Pépite intemporelle n°72 : The lonesome death of Hattie Carroll (1963/1964) de Bob Dylan

Bob_Dylan_-_The_Times_They_Are_a-Changin'Poursuite de la balade dans les années 1960 : après Feeling Goodrelire/réécouter ici), remontons un peu plus loin dans le temps, plus précisément en 1963/1964 pour (re)découvrir une pépite absolue et intemporelle du répertoire de Bob Dylan. The lonesome death of Hattie Carroll fait partie de mes titres préférés, dont je ne me lasse jamais et que je peux écouter en boucle. Que ce soit pour ce que la chanson raconte ou pour la façon dont elle est écrite et la manière dont Dylan l’interprète, tout me renverse dans Hattie Carroll. Si vous avez quelques minutes devant vous, je vous explique tout ça.

Que raconte The lonesome death of Hattie Carroll ? Dylan écrit et enregistre ce titre en octobre 1963, suite à un fait de violence et la mort d’une femme, le 9 février de la même année à l’hôtel Emerson de Baltimore (Maryland). Hattie Carroll, serveuse de 51 ans, meurt suite à des coups portés par William Devereux Zantzinger, client et riche propriétaire terrien de 24 ans. La première est noire, le second est blanc. Tout ceci en 1963, dans des Etats-unis très marqués par la ségrégation raciale, et qui voient émerger le combat pour les droits civiques des Noirs américains que porteront des figures comme Martin Luther King, Medgar Evers, Malcolm X ou encore James Baldwin. William Zantzinger, passablement alcoolisé ce 9 février 1963, commande à Hattie Carroll un énième verre qui n’arrive pas assez vite à son goût. Il l’insulte de « négresse » et s’en prend à elle verbalement et à coups de canne, tout comme à deux autres personnes présentes. Hattie Carroll meurt le lendemain matin. Une mort causée par une hémorragie cérébrale liée à des problèmes de santé, et sans doute déclenchée par les injures et la brutalité de Zantzinger plus que par sa canne. Il n’empêche : le mal est fait. Un homme a tué une femme. Un homme blanc a tué une femme noire, dans le contexte sociétal tendu et explosif évoqué plus haut. Fin août 1963, après une requalification des faits de meurtre en homicide et coups et blessures, Zantzinger, qui admet avoir été tellement ivre qu’il ne se souvient de rien, est condamné à six mois de prison.

A peine deux mois plus tard, en octobre 1963, Dylan enregistre The lonesome death of Hattie Carroll. Et raconte cette histoire, avec quelques ajustements : William Devereux Zantzinger devient William Zanzinger, celui qui a battu à mort Hattie Carroll à coups de canne. Le titre ne dit jamais que l’une est noire et l’autre blanc, mais le talent d’écriture de Dylan est de nous le faire comprendre entre les lignes, si toutefois on ne connaît pas le fait. Ce que raconte aussi cette chanson, c’est l’incroyable bienveillance (pour ne pas dire privilège et favoritisme) dont Zantzinger a bénéficié de la part de la justice, à la fois de par sa classe sociale mais aussi de par sa couleur de peau. Six mois pour avoir causé la mort d’une femme, c’est dérisoire et révoltant. Surtout lorsque l’on sait que cette durée de détention permet à l’intéressé de purger sa peine dans la prison du comté et non la prison d’Etat, où sont alors détenus des prisonniers en majorité noirs, qui n’auraient pas manqué de s’en prendre à lui. Comble du cynisme ? Zantzinger versa 25 000 dollars à la famille d’Hattie Carroll, de sa propre initiative. 25 000 dollars, le coût d’une vie arrachée ? Les questions d’argent et de racisme poursuivront Zantzinger : en 1991, la justice découvrira qu’il loue des logements en violation de la loi du comté. Des logements qu’ils ne possède plus. A des locataires poursuivis en justice lorsqu’il étaient défaillants, et contre lesquels il a gagné ses procès. Des locataires noirs. Un portrait édifiant et abject de ce que l’humanité peut faire de plus crasse, au panthéon de la négation de l’Autre.

Comment Dylan raconte-t-il The lonesome death of Hattie Carroll ? D’une part, en écrivant sa chanson sans attendre, presque dans le feu des événements. Hattie Carroll meurt en février 1963, le procès de Zantzinger se tient en août de la même année, et il ne faut pas deux mois à Dylan pour écrire et enregistrer son titre. Cette réaction immédiate l’est pourtant moins qu’on pourrait le penser : le morceau ne débarque pas dès février, ou même au moment du procès. C’est le juste délai pour porter une révolte, des émotions et un engagement, tout en laissant mûrir un propos qui ne prend que plus de poids. Ici, rien d’explosif mais plutôt un engagement profond, extrêmement solide et hautement convaincant. D’autre part, les choix musicaux de Dylan sont parfaits : la trame musicale est dépouillée (guitare folk et quelques pointes d’harmonica). C’est sa marque de fabrique de l’époque. La chanson sortira en janvier 1964 sur The times they are a-Changin’, son 3e album studio. Ce n’est qu’en 1965 avec Bringing it all back home (5e album) qu’apparaitront des instruments électriques. Nous n’en sommes pas là : Dylan porte ses mélodies folk épurées, et The lonesome death of Hattie Carroll l’est encore plus. Par exemple, la piste précédente When the ship comes in sur The times they are a-Changin’ enchaine les accords avec un certain rythme. Pour Hattie Carroll, Dylan ne se sert de sa guitare que pour gratter quelques trames d’accord qui servent de support musical à son phrasé.

La voix de Dylan est la dernière pièce à cet édifice. Une voix nasillarde, reconnaissable entre toutes, qui raconte l’histoire et la mort de Hattie Carroll, plus qu’elle ne les chante. Dylan est observateur engagé de son temps et nous conte Hattie Carroll comme écrivaient et lisaient à l’époque les poètes de la Beat Generation. Allen Ginsberg, Jack Kérouac ou encore William Burroughs (pour ne citer qu’eux) ont toujours savamment mélangé musiques, rythmes et textes. Avec Hattie Carroll, Bob Dylan est dans cette droite lignée, en y ajoutant une dimension protest-song dont il est un des meilleurs représentants. Son texte prend rapidement le dessus sur la grille musicale, mais il n’aurait pas cette force et cette puissance sans le rythme apporté par ses cordes qu’il semble gratter à la cadence de son texte, et réciproquement.

The lonesome death of Hattie Carroll poursuivra son chemin au répertoire de Dylan, et trouvera son écho protest-song dans la décennie suivante avec Hurricane, parue sur l’album Desire (1976) : un titre qui revient sur la condamnation à perpétuité et l’emprisonnement du boxeur Rubin “Hurricane“ Carter pour un triple meurtre en 1966, dans lequel l’implication de ce dernier n’a jamais été prouvée. Carter sera libéré en 1985 après cassation du verdict et bénéficiera d’un non-lieu en 1988. Témoins peu fiables et approximations en tout genre : une controverse judiciaire de plus sur fond de racisme et d’inégalités sociales, qui sera l’occasion pour Dylan d’écrire une nouvelle petite merveille. The lonesome death of Hattie Carroll et Hurricane font d’ailleurs l’objet d’un judicieux segment dans l’excellent film Rolling Thunder Revue : A Bob Dylan story (2019) qui suit la tournée du même nom entamée en 1975. Une passionnante virée dans l’univers dylannien par Martin Scorsese, qui avait déjà réalisé le très chouette No direction home (2005) sur les années 1961-1966 de Dylan. Rolling Thunder Revue est disponible sur Netflix : vous y entendrez Hattie Carroll et y trouverez plein d’autres bien belles choses, dans une “atmosphère douce, feutrée, intimiste, poétique“, teintée d’un “profond engagement“ (des guillemets car je n’ai pas trouvé mieux que ces jolis mots de la personne de très bon goût qui m’a emmené sur ce film). Des mots qui, pour boucler la boucle, qualifient parfaitement aussi la pépite qu’est The lonesome death of Hattie Carroll.

Source : la partie sur l’histoire de Hattie Carroll a été en grande partie écrite à l’aide de la page Wikipédia dédiée https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Lonesome_Death_of_Hattie_Carroll.

The lonesome death of Hattie Carroll : la version studio (1963/1964)
The lonesome death of Hattie Carroll : la version live « Rolling Thunder Revue » (1975)

Raf Against The Machine

Reprise du jour n°5 : Feeling good (1964/1965/2001) de Leslie Bricusse & Anthony Newley par Nina Simone/Muse

Nina-Simone-Feeling-goodL’heure est grave. D’une part, nous sommes toujours au bord du précipice qu’on appelle confinement mais sans vouloir en dire le nom (Voldemort, si tu nous lis…) et on attend patiemment (non) de savoir comment la suite des événements sera pilotée (ou pas). Au royaume de l’improvisation, nous devenons tous de grands champions, tout en essayant de se ménager des bulles de vie et de bien-être. D’autre part, et sans transition ou presque, dilemme total pour moi sur le son du jour : faut-il le classer en pépite intemporelle, Five Reasons ou Reprise ? J’ai opté pour cette dernière rubrique. On est typiquement dans le combo rubriques croisées/poupées russes, puisqu’on va s’arrêter sur un titre devenu célèbre via une de ses reprises, puis régulièrement revisité par de multiples artistes. Feeling good, ou la reprise, de la reprise, de la reprise… Installez-vous tranquilles, servez-vous un café ensoleillé. Tout va bien se passer.

A sa création en 1964, Feeling good fait partie de la comédie musicale The Roar of the Greasepaint – The Smell of Crowd (littéralement “Le rugissement de la peinture à graisse – L’odeur de la foule“). Ce spectacle revient sur les écarts et différences entre les classes sociales de la société britannique dans les années 1960. Tout ceci à travers trois personnages principaux : Sir, Cocky et The Negro (précisons que je reprends ici l’intitulé exact des rôles en langue originale). Ce dernier, sujet au racisme et aux abus des deux premiers, finira par l’emporter sur eux et leur ignorance crasse. Production artistique à forte teneur sociale et politique donc, que l’on doit à Anthony Newley et Leslie Bricusse. Leurs noms ne vous disent peut-être rien, mais c’est ce duo qui a, notamment, co-écrit la chanson Goldfinger (1964), composée par John Barry et impérialement chantée par Shirley Bassey. Notre Feeling good originel est interprété dans le second acte de la comédie musicale par The Negro, lorsqu’il prend enfin le dessus sur ses oppresseurs. Cette version est musicalement assez étonnante et n’a pas grand chose à voir avec les futures reprises que l’on connait mieux. Dans une ambiance jazzy/crooner lyrique, et sur des arrangements plutôt smooth, ce sont successivement Cy Grant puis Gilbert Price qui poseront leurs voix sur ce qui va devenir un des standards absolus du 20e siècle. Histoire de se mettre dans le bain, les deux interprétations sont à écouter ci-dessous, avant de poursuivre.

Vu le parti pris politique du titre, et le contexte historique de l’époque, c’est presque une évidence que Nina Simone s’empare d’un tel morceau. Elle reprend Feeling good en 1965, au cœur des années 1960 marquées par le mouvement de défense des droits civiques aux Etats-Unis. Son engagement et sa musique ont eu beaucoup d’influence dans la lutte pour l’égalité des droits menés par les Noirs américains à cette époque. Un lien que montre bien le très beau documentaire What happened, Miss Simone ? disponible sur Netflix, et que j’ai découvert ces derniers jours (le documentaire, pas Nina Simone) suite à une suggestion fort bienvenue et de très bon goût. Rappelons qu’en 1964, Nina Simone écrit et chante son brûlot Mississippi Goddam, en réaction à l’assassinat de Medgar Evers et à l’attentat perpétré dans l’église de Birmingham (Alabama) ayant causé la mort de quatre enfants noirs. Suivront bien d’autres titres politiques comme Old Jim Crow, et engagements tels que sa participation aux Marches de Selma à Montgomery en 1965. C’est précisément cette année-là que Miss Simone reprend Feeling good, en la magnifiant totalement de sa voix rugueuse, dans un écrin musical blues-soul qui me dresse les poils à chaque fois. Manifestation incandescente de l’espoir d’égalité raciale et de jours meilleurs, tout autant que porteuse d’une lumière dans la nuit de la connerie humaine, son interprétation est d’une puissance absolue. Elle propulse au devant de la scène un matériau musical déjà excellent de base qui ne demandait qu’à être sublimé. A tel point que, pour beaucoup de gens, Feeling good est une chanson de Nina Simone, au même titre que I put a spell on you que l’on doit en fait à Screamin’ Jay Hawkins. Ce qui importe vraiment, c’est l’émotion que Nina Simone balance dans sa version. Une émotion ravageuse qui laisse son Feeling good intemporel, et permanent dans mes playlists.

Depuis sa création en 1964, Feeling good a été reprise par de multiples artistes d’horizons musicaux aussi divers que Michael Bublé, George Michael, Joe Bonamassa, Eels, Gregory Porter ou encore Avicii. Pourtant, si une autre version a retenu mon attention parmi toutes les revisites, c’est celle de Muse. Nichée dans le deuxième album du groupe Origin of Symmetry (2001), leur lecture de Feeling good apporte quelque chose de nouveau, que je n’avais pas trouvé ailleurs : la sensation de détresse dépressive qui suinte de chaque note. La version de Muse transpire l’urgence et le fil du rasoir. La voix de Matthew Bellamy n’y est pas pour rien, surtout lorsqu’elle passe au filtre d’un mégaphone dans lequel le chanteur semble hurler toute ses tensions. Une voix hors du temps, portée par une rythmique de bucheron et de la grosse guitare qui nous emportent pendant 3 minutes dans une époque inquiète et tracassée cherchant, malgré tout, des portes de sortie. Une récurrence.

A l’époque de la sortie de Feeling good au milieu des 60’s, Kubrick mettait en images Arthur C. Clarke pour annoncer 2001 comme une possible odyssée de l’espace, et un voyage introspectif de l’humanité sur elle-même. Le vrai 2001 n’a pas grand-chose à voir avec la prémonition kubrickienne, pas plus qu’avec les rêves 60’s de « L’an 2000 » qui fantasmaient une planète modernisée par la science, nageant dans le bonheur serein de la technologie et d’une humanité au diapason d’une existence pacifique. En 2001, l’heure est aux urgences sociétales, humaines, politiques, environnementales. Tout comme aujourd’hui, vingt années plus tard. Comme un cycle incessant, dans lequel Feeling good trouve toujours sa place.

Est-ce à dire que Feeling good tire sa puissance de notre monde bousculé, et dans lequel il reste toujours des combats à mener ? Oui, mais pas seulement : c’est un son qui porte aussi le récurrent message d’espoir et d’énergie que le meilleur reste à venir. On ferme les yeux, on monte le son, on y croit. On y va. « Its’ a new dawn / It’s a new day / It’s a new life for me / and I’m feeling’ good ».

Raf Against The Machine

Review n°73 : As The Love Continues (2021) de Mogwai

TRR355_Mogwai_1500x1500Dans la short list des artistes qui ont vraiment transformé ma vie, il y en a peu dont j’attende encore la nouvelle livraison discographique avec une réelle impatience doublée d’angoisse : Mogwai en est, et nous voilà à écouter As The Love Continues, sorti il y a quelques jours, et déjà rejoué sur la platine à de nombreuses reprises, tant il offre une quintessence du groupe. Alors que d’autres acteurs essentiels de ma vie d’amateur de musiques amplifiées sortent des albums qu’on écoute distraitement, souvent parce qu’ils peinent à retrouver leur pertinence d’origine (Interpol) ou parce qu’ils ont renoncé à écrire et diffuser de nouvelles créations (The Cure, et au vu de leurs derniers albums, il est bien qu’ils continuent à n’être que la redoutable machine de live qu’ils sont devenus), les Ecossais de Mogwai n’ont cessé, depuis Young Team en 1997, de donner à nos oreilles des albums d’une qualité constante, en faisant évoluer leur post-rock baigné dans les vertiges de My Bloody Valentine vers un univers vraiment singulier où se rencontrent des murs du son, des plages ambient, des voyages électroniques, des mélodies rares et comme des guirlandes. Le tout en gardant cette « indie touch » qui ramène aux glorieuses années britanniques que furent les eighties et nineties (on entend encore dans leur son des réminiscences de Jesus and Mary Chain, leurs congénères – il faudra écrire un jour tout ce que l’Écosse a offert aux fans de rock sous toutes ses formes – par exemple ici sur Drive The Nail, et ce riff qui laboure un champ noisy de façon obsessionnelle à partir de 2’10).

L’album commence sur des notes de piano et une cymbale que le Brian Eno de Before and After Science n’auraient pas reniées, et vers 2’30 on retrouve le Mogwai downtempo qui livre des paysages où les guitares et les sons synthétiques dessinent des arcs lumineux. On est en territoire connu, avec cette densité sonore d’une pâte instrumentale malaxée et enrichie peu à peu de quelques ingrédients (des stridences distordues en fond de mix, des motifs répétitifs). On sait où l’on va, mais c’est un voyage dans lequel on s’engage avec toujours la même excitation.

Quelques secondes pour être pris au dépourvu par le beat  « dance » de Here We, Here We, Here We Go Forever, avant de ré-entendre ce traitement vocal métallique qui est devenu leur marque de fabrique : un instrument de plus, qui participe à complexifier la structure en mille-feuilles de la construction atmosphérique des morceaux.

Dès la troisième piste, une merveille, le premier single de l’album : Dry Fantasy, arpèges de synthé, rythmique en retenue, cymbales qui construisent la frustration, comme on entre dans un vestibule, avant que la caisse claire ne soit l’invitation à entrer plus loin dans un hall de reverb impressionniste. Étrangement, les titres de Mogwai, qui sont souvent choisis au hasard de la construction des albums, finissent souvent par trouver sens : ici, on est bien dans un onirisme sinon sec, du moins épuré, réconfortant, sans un seul son qui ne soit mis au service de l’évasion. Une des plus belles réussites de l’album.  

On ne redescend pas du ciel de volupté où l’on vient de monter : encore un single, Richie Sacramento est le morceau qui s’inscrit le plus dans la tradition indie, une vraie mélodie, une voix traitée à la reverb mais sans vocoder pour la dissimuler, le versant pop du groupe, qu’il n’exploite que rarement (c’est sans doute l’une des chansons les plus traditionnelles jamais chantées par le groupe depuis R U Still Into It sur le premier album, qui n’avait d’ailleurs même pas une mélodie aussi évidente). Dans un autre monde, un 45 tours parfait. Dans ce monde-ci, le morceau que l’on mettra en repeat sur nos playlists pour dévaler des rues à vélo ou pour fermer les yeux en se croyant immortel.

Il y a d’autres réussites sur As The Love Continues : ainsi, le presque Air Fuck Off Money, avec ses sons numériques veloutés, qui se métamorphosent finalement en autoroute céleste et totalement fidèle au son Mogwai, une « Milky Way Pop » qui élève le corps et l’âme, une autre forme possible de musique religieuse pour tout animiste contemporain qui sait son origine dans la poussière d’étoiles. On disait Kosmische Musik dans les seventies bercées par les expérimentateurs allemands à la Tangerine Dream ou Ash Ra Tempel,  mais ici est offerte une musique cosmique moins éthérée, moins bavarde, resserrée et qui sait ne pas perdre des yeux le but de son voyage malgré la beauté du trip.

Le groupe sait aussi revenir vers des sons plus rêches et plus bruitistes : le très bon Ceiling Granny, ici en version live depuis leur base de Glasgow, qui tourne un riff sur deux fois trois notes, libère la nuque, et ne s’éternise pas au-delà de raisonnables quatre minutes, le temps juste nécessaire  à la libération des énergies positives accumulées jusque là. La version donnée ici est plus acide, un peu moins chaleureuse que sur l’album, mais fidèle au son du groupe en concert, dont on ressort lessivé mais comblé de vibrations physiquement incomparables (n’oubliez pas de revenir en France, amis Glaswegians, vous y êtes attendus).

Si Midnight Flit et son final au faux semblant d’orchestration à cordes rappelle que Mogwai excelle dans la musique de film et de documentaire (regarder Zidane, a 21st century portrait, juste pour la bande son magnifique que le groupe a enregistrée pour l’occasion), Pat Stains qui lui succède revient aux débuts du groupe, quand la scène post-rock se nourrissait encore des innovations apportées par le Spiderland de Slint : notes de guitares détachées, qui tissent de micro-mélodies sur une rythmique pleine de décalages et de grooves en rupture, mais sans jamais basculer dans le math-rock stérile : Mogwai ne vise pas l’épate technicienne, mais l’architecture solide sur laquelle construire des façades sonores qui s’embellissent de fines couches d’or, de stuc et d’angelots baroques (guitares en multi-bande, synthétiseurs), avant de tout décaper pour revenir au bois brut.

L’album s’achève, après un Supposedly We Were Nightmares agréable mais moins marquant, par les 7 minutes et quelques de It’s What I Want To Do, Mum :  en synthèse de tout ce qui a précédé, c’est un morceau instrumental, un parti pris guère étonnant dans le contexte de ce disque, qui étend sa progression sur cet enchevêtrement de basse, de guitares claires et noisy, de contrepoint synthétique et cette batterie toujours régulière ; et l’on monte, et cela fait déjà plus de 5 minutes que c’est ainsi, et à peine au sommet on entame la fin du chemin, le même chemin mais apaisé, vers les deux accords finaux répétés, mi-arpégés, mi-grattés.

24 ans de carrière discographique, et Mogwai maîtrise pleinement son style, sans se trahir et sans lasser. Cela devrait suffire à les chérir. The Love Continues, et il n’est pas prêt de s’éteindre.

Nicolas

Review n°72: Collapsed In Sunbeams d’Arlo Parks (2021)

Voilà la belle découverte musicale qui a illuminé mes dernières semaines et m’a permis de garder leArlo Parks cap avant l’arrivée providentielle des vacances scolaires. Anaïs Oluwatoyin Estelle Marinho alias Arlo Parks vit à Londres et a vu sa carrière décoller dès le titre Cola en 2018. Ses deux EP produits par Gianluca Buccellati Super Sad Generation et Sophie ont confirmé en 2019 son potentiel et ce premier album était pour le moins attendu. On retrouve avec plaisir Gianluca Buccellati à la production, épaulé par Paul Epworth (Adele) sur les titres Too Good et Portra 400. L’album de 40 minutes s’apparente à un véritable journal intime qui relate toutes les expériences de l’adolescence en mettant l’accent sur la difficulté des relations amoureuses et l’homosexualité. La voix d’Arlo Parks paraît immédiatement familière par sa chaleur et sa douceur, m’évoquant quelquefois le grain de Skye Edwards. Ajoutons des textes ciselés, un univers musical entrelaçant la néo-soul et le trip-hop, quelques guitares volées à Thom Yorke et on obtient un superbe premier album riche de belles promesses et de beaux moments que je vous invite à découvrir.

Le morceau d’ouverture, l’éponyme Collapsed In Sunbeams (expression tirée du roman On Beauty de Zadie Smith), offre une petite minute de douceur à l’état pur où le spoken word d’Arlo Parks est humblement accompagné par une guitare sèche. On retrouve d’emblée cette volonté d’appréhender la souffrance pour s’ouvrir au monde et le savourer à sa juste mesure « We’re all learning to trust our bodies / Making peace with our own distortions / You shouldn’t be afraid to cry in front of me in moments ». L’introspection est le maître-mot de cet album et Hurt nous offre la première plongée dans l’intériorité avec un son entre Nneka et Morcheeba. Né sur les cendres du trip-hop, le refrain tente d’apporter une luminosité inespérée pour souligner la difficulté de ce Charlie à dompter sa souffrance et lâcher prise. Too Good aborde ensuite avec une pointe d’ironie le moment de la rupture dans une ambiance neo-soul qui ne demande qu’à aller jouer avec les codes du jazz. Hope et son piano jazzy vient alors traiter avec une légèreté pop en trompe l’oeil le thème de la solitude, un passage de spoken word et de belles trouvailles au niveau du texte illuminent ce morceau qui est mon préféré de l’album, « wearing suffering like a silk garment or a spot of blue ink ».

Caroline aborde ensuite le déchirement d’un couple dans une ambiance instrumentale qui m’évoque Alt-J, ce morceau démontre le potentiel incommensurable de la voix d’Arlo Parks. Un Black Dog qui traite pudiquement de la difficulté de soutenir un ami touché par la dépression, un Green Eyes biberonné au trip-hop qui souligne la difficulté d’affronter les regards lors d’une relation homosexuelle, un Just Go plus pop dans son approche avec des guitares lumineuses qui porte un regard amusé sur la volonté de l’autre de reprendre une relation après l’infidélité, les sujets abordés sont traités avec justesse et simplicité. For Violet vient alors avec son atmosphère plus sombre digne de Portishead, un relatif dépouillement et une rythmique downtempo permettent de mettre en valeur la voix d’Arlo Parks, ce titre forme un duo brillant avec Eugene dont les guitares sont estampillées Thom Yorke. Ce morceau traite avec humanité de la difficulté de voir son amie entamer une relation avec un autre homme, sur fond de jalousie et d’amour caché. Passé un Bluish traitant avec une fausse légèreté la sensation d’enfermement dans le couple, Portra 400 (nom d’un film négatif de Kodak) finit sur des notes plus électro-pop sur lesquelles le spoken word d’Arlo Parks se pose avec délectation. Pour reprendre une expression de ce titre « Making rainbows out of something painful », Arlo Parks sublime le maelstrom des émotions ressenties pendant l’adolescence pour créer un album profondément humain, marqué du sceau du talent. Il ne vous reste plus qu’à parcourir les pages de ce journal intime pour découvrir le monde d’Arlo, enjoy!

 

En cadeau, une sublime reprise de Creep de Radiohead…
Sylphe

Pépite du moment n°81: Heroes in a Frame de Tin (2020)

Je vous propose de découvrir une artiste française qui m’était jusqu’alors totalement inconnue, TinTin (voilà un pseudo pour le moins minimaliste). Dj accomplie influencée par Chromatics ou Taxi Girl, Tin a sorti son premier EP sobrement intitulé Debut l’année dernière, EP qui fonctionne parfaitement. Si vous aimez une électro-pop rêveuse où boîte à rythme et synthés sont au service d’une voix suave explorant le français et l’anglais vous ne pourrez que savourer des titres comme Shots of Glory ou La Nuit Floue. Cet EP est cependant illuminé par son morceau central Heroes in a Frame qui brille par sa rythmique techno. L’ambiance  dégagée nous glisse dans les méandres de la nuit parisienne où les règles s’estompent pour laisser surgir le désir, perceptible à travers la voix sensuelle de Tin. Ce titre plein de caractère a beaucoup inspiré et ce vendredi sortira un nouvel EP de remixes de Heroes in a Frame par Plaisir de France, Sara Zinger, Devon James, Badknife, Morgan Blanc et De Warville. En attendant de découvrir ces relectures, je vous invite à savourer l’original, à fermer les yeux et vous rappeler à quoi ressemblait une promenade nocturne…, enjoy!

 

Sylphe

Review n° 71 : Aurora (2021) de Marquis

Marquis-albumLe 5 février est sorti Aurora, l’album de Marquis, l’incarnation actuelle de Marquis de Sade, groupe français presque météorique du tournant 70-80s, mais dont la traîne de l’héritage est interminable, et qui a perdu son chanteur et parolier – et âme – Philippe Pascal juste avant de pouvoir mener à terme un projet discographique postérieur à leur reformation scénique de la fin des années 2010. Marquis se charge de reprendre le cours de l’histoire, mais avait-on vraiment à cœur d’écouter un album qui n’aurait dû exister qu’avec la formation originale désormais perdue pour toujours ?

Marquis a fait ça bien : les trois survivants historiques (Frank Darcel comme maître d’œuvre musical, Thierry Alexandre et Eric Morinière en section rythmique sûre et précise) ont convoqué, outre un nouveau frontman flamand (Simon Mahieu) bien plus jeune que ces maintenant sexagénaires, tout un pan de la scène musicale rennaise des eighties, parce qu’il fallait se mettre à plusieurs pour prendre la place d’un fantôme aussi imposant. Le vinyle posé, on part dans trois directions, toutes pertinentes, toutes réussies. Pas juste parce qu’elles existent et que l’on est heureux de savoir que les garçons ont su boucler le projet : les chansons tiennent la route, la production est impeccable, ancrée dans le son originel des Marquis de Sade sans jamais sonner nostalgique ou revival, c’est déjà un exploit. Et chacune des trois voies suivies se révèle pertinente et émouvante.

La première direction, c’est un son assez classique du Marquis de Sade tardif, comme sur le très “Rue de Siam“  European Psycho, et son pattern rythmique mariant une batterie qui invite presque à la danse à des guitares post punk. C’était cette direction funk (à la James Chance, avec qui il a d’ailleurs enregistré) que Frank Darcel souhaitait donner à Marquis de Sade au début des années 1980, là où Philippe Pascal était attiré par le romantisme lyrique de la new wave, dont il accoucherait avec son groupe Marc Seberg. Même ancrage dans le passé historique du groupe sur un des meilleurs morceaux de l’album, Flags Of Utopia, qui se serait parfaitement coulé dans Dantzig Twist, le premier Marquis de Sade de 1979.  

Enfin, c’est en partie vrai de Brave New World, le saxophone du compagnon marquisien Daniel Paboeuf ancrant le couplet dans le passé, alors que le refrain envoie le morceau au contraire dans une dimension bien plus actuelle (à laquelle, j’avoue, je suis moins réceptif).

C’est cela, la seconde direction, un rock plus contemporain, qui semble avoir rajeuni au contact de la relecture du post punk par la génération Interpol, qu’on devine apportée par le nouveau venu Simon Mathieu : c’est assez flagrant sur le très beau Um Immer Jung Zu Bleiben  (ironique pari pour ces plus tout jeunes hommes, mais l’album semble prouver qu’ils l’ont bellement remporté). 

Même veine pour un Zagreb très serein, qui apaise un peu un disque par ailleurs très tendu. Ici, on est sur une pop mélodique, arpèges de piano en contrepoint de la guitare, un autre beau moment, qui s’enrichit d’une saturation guitaristique de quelques secondes aux réminiscences presque frippiennes.

La troisième direction, c’est de laisser les amis rennais donner leur version de Marquis. Il y a Christian Dargelos des Nus (le Johnny Colère de Noir Désir, c’était les Nus) , pour un Holodomor qui rappelle que Marquis de Sade n’avait pas hésité à ancrer son rock dans l’histoire européenne dans sa beauté (les références à Gustav Klimt dans Conrad Veidt) et ses crimes (Nacht Und Nebel sur Rue de Siam). Ici, c’est donc la famine orchestrée par le régime stalinien en Ukraine dans les années 30 qui donne son titre au morceau, qui se veut un chant de résistance. Le morceau est réussi, mais le malaise est réel, pas sûr qu’on aura souvent envie de revivre l’expérience.

C’est qu’Aurora est un disque plein de vie, mais qui parle de la mort, et forcément aussi de celle de Philippe Pascal. C’est Étienne Daho qui se charge de chanter tout en nuance le départ de celui-ci, avant que Frank Darcel, qui compose la totalité de l’album, vienne asséner avec violence un terrible terrible « raptus », celui qui a poussé son acolyte à quitter son existence il y a plus d’un an maintenant. Je N’écrirai Plus Si Souvent est extrêmement émouvante, Daho y enveloppant la tristesse dans de pudiques euphémismes et sa voix si unique. C’est une des plus belles choses chantées par Daho ces dernières années, pendant lesquelles il n’a pourtant pas démérité.

Il y a un autre disparu, Dominic Sonic, autre figure du Rennes rock, mais qui lui a eu le temps de donner son chant à la magnifique, et fidèle, cover du Ocean velvetien, pour intégrer à cet album très breton une mer bien plus américaine. Sur la version vinyle, il faudra trouver cette reprise sur un disque 10 pouces joint au 33 tours.

Le disque s’achève sur une bulle électro-pop, instrumentale, le Voyage d’Andréa, qui laisse à qui vient d’écouter Aurora le temps de sortir de l’expérience tout en douceur. Non, il n’y aura plus jamais sur un album de Marquis (de Sade) la scansion si particulière de Philippe Pascal, et c’est tout à l’honneur de Simon Mahieu de ne jamais chercher à l’imiter. Mais il y a largement assez de beauté, d’inspiration et de bonnes chansons sur cet Aurora pour plaire autant  à celles et ceux qui n’ont pas renié ou oublié leur jeunesse marquée au fer par le groupe qu’à celles et ceux à la recherche d’une mélancolie tout européenne : outre le français et l’anglais, c’est le flamand,  l’allemand et le portugais qui jalonnent l’incontestable réussite qu’est Aurora.

Nicolas

(Une Review que l’on doit cette semaine à Nicolas, un invité qui nous emmène sur des terres musicales encore non visitées par Five-Minutes. Merci pour la contribution !)

Pépite intemporelle n°71 : Tête en l’air (1979) de Jacques Higelin

MI0003774137En 1979, après plus de dix années déjà d’une carrière créative et riche de grands albums, Higelin (Jacques de son prénom) publie deux albums consécutifs : Champagne pour tout le monde, et Caviar pour les autres…. Qui deviendront au final un double album, mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est le nombre de pépites que contient ce double opus. Higelin explore tous les genres, avec des titres théâtraux comme Champagne, minimalistes comme Cayenne c’est fini, rock avec 3 tonnes de T.N.T., intimiste comme Je ne peux plus dire je t’aime, ou encore funky avec Le fil à la patte. Pour résumer, Champagne/Caviar est un album somme tout autant qu’un virage dans la discographie Higelin. Après ces albums, l’artiste (car c’en est un immense) continuera à nous trimballer dans son univers foisonnant et sans cesse renouvelé avec une orientation plus pop/chanson française que les expérimentations Areski/Fontaine passées, et que ses années 70 rock.

Tête en l’air est un chouette exemple de ce virage chanson/pop. Le titre parfait en ces temps actuels de froid, de morosité et de lassitude liés à ce fucking Covid. Vous en avez marre ? Moi aussi, mais cette petite ritournelle du grand Jacques va vous éclairer la fin de journée, ou tout autre moment où vous choisirez de l’écouter. Combinant à la fois une mélodie légère et sautillante et un propos printanier qui convoquent 24 images souriantes à la seconde, Higelin balance en 3 minutes 38 un véritable bain de joie. Renvoyant à leur bêtise et à leur tristesse tous les cons de la Terre par la magie d’un sifflotement, on se laisse glisser dans la légèreté contagieuse sans même y penser et sans le vouloir. « Et je crie, et je pleure et je ris au pied d’une fleur des champs (…) Sur la Terre, face au ciel, tête en l’air, amoureux » : c’est bien ce cocktail d’émotions positives sautillantes que l’on trouve dans Tête en l’air.

Ce qui fonctionne surtout à merveille, c’est la combinaison parfaite d’un texte sachant mixer tendresse et grain de folie (du Higelin pur jus) et d’une mélodie enlevée et portée par une guitare festive et une section rythmique savamment dosées. Rien de trop, rien de pas assez. Avec, en ingrédient indispensable, la voix éraillée/écorchée mais tellement humaine de ce grand bonhomme qu’est Jacques Higelin. Vous avez remarqué ? J’écris ça au présent, parce que même si cet inoubliable grand monsieur est parti depuis bientôt 3 ans, il nous a laissé à tous une œuvre profondément touchante par sa poésie, sa variété et son génie terriblement humain, et qui nous accompagne toujours. Je reviens toujours sur un album d’Higelin, parce que j’y trouve toujours un titre qui parle à mes émotions et à mon mood du moment. Actuellement, c’est ce Tête en l’air qui me convient le mieux. Pour toutes les raisons que j’ai déjà dites, et parce que « Y a des allumettes au fond de tes yeux / Des pianos à queue dans la boîte aux lettres / Des pots de yaourt dans la vinaigrette / Et des oubliettes au fond de la cour ».

Raf Against The Machine

Review n°70: Le Rayon vert de Lewis Evans (2021)

Aujourd’hui le hasard nous emmène dans la galaxie musicale de The Lanskies. Certains membres deLewis Evans ce groupe français fondé à Saint-Lô mènent en parallèle une carrière solo, nous avions déjà présenté le projet du guitariste/chanteur Florian von Künssberg sous le nom de Tropical Mannschaft avec son très bon EP To Be Continued (à relire par ici) et aujourd’hui nous allons nous intéresser à Lewis Ewans, le chanteur franco-britannique de The Lanskies avec son EP Le Rayon vert. Ce dernier n’en est pas à son coup d’essai en ayant déjà sorti deux albums solo Halfway to Paradise en 2015 et Man in a bubble en 2017. Si je vous dis qu’il a collaboré avec Tahiti Boy, Gaetan Roussel ou Keren Ann, vous devez sûrement partir avec des a priori bien positifs, et ma foi vous avez raison car cet EP, pour lequel a collaboré David Ivar du groupe Herman Dune, va brillamment confirmer tous les espoirs…

Le premier morceau Rock in the Sea nous rappelle que la Normandie n’est pas bien loin (Le Rayon vert est le nom d’un café situé à Saint-Pair-sur-Mer en Normandie) avec le bruit des vagues et des mouettes en fond. La voix chaude de Lewis Ewans qui s’avère un atout majeur de l’EP, la guitare qui accompagne en toute sobriété et les choeurs bien sentis nous offrent un très bel instant de folk intimiste qui ne tombe pas dans le piège d’une certaine monotonie. Hold On continue à tracer ce même sillon dans une production particulièrement soignée et précise, avec les cordes en fond qui enrichissent  l’univers instrumental et donnent encore plus d’émotions à l’ensemble.

Cocaine, le morceau que je préfère dans cet EP, me séduit par la voix poignante sobrement accompagnée d’une guitare sèche. Le refrain lumineux avec les choeurs donne une saveur pop assez savoureuse, le violon entre en jeu sur la deuxième partie du morceau et permet à ce titre de gagner en intensité. Ce titre justifie à lui tout seul d’aller écouter Le Rayon vertKing of the Jingle (qui vient de prendre place comme le choix de titre le plus original de ce début d’année) clot l’EP sur une atmosphère plus légère et plus pop. Le refrain ensoleillé n’est pas sans rappeler l’univers de Tahiti Boy qu’il me tarde d’aller réécouter au passage, après avoir jeté une oreille attentive aux deux premiers albums de Lewis Evans que je connais malheureusement pas. Si, tout comme moi, vous ressentez ce Rayon vert comme une très belle porte d’entrée pour découvrir Lewis Evans, votre journée au demeurant embellie par cette neige si poétique n’en deviendra que plus mémorable, enjoy!

Sylphe

Review n°69: Vertigo Days de The Notwist (2021)

Décidément ce début d’année musicale 2021 est particulièrement excitant! L’année dernière, lesThe Notwist 2 Allemands de The Notwist sortaient un EP Ship aussi beau que frustrant (comment est-il possible de tenir psychologiquement en n’écoutant que 3 titres?) dont nous vous avions à l’époque parlé par ici. Cet EP nous avait cependant mis du baume au coeur car il nous annonçait à coup sûr l’arrivée d’un onzième album studio pour illuminer notre début d’année 2021. Et voilà qui est chose faite avec ce Vertigo Days qui n’a pas fini de faire tourner la tête et de prendre rendez-vous avec les tops de fin d’année. Pour ce premier album signé sur le label berlinois Morr Music, les frères Markus et Micha Acher montrent qu’ils ont pleinement digéré le départ en 2015 du claviériste Martin Greschmann, l’homme qui, par son arrivée en 1997, avait insufflé un nouveau souffle électronique au groupe après trois albums sacrément énervés. On connaît tous le résultat et on est en droit de penser que tout mélomane qui se respecte frissonne en entendant parler de Shrink ( 1998), Neon Golden (2002) ou encore The Devil, You + Me (2008). Le dernier album studio Superheroes, Ghostvillains + Stuff en 2016 avait démontré que les Allemands avaient encore beaucoup à partager et ce Vertigo Days met brillamment fin à ce faux suspense: les frères Archer ont encore l’intention de sublimer nos années à venir.

Après la minute d’ouverture angoissante d’Al Norte avec ses drums et cette voix d’outre-tombe inquiétante, parfaitement en adéquation avec la pochette de l’album (qui au passage m’évoque la pochette de Both Ways Open Jaws de The Do, mais bon cette information est franchement dispensable…), Into Love / Stars nous ramène d’emblée en des contrées familières. Quelques notes de piano, des synthés dans la distorsion sonore, la douceur mélancolique imitable de la voix de Markus Acher, le sublime est à portée de main même si The Notwist aime à nous surprendre avec une deuxième partie du morceau laissant les machines prendre subtilement le pouvoir. La construction de ce morceau révèle toute la créativité du groupe… Exit Strategy To Myself se rappelle ensuite aux bons souvenirs des premiers albums, les machines et les guitares nous proposent un post-rock sépulcral qui saura satisfaire tous les fans de Mogwai et Archive. Passée cette sublime parenthèse d’une grande intensité, on retrouve la mélancolie pop de Where You Find Me dans la droite lignée du début d’Into Love / Stars, ce bijou d’émotion n’est pas sans rappeler les productions du side-project Lali Puna.

On retrouve ensuite l’électro hypnotisante de Ship, morceau central du dernier EP, porté par la litanie du chant de Saya (issue du duo japonais Tenniscoats) et une fausse impression de destructuration perpétuelle. Ce titre amène sur un plateau d’argent la pépite Loose Ends (déjà présente sur l’EP Ship) qui résume à elle seule la puissance émotionnelle de cette électronica mélancolique propre à The Notwist, on a envie de fermer les yeux et de se laisser guider par Markus Acher dans cette parenthèse enchantée… La guitare finale apporte ce supplément d’âme et refuse une linéarité trop prévisible. Les morceaux s’enchaînent avec brio: l’exploration free-jazz d’Into The Ice Age sublimée par Angel Bat Dawid et évoquant le travail de Radiohead, le groove fantomatique de Oh Sweet Fire porté par la voix trip-hop de Ben LaMar Gay, l’intermède candide de Ghost ou encore la pop plus classique de Sans Soleil.

La fin de l’album nous apporte encore de très beaux moments avec la pop mélancolique de Night’s Too Dark qui m’évoque le premier album Happiness de Sébastien Schuller, l’univers plus électronique de Al Sur où la voix modifiée de Juana Molina fait mouche ou encore le bijou de douceur final Into Love Again avec Zayaendo en featuring qui nous rappelle que la musique des Allemands de The Notwist reste un refuge dans lequel il fait bon se ressourcer. Cet album prend une place de choix au milieu d’une discographie d’une grande richesse, et vous quelle place allez-vous lui donner? Bonne écoute à tous, enjoy!

Sylphe

Pépite intemporelle n°70 : Groove Holmes (1992) des Beastie Boys

R-49894-1439668888-2529On ne fera ici l’affront à personne de présenter les Beastie Boys. Né dans la sueur du punk hardcore à la toute fin des années 1970, le groupe new-yorkais fera pendant 25 ans les belles heures du hip-hop, avant de s’éteindre en 2014, suite au décès d’Adam MCA Yauch survenu en 2012. Le premier album Licensed to Ill en 1986 pose les bases du son et de l’énergie Beastie Boys, avant que bien d’autres titres enrichissent le parcours d’un groupe qui a marqué à jamais l’histoire de la musique. Sure Shot (1994) sur Ill Communication ou Make some noise (2011) sur Hot sauce committee Part Two font partie de mes sons préférés, mais tout est bon chez les Beastie.

Y compris un album-compilation un peu ovni tombé dans les bacs en 1996. The In Sound from Way out ! est une galette qui regroupe uniquement des instrumentaux du trio. Toutefois, des instrumentaux pas vraiment hip-hop puisque les différents titres retenus lorgnent plutôt du côté du groove 70’s, à grands coups de pédale wah-wah sur les guitares, de ligne de basse rondes comme un son de Lalo Schifrin, et même ici et là de quelques pointes de didgeridoo et d’ambiances tibétaines. Bref, on ne s’ennuie pas un instant au long des 40 minutes de ce chouette album et de ses 13 pépites.

Au milieu de tout ça, il y a Groove Holmes (initialement paru sur Check your head en 1992) et ses caresses sonores, avec des riffs d’orgue jazz en ouverture, une rythmique hautement lumineuse et des réponses de guitare comme des olives marinées pour accompagner un bon verre de vin. C’est légèrement enivrant et suave sans jamais écœurer et ça réveille tout en donnant envie de se prélasser encore un peu sous la couette. Si un jour on est invités par Yann Barthès sur Quotidien (on peut rêver non ?), et que pour la playlist des invités il me faut choisir le morceau pour une nuit d’amour, je pourrais très bien répondre Groove Holmes. Et plein d’autres choses, parce que ce titre ne dure que 2 minutes 30. On peut aussi le laisser tourner en boucle, ou écouter le reste de l’album. Et déguster un verre en s’abandonnant dans le regard doux et complice qui veut bien nous accompagner.

Raf Against The Machine