Pépite du moment n°58 : Australia (2020) de Thomas Méreur

a0354549336_16Aujourd’hui, retour indirect sur Dyrhólaey de Thomas Méreur, aka Mon album de l’année 2019, et de très loin. Si vous avez oublié pourquoi, je vous invite à relire ma review d’il y a quelques semaines, disponible d’un clic juste ici. J’ai vu d’ailleurs que, période des Awards, Oscar, César et récompenses en tout genre oblige, il est question de savoir quel est le meilleur film de l’année écoulée. J’avoue que ça se joue dans un mouchoir de poche, et ça se tire la bourre sévère (en ce qui me concerne) entre Parasite, Once upon a time… in Hollywood, Ad Astra et Joker (dans l’ordre chronologique des sorties). Je ne sais pas encore qui retenir, même si Joker est tout de même au-dessus en ce qu’il triomphe à la fois sur le scénario et son propos, la réalisation, la photo, le montage, l’interprétation de Joaquin Phoenix, la BO (Hildur Gudnadóttir, pour les distraits on en a parlé ici, à retrouver d’un clic aussi). Et on n’avait jamais connu son réalisateur Todd Phillips dans ce registre.

Digression cinématographique mise à part, retrouvons donc Thomas Méreur, avec un titre composé il y a quelques jours en réaction aux incendies dantesques qui ont ravagé l’Australie, et du même coup la nature planétaire. Pas très étonnant que le garçon réagisse de la sorte, lorsqu’on connaît son attachement aux questions environnementales et humaines. Il aurait pu se contenter d’un tweet, ou de vivre ça de son côté. Mais non. A la place, et pour notre plus grand bonheur (malgré la désolation de la réalité), on a droit à un morceau inédit. Il est comme ça Thomas : un événement le touche, et bim il nous compose un titre. So classe.

Titre dans lequel on retrouve tout ce qui m’a bouleversé dans Dyrhólaey : une composition sobre et émouvante, piano-voix soutenue par un trait de guitare. Et toujours ce travail sur la voix. Et putain quelle voix. Si vous restez de marbre, je ne peux pas faire grand-chose pour vous. Ecouter Australia, c’est comme se réfugier dans un cocon musical, une sorte de bulle de sérénité qui vient contrebalancer la violence de la situation australienne et du monde en général. Ecouter Australia, c’est aussi, comme le faisait déjà l’album Dyrhólaey, ressentir à la fois la chaleur de l’isolement solitaire et l’ivresse des grands espaces et de la lumière.

En un mot comme en cent, écouter Australia c’est se sentir enveloppé et apaisé dans tous les recoins de nous tout en regardant le monde et en imaginant qu’on peut encore le rendre meilleur. Et pour joindre le geste aux idées, sachez que la totalité des ventes de ce titre ira à WIRES (Wildlife Rescue), organisation qui œuvre pour la préservation et la sauvegarde de la nature en Australie (www.wires.org.au/donate/emergency-fund). Australia est écoutable et disponible à l’achat sur Bandcamp (https://thomasmereur.bandcamp.com/track/australia) pour la très modique et minimale somme de 1 euro (mais on peut donner plus et autant qu’on veut). Je ne sais pas ce que vous attendez : pour une piécette, une magnifique chanson inédite de Thomas Méreur ET la possibilité de venir en aide à la nature, franchement ça ne se discute même pas.

De l’Islande à l’Australie, Thomas Méreur fait le grand écart géographique mais reste artistiquement fidèle à tout ce qu’on aime chez lui en livrant, une fois encore, un titre fin, beau, humainement et émotionnellement très riche. Pas loin de talonner A cold day in May, ma piste préférée sur son Dyrhólaey. Oui, ce morceau-là qui mériterait de figurer dans la BO de The Leftovers (Five reasons pour écouter cette BO ? Ça se relit par ici). Oui, cette série-là, au-dessus de toutes parmi les séries. On est sur du très haut niveau. Si tu me lis, d’où que tu sois, écoute Australia. Les autres aussi.

PS : Et parce qu’un plaisir ne vient jamais seul, Thomas Méreur a aussi enregistré récemment une reprise d’un très beau Yann Tiersen, Les bras de mer. C’est bonus.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°57:We Forgot Love de Nicolas Godin feat. Kadhja Bonet (2020)

On ne présente plus un des duos phare de la french touch, Air, composé de Jean-BenoîtNicolas Godin Dunckel et Nicolas Godin. Ce projet étant plus ou moins en stand-by – Le Voyage dans la lune date déjà de 2012 – les deux entités d’Air se consacrent pleinement à leurs albums solo. Après un remarqué Contrepoint en 2015 et la BO de la série française d’espionnage décalée Au service de la France en 2018, Nicolas Godin revient avec son deuxième opus Concrete and Glass qui tourne régulièrement chez moi depuis une semaine. Cet album qui brille par la multiplicité de ses featurings (même Alexis Taylor d’Hot Chip vient poser son flow sur Catch Yourself Falling) sonne résolument comme du Air et je navigue sans cesse entre la nostalgie prononcée et l’impression d’un son quelque peu suranné. Je vous ai choisi comme son du jour le titre We Forgot Love qui est illuminé par la voix gracieuse de Kadhja Bonet. L’ambiance est résolument trip-hop, oscillant entre Lamb et Elysian Fields, et le morceau aura probablement le mérite de vous donner envie de découvrir Kadhja Bonnet dont le deuxième opus Childqueen date de 2018 et mérite clairement le détour, enjoy!

Sylphe

Review n°44: Seeking Thrills de Georgia (2020)

Ce début d’année et cette première chronique d’un album estampillé 2020 seront placésGeorgia sous le signe de la sueur et des souffles haletants du dance-floor avec le deuxième opus de Georgia Rose Harriet Barnes alias Georgia (on valide le pseudo qui nous fera gagner du temps, #paresse), intitulé Seeking Thrills qu’on pourra traduire par « en quête de sensations fortes ». Je suis d’une innocence sans limite, tel une vaste plaine enneigée sur laquelle les hommes n’ont pas encore posé le pied, et ne connais pas le premier album Georgia sorti en 2015. J’ai juste lu qu’on avait eu la tendance à la reprocher de M.I.A., on avisera si cette comparaison tient encore la route pour ce deuxième album qui nous offre 54 minutes denses, un peu inégales quelquefois il faut bien le reconnaître, mais globalement sacrément séduisantes. Allez, on enfile son body à paillettes, on sort sa boule à facettes et on vient danser pour éliminer les souvenirs tenaces des fêtes de fin d’année…

C’est bille en tête que l’on rentre dans cet album qui va nous offrir 4 premiers titres résolument tournés vers le dance-floor. Certes, certains avanceront que cette électro/dance est un brin putassière mais elle fonctionne à merveille. Du coup, on bougera son corps sans aucune retenue sur la dance très groovy de Started Out où les synthés sentent bon les eighties (finalement pas une mauvaise idée d’avoir ressorti le body à paillettes), sur la brillante électro dance de About Work The Dancefloor qui est pour moi le meilleur titre de l’album dans ce registre frontal, sur un Never Let You Go taillé pour les radios qui fait souffler les vents sensuels de l’électro uptempo et de la pop et sur 24 Hours où les lumières se tamisent pour un résultat plus sombre et plus en contrastes. Voilà en tout cas un quatuor qui te fait cracher tes poumons et te rappelle l’existence de muscles inusités depuis trop longtemps (bon j’en rajoute un max et ne doutez pas de la condition physique hors-pair de votre serviteur…)

Mellow avec la rappeuse Shygirl en featuring vient alors abruptement briser la spirale dansante et euphorisante, l’univers est plus urbain et plus sombre, la rythmique dépouillée et anxyogène. Le morceau est très froid et peut rappeler The Knive, il a le mérite de nous rappeler que ce Seeking Thrills ne sera pas taillé d’un bloc et s’avèrera plus subtil qu’il n’en a l’air pendant les premières écoutes. Le voyage musical se poursuit avec le classique Till I Own It beaucoup plus linéaire dans sa structure et démontrant le potentiel pop de la voix de Georgia, en toute franchise ce n’est pas foncièrement ce qui me séduit le plus dans cet album. I Can’t Wait reste dans la même veine au niveau de la voix mais m’intéresse davantage par ses nombreuses ruptures de rythme mais c’est bien Feel It qui va véritablement relancer l’album, comme s’il avait fallu trois titres pour se remettre de la déflagration des quatre morceaux liminaires.

Ce Feel It nous oppresse d’emblée avec ses sonorités bruitistes et sa rythmique dubstep, le résultat est très intelligent et me rappelle Crystal Castles (les fous furieux des sons 8 bits) ou le dernier album de 2019 chroniqué, Brutal de Camilla Sparkss. Nouveau grand écart artistique avec Ultimate Sailor, un de mes morceaux préférés… Imaginez la douceur électronique des grands espaces de Boards of Canada sur laquelle viendrait se poser un chant contemplatif d’une grande émotion qui, de manière assez surprenante car la comparaison paraît à première vue déplacée, me rappelle Jonsi… Séduisant… Nouvelle petite parenthèse qui me laisse de marbre avec le hip-hop de Ray Guns (elle se situe là la tendance à rapprocher Georgia de M.I.A.) et l’électro/house de The Thrill avec Maurice qui pousse le bouchon un peu trop loin (#lesravagesdelapublicité).

Heureusement il nous reste un dernier moment de magie pure avec le brillant Honey Dripping Sky. On danse langoureusement en se tartinant le corps de miel dans une ambiance trip-hop où j’ai l’impression d’écouter Lamb avant que le refrain plein d’émotions et de réverb n’évoque une des chouchous officielles du blog Jeanne Added (ressemblance soulignée par ma fille de 5 ans, ouf j’ai réussi quelque chose…). Georgia ne résiste ensuite pas à la tentation de nous proposer une version alternative de Never Let You Go et deux autres versions de About Work The Dancefloor et 24 Hours. Pas forcément inintéressant mais pas non plus totalement nécessaire, bref l’essentiel se trouvait bien avant avec un album séduisant, entre pépites pour faire fumer la piste et morceaux plus subtils pleins de belles promesses. J’attends déjà avec impatience le prochain opus qui, je l’espère, continuera à approfondir ces deux tendances, enjoy!

Sylphe

Review n°43 : Débranché (2020) de Noir Désir

NDVoilà une galette qu’on n’attendait pas et qui tombera dans les bacs dès demain 24 janvier. Annoncé il y a à peine quelques jours, Débranché est l’inespéré live unplugged de Noir Désir. Coup de bol, j’ai reçu l’opus dès ce matin, je m’y suis plongé avec une certaine excitation et une triple interrogation : peut-on encore écouter Noir Désir en 2020 ? Que contient cet album ? Et surtout est-il bon et présente-t-il un quelconque intérêt ?

Peut-on encore écouter Noir Désir aujourd’hui ? Simple question prétexte pour lancer cette review, car je n’en ai en fait pas grand chose à foutre, et parce que je n’ai jamais arrêté d’écouter Noir Désir. C’est le groupe français phare de mes années ados-lycée-fac, et une des formations rock qui a gravé dans le marbre plusieurs souvenirs musicaux (et autres) inaltérables. En 6 albums studios et 2 lives, des prestations scéniques incandescentes et une parole poétique et politique, ces garçons-là m’ont emmené très loin et leurs disques sont rangés chez moi en bonne place et tournent encore régulièrement sur la platine.

Deux lives, qui deviennent trois aujourd’hui (enfin demain ^^) avec ce Débranché. Petit aperçu de l’objet avant la découverte sonore. Première chose qui saute aux yeux : le double vinyle est d’une sobriété absolue. Précisons d’ailleurs que cet album ne sortira que sur ce support et nullement en CD. Sobriété absolue donc, en associant une pochette gatefold blanche bardée de néons blancs et deux galettes noires, sauf à se procurer l’édition limitée vinyle blanc de chez Vinylcollector. Je préfère largement l’édition classique, comme une sorte de ying et yang testamentaire. Aucune illustration, aucune photo d’aucun membre du groupe. Objet sobre et épuré on vous a dit. Un habillage discret et bienvenu, pour se concentrer sur le contenu.

Que contient ce Débranché ? Onze titres, sur deux galettes. La première regroupe 7 titres issus d’une session radio à Milan en 2002, au cœur de la tournée Des visages, des figures. La seconde galette ne contient que 4 titres, et tourne pour l’occasion en 45 tours. Quatre morceaux interprétés en 1997 à Buenos Aires pour l’émission TV Much Electric, cette fois pendant la tournée 666.667 Club. Drôle de paradoxe d’ailleurs que de réarranger des morceaux en acoustique pour une émission qui s’appelle Much Electric ! Si je connaissais (comme beaucoup de fans je pense) la session Buenos Aires, je n’avais en revanche jamais entendu la session milanaise. Alors, c’est bien ou on passe notre chemin ?

Côté Milan 2002, j’avoue que c’est du très lourd. Le groupe revisite 7 titres en couvrant la quasi-totalité de ses opus. Ouverture des hostilités avec Si rien ne bouge, un de mes titres préférés notamment à cause de ces paroles qui comptent énormément pour moi : « Mon petit feu / J’t’embrasse sur les yeux / Je quitte l’enveloppe / J’t’aime plus qu’un peu ». La revisite est intimiste, mais ne tranche pas réellement avec l’original, déjà contenue. Même sensation avec Le vent nous portera, déjà très acoustique au départ. Ces deux premiers titres n’en sont pas moins efficaces. La première grosse relecture vient avec L’homme pressé, qui fut un brûlot chargé de rythmes électros et guitares. Cette version acoustique lui donne une puissance plus âpre et plus sèche, et met en valeur le texte et l’énergie qu’il contient.

On retourne la galette pour une face B incroyable qui s’ouvre avec Des visages des figures, sans doute un autre de mes titres préférés du groupe. Pour sa construction musicale déconstruite, et là encore pour ces mots répétés en boucle : « J’ai douté des détails / Jamais du don des nues ». Putain ce que j’ai pu faire tourner ce morceau jusqu’à l’ivresse. On enchaîne sur Les écorchés, sorte de carte d’identité du groupe reprise dans une version rageuse et débridée, péchue à souhait, avant de se diriger vers la conclusion du set. A l’envers, à l’endroit rapporte un peu de calme, malgré une colère qui reste très à fleur de peau. Fermeture du show avec Song for JLP dans une interprétation des plus désespérée et crépusculaire, mais magnifique, que j’ai pu entendre.

La partie Milan 2002 est éblouissante de maîtrise tout autant qu’émouvante (on y reviendra), et se livre dans une captation sonore de toute beauté. Le son est propre, équilibré et met en valeur les choix acoustiques du groupe. Une qualité sonore qui tranche avec celle du Buenos Aires 1997 : le son est bien plus lointain, moins plein. Il est loin d’exploiter la palette graves-aigus. Pour dire les choses clairement, ça crachote parfois et ça ressemble beaucoup aux enregistrements qu’on connaissait déjà de cette session. Cette seconde galette a plutôt valeur de pièce rare enfin officialisée et de témoignage historique pour le groupe.

En 1997, la tournée 666.667 Club bat son plein, sur la base de l’album éponyme. C’est le 5e du groupe, et aussi le successeur de Tostaky. Deux opus qui font la part belle à l’électricité (à tout les sens du terme), aux guitares en avant, aux sons qui décollent les tympans. Noir Désir est alors la pièce maîtresse et la clé de voûte d’un rock français qui n’hésite pas à faire du gros son. Comme un pied de nez, le groupe réarrange quelques titres en acoustique : on débranche tout et on reprend, histoire de montrer qu’on sait faire aussi plus calme. La captation Buenos Aires regroupe ainsi Un jour en France, Fin de siècle, Song for JLP et Back to you. Même si, on l’a dit, la qualité sonore est moyennement au rendez-vous, cet enregistrement permet de mesurer la capacité musicale du groupe et sa faculté à se revisiter. C’est d’ailleurs quelques mois plus tard que se construira l’inventif album de remix One Trip/One Noise (1998).

Il est temps de répondre à la troisième double question : cet album est-il bon ? Oui. Je ne reviens pas sur la qualité et la revisite des morceaux. Si on excepte la qualité sonore moindre de la partie Buenos Aires, toutes les versions proposées sont de haute qualité musicale pour une double raison : le matériau de base (Noir Désir c’est du putain de son et des textes de ouf) et le talent des musicos qui se réinventent en débranchant le bouzin. J’avoue avoir même eu l’impression d’entendre un inédit en arrivant sur L’homme pressé ou Des visages des figures.

Cet album présente-t-il un quelconque intérêt ? Oh que oui. Au-delà de l’objet que tout fan de Noir Désir et de rock glissera dans sa discothèque, Débranché est une sorte de machine à voyager dans le temps. Bien plus qu’une madeleine de Proust, ce disque (un peu surprise rappelons-le) ramène d’entre les morts un groupe débranché depuis bien longtemps. On notera au passage l’ironie de clore sur Back to you, alors qu’il n’y a aucun retour possible. Débranché ressuscite aussi une époque. Où l’on mélangeait insouciance, engagements politiques et sociétaux, refus des idées nauséabondes, soirées interminables et nuits blanches à refaire le monde en éclusant des bières jusqu’au matin. Où on s’imaginait finir un jour rock star ou poète, ou les deux. Où on se croyait immortels, tout comme les gens qu’on aime, tout comme nos illusions. Où on était capables de tout envoyer chier pour supporter la vie. Tout ça à la fois, et bien plus.

Ce temps-là est révolu. Il a disparu avec Noir Désir et tant d’autres choses fondatrices. Alors retrouver tout ça au détour de 4 faces de vinyles, ça a un côté particulièrement émouvant. De cette époque, on avait bien gardé de doux souvenirs et aussi pas mal d’écorchures, jamais réellement cicatrisées. Réentendre les musicos du groupe dans une configuration inédite, c’est se souvenir. Réentendre cette voix chargée de mille colères et de poésie, cette voix qui était un peu la nôtre, expulser une énergie qui nous a tant nourris, c’est un peu comme tomber par hasard, au coin d’une rue, sur l’autre que l’on sait parti(e) et/ou disparu(e) à jamais. C’est un peu comme la possibilité de réentendre la tienne de voix, au bout du téléphone, pour dire qu’on pourrait, au minimum, prendre le temps de se revoir avant que cette putain de vie ne s’achève. Ça n’arrivera vraisemblablement pas, et pourtant c’est un espoir qui ne s’éteint pas, malgré la conscience et la réalité des choses. C’est un rêve écorché. Une douce illusion. Une sorte d’intense et noir désir. Back to you.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°56: We Can’t Be Found d’Algiers (2020)

Dans les belles sorties de ce tout début d’année, j’avais coché depuis un petit moment leAlgiers troisième opus There Is No Year des Américains originaires d’Atlanta, Algiers. Je suis séduit par ce rock engagé et sombre qui flirte avec les sonorités indus/noisy et  qui doit beaucoup au charisme phénoménal de leur chanteur Franklin James Fisher. En attendant une possible chronique sur leur album, je vous laisse avec ce We Can’t Be Found qui transpire l’urgence… Prenez l’aura au chant d’un Lenny Kravitz, la tension palpable d’un Kele Okereke, le groove de TV on the Radio et ajoutez-y du gros riff et une ambiance sombre parfaitement illustrée par le clip et vous obtenez la première pépite estampillée 2020 avec cet excellent We Can’t Be Found, enjoy!

Sylphe

Five reasons n°17 : L’amour à l’hôtel Ibis (2018) de Oldelaf

Tu aimes la bonne musique ? Tu aimes quand ça chante en français ? Tu aimes le bon goût et la finesse d’esprit ? Alors… reste là surtout, lis ce qui suit et écoute ce disque comme disait Sheila ^^. Notre son du jour est sobrement titré L’amour à l’hôtel Ibis (tout un programme en somme) et nous le devons à Oldelaf. Pas suffisamment intrigué ni convaincu ? On fait le tour du propriétaire (de l’hôtel Ibis) en 5 points.

  1. Oldelaf, c’est Olivier Delafosse. Un garçon qu’on suit depuis plusieurs années maintenant. L’aventure a commencé en 2000, en duo avec Monsieur D. Un duo qui a la particularité que le Monsieur D soit successivement divers artistes. Une dizaine d’années plutôt prolifique, avec un répertoire plein d’humour (parfois grinçant), de créativité et de liberté. C’est par exemple à cette période qu’on doit Le café, Raoul mon pitbull, Pas de bras ou encore Nathalie (mon amour des JMJ). C’est drôle, ça se prend pas la tête et c’est aussi très intelligent et humain.
  2. Oldelaf, c’est juste Oldelaf en solo à partir de 2010. Et, dès le premier album Le monde est beau (2011), un carton avec La tristitude. Si vous êtes passés à côté, allez donc m’écouter ça. Un bijou d’humour grinçant arrosé d’un regard réaliste sur la vie. Oldelaf sera ensuite recruté comme chroniqueur sur Europe 1, en faisant de sa Tristitude une revisite chantée de l’actualité hebdomadaire. On aura aussi droit au concours Chante ta Tristitude sur internet, ou tout un chacun pouvait proposer sa version/vision de la Tristitude. Classe.
  3. Deux albums solos plus loin (il y eut Dimanche en 2013), Oldelaf publie Goliath en 2018, où l’on trouve donc cet Amour à l’hôtel Ibis. Ou l’occasion de retrouver le ton doux-amer décalé d’Oldelaf. Une banale et mille fois entendue histoire de relation extra-conjugale. Un plan cul au boulot. Un 5 à 7 qui se transforme en pause déjeuner sans déjeuner, à l’exception des mises en bouche de circonstances. Un jeu de dupes et de faux-semblants. Une tranche de vie humaine, sur une mélodie simple mais qui vous restera dans le crâne des heures durant. Avec des mots simples mais qui ont une putain de classe folle.
  4. L’amour à l’hôtel Ibis bénéficie d’un clip qui déchire et donne toute sa dimension à la chanson. Déjà efficace et ravageuse en elle-même, elle part dans une autre dimension avec sa mise en images, dont je ne peux pas déflorer grand-chose sous peine de casser l’effet de surprise. Disons simplement que, si tous les séminaires d’entreprises étaient aussi rock et bandants que ça, ils auraient peut-être bien plus de succès. Autre indice : impossible de regarder ce clip sur Youtube sans se connecter pour justifier son âge. Manifestement interdit au moins de 18 ans (pour des images pas si scandaleuses que ça), forcément ça attise la curiosité. Un clip qui rappelle les grandes heures de délire des Nuls et autres humoristes débridés et intelligents.
  5. Ce génial titre nous permet de patienter tranquillement jusqu’au 28 février prochain, date de la sortie du nouvel album d’Oldelaf. Le premier extrait C’est Michel laisse penser qu’on aura encore droit à un bien bel album, qui mèlera avec finesse humour et sensibilité, rires et humanité, intelligence et blagues parfois grasses et cons (parce que oui ça fait du bien aussi !) En attendant, on se remet un petit coup à l’hôtel Ibis. Parce que, quand c’est bon, on en redemande et on y retourne. A l’hôtel Ibis ou ailleurs, tout les lieux étant bons pour faire l’amour. Mais après ça, vous ne regarderez plus jamais un hôtel Ibis de la même façon. Ni un Formule 1 d’ailleurs.

Et en bonus, un coup de Tristitude pour le plaisir !

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°43: American IV: The Man Comes Around de Johnny Cash (2002)

L’histoire est bien connue, en 1994 Johnny Cash rencontre Rick Rubin, légendaireJohnny Cash producteur de rap et de métal. De cette union entre deux génies naîtra la série des American Recording, dont le premier disque sort en 1994. Il constituera la renaissance de « l’homme en noir », jusqu’à son décès en 2003.

Johnny Cash est la première rock star de l’histoire. Né le 26 février 1932 à Kingland, dans le sud des Etats-Unis, le jeune Johnny Cash grandit dans une famille pauvre qui survit en travaillant dans les champs de coton. Les chants entonnés alors avec ses frères et sœurs sont le seul moyen d’échapper à la fatigue et au désespoir. La guitare sera un vrai refuge pour lui. Il enregistre ses premières chansons dès 1955. Son succès est foudroyant mais l’alcool et la drogue révèlent vite une personnalité torturée et autodestructrice. C’est grâce à l’amour que JC se sauve de ses propres démons. C’est aussi grâce à son engagement. JC s’est toujours senti proche des voyous, des rebelles et des enfermés. Il décide d’ailleurs de consacrer de nombreux concerts et tournées aux prisons américaines. De ces concerts, il en reste un des plus grands lives de l’histoire de la musique Live at Folsom Prison.

Mais revenons aux American Recording et à cette collaboration iconoclaste qui aboutira à cinq albums et au sixième posthume. Le premier est donc enregistré dans le salon de Johnny Cash qui s’accompagne seul, à la guitare. Dans cette série le IV est le sommet de son œuvre. Johnny Cash est malade, gravement malade. Il a trop abusé des substances, de l’alcool, de la vie. Il est diabétique, n’arrive quasiment plus à marcher. Il compose alors l’une de ses plus belles chanson The Man Comes Around, inspiré du livre de Job. JC surfe avec la mort. Les reprises de Hurt et de Personnal Jesus sont des sommets d’interprétation crépusculaire. JC sait que c’est l’heure du bilan, du dernier bilan. Il rassemble toute sa souffrance dans des reprises et des compositions bouleversantes.

Dans la dernière chanson du disque JC reprend We’ll Meet Again, une chanson que chantaient les soldats anglais avant d’aller au combat pendant la deuxième guerre mondiale. Une chanson pour se donner du courage avant la mort probable. Une chanson qui évoque le paradis.

JC a cherché la rédemption toute sa vie. Il l’a trouvée dans la dernière ligne droite de sa vie. L’une des plus belles manières de dire adieu en musique.

Rage

Review n°42: Brutal de Camilla Sparksss (2019)

Voilà deux semaines qui viennent de s’écouler au rythme des tops de fin d’année ou l’artCamilla Sparksss de vouloir courir après le temps… Au milieu des belles découvertes se dresse fièrement un album qui était totalement passé sous mon radar, un album qui m’obsède littéralement par son absence totale de concession et dont le titre est plus que révélateur, Brutal de Camilla Sparksss. Je ne connaissais clairement pas le projet solo de la canadienne Barbara Lehnoff, étant passé à côté de son premier opus For You The Wild en 2014, mais par contre je savoure depuis plusieurs années le duo punk qu’elle forme avec Aris Bassetti, Peter Kernel. Peter Kernel n’est jamais très loin car c’est bien Aris qui est à la production de ce deuxième album.

Ne pas se fier à la silhouette gracile et fragile de la pochette, Camilla Sparksss dégage une puissance charismatique et une féminité exacerbée d’une sensualité folle. Ce Brutal frappe fort, aussi frontalement que subtilement, et s’impose comme un exercice cathartique savoureux en ces temps mouvementés. 9 morceaux, 35 minutes sans concession où sont évoqués Xiu Xiu, Crystal Castles ou encore The Knife et l’impression d’un brûlot post-punk majeur que je vous invite modestement à découvrir.

Le morceau d’ouverture Forget part sur un univers indus très sombre avec une voix bien affirmée qui s’insinue dangereusement en nous. Les machines veulent prendre le dessus et les ruptures de rythme sont savoureuses. Camilla Sparksss laisse alors son talent exploser littéralement avec le dyptique suivant qui me sidère: d’un côté Are You Ok?, version dark de Fever Ray (oui, oui c’est possible) dont la douceur quasi angélique du chant au rythme lancinant des darboukas se densifie pour une montée en tension jouissive, de l’autre côté le single brillant Womanized qui brille par son urgence punk digne de Crystal Castles pour un résultat qui est tourné vers les dance-floors.

La tension reste incontestablement le maître-mot de cet album dont les premières écoutes peuvent même être quelque peu éprouvantes. Pas vraiment l’album que tu veux te mettre en fond au moment de servir le thé à ta belle-mère, bien que… La sensualité et les sonorités discordantes de So What (#BOdeMatrixSpirit), l’univers foisonnant de She’s a Dream qui revisite les musiques de western à base de rythmiques hip-hop et de décharges bruitistes (oui, oui je vais loin mais franchement il y a un peu de tout cela dans le titre…), le très électrique Psycho Lover font facilement mouche. Messing with You me fait ensuite penser à du Lana del Rey qui serait passée du côté obscur de la force avec cette voix angoissante finale, le titre Walt Deathney (quel choix de titre!) s’impose comme un brûlot punk aussi bruitiste qu’exigeant avant que Sorry finisse sur une relative sensation d’apaisement. Voilà en tout cas 35 minutes âpres de très haut vol qui ne devraient pas vous laisser indemnes, enjoy!

Sylphe

Ciné-Musique n°5 : Interstellar (2014) de Hans Zimmer

Interstellar_Bande_OriginaleBien content de vous retrouver en ce tout début d’année. La petite bafouille du jour portera sur une bande originale (BO) incontournable, d’un film non moins incontournable, dont j’ai eu envie de vous parler à la faveur de deux faits. Le premier, c’est d’avoir déniché cette BO en vinyle dans les bacs d’un de mes disquaires favoris, alors que je pensais ne jamais la trouver, du moins à un prix décent. Le second fait, c’est l’actualité et ses joyeusetés diverses et variées, qui me font une fois encore me demander si notre planète tiendra le coup, et dans combien de temps il faudra envisager d’aller voir ailleurs si l’air est plus respirable.

Interstellar (2014) de Christopher Nolan, c’est exactement ça. Pour mémoire, et en guise de pitch pour les malheureux qui n’auraient pas encore vu cette merveille, rappelons la situation de départ. Dans un futur (très) proche, la Terre crève de toutes les saloperies que ce gros con d’être humain a pu faire pendant des décennies. L’air y est lourd, la vie pesante et limitée. Tout ceci symbolisé par cette poussière qui, petit à petit, recouvre ce monde et assèche les espoirs de lendemains meilleurs. Trouvaille visuelle et narrative de génie. Dans ce contexte, une équipe d’astronautes entame un périple spatial afin de trouver une autre planète habitable pour l’homme.

Le reste appartient à un visionnage que je saurais que trop vous conseiller. Film ambitieux et intelligent d’un des grands réalisateurs de notre temps (et d’un des plus grands réalisateurs tout court), Interstellar est un moment de cinéma comme on en fait rarement. Hommage appuyé à un 2001: L’odyssée de l’espace, ou encore à Solaris, ce film traite non seulement son sujet, mais se permet aussi un voyage humain qui explore une émouvante relation père-fille. Tout comme Ad Astra l’année dernière revisitait la relation père-fils, mais c’est une autre histoire.

Et, tout comme dans le chef-d’œuvre de Kubrick, il fallait bien une BO à la hauteur des images proposées. Pour la cinquième fois de sa filmographie après Batman Begins, The Dark Knight, The Dark Knight rises et Inception, Christopher Nolan confie la baguette à Hans Zimmer. Compositeur prolifique et aujourd’hui archi-connu pour ses BO des Pirates des Caraïbes (mais pas que), Zimmer nous avait déjà impressionné les oreilles en sublimant The Dark Knight, à travers des sons et détournements d’instruments ravageurs pour accompagner notamment le Joker.

Pour Interstellar, on entre dans une autre dimension, sans aucun mauvais jeu de mots. Le score proposé par Zimmer mélange des sons incroyables, en superposant des nappes de cordes, voire de l’orchestre entier, et un piano d’une incroyable profondeur, puis introduisant des synthés et un orgue. Ce dernier constitue sans doute la trouvaille maîtresse du compositeur, en permettant d’élargir le spectre musical et en donnant à ses thèmes une ampleur et une profondeur inattendues. C’est ainsi que l’on retrouve dans la BO à la fois l’intimité et la promiscuité des relations humaines filmées, et l’immensité des profondeurs spatiales et des paysages à perte de vue.

Le film est brillant, sa BO époustouflante. Petit aperçu ci-dessous en 3 morceaux, mais ne vous privez pas d’aller en écouter d’autres, voire toute la BO. Ou de regarder le film qui va avec. Une recommandation pour finir : n’écoutez pas ça sur de malheureux haut-parleurs minuscules qui vont crachoter. Soit vous écoutez au casque, soit vous envoyez le bouzin sur des enceintes qui rendront grâce à ce score magistral. Dans un cas comme dans l’autre, fermez les yeux et laissez vous embarquer. Le voyage en vaut la peine.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°55: The Wild Rover de Lankum (2019)

C’est en Irlande que je vous propose de voyager pour ce premier son de l’année 2020, uneLankum terre que je connais assez peu musicalement parlant… Le groupe Lankum est composé des frères Lynch, Cormac MacDiarmada et Radie Peat et a sorti en octobre son troisième opus The Livelong Day sur le très respectable label Rough Trade Records. Cet album sent bon les paysages sauvages balayés par une pop-folk irlandaise tiraillée entre les valeurs ancestrales et un vent de renouveau. Le morceau du jour The Wild Rover ouvre l’album avec ses 10 minutes hypnotisantes, comme une parenthèse intemporelle au milieu d’un monde qui va toujours plus vite. Ce titre reprend une ballade irlandaise très célèbre qui raconte le retour d’un vagabond qui va dépenser tout son or au pub pour la dernière fois (#surprenantnon?). J’apprécie dans ce titre la lente construction et la douceur des sons de la cornemuse avant une surprenante montée finale toute en tension qui brise subtilement les codes. Le clip représente parfaitement l’univers du morceau avec ces magnifiques paysages et le souffle de la nouveauté perçu à travers les distorsions visuelles. Voilà en tout cas un bien bel océan de douceur pour démarrer cette année 2020 qui, espérons le, sera aussi riche musicalement que 2019, enjoy!

Sylphe