Pépite du moment n°133 : New Gold (2022) de Gorillaz feat. Tame Impala & Bootie Brown

500x500De la plage à l’île, il n’y a qu’un pas. Sorti le 24 février 2023, soit presque 13 ans jour pour jour après Plastic Beach, le nouvel album de Gorillaz nous balade sur Cracker Island. Dix titres de haute volée, comme toujours chez Gorillaz, pour une galette qui s’ouvre sur le titre éponyme Cracker Island et se refermer une quarantaine de minutes plus tard avec l’ivresse d’un voyage musical d’une efficacité redoutable. Rappelons que Gorillaz est avant tout Damon Albarn, leader et chanteur de Blur. Ce groupe de pop anglaise a fait les beaux jours des 90’s essentiellement, en étant actif de 1989 à 2003, avant d’être réactivé en 2009. Un nouvel album est d’ailleurs prévu pour le 21 juillet prochain. Durant les années Blur, mais aussi les années de pause, Damon Albarn s’est offert quelques projets alternatifs. Si l’on peut penser à The Good, the Bad and the Queen, supergroupe rock fondé en 2006 et composé de musiciens venus notamment des Clash et de The Verve, Gorillaz est la formation qui nous vient plus immédiatement en tête. Grâce, peut-être, au premier album sorti en 2001 avec ses incroyables 5/4, Clint Eastwood ou Latine Simone. Un premier opus régulièrement suivi d’une production aussi pléthorique que passionnante à découvrir à chaque fois.

Cette année 2023 est celle de Cracker Island, huitième album studio du groupe virtuel. Oui, virtuel car, rappelons-le, Gorillaz c’est avant tout Damon Albarn, accompagné de musiciens virtuels et totalement inventés avec son compère Jamie Hewlett. Néanmoins, pas si virtuel que ça, puisque Gorillaz s’adjoint régulièrement les services d’autres musiciens en chair et en os. Les fameux featuring, qui permettent à la formation de ne jamais s’enfermer dans un genre précis, pour multiplier les ambiances et styles musicaux. Le New Gold qui nous intéresse aujourd’hui est typique de cette recherche artistique. Sorti initialement en single le 31 août 2022, le morceau invite Tame Impala et Bootie Brown. D’un côté, une sorte de jumeau artistique de Gorillaz, puisque Tame Impala est un groupe/projet musical de pop-rock psychédélique initié par le musicien multi-instrumentiste australien Kevin Parker. Ce dernier compose et enregistre la totalité de ses créations seul, même s’il retrouve des musiciens sur scène lors des tournées. De l’autre, Bootie Brown, rappeur américain et membre fondateur de The Pharcyde. Pur produit du son hip-hop West Coast, Bootie Brown apporte son flow efficace et généreux.

Il résulte de ce mélange un titre qui navigue sans cesse entre la pop électro, le rap West Coast et une sorte de funk disco qui ne laisse insensible et immobile aucun corps sur cette planète. New Gold est un bonbon sucré, une pilule de bonheur sonore immédiat. Sensuel à souhait, bourré d’énergie suave et de douceurs groovy, voilà bien un morceau qui ne peut qu’éclairer votre journée et la faire se dérouler de la meilleure des façons. Que voulez-vous de plus ? Un dimanche de repos et du soleil plein la peau ? Ça tombe bien. On est dimanche, et le soleil va régner comme jamais. New Gold.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°133 : Road Trippin’ (1999) des Red Hot Chili Peppers

61QO9SogAULEn ce jeudi qui prend, pour certains, la forme d’un jour férié inaugurant un repos de plusieurs jours, le son qui me vient est atypique dans la carrière des Red Hot Chili Peppers. Groupe de funk rock américain fondé en 1982 (oui, il y a quarante ans…), le quatuor a connu diverses compositions et une foultitude d’albums tous plus énergiques les uns que les autres. Le carton absolu qu’est l’album Blood Suger Sex Magik en 1991 les propulse au sommet de la notoriété mondiale, avec des singles emblématiques comme Give it away ou Under the Bridge. Neuf ans plus tard, tombe dans les bacs Californication, qui marque le retour dans la formation de John Frusciante, à ce jour le meilleur guitariste du groupe. L’album est bourré de pépites et alterne l’énergie originelle du groupe et des moments plus posés mais tout aussi denses. La galette a, de plus, le bon goût de se terminer avec notre pépite du jour.

Road Trippin’ clôt l’ensemble de façon inattendue : une balade acoustique débarrassée de toute batterie pour trois minutes qui invitent autant à la douceur du soleil couchant qu’à prendre la route au petit matin. C’est à la fois paisible et un poil mélancolique, intimiste et propice aux retrouvailles en petit comité, inattendu et diablement efficace. Le texte parle de partir, de quitter la ville, de vivre pleinement le moment, de se vider la tête. De ressentir la vie, de prendre le temps, d’ensoleiller nos heures et de tout oublier sauf l’essentiel. Ce titre est parfait.

Road Trippin’ marque la fin de Californication, mais se trouve aussi être le début d’une jolie virée à faire où vous voudrez, quand vous voudrez, avec qui vous voudrez. Bref, Road Trippin’ est le titre idéal pour entrer dans quelques jours de repos. Et si vous ne faites pas partie de ceux qui bénéficient de ce weekend prolongé, rien ne vous interdit de l’écouter. Road Trippin’ est suffisamment bien fichu pour que vos oreilles et votre corps vous disent simplement merci. Dont acte. On y va ?

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°132 : All my tears (2013) de Ane Brun

61jt9qehkwL._SL1200_Alors que le ciel reste désespérément gris ce dimanche, voilà un son qui va vous permettre de vous lover avec vous-même, tout en regardant la lumière au bout du tunnel. All my tears de Ane Brun affiche dix années au compteur, et fait pourtant partie de ces morceaux absolument intemporels qui fonctionnent en tout lieu et toute époque. Nous avions déjà rencontré Ane Brun sur ce blog, au travers de sa délicate et émouvante reprise de Big in Japan d’Alphaville (une chronique à relire par ici) : la délicatesse d’une guitare folk surplombée de la voix assez magique de l’artiste norvégienne. Cette dernière, qui a débuté sa carrière en 1998, compte à sa discographie pas moins de 12 albums studios, ainsi qu’une poignée de lives, singles et EP. On retrouve également son nom aux BO de séries comme Breaking Bad (oui, le Breaking Bad, excusez du peu), Bones ou encore Wallander. Notre All my tears du jour est tiré de Rarities, paru en 2013 : un album dans lequel Ane Brun a regroupé diverses chansons jamais retenues pour de précédent albums. Une sorte de compilation de B-sides et inédits pourtant de très haut niveau.

Et ce n’est pas All my tears qui nous contredira. En à peine deux minutes, Ane Brun déroule un titre qui s’insinue directement en nous. Selon la même recette que pour la reprise de Big in Japan, c’est uniquement à la force d’une guitare folk et de sa voix que la chanteuse nous émeut. Un titre qui prépare la disparition et le deuil, du point de vue de celle/celui qui ne sera plus là. Ceux qui restent porteront leur peine, mais pour la/le disparue-e, c’est la paix et la sérénité trouvée, loin de ce monde bousculant et trop souvent foutraque et illogique. « The wounds this world left on my soul / Will all be healed and I’ll be whole » : Les blessures de mon âme en ce monde / Seront guéries et je serai saine et sauve. Il y a du mystique et du religieux à fond dans ce texte, là où Ane Brun parle du Créateur, où encore de Jésus, dont le visage lumineux remplacera le soleil et la lune de ce monde.

On adhère ou pas au propos religieux, mais la sensibilité est bien ailleurs et au-delà de toute croyance. Le refrain, notamment, dont le texte et son interprétation, tout en délicatesse, sont bouleversants : « It don’t matter where you bury me / I’ll be home and I’ll be free / It don’t matter anywhere I lay / All my tears be washed away » (Peu importe où tu m’enterres / Je serai chez moi et je serai libre / Peu importe où je repose / Toutes mes larmes seront séchées). Loin d’être une chanson déprimante et noire, All my tears est un putain de baume, un titre lumineux et apaisant comme on en fait rarement, une douceur absolue qui pose des choses et repose l’esprit. Un peu comme l’est Maybe you are de Asaf Avidan (dont nous avions parlé jadis dans une autre chronique à relire par là), et que je vous remets en écoute juste après All my tears. Voilà deux chansons qui abordent des sujets profonds et sensibles, tout en les sublimant et en réussissant à nous en dire des choses simples et très touchantes, à travers simplement une guitare et une voix (et quelle double voix). Sans plus attendre, place à la douceur et à la sensibilité.

Raf Against The Machine

Reprise du jour n°11 : The Passenger (1977/1993) de Iggy Pop par Rodolphe Burger

612eSe5gfcL._UXNaN_FMjpg_QL85_Tel est (re)pris qui croyait (re)prendre : au petit jeu des reprises, nous avons parlé la dernière fois de l’incendiaire version de Louie Louie par Iggy Pop (à relire par ici si vous êtes passés à côté). Renversement de situation aujourd’hui, avec Iggy Pop à son tour repris. The Passenger voit le jour en 1977, à la fois sur l’album Lust for Life et en face B du single Success. Nous avions déjà donné voici quelques temps cinq bonnes raisons d’aimer follement ce titre (et c’est à retrouver par là pour les retardataires). L’album Lust for Life se situe en pleine période berlinoise de l’artiste, aux côtés de Bowie. Bourré de rock et de bonne énergie, il contient donc notamment ce rugueux et déjà punky The Passenger. Invitation et incitation au road trip, à l’errance et au moment présent sans autre forme de cogitation, le titre se laisse dérouler avec une fluidité jouissive. Suffisamment coulant pour se laisser emporter, et suffisamment bordélique pour s’emporter, The Passenger est un morceau qui figure en bonne place dans les classiques incontournables que j’aime retrouver au détour de mes playlists et de mes propres errances.

Maintes fois repris, The Passenger s’offre en 1993 une version des plus touchantes et mélancoliques. Rodolphe Burger, chanteur/leader du groupe Kat Onoma, publie en cette année Cheval-Mouvement, son premier album solo. Si ces deux noms ne vous disent rien, courez donc écouter autant Kat Onoma que Rodolphe Burger. D’un côté, un groupe actif de 1980 à 2004 qui n’a aucun équivalent. Mélangeant rock et jazz pour des expérimentations toujours plus captivantes, la formation a fait les beaux jours de bien des amateurs de musique. De l’autre, son leader Rodolphe Burger, musicien et chanteur classé dans le rock indépendant, qui passe pourtant son temps à explorer diverses créations musicales. En témoigne son Cheval-Mouvement, un bien bel et assez intimiste album que j’ai écouté en boucle jadis, jusqu’à en bousiller la cassette (la quoi ?), avant de le retrouver plus tard en CD. Au beau milieu de l’album figure la version de The Passenger de Rodolphe Burger. Presque pas rock, plus lancinante et sereine, quasiment une balade légèrement électrisée : la relecture est sublime, à la limite d’être une autre chanson. C’est le titre idéal à écouter sur la route, au soleil couchant ou levant, les yeux perdus dans la vie et le moment qui passe. En somme, la même essence de liberté et de plaisir que celle qui coule dans les veines de l’original d’Iggy Pop.

Deux versions d’une même idée d’évasion autant que de passage furtif. A l’image de notre propre passage, ici-bas ici même. Simples passagers temporaires en ce monde… voilà peut-être aussi pourquoi The Passenger fonctionne aussi bien. Parce qu’il vient toucher l’idée que le temps à passer ici doit être à la fois le plus rock, le plus jouissif, le plus libre, sans chercher à donner un sens à tout. Profiter du moment qui est là. Pour ce qu’il est et ce qu’il nous apporte. Tout comme il s’agit de profiter de ce double son, doublement parfait. Tellement parfait que je le retiens dans sa version Rodolphe Burger pour le jour où mon propre passage s’arrêtera. Si toutefois j’ai des obsèques et quelques proches et amis pour m’y accompagner, je leur fais entière confiance pour choisir de belles musiques. Mais, s’il vous plaît, pensez à glisser celle-là.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°131 : In this world (2002) de Moby

71XuIr3zLsL._SL1300_Du haut de ses 45 ans de carrière (oui, depuis 1978) et de ses 57 ans (oui, déjà), Richard Melville Hall aka Moby n’en finit plus de nous délivrer des compositions qui sont aujourd’hui inscrites dans l’inconscient collectif. Qu’il s’agisse de l’énergique Honey, du délicat Porcelain, du viscéral Natural blues (tous trois sur l’incontournable album Play en 1999), ou encore du pop électro We are all made of stars et du groovy Extreme ways, titre BO de la saga cinéma Jason Bourne (présents eux sur 18 en 2002), nombre de ses morceaux sont devenus presque instantanément des classiques. Et nous ne regardons là que deux albums. On pourrait encore citer l’excellent Hotel (2005), ou plus récemment Reprise (2021), publié sur le prestigieux label Deutsche Grammophon habituellement dédié à la musique classique. Dans cet opus, Moby réenregistre 14 titres avec le Budapest Art Orchestra, démontrant ainsi la richesse et la profondeur de ses compositions. La démonstration n’est plus à faire. Moby est un grand artiste, et nous l’allons voir en revenant sur l’album 18 et In this world, un de ses titres phares.

Titre d’ouverture de 18, In this world nous cueille d’entrée de jeu par un sample vocal de Lord, don’t leave me des Davis Sisters, groupe américain de gospel fondé en 1947 et qui officia jusqu’au début des années 1980. Le sample se mêle à la voix de Jennifer Price. La voix est puissante, pénétrante, subtile, imparable. Tout comme la musique de Moby. L’alliance est parfaite. Mais la perfection ne s’arrête pas à ces samples. Moby ajoute des notes de claviers et des percussions en arrière fond, avant de plaquer une rythmique dans laquelle programmation et piano communient. C’est brillant. Mais la brillance va encore plus loin. Dès la vingtième seconde, et comme une récurrence, une nappe de synthés vient soutenir l’ensemble. Cette nappe de synthés, nous la connaissons déjà. Nous l’avons déjà entendue. C’était 3 ans plus tôt, déjà chez Moby, sur l’album Play.

Plus précisément, dans le titre My weakness (chronique d’il y a quelques temps, à relire par ici), qui refermait l’album Play. Souvenez vous de ce merveilleux morceau, qui débutait lui aussi par des voix, mais bien plus aériennes et mystérieuses que le sample de In this world. La nappe de synthés dont nous parlons arrive à partir de 1 minute 10 dans My weakness et accompagnera pendant près de 2 minutes ce voyage hors de toute réalité. Comme un clin d’œil à ceux qui suivent, Moby reprend dans In this world et en ouverture de 18 cette nappe de synthés qui refermait Play. My weakness/In this world : comme un message subliminal. Ce monde qui est le nôtre, qui sait nous donner des forces et la force, mais qui est aussi notre faiblesse (weakness).

Pour aller un peu plus loin, rappelons nous que My weakness illustrait une des plus belles scènes (peut-être la plus belle) de la série X-files. A savoir le dénouement du double épisode Délivrance (10e et 11e au cœur de la saison 7). Fox Mulder y apprend enfin ce qui est arrivé à sa sœur mystérieusement disparue des années plus tôt. Loin de tout délire d’enlèvement extraterrestre, la réponse est bien plus terre à terre et dramatique. Or, que voit-on dans le clip de In this world ? Une poignée de petites créatures extraterrestres qui tentent, tant bien que mal, d’établir un contact avec la Terre et ses habitants, bien indifférents à la présence de ces êtres venus d’ailleurs. In this world et son clip en 2002 feraient-ils, eux aussi, un clin d’œil à cet épisode fondamental de X-files sorti lui à la charnière 1999-2000 ? D’un monde à l’autre, rien n’est moins sûr, mais j’ai envie de le penser.

Il est désormais grand temps de laisser la place à la musique : In this world, accompagné de My weakness pour se le remettre en tête si besoin. Et pour retrouver, d’un titre à l’autre, cette nappe de synthés si envoûtante et hors du temps.

Raf Against The Machine

Reprise du jour n°10 : Louie Louie (1957/1993) de Richard Berry par Iggy Pop

415SV1ETGDLVoilà un moment que nous n’avons pas exploré le champ des reprises en tout genre. On se rattrape sans plus tarder en se penchant sur Louie Louie, classique du rock qui connut moult versions depuis sa naissance en 1957. Nous n’allons pas toutes les égrener : pour cela, il faudrait presque un blog complet consacré à ce seul morceau. Néanmoins, attardons nous sur 3 versions et demi de la chanson. Pourquoi demi ? Nous l’allons voir sous peu. Pour resituer l’action, Louie Louie a été écrite et interprétée originellement par Richard Berry et son groupe d’alors The Pharaohs. Richard Berry le musicien américain né en 1935 et décédé en 1997, et non pas le comédien français qui mange des yaourts Sveltesse face caméra. Louie Louie paraît initialement en face B du 45 tours You are my sunshine, et raconte l’histoire d’un marin qui explique à un barman nommé Louie qu’il doit partir en Jamaïque retrouver sa fiancée. Le titre est très marqué par un rythme calypso. Face B et rythm and blues aux sonorités des caraïbes : autant dire que rien ne prédestinait Louie Louie à devenir le classique rock que l’on connaît. C’est cette première version disponible ci-dessous à l’écoute.

Il faudra attendre 1963 et une reprise par The Kingsmen pour voir Louie Louie glisser tranquillement mais sûrement sur le terrain rock. Le groupe, originaire de Portland et considéré comme précurseur du garage rock, revisite le titre en y injectant de la guitare électrique, de la basse, une batterie et un chant bien plus rugueux que celui de Richard Berry. Un chant parfois marmonné par Jack Ely, chanteur de la formation. Ce dernier, n’ayant pas saisi toutes les paroles, fait parfois du yaourt (finalement, on y revient), et laisse penser aux autorités qu’il chante en réalité des obscénités. La chanson fera même l’objet d’une enquête du FBI en 1964. Autres temps, autres mœurs. Si le FBI avait su, à l’époque, que Louie Louie serait plus tard revisité par un des groupes et son chanteur des plus provocants, il aurait rangé son enquête fissa.

Au cœur des années 1970, Iggy Pop & The Stooges vont s’approprier Louie Louie sur l’album Metallic KO (1976). C’est la demi version dont je parlais plus haut. Non pas qu’elle soit minime ou faite à moitié. Le son est bien celui des 70’s rock. Radicalement plus sec et électrique que celui de The Kingsmen, il fait entrer le titre dans ce qu’il y a de plus punk avant l’heure et de plus sauvage. Surtout, cette interprétation préfigure celle qu’en donnera Iggy Pop en 1993 sur son album American Cæsar. Dans un joyeux bordel rock fait de guitares saturées surplombées par une voix inimitable, le chanteur américain défenestre littéralement la douce et chaloupée version originelle de Richard Berry. Si on vous demande un jour ce que c’est le rock, voilà possiblement un début de réponse : un titre initialement paru en face B d’un 45 tours qui vit sa vie depuis maintenant 66 ans au gré des reprises et revisites en tout genre. Dans le respect de l’original, en ajoutant à chaque fois une énergie brute et vitale que les anciens n’avaient pas envisagé ou osé. La rock attitude, c’est maintenant et c’est ici.

Pépite du moment n°132 : A Child’s Question, August (2023) de PJ Harvey

hqdefaultCe mercredi 26 avril est marqué par le retour (et quel retour) de PJ Harvey. Celle qui domine du haut de ses désormais 53 ans le rock indépendant/alternatif parfois teinté de folk depuis maintenant 31 ans nous revient au travers d’un single disponible depuis quelques heures, A Child’s Question, August. La grande question était de savoir vers quel terrain musical PJ Harvey allait nous emmener. Depuis Dry (1992) qui reste à mes yeux un des plus grands albums de rock qui existe, elle n’a eu de cesse d’explorer différentes facettes du rock, puis de la musique en général. Souvenons nous du premier virage Is this desire ? (1998), qui amenait tout autant des sons électros que des balades folks mélancoliques, ou encore du choc White Chalk (2007) qui ouvrit la porte à Let England Shake (2011) et The Hope Six Demolition Project (2016). Ces deux dernières galettes sortent du terrain rock pour aller visiter des compositions plus expérimentales, introduisant des instruments assez rares voire inédits dans le milieu rock. Sept années déjà que nous étions sans nouvelles compositions de PJ Harvey, sept années d’une forme de manque malgré le gargantuesque coffret B-Sides, Demos & Rarities sorti l’an dernier et qui n’a toujours pas fini de me fasciner.

L’annonce d’un nouveau single a donc forcément attisé ma curiosité. A Child’s Question, August est disponible à l’écoute depuis ce matin. Et c’est une petite merveille. Un titre très posé, avec une dose de mélancolie, mais incroyablement envoûtant. Il me rappelle des titres comme The River (sur l’album Is this desire ?) par son côté traînant, magnétique, enveloppant. La trame musicale est d’une sobriété à toute épreuve mais diablement efficace, notamment pour servir de support à la voix de PJ Harvey. Et, une nouvelle fois, quelle voix. En un titre d’à peine 3 minutes, la chanteuse en exploite toute l’étendue, passant des notes les plus hautes pour les couplets aux graves les plus posés pour le refrain. Cerise sur le gâteau : le clip qui accompagne cette nouvelle pépite est d’une beauté incroyable. Réalisé par Steve Gullick en quasi noir et blanc du début à la fin, les images s’enchaînent au son de A Child’s Question, August comme si musique et visuels avaient toujours été là et s’étaient enfin trouvés pour notre plus grand plaisir.

PJ Harvey est de retour avec ce single, en prélude à un futur album intitulé I Inside The Old Year Dying, à paraître le 7 juillet prochain. D’ici là, je vous laisse découvrir ce magnifique A Child’s Question, August.

(Visuel tiré du clip by Steve Gullick)

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°130 : New soul (2007) de Yael Naim

51XzCuVbkAL._SX355_Envie d’une petite pépite feelgood en ce dimanche ? On a ça en stock. On en a même un bon paquet, duquel nous allons sortir aujourd’hui New soul de Yael Naim. Premier single et succès immédiat de l’artiste franco-israélienne, cette chanson contient déjà tout le talent d’une auteure-compositrice qui nous ravit à chaque création. Si New soul est très connoté pop-folk, Yael Naim commence par étudier la musique classique durant une dizaine d’années, avant de se tourner vers un savant mélange de pop/folk/jazz. A partir de 2000 (soit à peine âgée de 22 ans), elle participe à des projets divers comme la comédie musicale Les Dix Commandements ou encore la BO du film Harrison’s Flowers, tout en sortant un premier album dès 2001, In a Man’s Womb. L’année 2004 sera déterminante pour elle : elle commence à travailler avec David Donatien, pour aboutir en 2007 à l’album Yael Naim porté par le single New soul.

N’y allons pas par quatre chemins : New soul est une pépite de douceurs et de couleurs. L’ouverture se fait sur des accords de piano, vite rejoints par la jolie voix de Yael Naim. Viennent ensuite se greffer d’autres instruments et musiciens pour une ritournelle collective pop/folk qui me fait immanquablement penser à l’esprit qui régnait lors de la tournée 1975 de Bob Dylan. Celle-là même qui est retracée dans le très chouette documentaire Rolling Thunder Revue de Martin Scorsese (dont nous avions parlé voici quelques temps, à relire ici). Ce n’est pas le clip de New soul qui me fera changer d’avis, notamment dans sa deuxième moitié avec l’arrivée desdits musiciens. Ces images se confondent dans ma tête avec quelques-unes du film de Scorsese.

Le texte apporte lui aussi son lot de douceurs. Yael Naim y alterne paroles réalistes sur un monde étrange où l’apprentissage de donner et recevoir est parfois délicat, et mots rassurants qui contrebalancent ce constat par petites touches : de la sérénité, une note d’espérance, une main. Autant dire de la lumière. Quant au clip (déjà évoqué), c’est lui aussi une petite merveille que je vous laisse revoir ci-dessous. Lorsque les images collent et répondent ainsi à la musique, on peut parler de multi-pépite.

Ceci est New soul de Yael Naim, dont vous pouvez écouter les autres compositions. Il n’y a vraiment pas grand-chose à jeter dans la carrière de cette artiste, qui sait aussi nous toucher au travers de reprises assez magnifiques. On se souvient notamment de son Quand on a que l’amour de Brel en 2015 (suite aux attentats du 13 novembre), ou plus récemment de sa version du Chant des partisans. Mais c’est une autre histoire, dont nous reparlerons peut-être. Pour l’heure, écoutons New soul dans la plus grande des douceurs.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°131 : GBLTM (Studio outtakes) (2013/2023) de Daft Punk

512oeUxsIzL._SY355_Le 12 mai prochain, vous aurez (au moins) deux bonnes raisons de faire chauffer la CB. Sortira d’une part le nouveau et très attendu Zelda – Tears of the Kingdom pour les afficionados du gaming et de la Switch. D’autre part, vous pourrez aussi vous procurer Random Access Memories (10th Anniversary Edition), à savoir la réédition du désormais dernier album de feu Daft Punk. Faut-il voir là un appel des sirènes capitalistes et mercantiles, ou une possibilité de profiter plus largement d’un des grands albums et grands groupes de notre temps ? Nous en jugerons plus tard, lorsque la totalité de la galette rééditée sera disponible : à savoir l’album originel augmenté de 35 minutes de musique inédite, soit 9 morceaux (et d’un poster avec l’édition vinyle, le goodie collector qui sait faire la différence pour les bons ienclis). Annoncé à tout de même 40 euros la triple galette vinyle, on y réfléchira à deux fois tant l’objet incarne la flambée des prix pour ce support musical déclaré moribond voici une bonne vingtaine d’années. Je m’égare : nous sommes avant tout là pour écouter de la musique.

C’est précisément ce que nous allons faire avec GBLTM (Studio outtakes), un des 9 titres inédits disponibles sur cette réédition de Random Access Memories. Inédit ? Pas tant que ça. Derrière ce titre énigmatique et quelque peu imprononçable se cache une version alternative de Give Life Back To Music, morceau d’ouverture de l’album. Version alternative et entièrement instrumentale. Les voix ont disparu, de même que la guitare de Nile Rodgers qui donnait un sel incomparable à ce titre groovy à souhait. On y gagne en revanche une version bien plus orchestrale qui fait la part belle aux violons et piano solo. Une chose n’a pas bougé : la basse. Toujours omniprésente, très en avant et gonflée aux vitamines disco-funky. Il en résulte une version diablement efficace, qui rappellera (autour de la 3e minute notamment) certains accents du Don’t let me be misunderstood revisité par Santa Esmeralda en 1977. Un carton disco à l’époque, remis en avant en 2004 par Quentin Tarantino dans la BO de Kill Bill.

Tout cela ne nous aide pas à savoir si nous flamberons 40 euros le 12 mai prochain. Néanmoins, une chose est sûre : laissez vous aller et démarrez ce weekend gris et maussade avec du soleil dans les oreilles : GBLTM (Studio outtakes), suivi de sa version album 2013 Give Back Life To Music, et pour finir en bonus le Santa Esmeralda, histoire de comparer tout ça et prolonger le plaisir.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°129 : Ryūichi Sakamoto (1952-2023)

1200x1200bf-60Après Leiji Mastumoto, décédé en février dernier, le Japon a perdu ces derniers jours un autre grand artiste. Ryūichi Sakamoto s’en est allé le 28 mars dernier. Si ce nom ne vous dit rien, nous allons resituer un peu le personnage, en nous focalisant sur deux temps musicaux majeurs de la carrière de ce grand monsieur. A la fois musicien, compositeur, producteur, chef d’orchestre et acteur, Ryūichi Sakamoto voit le jour en 1952 à Tokyo. Très inspiré par la musique impressionniste de Debussy et Ravel, mais aussi la pop rock des Beatles et des Stones, Sakamoto suit des cours à l’Université des beaux-arts et de la musique de Tokyo. Il y étudie tout à la fois la composition, la musique ethnique et la musique électronique. Musique électronique qui, dans le courant des années 1970, prend précisément son essor via le développement des synthétiseurs comme les incontournables Moog. Ryūichi Sakamoto sort dès 1975 de premiers enregistrements, sur lesquels il travaille comme claviériste ou arrangeur.

Il faut se transporter en 1978 pour voir naître le groupe fondamental et fondateur de la carrière de Sakamoto. Le Yellow Magic Orchestra publiera 8 albums studios entre 1978 et 1983, auxquels il faut ajouter un neuvième en 1993. L’essentiel des pépites du Yellow Magic Orchestra se situe donc à la charnière des années 1970 et 1980, avec des morceaux comme Tong Poo (1978), Technopolis (1979) ou encore Nice Age (1980). Si vous n’avez jamais entendu parler de ce trio, dites vous qu’il a été porteur de l’essor de l’électro sous différentes formes : électropop, synthpop, ambient house et electronica. Influencé par la musique de Kraftwerk, le Yellow Magic Orchestra est précisément à l’Orient ce que le groupe allemand fut à l’Occident dans le développement de l’électro. Le Yellow Magic Orchestra mis en sommeil, Ryūichi Sakamoto poursuivra dès les années 1980, et jusqu’aux années 2010, une foisonnante carrière au cours de laquelle il n’aura de cesse de repousser les explorations électro en allant jusqu’au rap et la house music dans les années 1990, tout en travaillant aussi autour des musiques du monde avec, par exemple, deux albums de bossa nova au début des années 2000.

En Occident, Ryūichi Sakamoto est également connu pour une autre facette de sa carrière : celle de compositeur de musiques de films. A commencer par Furyo (1984), dans lequel Sakamoto tient également un des rôles principaux face à David Bowie. C’est pourtant ses talents de musicien qui seront récompensés, puisque la BO de Furyo décrochera le BAFTA de la meilleure musique de film. On écoutera ci-dessous le magnifique thème Merry Christmas, Mr. Lawrence en version originale (parfaite synthèse du double travail électro/musiques du monde), mais aussi interprété en piano solo par maître Sakamoto himself. Tout simplement magique. Quatre années plus tard, c’est l’Oscar de la meilleure musique de film qui récompense Ryūichi Sakamoto pour la BO du Dernier empereur de Bertolucci. Si l’on retient les BO de ces deux films, on peut aussi se souvenir de celles d’Un thé au Sahara (1990), Talons aiguilles (1992), Snake eyes (1998) ou plus récemment Babel (2006) et The Revenant (2015), cette dernière en collaboration avec Alva Noto. Autant de compositions diverses qui donnent un aperçu du pléthorique travail de Sakamoto au fil de ses années de carrière.

Une œuvre emplie de pépites, que vous pouvez aller découvrir en piochant ce que bon vous semble. Il faut des heures et des heures d’écoute pour faire le tour de la question, et mesurer la perte artistique que représente la disparition de Ryūichi Sakamoto. Comme pour tous les artistes disparus, le plus bel hommage consiste à faire vivre leur travail. Nous y apportons ici une infime et modeste contribution, en vous donnant à écouter deux titres du Yellow Magic Orchestra, puis le magnifique thème de Furyo. Bonne écoute, et merci maître Sakamoto.