistré sous ère Covid et début de sortie de Covid, Call to Arms & Angels dessine un monde déboussolé, destabilisé, mais en vie même s’il est à jamais modifié. La BO du documentaire installe déjà cette ambiance intrigante, voire inquiétante. Il suffit d’écouter Night People pour s’en convaincre, avec son intro à la Pink Floyd des périodes A saucerful of secrets et Ummagumma. Sans compter Throwing stars, titre de conclusion construit comme un patchwork de ce qui nous attend, en sautant d’un éclat de titre à un autre. Le teaser parfait en somme.
2. Super8: A Call to Arms & Angels pourra tout aussi bien compléter son album jumeau. Une fois Call to Arms & Angels parcouru, vous brûlerez d’envie de connaître l’arrière-cuisine de ce chef-d’œuvre, et de passer un moment avec Darius Keeler et ses compères. Pour comprendre leur travail. Pour comprendre les conditions de ce douzième opus. Pour cela, rien de mieux que le documentaire Super8: A Call to Arms & Angels. Malheureusement pas encore disponible en streaming ou à la vente (mais le groupe confie qu’ils y travaillent)**, nous sommes un certain nombre à l’avoir vu malgré tout. Par exemple, le 2 avril dernier en ligne, lors de la géniale soirée de lancement/présentation de l’album, ou encore le 11 mai dernier lors d’une projection/showcase organisée à Paris par le disquaire Ground Control. Le documentaire est passionnant, fortement soutenu par sa BO. Une BO dont on parle aujourd’hui et qui image on ne peut plus efficacement les deux années écoulées et matricielles de Call to Arms & Angels.
3. Super8 : A Call to Arms & Angels vaut aussi pour son parti pris exclusivement instrumental (ou quasi). A l’exception de quelques voix très ponctuelles dans Fall outside, Is this me ou encore Throwing stars, le groupe n’a bossé que sur des pistes instrumentales. Un choix qui permet de mesurer pleinement le potentiel d’Archive à composer des titres et sons complètement dingues. Créer de telles ambiances totalement saisissantes, enveloppantes, pénétrantes, uniquement sur la base d’instruments, n’est pas donné à tout le monde. Call to Arms & Angels fait la part belle au travail sur les voix comme aux compositions. Ici, tout repose sur les synthés, les rythmiques, les guitares. Comme pour nous rappeler aussi que, jadis, Archive composa une efficace BO : celle du film Michel Vaillant (2003). Si le long métrage est dispensable, voire oubliable, la BO de très haute volée envoie le bouzin (#commediraitSylphe). Archive, un vrai groupe complet de musiciens et de chanteurs/chanteuses qui sait tout faire.
4. Loin de moi l’idée de pousser à l’achat, mais Call to Arms & Angels sans ce disque supplémentaire Super8: A Call to Arms & Angels n’est pas vraiment complet. Les deux se répondent et sonnent en miroir. Me vient la même remarque que lors de la chronique de l’édition Deluxe de Est-ce que tu sais ?, dernier album de Gaëtan Roussel. Une fois l’album de base écouté, on se demande ce que l’on pourrait bien ajouter. Une fois la galette bonus dévorée, on se demande comment on a pu faire sans ces titres supplémentaires. Idem pour Radiohead et son KID A/MNESIA sorti l’an dernier. L’œuvre n’est complète que lorsqu’on peut l’apprécier dans son entièreté. Un ensemble qui, dans le cas de Call to Arms & Angels, pourrait bien se compléter d’un Rarities, qu’on rêve déjà de trouver en merchandising sur la tournée à l’automne : Darius Keeler a confié le 7 mai dernier sur Instagram, lors d’un jeu de questions réponses avec les fans, qu’existent encore dix à quinze titres composés mais non intégrés à l’album.
5. Une cinquième raison est-elle bien nécessaire (#astucedugarsquimanqued’idéepourfinir) ? Oui (#jenemanquepasd’idéefinalement) : soundtrack qui accompagne le documentaire éponyme, Super8: A Call to Arms & Angels se paie le luxe d’être écoutable en toute indépendance. Lecteurs habitués de Five-Minutes, vous connaissez ma position sur les BO : lorsque ces dernières existent à part entière, comme un album total et indépendant, c’est qu’on tient là de la pépite high level. Et c’est ici le cas. Procurez-vous d’urgence Call to Arms & Angels en Deluxe, et vous aurez sous la main à la fois un des plus grands albums de tous les temps, mais aussi une BO fascinante à écouter jusqu’à plus soif. Vous avez déjà acheté l’album en version simple ? Rachetez-le. Franchement, deux exemplaires d’un chef-d’œuvre, ça se défend. Et si vous arrivez à mettre la main sur le coffret Deluxe vinyle, vous y gagnerez en plus un objet de fort belle facture, limité à 1 100 exemplaires monde (du moins si j’en crois la numérotation du mien). Fan d’Archive, collectionneur de vinyles ou simple amateur de beaux objets musicaux, vous ne pouvez pas passer à côté.
Vous l’aurez compris : depuis que j’ai découvert la version Deluxe de Call to Arms & Angels, incluant la soundtrack du documentaire Super8: A Call to Arms & Angels, impossible de voir dans cette édition autre chose que la forme ultime et supérieure de ce qui trône déjà comme le disque de l’année 2022. Forme ultime certes, mais forme définitive ? Rien n’est moins sûr. Si un volume d’inédits pointe le bout de son nez, il y a fort à parier que le bon iencli que je suis se fera avoir. Mais, se faire avoir avec des sons pareils, c’est du plaisir quotidien ultra-jouissif.
*Edit du 27/05/2022 : Depuis aujourd’hui, Super8: A Call to Arms & Angels est également disponible en streaming à l’écoute sur toutes les bonnes plateformes. Soit à l’achat en Deluxe, soit à l’écoute en streaming, vous n’avez plus aucune excuse pour passer à côté 🙂
**Edit du 28/05/2022 : C’est au tour du film Super8: A Call to Arms & Angels d’être disponible ! Le documentaire est visible en streaming sur Youtube, et ça se passe en suivant ce lien https://youtu.be/XZ_2kQ8me9o
La meilleure façon de rendre hommage à un musicien qu’on a aimé, c’est de continuer à l’écouter. Longtemps. Toujours. Arno fait partie de ceux-là, du moins dans ma musicographie personnelle. Découvert au gré de ses différents albums, ce grand bonhomme n’a cessé de faire vivre mes oreilles et de m’émouvoir tout en me donnant la patate. Ses créations originales, mais aussi ses reprises diverses et variées, m’ont toujours transporté là où je ne m’attendais pas à aller. C’est bien ce qu’on attend des artistes : s’évader. Le 23 avril dernier, alors que nous étions suspendus à un duel électoral aussi lassant que flippant, la nouvelle de la disparition d’Arno m’a bouleversé. Bien sûr nous le savions malade. Néanmoins, je fais partie de ceux qui ont toujours espéré une reprogrammation de sa dernière tournée annulée (et même deux fois annulée, entre Covid et Crabe). Pour l’avoir vu sur scène lors de la tournée Future Vintage en 2014, j’étais impatient de retrouver ce mélange de poésie et de rock brut.
Ces retrouvailles ne viendront jamais. Toutefois, il nous reste les disques d’Arno. Et quels disques ! Treize albums studios solo, entourés de lives et autres projets musicaux, à commencer par TC Matic. Et à finir par la dernière galette de ce grand monsieur : Vivre, un magnifique piano-voix avec Sofiane Pamart, pour revisiter en toute intimisme quatorze titres de son répertoire. Sorti au printemps 2021, cet opus apparaît aujourd’hui comme un testament crépusculaire. Mais, il sonne aussi comme un des plus beaux disques de ces dernières années, chargé de vie et de l’énergie de rester là, au mépris des pronostics les plus pessimistes. Sensibilité à fleur de peau, voix présente comme jamais, Arno offre de bouleversantes interprétations de chansons dont on croyait tout connaître, et qui revivent ici comme jamais.
L’album Vivre est un tourbillon d’émotions imparables, à commencer par son ouverture. Solo gigolo, initialement disponible sur l’excellent album Charles Ernest (2002) qu’il refermait, sonne originellement comme une chanson de fin de bal. De celles que le groupe entonne à cinq heures du matin, lorsque les derniers présents finissent le dernier verre, en réalisant qu’ils rentreront aussi seuls qu’ils le sont au quotidien. Dans la version piano-voix 2021, la solitude est encore plus marquée, par le dépouillement musical qui ne laisse presque que la voix d’Arno faisant le bilan de la soirée, d’une carrière, d’une vie. « In your head the moon is crying / In my head the sun is shining » : quelle poésie déchirante, quels frissons, quelle chialade… bordel. Tout est là : la poésie mélancolique rock et punk d’Arno, en un titre. Par chance, il y en a treize autres, pour finir sur Putain Putain, comme un ultime pied de nez. Par chance, il y a aussi tous les autres albums, à réécouter sans exception.
A l’écoute ci-dessous, la version piano-voix de Solo gigolo, suivie de la version initiale de 2002. Histoire de comparer, histoire d’un double plaisir, et de mesurer (si ce n’est déjà fait) le grand vide que laisse ce sacré personnage, cet immense artiste, cette personnalité hors normes. A l’heure où je finis ces lignes et où je publie, ses cendres sont dispersées dans la Mer du Nord, au large d’Ostende. Un dernier au revoir à toi Arno, qui disait dans ta dernière interview à la RTBF voici quelques semaines : « J’ai eu de la chance… J’ai eu une belle vie ». Nous aussi avons eu de la chance de t’avoir. Toi qui a rendu nos vies plus belles. Tu voulais qu’une fois parti, on se souvienne de ta musique. Aucune inquiétude, on n’oubliera jamais tout ça. Merci. Infiniment.
Avant de vous parler de deux coups de coeurs récents -le premier album de Wet Leg et le sixième opus d’Arcade Fire – je vais faire une excursion en terrain totalement inconnu pour moi avec ce titre de Daniel Johns tiré de son deuxième album solo, FutureNever. L’Australien s’est fait connaître à la fin des années 90 en tant que chanteur et guitariste du groupe de rock Silverchair (groupe dont je n’ai jamais croisé le chemin), depuis il a sorti son premier album solo Talk en 2015 et a collaboré avec Paul Mac (sous le nom de groupe TheDissociatives) sur deux albums. Désolé pour ce retour biographique mais je reconnais bien aimer connaître les origines musicales d’un artiste.
Ce FutureNever regorge de très beaux moments, en particulier dans sa deuxième partie riche en featurings féminins. Néanmoins, c’est bien le morceau d’ouverture Reclaim Your Heart qui me scotche littéralement à chaque écoute…Superbe voix grave qui t’enveloppe immédiatement par sa chaleur et sa propension à chercher les notes plus hautes à la manière d’Hayden Thorpe (le chanteur de Wild Beasts), violons soyeux en fond et explosion finale épique digne de Woodkid sublimée par un solo de guitare assez jouissif, en 4 minutes Daniel Johns me transperce le coeur à chaque fois. Juste savourer, enjoy !
Déjà une semaine qu’il est sorti, et huit journées d’écoutes en boucle : Call to Arms & Angels, douzième album studio canonique d’Archive, est enfin disponible après une longue année d’attente et de communication ultra maîtrisée. Album canonique, car depuis 2016 et The False Foundation, rien à se mettre sous la dent, malgré le coffret et la tournée 25, ou encore Rarities et Versions. Vous me direz que ça fait tout de même de quoi faire. Certes. Je vous rétorquerai qu’après le triple tir Axiom (2014), Restriction (2015) et donc The False Foundation, le collectif britannique Archive avait vogué vers son quart de siècle d’existence en alternant tournée anniversaire et revisites de leur répertoire. En somme, du toujours très qualitatif, mais rien de très innovant. Au cœur du printemps 2021, le groupe commence à teaser sur un nouvel album, nom de travail #archive12. Par une savante distillation d’indices, notamment sur internet et les réseaux sociaux, Archive a su faire monter l’attente comme jamais. Le résultat est-il à la hauteur ? Que vaut ce Call to Arms & Angels ? Parcourons ensemble les 17 titres de ce triple vinyle/double CD, pour comprendre en quoi on tient là, très possiblement, le disque de l’année 2022 et sans doute un des meilleurs opus du groupe, mais aussi un album majeur pour la musique.
Call to Arms & Angels est le fruit d’un long travail débuté fin 2019, juste après la conclusion de la tournée 25. Archive s’apprête alors à replonger en mode écriture/création. Sauf que, quelques semaines plus tard, une inattendue pandémie fait son apparition, et provoque confinement et isolement de chacun. Les membres du groupe n’y échappent pas. Suivent deux années pourries (disons les choses clairement) pendant lesquelles Darius Keeler et sa bande vont littéralement bouillonner d’idées et de créativité. Comme si le COVID, dans son empêchement à être ensemble, avait par ailleurs décuplé le potentiel de chacun. Call to Arms & Angels est un album sombre et profondément covidesque, à la fois dans ce qu’il raconte, mais aussi comme un témoignage de ce que furent nos vies et la créativité artistique pendant ces deux longues années.
L’album du retour et des retrouvailles
Comme un clin d’œil, les premières secondes de l’album laissent entendre une tonalité d’appel visio, qui perdurera en fond durant tout le premier titre. Ces fameux appels visios qui, pendant des mois, ont symbolisé à la fois notre isolement, et la possibilité de rester en contact. C’est à cela que nous invite Archive : se retrouver. Avec un premier titre, Surrounded by ghosts (Entouré de fantômes), qui permet de faire connaissance sans attendre avec Lisa Mottram, la nouvelle et renversante recrue voix du groupe. C’est bien ce qu’on a tous vécu : des semaines à être entourés de personnes fantomatiques qui nous ont manqué, mais aussi des journées et des journées à voir partir, par centaines, des êtres humains vers le monde des fantômes. Un titre faussement paisible, puisque si le son est aérien et posé, le propos est sec et violent. Peut-être est-ce pour ça que la transition vers Mr. Daisy se fait si naturellement. Voilà un deuxième morceau rock et tendu, guitares en avant pour porter la voix, toujours incroyable, de Pollard Berrier. Ce même Pollard qui enchaîne avec Fear there and everywhere, dont nous avions déjà parlé par ici lors de sa sortie en single. La plongée dans le mauvais rêve se poursuit, et ce n’est pas Numbers qui nous fera mentir. De deux titres très rock, on passe à un autre plus speed, bien plus électro aussi, dans la droite ligne de ce que l’on a pu trouver sur Restriction et The False Foundation. En seulement quatre morceaux, Archive a déjà balayé quatre styles et mis tout le monde d’accord. La puissance de ces premières minutes dévastatrices nous remémore le cauchemar covidesque dont on peine à sortir encore aujourd’hui.
C’est Holly Martin qui apporte le baume nécessaire avec Shouting within (précédemment chroniqué par ici), comme une première bulle respiratoire. Une simple illusion, pour un titre de nouveau faussement apaisé, qui relate en réalité les hurlements intérieurs d’un esprit troublé. Qui n’a pas ressenti ça un jour ? Qui n’a pas hurlé intérieurement d’ennui, de peur, de colère, pendant son confinement ? Shouting within raconte ces moments. Avant de passer la main à une première pièce maîtresse de l’album, Daytime coma. Premier extrait rendu public et déjà chroniqué ici également, il permet à Archive de renouer avec des morceaux longs, alambiqués et construits sur de multiples variations. Ce coma diurne a été inspiré à Dave Pen par ses sorties dans la ville déserte, les gens aux fenêtres, fantômes dans la cité éteinte. Un monde post-apocalyptique qui ne dit pas son nom, mais qui nourrit les quatre mouvements de ce quart d’heure torturé, éprouvant, mais hypnotique et magistral.
Vient ensuite Head heavy (Tête lourde), parfait prolongement de Daytime coma. Un titre très Pink Floyd qui rappellera par exemple un Shine on you crazy diamond, avec des nappes de synthés très travaillées et empilées soigneusement pour accueillir la voix de Maria Q. A ce stade de l’album, j’étais déjà conquis, mais c’était sans compter sur Enemy, autre pièce maîtresse du disque, et probablement son climax. Le titre est divisé en deux, pour une sorte de longue intro de quatre minutes où se superposent piano et violon mélancoliques, corne de brume en guise d’alerte, nappes de synthés aériennes, et la voix de Pollard qui inlassablement répète un « Come on enemy I see you / Come on enemy I feel you ». Et la menace, sournoise et omniprésente, qui monte. Pour se densifier et se violenter à mi-chemin, par une entrée de la section rythmique, amenée par des sons de plus en plus distordus, et des voix inquiétantes. La seconde partie est une folie absolue de tensions, faite d’innombrables superpositions sonores et d’un jeu vocal sur « Come on enemy / Come on into me ». A l’image de Bullets (sur Controlling crowds en 2009) où se mélangeaient « Personal responsability / insanity ». La bataille a eu lieu, on en sort épuisé et exsangue en y ayant laissé beaucoup d’énergie, mais aussi en transe de tant de créativité. Métaphore d’Archive traversant la pandémie.
Comme un nouveau répit, Every single day se pare d’arrangements pop-rock entre Lennon et Bowie, avant de replonger dans Freedom, un nouveau titre à l’improbable construction. D’abord un long couplet quasi hip-hop et scandé, qui nous rappelle que jadis Rosko John officia dans Archive. Avant un refrain qui rappelle le Free as a bird de Lennon, tout en se mélangeant avec des nappes de synthés et collages sonores en tout genre. Mais la vraie audace arrive au bout de quatre minutes, lorsque Archive colle une deuxième chanson dans la chanson, en mode piano-voix. Un mouvement musical d’une beauté transperçante, à peine ponctué de quelques notes de synthés complémentaires. Peut-être pour nous préparer à All that I have, un autre six minutes voix-piano-programmations d’un intimisme bouleversant, parfois aggravé de quelques sombres nappes. La palette de l’album s’élargit encore. Il pourrait presque s’arrêter là tant on est déjà comblés. Sauf que, chers Five-minuteurs, il reste six titres, et pas des moindres.
Un album profondément humain
Frying paint reprend la main de l’électro, avec là encore une construction audacieuse. Longue intro faite de collages sonores avant l’arrivée du chant de Pollard pour un titre bluesy dans ses couplets, et plus pop dans le refrain. Un titre furieusement groovy, avant de se laisser totalement hypnotiser par We are the same, dernier extrait publié voici quelques semaines. Qui sommes-nous après cette expérience de pandémie ? Qui avons-nous été pendant ? Sommes-nous si différents les uns des autres dans les temps sombres ? Magistrale chanson sur la différence et nos similitudes, sur ce qui fonde notre communauté humaine et nos aspirations, au-delà de nos peurs les plus viscérales. Et finalement, à la sortie de tout ce grand bazar, nous voilà vivants. Alive, comme un chœur de ressuscités ou jamais vraiment disparus. A moins que ce ne soit les Archive qui nous fassent entendre, voix unies, leur existence au-delà de tous les empêchements rencontrés. Oui, le groupe est bel et bien en vie, et Everything’s alright : encore un titre d’accalmie sonore autour de Pollard et de boucles vocales. On monte haut, très haut, on prend de la distance, là où, enfin, tout va bien. Disons mieux. Et, une fois encore, l’album pourrait s’arrêter là.
Pourtant, il lui reste deux temps majeurs à nous livrer. The Crown expose plus de huit minutes d’explorations électros et de samples. « Can you hear me now ? / Can you see me now ?”, comme si Archive avait besoin de nous crier que ce putain de bijou d’album est enfin sorti. Avant de nous laisser sur Gold, une dernière pépite (ok, elle était facile). De nouveau construit autour de collages, le morceau évolue lentement vers une sorte de Dark Side of The Moon, et surtout vers une émotion créative à fleur de peau, portée par les voix de Dave Pen et Maria Q. Une fois encore, près de huit minutes pour dérouler seconde après seconde, l’inattendu. Et pour quatre dernières minutes denses, aériennes, envoûtantes, construites sur une interminable boucle d’arpèges qui semblent ne jamais vouloir s’arrêter.
Et qui s’arrête pourtant en suspendant son vol, après une heure et quarante cinq minutes d’un voyage absolument incroyable. Call to Arms & Angels est un album majeur dans la discographie d’Archive, mais aussi pour la musique. Il ne cède jamais à la facilité et réussit la prouesse de nous surprendre en n’étant jamais là où on l’attend. Un son, un rythme qui change, un second titre dans le même titre : tout est fait pour nous surprendre à la première écoute, mais aussi après. L’album ne s’épuise jamais, malgré sa longueur et sa densité. Archive aligne les pépites comme autant de créations imparables, pour une ensemble d’une folle cohérence qui se découvre petit à petit, à chaque minute, mais aussi à chaque écoute. N’allez pas croire que vous ferez rapidement le tour de ce disque. J’en suis facilement à la vingtième écoute, et je continue à découvrir des sons, des variations, des émotions nichées là où elles ne se révèlent pas toutes en même temps.
Audace, créativité et document historique
Est-ce pour autant le meilleur Archive ? Depuis Controlling Crowds assurément. Treize années après ce double album puissant, cohérent et d’une rare intensité, le collectif frappe extrêmement fort. With us until you’re dead (2012) était brillant, mais n’était qu’une prolongation de Controlling Crowds. Axiom (2014) est un énorme album, mais restreint à une des branches musicales d’Archive. Enfin, Restriction et The False Foundation manquaient peut-être d’une pincée de cohérence et de variété. Et avant ? Avant, il y a Londinium (1996), album originel et hors-normes avec son univers trip-hop bristolien. Tellement hors-normes qu’il est pour moi à part dans la discographie d’Archive. Comparable à aucun autre, parce qu’ils basculeront dès Take My Head dans le rock électro/progressif. Les suivants sont de vraies claques à chaque fois et restent des disques fabuleux. Toute la discographie d’Archive est une référence absolue pour moi, mais Call to Arms & Angels surprend par son audace. Archive se permet un triple album avec dix-sept titres, dont plusieurs dépassent les huit minutes et sont construits hors de toute structure classique couplets/refrains. Archive ose expérimenter et nous embarquer dans une expérience sonore et sensitive, porté notamment par le travail du discret mais toujours efficace Danny Griffiths. A l’heure du formatage et des créations cloisonnées et sages, voilà qui fait un bien fou.
Call to Arms & Angels surprend aussi par la diversité de ses ambiances, d’un morceau à l’autre. Grâce à cette variété, chacun des titres de Call to Arms & Angels décrit musicalement une des facettes de cette trouble période pandémique. L’album alterne l’intimisme le plus strict, nous mettant face à nous-mêmes à espérer les autres, et des ambiances déchirées et violentées à en devenir complètement dingue. A l’écoute du disque surgissent des images mentales et sensorielles de ce que l’on a traversé, et de ce que l’on traverse encore. Call to Arms & Angels raconte deux années de ce siècle, aussi inattendues que bouleversantes, au sens où elles auront chamboulé nos vies comme jamais. L’enfermement, la solitude, l’isolement et l’exacerbation des travers de ce monde sont venus exploser tous nos repères. Archive raconte la vie sous pandémie. Ce que l’on croyait ne voir que dans les meilleurs récits de SF post-apocalyptique nous est finalement tombé dessus sous une forme que l’on ne soupçonnait pas. Combien d’entre nous sont restés des semaines, voire des mois, face à eux-mêmes, coupés de toute relation sociale ? Combien d’entre nous n’en sont jamais réellement sortis ? Combien d’entre nous y sont encore enfermés et n’ont toujours pas renoué avec une vie sociale du monde d’avant ? Combien d’entre nous n’ont pas encore retrouvé le frisson et la chaleur d’un contact corporel ?
Album après album, Archive raconte notre monde et archive ainsi une forme de mémoire de notre époque. Dans plusieurs siècles, lorsque nos descendants (pour peu qu’ils existent) voudront entendre des visions musicales du monde fin 90’s/début 21e siècle, ils pourront réécouter la discographie de ce groupe. Et lorsque les historiens seront en recherche d’objets historiques pour étudier les années pandémiques 2020-2022, ils auront avec Call to Arms & Angels une trace inattendue et inhabituelle mais ô combien cruciale de deux années qui ont changé le monde à jamais.
Un parfait chef-d’œuvre instantané
Cette année 2022 restera comme une année hors-normes, avec une guerre en Europe, un dérèglement climatique au bord du gouffre, ou encore une élection présidentielle à la fois tendue et usante. Hors-normes aussi, parce qu’on n’attendait pas non plus un Elden Ring aussi incroyable, un The Batman aussi puissant, un Horizon Forbidden West aussi dépaysant. Et un Archive aussi brillant. Malgré toute ma fanitude archivienne, je n’attendais pas le groupe à ce niveau. Call to Arms & Angels est un parfait et pur chef-d’œuvre par lequel Archive réussit à se réinventer et à offrir un album dense, intense, diversifié et mémorable. Les Beatles avaient leur White album, Radiohead leur OK Computer (oui, ils ont aussi leur KID AMNESIA), Pink Floyd leur Dark Side of the Moon. Archive a son Call to Arms & Angels. Même la durée est parfaite. Les 17 titres suffisent, en formant un ensemble complet, cohérent et achevé.
Un petit plus quand même ? Ça tombe bien, la Deluxe Edition est accompagnée d’une quatrième galette contenant le soundtrack du documentaire Super8 : A Call to Arms & Angels, qui retrace le parcours créatif du groupe. Un documentaire génial à voir absolument. Et dix titres instrumentaux supplémentaires pour prolonger le voyage. On en reparlera très vite, lorsque j’aurai reçu mon exemplaire et pu écouter cette quatrième partie. L’étape suivante, ce sera la déclinaison scénique de ce grand album, avec le Call to Arms & Angels Tour, qui passe nécessairement par chez vous : pas moins de quatorze dates françaises, et au moins autant en Europe (dont deux à Bruxelles). Inratable. Tout comme cet album incroyable et incontournable qui prend une option évidente pour (au minimum) le titre de disque de l’année 2022.
Certaines critiques musicales sur le dernier album de Placebo sont particulièrement âpres et j’avoue avoir difficilement résisté à la tentation de commenter certains articles les traitant de papys qui mériteraient de prendre leur retraite… Ici à Five-Minutes notre ligne éditoriale (#payetonnompompeux) consiste à aborder essentiellement les artistes et albums qui trouvent grâce à nos oreilles -même si le plaisir n’est pas toujours total ou à la hauteur de nos attentes. L’offre musicale est tellement large que certains critiques feraient mieux de garder leur énergie pour de belles découvertes plutôt que de dézinguer sans argumenter. La nature humaine est particulière et se montre souvent plus habile lorsqu’il faut justifier une déception qu’un coup de coeur, du coup laminer Never Let Me Go, le huitième album de Placebo, ne relèverait-il finalement pas d’une certaine paresse intellectuelle? De mon côté je regrette évidemment le départ du batteur Steve Forrest en 2008 et constate que Battle for the Sun en 2009 et Loud LikeLove en 2013 sont des albums mineurs d’une discographie que de nombreux groupes de rock envieraient. 9 ans après, je suis donc avant tout agréablement surpris que Brian Molko et Stefan Olsdal aient retrouvé l’envie d’enregistrer un album studio et je tente de ne pas avoir des espérances trop élevées, Without You I’m Nothing a déjà 30 ans faut-il le rappeler… 13 titres et 57 minutes plus tard, j’ai le sourire et ce Never Let Me Go est pour moi le meilleur album du groupe depuis qu’il est devenu duo. Certes, j’ai tout de même conscience des limites de l’opus : l’album est un peu trop long et la deuxième partie s’essouffle et se montre moins puissante. De plus, les prises de risque sont mesurées mais avais-je envie d’un véritable renouveau…?
Je vous propose 5 jolies pépites qui ne feront pas de vous des has-been parce que vous prenez encore du plaisir à écouter Placebo en 2022…
Le morceau d’ouverture Forever Chemicals avec ses sonorités discordantes, sa batterie puissante et le chant lancinant de Brian Molko – dont la voix reconnaissable entre toutes demeure un argument de poids – fait preuve d’une belle énergie rock et lance l’album de manière solide.
Le single Beautiful James qui inonde les dernières radios qui osent passer du rock fait bien le job avec ses influences plus électroniques. Pas foncièrement original, je suis tout de même happé par la belle intensité.
The Prodigal est peut-être le morceau le plus original, porté par… ses cordes. Le résultat est un joli bijou d’émotions qui met à l’honneur un texte fort.
Surrounded By Spies (dont j’avais déjà parlé par ici) fonctionne à merveille grâce à sa rythmique tout en tension et ses paroles obsédantes répétées deux fois.
Twin Demons est le titre de la deuxième partie de l’album qui me séduit le plus. Du pur rock frontal avec une rythmique addictive.
Merci à Brian Molko et Stefan Olsdal de continuer à faire vivre leur son rock, sur ce je retourne réécouter la playlist de leurs meilleurs morceaux (à retrouver ici), enjoy!
Il est temps aujourd’hui de prendre des nouvelles d’un artiste qui me tient particulièrement à coeur, Konstantin Gropper, qui est la tête pensante des Allemands de Get Well Soon. Je ne reviendrai pas sur leur très riche carrière qui redonne ses lettres de noblesse à une pop baroque mâtinée de tendances électro assez romantiques mais leur premier album Rest Now, Weary Head! You Will Get Well Soon possède une place de choix dans mon panthéon musical. Leur dernier album The Horror sorti en 2018 (et chroniqué par ici pour les curieux) jouait la carte de la sobriété pour un résultat assez grave qui m’avait moins séduit que l’excellent LOVE qui l’avait précédé. Alors qu’en est-il de ce sixième album studio?
A première vue la pochette semble mettre l’accent sur une ambiance plutôt pesante avec ce Amen apposé sur une tombe -peut-on raisonnablement parler d’une borne kilométrique? Le vinyle amène à s’interroger avec la présence d’un personnage mystérieux, un Mickey Mouse possédant trois yeux et des dents de vampire qui se montre souriant en prononçant Amen. Vous avez 4h pour analyser cet univers extrêmement coloré où le rose du costume de KonstantinGropper a pris le pouvoir. Le morceau d’ouverture A Song For Myself va nous ramener d’emblée en terrain conquis avec une pop orchestrée de haut vol qui se marie à merveille avec la voix caverneuse, les cuivres sont omniprésents même si les synthés pointent le bout de leurs touches et les choeurs féminins donnent encore plus d’ampleur au titre. Voilà une ouverture classique mais bien inspirée. Une ouverture qui va contraster avec My Home Is My Heart qui affiche avec clarté un autre objectif principal de l’album: s’adresser aux corps et faire danser. La rythmique uptempo est jouissive et pop jusqu’au bout des ongles, les synthés prennent le pouvoir pour un résultat hybride entre la tension d’un Depeche Mode et l’intensité d’un Arcade Fire. Les références sont élevées mais le résultat est aussi surprenant -quand on connaît la gravité de GetWell Soon depuis les débuts – qu’enthousiasmant. Cette tendance à allier deux pôles opposés, la mélancolie de la pop baroque et le besoin de laisser s’exprimer les corps à travers des sonorités plus électroniques, est la clé de voûte de cet album. Même si cette dichotomie peut à juste titre déstabiliser, le résultat est assez brillant.
I Love Humans -on retrouve beaucoup de considérations philosophiques dans cet album composé pendant le confinement – prolonge l’intensité mélancolique de A Song For Myself dans un dialogue touchant entre le chanteur et les choeurs féminins, sublimé par ces cuivres toujours aussi désarmants. A peine le temps de contrôler les picotements au coin des yeux que This Is Your Life nous tire par la manche pour nous lancer dans une danse échevelée avec sa rythmique âpre obsédante. Ce morceau démontre la capacité de Konstantin Gropper à faire ce qu’il veut de sa voix en utilisant à bon escient ici sa sublime voix de tête. Le duo Our Best Hope / One For Your Workout résume finalement assez bien l’album: d’un côté le lyrisme assez épique qui fait mouche tant le talent d’interprétation de Konstantin Gropper est incontestable et de l’autre cette envie inédite de créer une bombinette électro imparable. La rythmique de One For Your Workout est juste jouissive et le morceau ouvre un champ de possibilités infini.
La première moitié de ce Amen est particulièrement aboutie et donnerait presque envie en ce 1er mai de filer poser un cierge de remerciement à l’église -euh non finalement, je vais me contenter d’acheter un brin de muguet. La deuxième partie prolonge le plaisir mais je dois reconnaître qu’il y a moins de moments très marquants. La pop ambient aquatique de Mantra, le funk de Chant & Disenchant ou la mélancolie dépouillée de Richard, Jeff And Elon nous amènent vers Us vs Evil qui illumine la deuxième partie de l’album. Morceau plus sombre porté par les percussions et des sonorités plus discordantes, son refrain n’est pas sans évoquer la puissance rock des Belges de Balthazar. Ce titre est en tout cas inclassable dans la discographie de GetWell Soon et c’est ce qui le rend encore plus jouissif. La pop baroque de Golden Days et le vent d’optimisme qui transporte le morceau final Accept Cookies permettent à ce Amen de finir de manière plus (trop?) classique.
Ce Amen nous permet de croire encore et toujours dans le talent de Get Well Soon qui a pris le risque de faire évoluer son univers pour déserter ponctuellement la pop baroque. Le résultat est brillant et donne envie de réécouter la discographie brillante d’un groupe qui mériterait une plus grande reconnaissance encore, enjoy!
Morceaux préférés (pour les plus pressés): 6. One For Your Workout – 2. My Home Is My Heart – 10. Us vs Evil – 3. I Love Humans – 4. This Is Your Life