Pépite intemporelle n°143 : Aventine (2013) de Agnès Obel

Agnes-Obel-album-cover-AventineEt si l’on écoutait un peu de musique raffinée en ce samedi, en remettant sur la platine Agnès Obel ? Retour en 2013 avec l’album Aventine, une des pépites intemporelles de ma discothèque. Il y eut bien sûr Philarmonics, premier opus de l’auteure-compositrice-interprète danoise sorti en 2010, et son lot de titres tous plus beaux les uns que les autres. Pourtant, l’artiste relèvera haut la main le défi du deuxième album avec un Aventine de fort belle facture, au moins aussi bien réussi que son prédécesseur. Le disque s’ouvre sur un Chord left des plus épurés, mais également au titre des plus ironiques puisque les cordes sont bel et bien présentes dans ces compositions d’Agnès Obel. De belles et profondes nappes qui soutiennent les mélodies dès Fuel to fire, deuxième morceau dans l’ordre d’écoute. La présence des cordes ne s’arrête pas à un soutien musical, puisque plusieurs compositions leur laisseront toute la place. C’est par exemple le cas de Run cried the crawling, ou encore de The curse.

C’est également le cas dans Aventine, quatrième morceau du même nom que l’album. Le titre repose sur une élégante base de cordes en pizzicato, auxquelles se rajoute un violoncelle en cordes frottées, dans ses tonalités les plus basses. Il en résulte un envoûtant mélange de légèreté et de mystère quelque peu inquiétant. Aventine est une composition tout en contraste, entre lumière et noirceur, entre apaisement et tension. Agnès Obel n’a plus qu’à poser sa voix dans cet écrin musical, et en jouer comme d’un instrument à part entière. On obtient ce qui est à mes yeux un des plus beaux morceaux de l’artiste, mais également un des plus riches et denses émotionnellement. En à peine plus de 4 minutes, elle parvient à nous entraîner dans un imaginaire poétique qui mêle douceur et mélancolie avec une grande élégance. On ne s’en étonnera finalement pas, compte-tenu de la classe et de la grâce des compositions d’Agnès Obel.

On ne s’en étonnera pas, mais on s’en émerveillera toujours un peu plus à chaque écoute d’Aventine, le titre comme l’album. On vous propose ici le morceau, suivi pour le plaisir du Fuel to fire précédemment cité. Il vous reste ensuite à plonger dans le reste de l’album, et si le cœur vous en dit, dans la discographie d’Agnès Obel à la recherche d’autres pépites intemporelles que vous n’aurez aucun mal à dénicher.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°141 : Cape Forestier (2024) de Angus & Julia Stone

439735Ce début 2024 marque le retour musical des Stone. Pas les Rolling, mais Angus et Julia, autrement dit le duo frère/sœur qui fait le bonheur de nos oreilles depuis déjà cinq albums. Il faut remonter en 2017 et à Snow pour se régaler de leur dernière galette studio. Depuis, silence radio à l’exception de l’excellente BO du jeu vidéo Life is strange : True Colors datant de 2021. On se souviendra aussi qu’après leurs deux premiers albums A book like this (2007) et Down the way (2010), le duo australien s’était mis en sommeil. Il aura fallu toute l’énergie du producteur Rick Rubin pour les sortir de leur pré-retraite, avec à la clé l’album Angus & Julia Stone (2014), à ce jour leur plus gros succès. Autant dire que l’absence de nouveau son stonien depuis plusieurs années laissait penser à une nouvelle période de silence, peut-être même définitive. C’est donc avec un immense plaisir que l’on a appris le mois dernier le retour d’Angus & Julia Stone, et quel retour : un sixième album studio intitulé Cape Forestier annoncé pour le 10 mai 2024, une tournée internationale dans la foulée, et pour lancer le tout, un premier extrait The wedding song.

Un mois plus tard, nos deux folkeux préférés nous déposent Cape Forestier, second single et extrait de l’album à venir. Autant le dire tout de suite : si les 12 titres du disque sonnent comme ces Cape Forestier et The wedding song, on tient peut-être là l’opus le plus intimiste, le plus fragile, mais aussi le plus beau et le plus touchant d’Angus & Julia Stone. Démarrant sur une petit boîte à rythmes trompeuse, le titre revient très vite à ce qui fait la magie du duo. Une guitare folk, quelques traits d’une autre électrique, le tout soutenu par une rythmique des plus élégantes et discrètes, pour une balade folk absolument renversante. Les voix y sont aussi pour beaucoup. Les voix, car sur Cape Forestier, Angus et Julia mélangent leurs deux voix comme jamais. Angus porte le texte principal, mais Julia n’est pas en reste et vient doubler certaines phrases, comme au-dessus, en amont, en écho, en réponse. Il en résulte un titre d’une finesse et d’une émotion puissantes.

Cape Forestier a la douceur du soleil levant au travers des arbres, d’un coucher de soleil sur la mer, et entre les deux d’un café ou d’un verre de vin en terrasse, d’une balade dans le calme de la nature, d’une paisible journée de vacances, de la vie qui se déroule à son rythme. Angus & Julia Stone c’est tout ça et bien plus. C’est avant tout de la musique douce et caressante qui fait un bien fou, qui apaise et que l’on adore écouter et réécouter. Cape Forestier signe un retour plus que prometteur, dont on vous laisse apprécier la délicatesse en écoutant ce nouveau single. Histoire de confirmer, vous pourrez aussi écouter à la suite The wedding song, autre petit bijou d’écriture et d’interprétation. Pour les plus fans, l’album est déjà en précommande (CD et vinyle) chez tous les bons disquaires. Quant à la tournée, elle s’arrête en France pour quelques dates en mai et juin à Lille, Nantes, Marseille et Paris. Les places partent comme des petits pains tout chauds. Il est néanmoins encore possible d’en attraper pour découvrir sur scène la folk sensible, ciselée et émouvante de ce duo décidément incroyable et follement envoûtant.

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°18 : Grease (1978) de Frankie Valli/Barry Gibb

71JhrIASJLL._UF1000,1000_QL80_Ce samedi nous gratifie d’une météo toute grise, alliant pluie, froid et vent. Une ambiance qui va de pair avec une actualité bien grise elle aussi. Pas de quoi se réjouir me direz-vous ? Et bien si, puisque c’est précisément les conditions idéales pour se plonger dans un peu de bon son et partir à la recherche d’un antidote à tout ce gris. Certains fouilleront dans leurs discothèques ou leurs playlists, d’autres chercheront un film positif et léger. Pourquoi pas les deux ? Grease est à la croisée de nos recherches, et pourrait bien être le parfait contrepied à cette grise journée (#sansaucunmauvaisjeudemots). Sorti en 1978 et réalisé par Randal Kleiser, le long métrage est l’adaptation cinématographique de la comédie musicale éponyme créée par Jim Jacobs et Warren Casey en 1972. Placée en 1958, l’action raconte l’histoire d’amour entre Danny Zuko (John Travolta), chef de la bande des T-Birds, et Sandy Olsson (Olivia Newton-John), australienne en vacances aux Etats-Unis qui sera bien vite entourée par les Pink Ladies menée par Betty Rizzo. Garçons en blousons noirs versus filles en rose au cœur du lycée Rydell High, avec en bonus la rivalité entre les T-Birds et le gang ennemi des Scorpions, Grease pose tous les ingrédients de la comédie romantique avec ses clichés, ses quiproquos et son énergie vivifiante.

Une énergie que le film démultiplie au travers de sa bande originale. Etant originellement une comédie musicale, Grease réalise le crossover parfait pour devenir une imparable comédie romantique musicale. La soundtrack est un savant mélange de rock’n’roll, de boogie-woogie et de pop qui rencontrera un énorme succès, tant l’album que les différents singles. Parmi ces derniers, on retiendra en début de film le célèbre Summer Nights, narration très subjective par Danny et Sandy de leurs amours estivales, ou encore l’énergisant You’re the one that I want qui les fait se rejoindre à la fin. Entre ces deux pépites musicales, l’insouciance de la fin des années 50 déroule ses couleurs, sa joie de vivre, ses rires. Une ambiance fort bienvenue, à rapprocher de celle de la série télévisée Happy Days, tournée entre 1974 et 1984 mais qui situe son action à la même période que Grease. Une ambiance également présente dans Retour vers le futur (1985), et notamment ses scènes en 1955.

La BO de Grease comporte toutefois un titre anachronique, et pas des moindres : son générique. Composé par Barry Gibb et interprété par Frankie Valli, ce morceau est un pur produit disco-rock, genre inexistant à l’époque où se déroule l’histoire du film. Il n’est pas étonnant que la chanson Grease porte cette coloration musicale : Barry Gibb n’est autre que le chanteur leader des Bee Gees, au sommet de leur gloire disco en 1978 lorsque sort le film Grease. Cet anachronisme ne nuit en rien, bien au contraire. Il en résulte un titre particulièrement énergique et fiévreux, qui donne instantanément envie de se déhancher et de groover comme un John Travolta sur la piste de danse un samedi soir. Entre rythmique appuyée et puissantes descentes de cuivres, Grease est notre pépite du jour, en écoute ci-dessous. Ajoutons-y en bonus Summer Nights et You’re the one that I want déjà évoqués, pour vous donner une idée du petit soleil et de la bouffée de bonne humeur que constitue le film Grease. Et si le cœur vous en dit, n’hésitez pas à vous caler au fond du canapé et à le visionner en intégralité. Vous en ressortirez possiblement comme moi au bout des deux heures : détendu, souriant, ensoleillé. Une comédie romantique parfaite, peut-être parfois un peu kitsch et datée, mais indéniablement réussie.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°142 : Girls and Boys (1994) de Blur

girls-and-boys-blur-570x570Comme une habitude qui s’installe, regardons une fois de plus dans le rétroviseur, et très précisément 30 années en arrière. Le 7 mars de l’année 1994 tombait dans les bacs le single qui allait propulser Blur au sommet des charts et dans à peu près toutes les oreilles. Girls and Boys est le titre d’ouverture de Parklife, troisième album du groupe mené par Damon Albarn, sorti en avril 1994. Pour emmener la galette, il fallait une locomotive sonore et musicale. Ce sera donc Girls and Boys, titre à la croisée du rock alternatif et de la britpop. Ce dernier courant musical, fraichement émergé et issu du rock alternatif britannique, s’incarne déjà avec Modern Life is Rubbish, deuxième album de Blur sorti en 1993. Mais son explosion viendra l’année suivante avec Parklife et son ouverture entêtante, dansante, obsessionnelle.

Girls and Boys a tout de la réussite instantanée, du tube en puissance, du titre imparable. S’ouvrant sur des notes de synthés simples mais ultra rythmées, le morceau claque dès la 18e seconde avec une section rythmique d’une redoutable efficacité. La ligne de basse groovy et ronde à souhait ne laissera aucun corps immobile. Débarquent alors la voix et la gouaille de Damon Albarn, qui apportent un ton désinvolte mais pleinement investi. Le reste appartient déjà à l’histoire de la britpop. Tout au long de ses presque 5 minutes, Girls and Boys est le bonbon impertinent à la fois sucré et acidulé dont on se gave jusqu’à plus soif… pour mieux en reprendre. Il n’y a pas une seconde de temps mort dans l’énergie déployée par Blur avec ce titre qui, aujourd’hui encore, reste une référence pour qui veut se lever et se sentir en vie.

Assez parlé : il est grand temps d’écouter cette pépite absolue. Malgré son grand âge, Girls and Boys nous donne un sacré coup de jeune lorsqu’on réalise que le titre a déjà 30 ans, mais qu’il a gardé intacte sa fraîcheur. On monte le son, et on danse sur une des pépites les plus emblématiques de la britpop.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°141 : Love on the beat (1984) de Serge Gainsbourg

516JvwfspmL._UF1000,1000_QL80_Il n’aura échappé à personne que nous étions hier le 14 février. Difficile de passer à côté de la Saint-Valentin aka la fête des amoureux, étalée sur toutes les devantures de magasins et une bonne partie des panneaux publicitaires. Que l’on souscrive (ou pas) à la formule, chacun est libre de célébrer (ou pas) cette date, de la façon qu’il le souhaite. Prolongement du 14 février, la chronique du jour n’est finalement pas si éloignée qu’il n’y parait de note sujet d’introduction. Love on the beat, sorti en 1984 sur l’album éponyme de Serge Gainsbourg, ouvre la galette de la plus funky des façons. Rompant alors avec ses deux précédents albums très teintés reggae Aux armes et cætera (1979) et Mauvaises nouvelles des étoiles (1981), Gainsbourg se tourne vers l’Amérique du Nord et des musiciens issus de l’univers funk-rock. Il en résulte un album puissant et groovy, au son très années 80 qui n’a néanmoins pas pris une ride. L’album contient également plusieurs textes qui choquèrent à l’époque, dont Love on the beat et Lemon incest, mais aussi deux titres abordant ouvertement l’homosexualité : I’m the boy et Kiss me Hardy. Love on the beat est un album court mais intense, fait de 8 titres rock, percutants, vénéneux.

Love on the beat (la chanson) en est la parfaite incarnation. Porté par une rythmique funky-groovy et soutenu par une batterie omniprésente, le titre est chaud bouillant. En 8 minutes, Gainsbourg égrène les étapes d’un rapport sexuel dans le rythme (on the beat), que l’on vous laisse découvrir. Il serait en effet maladroit, voire malvenu, de tenter de décrire avec nos propres mots ce que le poète a si bien écrit. Et qu’il livre de son phrasé si particulier, mettant sa voix unique au service d’un talking over rendant l’ensemble plus récité que chanté. Le texte peut ainsi être perçu comme un poème pornographique, ou encore comme la narration d’un moment intime de fusion et d’abandon. C’est Gainsbourg qui décrit le mieux cette exploration des sens : « Tu as envie d’une overdose / De baise, voilà, je m’introduis ». Deux lignes extraites d’un texte ciselé comme jamais, avec en toile de fond musicale l’enchevêtrement fiévreux de la basse, de la guitare qui groove, et des cris féminins qui ne laissent aucun doute sur l’intensité du moment.

Et l’amour dans tout ça me direz-vous ? C’est bien beau d’ouvrir sa chronique sur la Saint-Valentin pour ensuite nous faire écouter un titre aussi sexuellement cru, qui ne semble pas laisser la moindre place aux sentiments. D’une, chacun sa vision des choses. De deux, souvenons-nous des mots d’un autre poète. En 2002, Renaud publie l’album Boucan d’enfer, qui se referme par Mon bistrot préféré. Un lieu imaginaire où il se plaît à convoquer ses influences. On y croise pêle-mêle Brassens, René Fallet, Boris Vian, Desproges… et, dans un coin du bistrot, « Gainsbourg est au piano, jouant sa Javanaise / Et nous chante l’amour qu’il appelle la baise ». Simple question de mots et de conception des choses.

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°17 : Sucker Punch (2011) de Zack Snyder

8obc33jenym3rqpiwgtqxqbp96j-038Sorti deux ans après la claque Watchmen (2009), Sucker Punch n’a pas connu le succès critique ni d’audience qu’il méritait. Premier film de Zack Snyder à être basé sur une histoire originale, le long métrage mérite pourtant qu’on s’y attarde, pour peu que l’on accroche à l’univers du réalisateur, mais aussi que l’on apprécie les bandes originales de qualité. Sucker Punch narre le parcours de Babydoll, jeune femme internée en hôpital psychiatrique par son beau-père, après qu’elle a accidentellement tué sa petite sœur. Le beau-père se révèle être non pas l’adulte attentif qui prend soin des filles après la mort de la mère, mais bien un ignoble salopard qui ne pense qu’à lui-même pour toucher l’héritage, et n’a aucune hésitation à violenter les jeunes filles. Babydoll est destinée à subir une lobotomie, afin de ne plus pouvoir témoigner contre son beau-père. Informée de la machination, elle monte le projet de s’évader en compagnie de quatre autres jeunes femmes. Pour à la fois supporter l’internement, mais aussi élaborer le plan d’évasion, elles vont s’immerger dans un cabaret imaginaire, au sein duquel elles parcourront différents univers où récupérer le nécessaire pour s’évader.

Sucker Punch est en fin de compte l’histoire d’une évasion du réel pour préparer une évasion réelle d’un environnement insupportable. Construit comme un jeu vidéo où s’enchainent les niveaux sous forme d’univers chapitrés, le film est accompagné d’une bande originale qui dit tout dès le premier morceau. Le générique, d’une beauté assez fascinante, est porté par une reprise de Sweet Dreams d’Eurythmics, ici interprétée par Emily Browning, l’actrice qui incarne Babydoll. On entend ensuite Army of Me de Björk, dans un remix avec un featuring de Skunk Anansie. Après l’éthéré Sweet Dreams, nous voilà dans un titre bien plus rock industriel qui sied parfaitement aux scènes d’action qu’il accompagne. Accalmie avec une version du White Rabbit de Jefferson Airplane prise en charge par Emiliana Torrini. Le même lapin blanc qui accompagne Alice dans son Pays des merveilles, autre évasion mémorable s’il en est, ou encore celui que Thomas Anderson suit dans Matrix pour s’en évader et rejoindre le monde réel. La première partie de la BO s’achève sur un mash-up assez démentiel de Queen entre I want it all et We will rock you, appuyé par Armageddon aka Geddy.

La puissante BO se poursuit avec Search and Destroy de Skunk Anansie. Porté en ouverture par un clavier aérien, le titre monte soudainement en puissance et des guitares très en avant. Pas très étonnant, puisque le titre est initialement sorti en 1973 sur Raw Power, troisième album des Stooges. Autrement dit, du rock pur et dur qui colle toujours parfaitement à la folie énergique et visuelle que représentent Sucker Punch et les évasions mentales de Babydoll. Tomorrow never knows est aussi une reprise, des Beatles cette fois, puisque le titre apparaît initialement sur Revolver (1966). Revisité par Alison Mosshart de The Kills, Tomorrow never knows conserve son côté psychédélique tout en se parant d’une touche plus rock. Le titre devient ainsi une oscillation entre un morceau connu, mais aussi déformé. En quelque sorte une zone entre le réel et une version imaginaire et revisitée de ce réel. A ce stade de Sucker Punch et de sa BO, on pourrait finir par ne plus trop savoir où l’on en est. Ce qui tombe très bien, puisqu’on retrouve Emily Browing accompagnée de Yoav pour une relecture de l’incontournable Where is my mind ? des Pixies. Un son qui fait d’abord ressentir cette sensation d’égarement, comme au réveil d’un profond sommeil, ou après un moment intense lorsque l’on a perdu une partie de nos repères. Puis le rock et l’énergie reprennent le dessus. Cette énergie qui ne quitte jamais Babydoll dans sa folle entreprise d’échapper à son funeste destin.

La BO s’achève avec Asleep, là encore interprété par Emily Browning. Un titre calme et apaisé qui accompagne la fin du voyage de Babydoll. Fin choisie ou subie, évasion réussie ou délivrance forcée, chacun appréciera et on ne spoilera évidemment rien du dénouement de Sucker Punch. Un film dont on recommande la version longue non censurée, qui rétablit l’exacte narration souhaitée initialement par Zack Snyder. Dans cette même version, on retrouve également une scène entre Carla Gugino et Oscar Isaac, où ils interprètent Love is the drug : la reprise d’un titre de Roxy Music sorti en 1975, également présente sur la galette.

Sucker Punch est construit sur trois niveaux qui baladent le spectateur : la réalité, la semi-réalité et les univers imaginaires. Sa BO porte admirablement ce triptyque dimensionnel, en nous emmenant sur des titres évocateurs de l’évasion du réel, et d’autres que l’on connait déjà mais que l’on retrouve et redécouvre avec un certain décalage, comme dans un monde parallèle. Revoir Sucker Punch avec tout cela en tête, en se laissant porter par sa BO et par son spectacle visuel, permet de reconsidérer ce long métrage mal aimé, mais aussi de replacer Babydoll et ses accolytes pour ce qu’elles sont : des femmes à qui on ne la raconte pas, et qui savent retourner toutes les mécaniques qui s’acharneraient contre elles pour renverser le réel.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°140 : The Letter (2005) de Xavier Rudd

0045778683161Après avoir remis dans nos oreilles Alela Diane (chronique à retrouver d’un clic par ici), restons au milieu de la décennie 2000-2010 pour replonger dans la musique de Xavier Rudd. Chanteur et multi-instrumentiste, cet Australien de 45 ans écume les plages musicales depuis maintenant près de 25 ans. Créateur d’une musique mélangeant allègrement le folk rock, le blues et la world music, Xavier Rudd livre des titres facilement écoutables au coin du poêle, au chaud le soir ou au petit matin avec un café, ou encore autour d’un feu après une session de surf. Pas de hasard : le garçon est aussi surfeur à ses heures, et entretient avec la nature une relation des plus proches puisqu’il est également activiste écologique. Vous commencez à vous faire un portrait de l’artiste ? On peut donc poursuivre et se plonger dans une de ses pépites musicales, qui va terminer de dresser le tableau.

The Letter n’a rien à voir avec celle des Box Tops (re)popularisée par Joe Cocker (nous en avions parlé ici, et également). Celle de Xavier Rudd sent la poussière, le jour qui tombe, le bush australien. Dans une sorte de folk blues lancinant lancé par sa voix et quelques accords de guitare folk plaqués, Xavier Rudd pose une ambiance d’entrée de jeu. Pas très étonnant que le titre ouvre Food in the Belly, troisième album studio des dix que le musicien a aujourd’hui à son compteur. Voilà un son qui donne le ton, et qui se pose d’emblée entre un John Butler des débuts et un Ben Harper de ses deux premiers albums Welcome to the cruel world (1994) et Fight for your mind (1995). Belles références me direz vous. A juste titre, puisque la référence/similtude avec Ben Harper ne s’arrête pas là. Si The Letter vous rappelle des Ground on down ou God Fearing man, c’est aussi parce que Xavier Rudd et Ben Harper ont en commun une guitare bien particulière.

Parmi les nombreux instruments dont il joue, Xavier Rudd utilise, tout comme Ben Harper, une guitare de la marque hawaïenne Weissenborn. Ces six cordes ont la particularité d’être jouées à plat sur les genoux. Le guitariste en tire les notes à l’aide d’une tone bar (sorte de barre métallique) qu’il glisse sur les cordes, donnant ainsi ce son caractéristique. La guitare Weissenborn apporte ainsi à la musique de Xavier Rudd cette chaleur sonore si particulière. Il maîtrise sur le bout des doigts (#jeudemotsfacile) sa guitare, mais aussi l’entièreté de ses compositions. The Letter en fait partie. Si tout cela vous plait après avoir écouté le titre, il vous reste tout Food in the Belly à savourer. Sans aucune modération.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°139 : Tired feet (2004) de Alela Diane

AlelaDiane-the-pirateSorti il y a déjà 20 ans, l’album The Pirate’s Gospel d’Alela Diane mérite qu’on y revienne. Initialement autoproduit sur CD-R en 2004 (d’où le 20 ans d’âge), ce LP fut républié par Holocene Music en 2006. Un CD-R, c’est tout simplement un CD directement enregistrable par l’utilisateur. Alela Diane en fit bon usage à l’époque, en gravant sur ces 12 centimètres de plastique son premier opus. Et quel opus. La chanteuse américaine, alors âgée de 21 ans seulement, livre onze titres folk, teintés de blues acoustique. Comme pour nous emmener au fin fond d’une Amérique entre routes de la Louisiane et delta du Mississippi. Pour ce premier album, Alela Diane convoque tout à la fois les influences de Bob Dylan, Woody Guthrie, ou encore Robert Johnson. Oui, rien que ça.

Premier titre de la galette, Tired feet contient tout ce que les 10 titres suivants apporteront. Un folk acoustique, minimaliste et dépouillé, surplombé par la voix d’Alela Diane. Là encore, Dylan n’est pas très loin, mais plus encore Rosemary Standley, chanteuse du groupe franco-américan-suisse Moriarty. A l’écoute de ce morceau inaugural, impossible en effet de ne pas penser au Jimmy qui, lui aussi, ouvrait Gee whiz but this is a lonesome town, premier album du groupe publié en 2007. Une même intonation de voix qui mêle le nasillard et la chaleur, pour nous raconter des histoires au fil des différentes chansons. Une histoire à la fois simple et récurrente dans le folk blues des influences précitées : le voyage à pied ou à la nage, l’errance et la découverte, la fatigue et la joie, la vie et la mort, tout ceci avec une pincée divine et religieuse.

Tired feet est à la fois blues, gospel, chant améridien, folk, introspection, air et lumière. En cela, le titre rejoint immédiatement les grands classiques de ses aînés, tout en n’étant que le premier d’un album émouvant et vertigineux. Un réel voyage dans cette ruralité du sud des Etats-Unis autant qu’en soi-même. Nous n’avons parlé que de Tired feet, mais les 11 titres sont tous d’une grande beauté. Et même les 21 titres, puisque The Pirate’s Gospel est aujourd’hui disponible (et ce depuis 2018) dans une édition deluxe augmentée de 10 pistes. Que ce soit sur votre plateforme de streaming favorite, ou en CD et vinyle, impossible de passer à côté de Tired feet et de cet album majeur si vous aimez la musique folk bien faite. A noter que, si les versions CD et vinyle de 2018 sont aujourd’hui difficilement trouvables, une réédition limitée en double vinyle doré a vu le jour en novembre 2023. Faites vous plaisir, écoutez et achetez la musique d’Alela Diane.

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°16 : Godzilla Minus One (2023) de Naoki Satō

41SAgMpUZaL._UXNaN_FMjpg_QL85_Si vous aimez les films de monstres, de kaïju et le Japon, vous avez peut-être vu Godzilla Minus One en décembre dernier dans les cinémas français. Il aura fallu jouer d’un peu de chance et de disponibilité, le film n’étant projeté que les 7 et 8 décembre dans les cinémas Pathé, et exclusivement en salles Imax ou 4DX. Une incompréhensible diffusion restreinte, qui va se voir augmentée d’une ressortie sur cette deuxième quinzaine de janvier 2024. Godzilla Minus One est d’ores et déjà visible, et ce jusqu’au 31 janvier, à la faveur d’un succès critique mais aussi commercial qui ne pouvait laisser de marbre les exploitants de salles. Le long métrage est sans aucun doute le meilleur Godzilla depuis bien longtemps, loin devant le Godzilla (2014) de Gareth Edwards qui n’était pourtant pas mauvais, et encore bien plus loin devant le Godzilla (1998) de Roland Emmerich qui figure aujourd’hui parmi les nanars parfaits en vue d’une soirée ciné avec pop-corn et pizzas entre copains.

Si Godzilla Minus One est aussi bon, c’est d’abord pour sa réalisation parfaite. Point d’effets spéciaux à gogo qui seront datés d’ici quelques années : les images sont réalistes, filmées à hauteur de rue et d’homme, avec un sens de la photo qui m’a personnellement beaucoup accroché. Le film est tourné et construit comme un Godzilla des années 50, comme le Godzilla originel de 1954. Si la créature est numérique, elle semble analogique et très réelle, dans un environnement qui l’est tout autant. Voilà une autre force du film : raconter une petite histoire dans la plus grande, en y introduisant le Godzilla, élément perturbateur mais aussi révélateur d’un monde nouveau. Nous sommes juste après la Seconde Guerre Mondiale. Le Japon est ravagé et sa population tout autant, mais la résilience des Japonais est déjà à l’œuvre. Sur fond de Guerre froide déjà en germe, nous suivrons Kōichi Shikishima, jeune soldat pilote déserteur, hanté par sa propre peur et ses erreurs, qui devra lui aussi faire preuve de résilience.

Godzilla Minus One revient aux sources en rendant un hommage appuyé au cinéma japonais des années 1950. Le long métrage renforce encore son propos et son intensité avec une bande originale de toute beauté et de grande classe, composée par Naoki Satō. On lui doit diverses BO de séries anime, mais aussi la musique de cérémonie de remise des médailles aux JO de Tokyo de 2020 (qui ont eu lieu en 2021 rappelons-le). La BO de Godzilla Minus One est construite d’une part sur des thèmes d’ambiances, d’autre part sur une suite percutante. Les premiers font la part belle aux nappes tantôt lourdes tantôt aériennes, un peu comme si le Hans Zimmer d’Interstellar était passé déposer quelques graines. Ces différents thèmes posent constamment l’ambiance d’un monde ravagé qui ne perd jamais de vue la lumière. Quant à la Godzilla Suite divisée en trois parties et entendue au fil de l’histoire, elle porte toute la dimension menaçante du Godzilla, tout en rappellant parfois l’efficace Roar! composé par Michael Giacchino pour Cloverfield (2008) (et chroniqué par ici). Cloverfield qui fut peut-être un des meilleurs Godzilla sans Godzilla à l’intérieur, tant le film a en commun avec les bons Godzilla.

Film impeccable de 2023 accompagné de sa non moins impeccable BO, Godzilla Minus One est à découvrir absolument ces jours-ci sur grand écran : film catastrophe dans son contexte historique et sociétal tout autant que drama japonais mâtiné d’un monstre qui détruit tout sur son passage sauf ce qui peut fonder l’humain, voilà un long métrage porté par sa BO puissante, et qui colle incroyablement au propos du film. En un mot comme en cent, foncez !

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°138 : Safe from Harm (1991) de Massive Attack

61N9E6jnyVL._UF8941000_QL80_Dans sa dernière chronique en forme de Top 10, mon ami Sylphe concluait sur l’envie de continuer à partager des sons que l’on aime et de vous inciter à acheter de la musique. Incitation que l’on s’applique à soi-même chez Five-Minutes. Et pas plus tard qu’il y a quelques jours, où je suis tombé sur un exemplaire vinyle de Blue Lines (1991), premier album de Massive Attack considéré comme le disque séminal et fondateur du trip-hop. Bien que le terme n’apparaisse qu’en 1994, l’acte de naissance de ce genre musical est indéniablement contenu dans ce Blue Lines. Avec cette galette, Massive Attack pose non seulement les bases de son propre son, mais aussi de tout un courant que l’on appellera ensuite le Bristol Sound. Des artistes comme Portishead et Tricky emboiteront le pas à Massive Attack pour donner naissance à certains des plus grands albums que l’on connaisse à ce jour. Je pense notamment à Dummy (1994) de Portishead, ou encore Maxinquaye (1995) de Tricky.

Toutefois, avant ces disques majeurs, il y eut donc Blue Lines de Massive Attack. L’album est une pépite intemporelle à tout point de vue. Il suffit d’en réécouter les 45 minutes pour se faire attraper sans délai par le talent du groupe. A commencer par Safe from Harm (littéralement A l’abri du danger) en guise de premier titre. Un morceau puissant et pénétrant dès les premières secondes, sur lesquelles résonne une basse samplée depuis le titre Stratus de Billy Cobham. Une basse ronde, ronronnante, sur laquelle la chanteuse Shara Nelson pose sa voix puissante et aérienne. Le reste appartient à la magie Massive Attack : de multiples ajouts et collages sonores pour habiller et enrober une base déjà assez incroyable.

Quitte à terminer 2023, finissons donc cette année avec classe et élégance, et avec du bon son dans les oreilles. Safe from Harm en fait partie, et comme un plaisir ne vient jamais seul, on ajoute en écoute bonus Blues Lines, troisième morceau très soft groovy de cet album éponyme, où l’on retrouvera la voix de Tricky. Rendez-vous en 2024 : nous sommes ravis de voir que la fréquentation de Five-Minutes est en hausse cette année encore. Comme l’a dit mon compère de blog, tout cela nous incite à poursuivre l’aventure et le partage musical. Merci pour vos visites régulières ou plus ponctuelles. Le meilleur pour 2024. Et le meilleur commence à l’instant avec une double dose de Massive Attack.

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