Pépite intemporelle n°133 : Road Trippin’ (1999) des Red Hot Chili Peppers

61QO9SogAULEn ce jeudi qui prend, pour certains, la forme d’un jour férié inaugurant un repos de plusieurs jours, le son qui me vient est atypique dans la carrière des Red Hot Chili Peppers. Groupe de funk rock américain fondé en 1982 (oui, il y a quarante ans…), le quatuor a connu diverses compositions et une foultitude d’albums tous plus énergiques les uns que les autres. Le carton absolu qu’est l’album Blood Suger Sex Magik en 1991 les propulse au sommet de la notoriété mondiale, avec des singles emblématiques comme Give it away ou Under the Bridge. Neuf ans plus tard, tombe dans les bacs Californication, qui marque le retour dans la formation de John Frusciante, à ce jour le meilleur guitariste du groupe. L’album est bourré de pépites et alterne l’énergie originelle du groupe et des moments plus posés mais tout aussi denses. La galette a, de plus, le bon goût de se terminer avec notre pépite du jour.

Road Trippin’ clôt l’ensemble de façon inattendue : une balade acoustique débarrassée de toute batterie pour trois minutes qui invitent autant à la douceur du soleil couchant qu’à prendre la route au petit matin. C’est à la fois paisible et un poil mélancolique, intimiste et propice aux retrouvailles en petit comité, inattendu et diablement efficace. Le texte parle de partir, de quitter la ville, de vivre pleinement le moment, de se vider la tête. De ressentir la vie, de prendre le temps, d’ensoleiller nos heures et de tout oublier sauf l’essentiel. Ce titre est parfait.

Road Trippin’ marque la fin de Californication, mais se trouve aussi être le début d’une jolie virée à faire où vous voudrez, quand vous voudrez, avec qui vous voudrez. Bref, Road Trippin’ est le titre idéal pour entrer dans quelques jours de repos. Et si vous ne faites pas partie de ceux qui bénéficient de ce weekend prolongé, rien ne vous interdit de l’écouter. Road Trippin’ est suffisamment bien fichu pour que vos oreilles et votre corps vous disent simplement merci. Dont acte. On y va ?

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°132 : All my tears (2013) de Ane Brun

61jt9qehkwL._SL1200_Alors que le ciel reste désespérément gris ce dimanche, voilà un son qui va vous permettre de vous lover avec vous-même, tout en regardant la lumière au bout du tunnel. All my tears de Ane Brun affiche dix années au compteur, et fait pourtant partie de ces morceaux absolument intemporels qui fonctionnent en tout lieu et toute époque. Nous avions déjà rencontré Ane Brun sur ce blog, au travers de sa délicate et émouvante reprise de Big in Japan d’Alphaville (une chronique à relire par ici) : la délicatesse d’une guitare folk surplombée de la voix assez magique de l’artiste norvégienne. Cette dernière, qui a débuté sa carrière en 1998, compte à sa discographie pas moins de 12 albums studios, ainsi qu’une poignée de lives, singles et EP. On retrouve également son nom aux BO de séries comme Breaking Bad (oui, le Breaking Bad, excusez du peu), Bones ou encore Wallander. Notre All my tears du jour est tiré de Rarities, paru en 2013 : un album dans lequel Ane Brun a regroupé diverses chansons jamais retenues pour de précédent albums. Une sorte de compilation de B-sides et inédits pourtant de très haut niveau.

Et ce n’est pas All my tears qui nous contredira. En à peine deux minutes, Ane Brun déroule un titre qui s’insinue directement en nous. Selon la même recette que pour la reprise de Big in Japan, c’est uniquement à la force d’une guitare folk et de sa voix que la chanteuse nous émeut. Un titre qui prépare la disparition et le deuil, du point de vue de celle/celui qui ne sera plus là. Ceux qui restent porteront leur peine, mais pour la/le disparue-e, c’est la paix et la sérénité trouvée, loin de ce monde bousculant et trop souvent foutraque et illogique. « The wounds this world left on my soul / Will all be healed and I’ll be whole » : Les blessures de mon âme en ce monde / Seront guéries et je serai saine et sauve. Il y a du mystique et du religieux à fond dans ce texte, là où Ane Brun parle du Créateur, où encore de Jésus, dont le visage lumineux remplacera le soleil et la lune de ce monde.

On adhère ou pas au propos religieux, mais la sensibilité est bien ailleurs et au-delà de toute croyance. Le refrain, notamment, dont le texte et son interprétation, tout en délicatesse, sont bouleversants : « It don’t matter where you bury me / I’ll be home and I’ll be free / It don’t matter anywhere I lay / All my tears be washed away » (Peu importe où tu m’enterres / Je serai chez moi et je serai libre / Peu importe où je repose / Toutes mes larmes seront séchées). Loin d’être une chanson déprimante et noire, All my tears est un putain de baume, un titre lumineux et apaisant comme on en fait rarement, une douceur absolue qui pose des choses et repose l’esprit. Un peu comme l’est Maybe you are de Asaf Avidan (dont nous avions parlé jadis dans une autre chronique à relire par là), et que je vous remets en écoute juste après All my tears. Voilà deux chansons qui abordent des sujets profonds et sensibles, tout en les sublimant et en réussissant à nous en dire des choses simples et très touchantes, à travers simplement une guitare et une voix (et quelle double voix). Sans plus attendre, place à la douceur et à la sensibilité.

Raf Against The Machine

Reprise du jour n°11 : The Passenger (1977/1993) de Iggy Pop par Rodolphe Burger

612eSe5gfcL._UXNaN_FMjpg_QL85_Tel est (re)pris qui croyait (re)prendre : au petit jeu des reprises, nous avons parlé la dernière fois de l’incendiaire version de Louie Louie par Iggy Pop (à relire par ici si vous êtes passés à côté). Renversement de situation aujourd’hui, avec Iggy Pop à son tour repris. The Passenger voit le jour en 1977, à la fois sur l’album Lust for Life et en face B du single Success. Nous avions déjà donné voici quelques temps cinq bonnes raisons d’aimer follement ce titre (et c’est à retrouver par là pour les retardataires). L’album Lust for Life se situe en pleine période berlinoise de l’artiste, aux côtés de Bowie. Bourré de rock et de bonne énergie, il contient donc notamment ce rugueux et déjà punky The Passenger. Invitation et incitation au road trip, à l’errance et au moment présent sans autre forme de cogitation, le titre se laisse dérouler avec une fluidité jouissive. Suffisamment coulant pour se laisser emporter, et suffisamment bordélique pour s’emporter, The Passenger est un morceau qui figure en bonne place dans les classiques incontournables que j’aime retrouver au détour de mes playlists et de mes propres errances.

Maintes fois repris, The Passenger s’offre en 1993 une version des plus touchantes et mélancoliques. Rodolphe Burger, chanteur/leader du groupe Kat Onoma, publie en cette année Cheval-Mouvement, son premier album solo. Si ces deux noms ne vous disent rien, courez donc écouter autant Kat Onoma que Rodolphe Burger. D’un côté, un groupe actif de 1980 à 2004 qui n’a aucun équivalent. Mélangeant rock et jazz pour des expérimentations toujours plus captivantes, la formation a fait les beaux jours de bien des amateurs de musique. De l’autre, son leader Rodolphe Burger, musicien et chanteur classé dans le rock indépendant, qui passe pourtant son temps à explorer diverses créations musicales. En témoigne son Cheval-Mouvement, un bien bel et assez intimiste album que j’ai écouté en boucle jadis, jusqu’à en bousiller la cassette (la quoi ?), avant de le retrouver plus tard en CD. Au beau milieu de l’album figure la version de The Passenger de Rodolphe Burger. Presque pas rock, plus lancinante et sereine, quasiment une balade légèrement électrisée : la relecture est sublime, à la limite d’être une autre chanson. C’est le titre idéal à écouter sur la route, au soleil couchant ou levant, les yeux perdus dans la vie et le moment qui passe. En somme, la même essence de liberté et de plaisir que celle qui coule dans les veines de l’original d’Iggy Pop.

Deux versions d’une même idée d’évasion autant que de passage furtif. A l’image de notre propre passage, ici-bas ici même. Simples passagers temporaires en ce monde… voilà peut-être aussi pourquoi The Passenger fonctionne aussi bien. Parce qu’il vient toucher l’idée que le temps à passer ici doit être à la fois le plus rock, le plus jouissif, le plus libre, sans chercher à donner un sens à tout. Profiter du moment qui est là. Pour ce qu’il est et ce qu’il nous apporte. Tout comme il s’agit de profiter de ce double son, doublement parfait. Tellement parfait que je le retiens dans sa version Rodolphe Burger pour le jour où mon propre passage s’arrêtera. Si toutefois j’ai des obsèques et quelques proches et amis pour m’y accompagner, je leur fais entière confiance pour choisir de belles musiques. Mais, s’il vous plaît, pensez à glisser celle-là.

Raf Against The Machine

Review n°119: Desire, I Want To Turn Into You de Caroline Polachek (2023)

Je n’avais pas conscience que le 14 février dernier ne se résumerait pas seulement à la Saint Valentin, ou cette célébration un brin capitaliste des amoureux. Caroline Polachek sortait alors son deuxième opus Desire, I Want To Turn Into You qui m’obsède depuis bientôt 3 mois et sur lequel je prends aujourd’hui le risque d’écrire, tout en sachant que mes mots ne lui rendront pas suffisamment honneur. Membre du groupe de synthpop Chairlift avec Aaron Pfenning et Patrick Wimberly (un EP et trois albums tout de même que je serais bien intentionné d’aller réécouter pour raviver des souvenirs bien endormis en toute franchise), Caroline Polachek s’est lancé dans plusieurs projets solo sous le nom de Ramona Lisa ou CEP avant de sortir son premier album sous son nom en 2019 Pang qui est passé sous mon radar et qui méritera de figurer dans ma playlist estivale de rattrapage tant j’ai lu des avis dithyrambiques dessus…

Finalement, j’ai bien peu d’attentes en écoutant ce Desire, I Want To Turn Into You (souvent la situation optimale d’écoute pour se faire cueillir) et le résultat est brillantissime. C’est incontestablement mon coup de coeur de l’année et il va falloir s’accrocher pour le détrôner de la première place qui lui est promise dans mon top de fin d’année. Véritable melting-pot d’influences, de la synthpop au trip-hop en passant par la musique électronique, porté par une voix sublime et des paroles célébrant l’amour et le désir, cet album ne cesse de se réinventer au fil des écoutes et de souligner la richesse de sa production.

Welcome To My Island démontre d’emblée la richesse de la voix avec l’impression d’un chant de sirènes qui nous envoûte et prend possession de nous. La synthpop fonctionne à merveille, même avec les parties plus sombres à la limite du spoken-word. Pretty In Possible joue de son côté la carte d’une pop plus simple qui s’insinue en nous avec sa ritournelle des dadada dadada. Bunny Is A Rider me file ensuite une superbe claque, avec cette hyperpop mâtinée de sonorités électroniques.

La pop uptempo et cette guitare hispanisante du bijou Sunset, la pop plus intimiste de Crude Drawing Of An Angel, la pépite I Believe qui réussit le tour de force de métamorphoser le trip-hop initial en une pop lumineuse, l’hymne à l’amour trip-hop Fly To You qui invite les deux belles voix de Grimes et Dido, tous les choix artistiques -pour certains assez forts – fonctionnent.

La synthop inventive de Blood And Butter, la pop douce douce et intimiste de Hopedrunk Everasking, le trip-hop de Butterfly Net, la pépite inclassable Smoke et Billions complètent la collection de perles. 45 minutes de bonheur ça vous tente? Bon weekend de trois jours, enjoy !

 

Sylphe

Pépite intemporelle n°131 : In this world (2002) de Moby

71XuIr3zLsL._SL1300_Du haut de ses 45 ans de carrière (oui, depuis 1978) et de ses 57 ans (oui, déjà), Richard Melville Hall aka Moby n’en finit plus de nous délivrer des compositions qui sont aujourd’hui inscrites dans l’inconscient collectif. Qu’il s’agisse de l’énergique Honey, du délicat Porcelain, du viscéral Natural blues (tous trois sur l’incontournable album Play en 1999), ou encore du pop électro We are all made of stars et du groovy Extreme ways, titre BO de la saga cinéma Jason Bourne (présents eux sur 18 en 2002), nombre de ses morceaux sont devenus presque instantanément des classiques. Et nous ne regardons là que deux albums. On pourrait encore citer l’excellent Hotel (2005), ou plus récemment Reprise (2021), publié sur le prestigieux label Deutsche Grammophon habituellement dédié à la musique classique. Dans cet opus, Moby réenregistre 14 titres avec le Budapest Art Orchestra, démontrant ainsi la richesse et la profondeur de ses compositions. La démonstration n’est plus à faire. Moby est un grand artiste, et nous l’allons voir en revenant sur l’album 18 et In this world, un de ses titres phares.

Titre d’ouverture de 18, In this world nous cueille d’entrée de jeu par un sample vocal de Lord, don’t leave me des Davis Sisters, groupe américain de gospel fondé en 1947 et qui officia jusqu’au début des années 1980. Le sample se mêle à la voix de Jennifer Price. La voix est puissante, pénétrante, subtile, imparable. Tout comme la musique de Moby. L’alliance est parfaite. Mais la perfection ne s’arrête pas à ces samples. Moby ajoute des notes de claviers et des percussions en arrière fond, avant de plaquer une rythmique dans laquelle programmation et piano communient. C’est brillant. Mais la brillance va encore plus loin. Dès la vingtième seconde, et comme une récurrence, une nappe de synthés vient soutenir l’ensemble. Cette nappe de synthés, nous la connaissons déjà. Nous l’avons déjà entendue. C’était 3 ans plus tôt, déjà chez Moby, sur l’album Play.

Plus précisément, dans le titre My weakness (chronique d’il y a quelques temps, à relire par ici), qui refermait l’album Play. Souvenez vous de ce merveilleux morceau, qui débutait lui aussi par des voix, mais bien plus aériennes et mystérieuses que le sample de In this world. La nappe de synthés dont nous parlons arrive à partir de 1 minute 10 dans My weakness et accompagnera pendant près de 2 minutes ce voyage hors de toute réalité. Comme un clin d’œil à ceux qui suivent, Moby reprend dans In this world et en ouverture de 18 cette nappe de synthés qui refermait Play. My weakness/In this world : comme un message subliminal. Ce monde qui est le nôtre, qui sait nous donner des forces et la force, mais qui est aussi notre faiblesse (weakness).

Pour aller un peu plus loin, rappelons nous que My weakness illustrait une des plus belles scènes (peut-être la plus belle) de la série X-files. A savoir le dénouement du double épisode Délivrance (10e et 11e au cœur de la saison 7). Fox Mulder y apprend enfin ce qui est arrivé à sa sœur mystérieusement disparue des années plus tôt. Loin de tout délire d’enlèvement extraterrestre, la réponse est bien plus terre à terre et dramatique. Or, que voit-on dans le clip de In this world ? Une poignée de petites créatures extraterrestres qui tentent, tant bien que mal, d’établir un contact avec la Terre et ses habitants, bien indifférents à la présence de ces êtres venus d’ailleurs. In this world et son clip en 2002 feraient-ils, eux aussi, un clin d’œil à cet épisode fondamental de X-files sorti lui à la charnière 1999-2000 ? D’un monde à l’autre, rien n’est moins sûr, mais j’ai envie de le penser.

Il est désormais grand temps de laisser la place à la musique : In this world, accompagné de My weakness pour se le remettre en tête si besoin. Et pour retrouver, d’un titre à l’autre, cette nappe de synthés si envoûtante et hors du temps.

Raf Against The Machine