Pépite intemporelle n°77 : Trouble (2015) de Cage The Elephant

Comme une coïncidence, je me retrouve dans la même situation que le copain Sylphe voici quelques jours : alors que j’avais prévu de vous parler d’un album live assez exceptionnel, brillant et bourré de pépites émotionnelles (#artduteasing), voilà que le temps m’a manqué pour préparer une chronique digne de ce nom. Tout comme il a manqué à mon ami bloguesque dimanche dernier pour vous parler du dernier album de Loney Dear. Je reporte donc de quelques jours, histoire de vous parler correctement de ce magnifique live que je ne me lasse pas d’écouter (d’où, peut-être, le manque de temps pour écrire). Pour néanmoins patienter avec un bon son, poussons plus loin la copie un peu éhontée de Sylphe. Dimanche dernier, il nous a ressorti une très jolie pépite nommée Trouble, par l’excellent Ray LaMontagne (à retrouver d’un clic par ici). Quant à moi, je me suis tourné vers une autre pépite portant exactement le même titre. Vous pouvez continuer à lire, la similitude s’arrête là, et nous allons bien écouter ensemble un morceau différent.

Oui, il existe plusieurs Trouble. Celui du jour nous vient du groupe américain Cage The Elephant, que nous aimons particulièrement chez Five-Minutes, et que nous avons déjà plusieurs fois mis en avant. Notamment au travers de leur live acoustique Unpeeled, un enregistrement assez exceptionnel, mais qui n’a rien à voir avec l’album live que je voulais chroniquer. J’espère que vous suivez, c’est un peu labyrinthique mais c’est pour mieux brouiller les pistes. Je m’égare. Cage The Elephant, ou ce groupe actif depuis maintenant 15 années, c’est donc un live exceptionnel, mais aussi cinq albums studio dont Tell me I’m pretty (2015), le quatrième en date dont est extrait notre Trouble.

Le Trouble de Cage The Elephant est une balade rock qui s’ouvre sur une guitare légère et des choeurs haut perchés, presque éthérés, comme pour mieux nous placer dans une dimension hors de tout. Puis vient le couplet, posé par le chanteur Matthew Shultz dans un minimalisme qui contraste avec la montée vers le refrain. Un refrain fait de mélancolie sereine. Oui, ça existe : une sorte de mélange de résignation et, malgré tout, d’espoir, de lumière et d’une forme d’énergie tranquille qui n’est pas pour me déplaire.

C’est d’ailleurs ce que raconte le texte de Trouble. La chanson raconte une vie faite de soucis et de problèmes à gérer (les Trouble du titre), dont même un doux amour ne ferait pas sortir. Mais (car il y a un mais, évidemment), le morceau raconte aussi une déclaration cachée derrière une phrase à double sens : « Everywhere I look I catch a glimpse of you / I said it was love and I did it for life, do do for you » (N’importe où où je regarde j’attrape une lueur de toi / J’ai dit que c’était l’amour et je l’ai fait pour toi, fait fait pour toi). Un constat du passé, mais aussi la possibilité que, justement, tout est possible et que c’est peut-être bien cette « lueur de toi », au creux de la bulle, qui permettra de dépasser les soucis en tout genre, pour aller vers une douce vie auprès de l’amoureux/se en question. Cette lecture positive est renforcée par un autre bout de texte : « You can have my heart any place any time » (Tu peux avoir mon cœur n’importe où, n’importe quand). Une façon détournée mais élégante de dire que c’est déjà fait.

Une jolie musique, un texte bien ficelé pour 3 minutes 45 de bon son : il ne m’en faut pas plus pour craquer et tomber sous le charme de cette pépite. Vous me direz qu’il y a tromperie sur la marchandise, avec seulement 3 minutes 45 de musique sur Five-Minutes, le blog qui promet 5 minutes de bon son par article ? Je rétorque que, d’une part, la qualité est préférable à la quantité, et que, d’autre part, rien n’interdit d’écouter la version studio puis la version Unpeeled (live), encore plus sublime. Cette fois, le compte y est. J’ai déjà bien trop parlé. Place à la musique.

Trouble version studio
Trouble version live

Raf Against The Machine

Review n°79: A Lantern and a Bell de Loney Dear (2021)

Comme c’était annoncé dès ce dimanche, nous allons commencer la semaine avec la douceur mélancolique et le spleen du dernier opus A Lantern and a Bell d’Emil Svanängen alias Loney Dear. Si vous êtes un compagnon de route assidu du blog (#expressionrappelantlecommunisme), vous savez que je suis très sensible à l’écriture et à l’univers de Loney Dear, que ce soit à travers la chronique de son brillant Dear John ou du titre Sum tiré de son dernier opus Loney Dear de 2017. Pour ce nouvel album signé sur le label Real World Records fondé par WOMAD et Peter Gabriel, Loney Dear a choisi de se centrer encore davantage sur sa sublime voix de falsetto, sobrement accompagnée par un piano la plupart du temps. Les machines s’estompent peu à peu pour laisser place à une véritable introspection intérieure rattachée à sa thématique habituelle de la mer. Le spleen plus dépouillé et moins jazzy qu’un Jay-Jay Johanson  fait ainsi mouche en 27 petites minutes très homogènes et je regrette seulement l’absence d’une vraie pépite qui se démarque de l’ensemble.

Le morceau d’ouverture Mute / All things pass et ses mouettes inaugurales en fond s’appuie sans surprise sur l’alliance piano/voix. La voix fragile et pleine d’émotions me touche particulièrement ici et dans l’intégralité de l’album, ce A Lantern and a Bell plaira incontestablement à ceux et celles qui se trouvent désarmé(e)s en écoutant ce falsetto émouvant. L’instrumentation prend de l’ampleur au fur et à mesure et la fin instrumentale atteint une intensité savoureuse. Les deux morceaux suivants, Habibi (A clear black line) et Trifles resteront sur cette ambiance intimiste du piano/voix avec une préférence pour le deuxième cité et son intensité ascendante finale révélant la puissance de la voix de Loney Dear.

Go Easy on Me Now (Sirens + emergencies) s’appuie ensuite sur une mélodie en déconstruction au piano qui accentue le pouvoir lyrique du morceau avant Last night/ Centurial Procedures (the 1900s)  qui, à l’image de Darling par la suite, ne dépasse pas les deux minutes. Libres à vous de considérer ces titres comme des intermèdes, de mon côté j’ai choisi de ne pas choisir. Oppenheimer en l’honneur du scientifique tristement célèbre à l’origine de la bombe nucléaire -j’en profite au passage pour vous conseiller très fortement la lecture du brillant roman graphique La Bombe de Rodier, Alcante et Bollée – est ensuite un sommet d’intensité et d’émotion digne de Jay-Jay Johanson. On retrouvera cette intensité dans le morceau final A House and a Fire qui se montrerait presque pop dans son approche.

Sans atteindre les sommets d’un Dear John, ce huitième album confirme le talent de songwriting de Loney Dear qui mériterait une plus grande reconnaissance dans notre contrée. Avec modestie, chez Five-Minutes, nous tentons de lui offrir une place plus en adéquation avec la valeur de sa musique, enjoy!

 

Sylphe

Pépite intemporelle n°76: Trouble de Ray LaMontagne (2004)

Le temps m’aura finalement manqué et il faudra attendre le début de la semaine prochaine pour parler duRay LaMontagne dernier album de Loney Dear… Un soir précédant une rentrée, on se sent toujours un peu mélancoliques même si, au fond de nous, on n’est pas totalement mécontents de reprendre. Pour le coup, j’ai besoin de réconfort et je sais d’emblée vers quel titre me tourner avec ce bijou de douceur qu’est Trouble de Ray LaMontagne. Ce titre est le morceau d’ouverture du premier album Trouble et on ne sera pas surpris que cette pépite ait donné son nom à l’album. Superbe ballade folk à la guitare acoustique avec ses cordes judicieuses en fond, on se laisse envelopper par la voix chaude et éraillée de Ray LaMontagne qui s’immisce par tous les pores de notre peau. Le texte, véritable hymne à l’amour et à cette femme qui a sauvé le chanteur de son inquiétude lancinante, me donne le sourire et foi en l’humanité. Les années ont beau passer, ce Trouble ne perd rien de son pouvoir salvateur et me fait toujours autant de bien au coeur, enjoy!

 

Sylphe

Reprise du jour n°7 : Big in Japan (1984/2008) de Alphaville par Ane Brun

81oA0IH6PzL._SS500_Après la déferlante émotionnelle de la semaine dernière liée à Gaëtan Roussel et à son album Est-ce que tu sais ?, explorons une reprise aussi improbable que chargée, elle aussi, d’émotions. Ces dernières années, les 80’s ont le vent en poupe, que ce soit dans la mode vestimentaire, les productions culturelles avec des séries comme Stranger Things ou Dark, mais aussi la mise en avant de l’individualisme, de la réussite à tout prix, des grosses bagnoles inutiles et du pognon. C’est une autre histoire bien sûr,  nous ne nous y attarderons donc pas ici. Mais, comme on dit dans le métier, c’est une façon de planter le décor et de contextualiser ce que l’on va raconter ensuite. Les années 1980 sont de retour parmi nous, aujourd’hui en 2021. Pourtant, la reprise du jour de Big in Japan du groupe Alphaville par Ane Brun, titre éminemment célèbre des 80’s, date d’il y a 13 ans. De là à dire que cette dernière fait figure de pionnière, il n’y a qu’un pas de danse que je franchis allègrement.

D’un côté, l’année 1984 et Alphaville. Groupe de new-wave allemand originaire de Münster (comme quoi, l’Allemagne ne produit pas que des bonnes bières et des saucisses, mais chez Five-Minutes nous en sommes déjà convaincus… Berlin, si tu nous lit… <3), le trio emmené par Marian Gold débute en 1981 sous le nom de Nelson Community. Trois ans plus tard, ils deviennent Alphaville, en référence au film de science-fiction Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution réalisé par Jean-Luc Godard. Voilà qui en impose déjà plus. Ne reste qu’à créer le son qui les propulsera à l’avant de la scène musicale. Ce sera le jackpot dès le premier album Forever young, sorti en septembre 1984 et contenant pas moins de 3 hits planétaires : Forever young (titre éponyme), Sounds like a melody et donc Big in Japan. Ce dernier est en réalité sorti dès janvier 1984 en single préparatoire au 33 tours (comme on disait à l’époque, c’est pour vous mettre dans l’ambiance). Côté sound 80’s, tout y est : les synthés métalliques, la boucle rythmique, la batterie électronique sortie de sa boîte à rythmes, et une voix haut placé, produite comme un mix du jeune Robert Smith chez les Cure et d’un Nicola Sirkis sorti du Indochine mid-80’s. S’ajoutent la mélodie du titre et son refrain, entêtants à souhait. En fermant les yeux, facile de revoir notre enfance tout autant que d’imaginer un club berlinois intemporel où je pourrais danser, avec toi, au milieu des autres mais où seul ton regard compterait.

De l’autre côté, 24 ans plus tard, Ane Brun se lançant à l’assaut, non pas des ombres sur l’eau, mais de ce single a priori intouchable qu’est Big in Japan. Intouchable, rien ne l’est mais lorsqu’un titre marque autant son époque et se trouve aussi référencé, se pose la question de comment le reprendre. Ane Brun a trouvé. Cette chanteuse norvégienne, de son vrai nom Ane Brunvoll, voit le jour en 1976. Elle a donc 8 ans lorsque sort Big in Japan. Impossible qu’elle soit passée à côté à l’époque, même si jeune. Après plusieurs singles en 2003 et 2004, puis un EP, Ane Brun enregistre en 2008 Changing of the seasons, son troisième album studio. Elle y glisse, au milieu de ses compositions, cette reprise totalement inattendue de Big in Japan. Totalement inattendue, car son univers musical est assez éloigné de celui d’Alphaville. En effet, Ane Brun évolue plutôt dans le registre pop-folk acoustique, marqué par une guitare, parfois un piano ou quelques nappes de synthés ou de cordes, et surtout une voix très en avant, capable de prouesses mélodiques assez hypnotiques. Voilà le secret de cette reprise si réussie : plutôt que d’aller chercher une pale imitation de l’original, vouée à l’échec immédiat, Ane Brun s’attaque à ce single-image mémorielle d’un temps révolu (quoiqu’on en dise) avec ses propres armes et sa propre personnalité artistique. Le résultat ? Une interprétation bouleversante de beauté, exclusivement construite sur un guitare-voix comme on les aime. L’accompagnement musical est minimaliste et discret, pour laisser s’exprimer toute la puissance feutrée de la voix de la chanteuse. C’est à la fois intimiste, pénétrant, et chargé en émotions à faire se dresser les poils. Un moment de temps suspendu, au cœur du temps malgré tout. L’idée que je me fais d’un moment de douceur à tes côtés. Au bord de l’océan de préférence, mais peu importe le lieu. Où que l’on soit, ce moment-bulle résonnera comme cette reprise : une évasion totale, une sérénité absolue.

Clip officiel de Big in Japan (1984)
Interprétation live de Big in Japan par Ane Brun sur TV Noir (2019)

Raf Against The Machine

Five Titles n°21: Rone & Friends de Rone (2021)

Il était temps de réparer une injustice de ce blog avec l’absence d’un article sur Erwan Castex, alias Rone. JeRone &amp; Friends suis admiratif depuis de très nombreuses années de la production artistique du français qui nous offre une électro inventive et hédoniste. Je serais bien présomptueux de vouloir vous résumer la carrière de ce dernier ici mais je ne peux que vous inviter à aller écouter les albums Tohu Bohu (2012) ou Mirapolis (2017) entre autres… L’année dernière, Rone a mené un projet fort autour de son très riche dernier album Room with a View qui aurait amplement mérité de figurer ici: monter un ballet avec le collectif d’une vingtaine de danseurs (La) Horde sur la scène du théâtre du Châtelet. Ce spectacle qui traitait d’urgence climatique a malheureusement dû rapidement se stopper, la faute à vous savez quoi… Afin de lutter face au désoeuvrement et la solitude du confinement, Rone a fait appel à des amis ô combien prestigieux pour créer cet album sobrement nommé Rone & Friends. Peu d’artistes sont capables de réunir un tel panthéon qui va de l’écrivain et compagnon de toujours Alain Damasio au brillant Dominique A, en passant par la nouvelle scène française (Odezenne, Flavien Berger, Camelia Jordana) ou des valeurs sûres au-delà de nos frontières (Yael Naim, Georgia, Casper Clausen, Mélissa Laveaux, Roya Arab). Le résultat, en lien direct avec Room with a View, est d’une grande homogénéité dans la volonté de proposer une électro douce et propice à la rêverie, une électro nappée d’une grande humilité dans son désir de mettre en avant les différents artistes venus mettre leurs mots au service de la musique de Rone. Choisir c’est renoncer mais j’aime ce jeu de dégager 5 titres qui m’ont encore plus touché… Bien sûr, j’aurais pu sélectionner la douceur de Georgia sur Waves of Devotion qui reprend le Gingko Balboa de Room with a View ou la beauté des textes et des voix de Jehnny Beth, Laura Etchegoyhen et Yael Naim sur Et le jour commence, L’orage et Breathe In. Ou encore la savoureuse électro-pop fantasque de Flavien Berger sur Polichinelle. Ou encore m’offrir un instant de nostalgie en savourant le grain de Roya Arab (qui est la voix principale du Londinium d’Archive) sur Twenty 20. Vous voyez bien que je triche alors je m’arrête pour vous proposer ces 5 pépites…

  1. Le morceau d’ouverture Sot-L’y-Laisse, reprise du titre Room with a View, frappe fort, porté par le flow uptempo d’Odezenne. L’urgence du texte et l’explosion électro finale se marient à merveille pour un uppercut sonore qui fait vaciller de plaisir.
  2. A l’errance n’en finit plus de montrer le pouvoir d’interprète de Dominique A… Je pense que je serais capable d’acheter un album où ce dernier se contenterait de lire un dictionnaire… Je vous rassure, on est très loin du dico avec cette ode à la liberté où la grâce poétique de Dominique A fait humblement mouche.
  3. Un qui s’appuie sur un duo de voix inédit Damasio et Mood, associe avec subtilité une électro majestueuse à un texte d’une grande sensualité. Mention spéciale à Mood que je ne connaissais pas et qui m’a rappelé le timbre de Laura Smet sur Un verre à la main de Grand Corps Malade. Un hymne à l’amour imparable.
  4. La Nuit venue confirme de son côté le talent de Camelia Jordana qui est littéralement en train de rentrer dans une autre sphère. Un morceau qui se veut aussi dépouillé que les corps la nuit, sublime de simplicité.
  5. Closer reprend enfin brillamment le Human de Room with a View. Porté par le timbre en or du chanteur d’Efterklang, Casper Clausen, une montée en tension électro inarrêtable et le spoken-word de Melissa Laveaux, ce morceau brilla par sa richesse.

Je crois que vous savez désormais ce que vous allez écouter aujourd’hui, enjoy!

 

Sylphe

Review n°78: Distractions de Tindersticks (2021)

Tindersticks vieillit comme le bon vin et j’ai pris le temps de savourer les différentes saveurs de ce treizième opus Distractions sorti en février avant de vous en partager les douces et intenses effluves. Le dernier opus No Treasure But Hope sorti en 2019 ne nous avait déjà pas déçus à Five-Minutes, porté entre autres par le sublime morceau inaugural For The Beauty dont j’avais brièvement parlé par ici. Toujours produit sur le label City Slang avec le duo Stuart Staples/ Dan McKinna à l’écriture, l’album est composé de 7 titres seulement dont 3 reprises mais 7 véritables petits bijoux qui pour certains surprendront les fans de la première heure.

En termes de surprise, le morceau d’ouverture Man Alone (Can’t Stop the Fadin’) remporte toutes les palmes de la gloire… D’une durée inhabituelle -11 minutes tout de même, soit le temps moyen pour voir planter un cours du CNED en ligne la semaine dernière, le morceau s’appuie sur une ligne de basse oppressante et la voix de baryton de Stuart Staples. Le chant sépulcral s’infiltre comme un mantra en nous, flirtant avec les frontières de l’audible à son paroxysme au bout de 4 minutes avec les bruits discordants en fond (belle litanie de klaxons). On se laisse cependant facilement envelopper par cette virée nocturne solitaire et cette pluie apaisante, comme si Tricky avait décidé de se mettre au chant… Voilà en tout cas un morceau aux saveurs électroniques particulièrement marquant dans la discographie de Tindersticks, morceau dont on ne sort pas indemnes. Il nous faudra bien le chuchotement du chant de I Imagine You pour se remettre de ce climat anxyogène, la douceur et la poésie du texte nous emportant vers l’évocation d’un fantôme désormais heureux après avoir fui notre monde si complexe, « I imagine reaching for you, touching you/ But not with tears / With the beauty of every day/ Over and over« 

Tindersticks va ensuite s’attaquer au Harvest de Neil Young en reprenant le sublime titre A Man Needs a Maid. Le piano et les cordes initiales laissent place à une version plus électronique où la voix de Stuart Staples évoque David Bowie. La chanteuse de Swing Out Sister, Gina Foster, apporte avec justesse la douceur de sa voix pour un résultat aux frontières de la pop sur la fin et d’un trip-hop à la Morcheeba. Après des débuts mitigés par rapport au titre de Neil Young, ce A Man Needs a Maid fait finalement ses preuves dans sa deuxième partie. Lady with the Braid prolonge le plaisir des covers en reprenant un titre aux influences country de Dory Previn, ce morceau est plus classique et attendu avec une utilisation subtile des cordes en fond.

C’est au morceau You’ll Have To Scream Louder que revient le mérite de refermer le trio de covers. Partant des origines post-punk de TV Personalities, le titre met en avant une guitare plus lumineuse tout en contraste avec des paroles très sombres en adéquation totale avec l’état de notre société actuelle, « I’ve got no respect for/ These people in power/ They make their decisions/ From their ivory towers / And I feel the hatred / It’s growing inside / And there’s nowhere to run to / ‘Cause there’s nowhere to hide ». Tindersticks vient ensuite prendre la langue de Molière à bras le corps avec Tue-moi, sobrement accompagné par un piano qui laisse les paroles pleines d’émotion prendre la lumière. Le résultat qui fait allusion aux attentats du Bataclan touche particulièrement par sa justesse et sa retenue. L’album se clot sur The Bough Bends, un nouveau titre riche en inventions, écho à Man Alone (Can’t Stop the Fadin’), d’une belle douceur. Après un départ bucolique avec des chants d’oiseaux, un mellotron champêtre et des paroles égrénées en spoken-word, cette voix d’or noir qui s’appuie sur un texte un brin mystérieux prend le pouvoir et permet au titre de gagner en intensité. Ce Distractions, sans forcément atteindre au sublime, réchauffe les coeurs et témoigne toujours de la puissance créatrice qui anime Tindersticks 28 ans après leur premier album, enjoy!

 

 
Sylphe

Review n°77 : Est-ce que tu sais ? (2021) de Gaëtan Roussel

unnamedSorti le 19 mars dernier, le quatrième album de Gaëtan Roussel Est-ce que tu sais ? impressionne par sa cohérence et sa force poétique. En dehors des aventures Louise Attaque, Tarmac et Lady Sir, les trois premiers opus solos avaient tranquillement installé des repères textuels comme musicaux chers à l’artiste. Après Ginger (2010) et Orpailleur (2013), son Trafic (2018) avait franchi un pas vers ce qu’on pourrait appeler la maturité. Plus d’harmonie musicale, un ensemble mieux équilibré et quelques titres très efficaces comme Hope, ou encore le duo Tu me manques (pourtant tu es là) avec Vanessa Paradis. Sans oublier Début, titre de clôture d’un album déjà très abouti, et dont nous avions dit le plus grand bien sur Five-Minutes. C’était il y a 3 ans, autant dire une presque éternité. Depuis maintenant près d’un mois, Est-ce que tu sais ? tourne régulièrement sur la platine. La question n’est pas vraiment de savoir s’il fait mieux que ses prédécesseurs, et ce qu’il fait de mieux, mais simplement de décortiquer ce qu’il fait. Point barre.

Est-ce que tu sais ? est un album dans la droite ligne du travail de Gaëtan Roussel. Avec cette nouvelle galette, le chanteur de Louise Attaque poursuit ce qu’il a entamé avec sa formation originelle, avant de décliner chez Tarmac, puis en solo et aux côtés de Rachida Brakni dans Lady Sir. Sous des aspects de ritournelles pop légères et parfois dansantes, sont abordées des thématiques bien plus profondes, voire plus sombres, qu’on ne pourrait l’imaginer. Lorsque sort en 1997 le premier opus de Louise Attaque, des titres festifs comme Les nuits parisiennes ou J’t’emmène au vent inondent les radios et nos oreilles, occultant des titres plus tourmentés comme Arrache-Moi ou Cracher nos souhaits. Même les hits les plus enjoués cachent en réalité une recherche de soi, d’évasion pour trouver à se sentir bien. Louise Attaque poursuivra dans ses albums suivants, avec des morceaux comme Tu dis rien, Comme on a dit, Si c’était hier, Depuis toujours, Avec le temps, tout en passant le relais à Tarmac. De cette formation, on pourra se pencher sur Dis-moi c’est quand, Je cherche, Cher oubli ou Longtemps. En écho, Lady Sir enfoncera le clou en 2017 avec Le temps passe, Son absence ou Je rêve d’ailleurs. Elément commun, toujours : Gaëtan Roussel, qui portera ces préoccupations aussi dans ses albums solos. Il est alors question de l’existence, de la mort, de l’amour, de la connaissance de soi et du choix des autres (ou pas). Lorsque l’on connaît le parcours artistique du garçon, Est-ce que tu sais ? apparaît comme une évidence, comme l’album tant attendu. Lorsqu’on connaît moins, ce nouvel album est une excellente porte d’entrée sur le travail d’un artiste qui a bien des choses à raconter.

Est-ce que tu sais ? est un album sur la vie. Composé de 11 titres, il balaie différentes facettes existentielles qui, parfois (souvent ?), nous empêchent de dormir la nuit. Tu ne savais pas ouvre le bal en listant nos ignorances en venant au monde : la naissance, l’apprentissage de la vie, les joies, les tristesses, la mort. Et, en filigrane, l’innocence qui se perd peu à peu au fil de nos années. Un peu plus loin, le titre éponyme Est-ce que tu sais ? sonne comme une variation du « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » de Socrate. Seule persiste la conscience d’être au monde, et la fragile perception de ce même monde qui nous entoure. Comme un prolongement, La photo (en duo avec Camélia Jordana) aborde l’avant/après d’un cliché photographique. Ce que raconte une image de tel ou tel moment de vie, c’est aussi ce qu’elle ne raconte pas de l’immédiat avant ou du juste après, ou ce qu’elle suggère par le hors-champ. Ou encore, tout ce qui ne donne pas lieu à photo et dont, malgré tout, on a pleinement conscience et mémoire. Comment ne pas penser, une fois encore, à l’exceptionnel ouvrage d’Annie Ernaux Les Années ? Bourré d’images mentales et d’autant de photos collectives qui nous renvoient à nos parcours individuels, ce livre raconte une vie, la vie, notre vie. L’autre duo de l’album Sans sommeil (avec Alain Souchon) regarde l’existence comme depuis l’extérieur, dépouillée de tout parasite. Telle une représentation minimaliste dans laquelle on ferait le vide pour ne conserver, finalement, que l’essentiel, à savoir la vie et ce que l’on en fait.

En effet, il ne suffit pas d’être au monde et d’avoir conscience de l’existence pour être en vie. Encore faut-il faire sa vie. Les matins difficiles revient sur les choix et les décisions, mais aussi ce qui les fonde. Notamment, comment on reste debout, comment on reste en vie face au temps qui passe et aux claques reçues, comment on avance. Qu’est-ce que nous mène ? Ce titre interroge sur la place ô combien fondamentale de l’envie et du désir. Deux choses que l’on ne peut suivre que si on les connaît. Et pour cela, il est incontournable de bien se connaître. Illustration dans Le tour du monde, ou l’idée d’explorer en soi-même ce que l’on souhaite, mais aussi ce dont on a besoin pour être et se sentir en vie. De l’amour, de l’espace, des hiers et des lendemains pour se construire et savoir, jour après jour, mieux fonctionner avec soi-même. Et notamment avec La colère, qui s’invite parfois bien plus souvent qu’on ne le voudrait. Ce morceau rappelle combien ce sentiment est une composante intrinsèque de l’existence, tout en interrogeant sur son origine, et sur ce que l’on en fait lorsqu’elle est là, bouillonnante en nous et tapie dans l’ombre de notre personne. Au risque parfois de « croire qu’elles sont plusieurs à nous grignoter le cœur ». Pourtant, la colère n’est qu’une, mais elle se montre parfois tenace et persistante.

Les claques de la vie, la résilience et les choix qui en découlent ont une autre conséquence fondamentale : si chaque épreuve nous atteint, elle nous permet aussi d’avancer, de nous construire, d’encaisser puis de nous relever pour continuer le chemin en se connaissant toujours un peu mieux, étape après étape. Si On ne meurt pas (en une seule fois), cela signifie aussi que l’on reste en vie, avec toujours une meilleure appréhension des choses (si toutefois on veut s’en donner la peine) pour trouver sa place en ce monde. La place qui me convient et qui correspond à ce que je suis vraiment, histoire d’être à l’aise dans mes baskets (quelle que soit la paire du jour). Ce titre aborde aussi une dernière grosse thématique existentielle : trouver sa place et être soi, dans une vie en solitaire, ou à deux.

Est-ce que tu sais ? ne s’attarde pas sur la façon de vivre avec l’autre. L’album met surtout en avant, au travers de plusieurs titres, ce qu’est l’autre. Un refuge. Une bulle. Je me jette à ton cou déroule tous ces moments de vie où l’on se réfugie en l’autre pour partager, pour supporter aussi. Et parfois simplement pour vivre : « C’est mon île d’être ensemble ». L’autre est un endroit qui n’appartient qu’à moi, et à nous deux. Un peu plus loin, Tout contre toi sonne comme un écho intimiste avec, plus encore, l’idée de cette bulle refuge. Un asile de complicité avec l’autre qui se révèle le plus serein et le plus vivifiant des endroits que l’on pourrait imaginer. Dans ce lieu immatériel auprès de l’autre se trouve l’énergie dont on a besoin pour poursuivre malgré tout, et contre tout. C’est aussi le point de départ rêvé pour faire Le tour du monde : une odyssée avec l’autre, quelque soit le monde envisagé. Le voyage peut se trouver à des milliers de kilomètres, ou juste à quelques centimètres quand je suis Tout contre toi. Je le fais sans hésiter, parce que tu es ma bulle.

Cet album très chargé émotionnellement se clôt avec Si par hasard, une immense bouffée poétique dont nous avons déjà parlé récemment ici. Très intelligemment, Gaëtan Roussel nous amène petit à petit à ce onzième titre, dont l’écriture recèle un twist assez imparable. Pour toute personne faite de force et de caractère, mais aussi de fragilités confinant parfois à l’hypersensibilité, voilà une très belle chanson pour conclure Est-ce que tu sais ? Ce disque affiche une rare cohérence textuelle au travers d’un fil rouge existentiel traité avec une grande poésie. Cohérence également présente dans l’unité musicale affichée. Sous des airs parfois enjoués et rythmés, Gaëtan Roussel livre un album très intimiste, donc les différentes mélodies s’enchainent comme par magie, passant d’une simple guitare effleurée à quelques programmations intelligentes qui soutiennent toujours les textes. Cette unité musicale et de propos font de Est-ce que tu sais ? le meilleur album de Gaëtan Roussel à ce jour, réitérant en solo la magnifique réussite que constituait Lady Sir. Le mélange parfait entre interrogations, poésie, introspection, énergie, lumière, vie. Et plaisir.

Est-ce que tu sais que, pour gérer La colère et Les matins difficiles après des nuits Sans sommeil, on pourrait faire Le tour du monde ? Je viendrais alors Tout contre toi, pour s’assurer qu’On ne meurt pas (en une seule fois). Si par hasardTu ne savais pas… C’est dit, et Je me jette à ton cou pour La photo. La première, avant toutes les autres à venir.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°75: Hollow Talk de Choir Of Young Believers (2008)

Pour fêter ces vacances scolaires (youhou, 10 kms, youhou…), je vous propose un nouveau titre qui entretient un rapport avec une série vue sur Arte. Après En Thérapie qui m’avait donné envie de me replonger dans la discographie de Yuksek, c’est la très recommandable série suédo-danoise The Bridge (qui sera plus tard adaptée dans une version franco-britannique The Tunnel) et son sublime générique qui m’ont amené à découvrir un groupe danois qui m’était totalement inconnu Choir Of Young Believers (non, non ce n’est pas du rock évangélique). Formé autour du compositeur/chanteur/guitariste Jannis Noya Makrigiannis (oui le gars doit avoir des origines grecques assez incontestablement), ce groupe a sorti 3 albums studio dont le dernier Grasque en 2016.  Ce soir, c’est leur premier album This Is for the White in Your Eyes sorti en 2008 qui m’intéresse et plus particulièrement le morceau d’ouverture Hollow Talk. Ce morceau colle à merveille avec l’univers anxyogène et nocturne de The Bridge et s’inscrit dans une belle lignée de génériques quasi-parfaits (je suis le seul à penser directement à Game of Thrones?). Morceau d’une grande douceur où le violoncelle accompagne avec grâce la voix pleine d’émotion de Makrigiannis, le titre nage avec humilité dans les eaux troubles. Il sait cependant se faire plus incisif sans renier ses émotions inaugurales avec cette batterie judicieuse, la montée est imparable et désarme les derniers récalcitrants. Après Agnes Obel et Trentemoller, Choir Of Young Believers vient en toute simplicité prendre sa place au milieu de mon panthéon des artistes danois, enjoy!

Une version studio et une version live avec une belle explosion finale vous attendent désormais parce qu’à Five-Minutes on est généreux!

 

Sylphe

Reprise du jour n°6 : Heartbreak Hotel (1956/2011) de Elvis Presley par Hanni El Khatib

30061487863Petite re-plongée dans le monde merveilleux des reprises, avec aujourd’hui une virée entre rock’n’roll et blues. Et, pour bien faire les choses, un grand écart entre le milieu du 20e siècle et le début du 21e, soit presque 60 années de distance pour écouter deux interprétations d’un titre mythique qui a fait frissonner des millions d’oreilles, mais pas que. Heartbreak Hotel est un standard comme on n’en fait plus. Le genre de morceau identifiable dès les premières notes. Un souvenir collectif, une image mentale constitutive de la grande Histoire au travers de nos petites histoires personnelles respectives. Il y a fort à parier que cette chanson évoque à chacun de nous un moment de vie, des circonstances précises dans lesquelles nous l’avons découverte, ou encore un instant précis où elle a résonné. Ecrite par Tommy Durden et Mae Boren Axton, Heartbreak Hotel a connu son heure de gloire dès 1956, grâce à un certain Elvis Presley.

D’un côté donc, le King. Né en 1935, le garçon commence sa carrière musicale à 20 ans à peine en 1954, en explorant un savant mélange de country et de rhythm and blues, qu’on appellera bientôt le rockabilly. Ce n’est pourtant que deux ans plus tard (soit en 1956, nous y voilà), qu’Elvis décroche son premier n°1 avec… Heartbreak Hotel. Ce qui fait la force de ce titre à l’époque, c’est le tempo légèrement inférieur à tout morceau rock’n’roll et quelque peu traînant, mâtiné d’une sensualité qui suinte à chaque note. Avec cette ballade, la légende Elvis est en marche, autour de prestations alliant sa voix hors norme, mais aussi une gestuelle sensuelle, pour ne pas dire sexuelle, qui affole les jeunes générations et scandalise les parents. Au terme d’une carrière de 23 ans, il deviendra l’artiste solo ayant à ce jour vendu le plus de disques dans le monde : affichées autour de 600 millions, les ventes réelles sont estimées autour du milliard. Aucun autre artiste solo n’a atteint ces chiffres dans l’histoire de la musique, hormis les Beatles mais au titre de groupe. A la naissance de cette incroyable notoriété, Heartbreak Hotel en 1956. En quelque sorte l’acte originel musical d’une des plus grandes icônes culturelles.

De l’autre côté, Hanni El Khatib. Musicien américain né en 1981, près de 4 ans après la mort d’Elvis Presley, il débute sa vie professionnelle comme directeur artistique dans le monde des vêtements de skateboarders, tout en faisant de la musique en amateur. C’est pourtant ce dernier univers culturel qui va prendre le dessus. Après avoir enregistré deux singles en 2010, Hanni El Khatib publie son premier album Will the guns come out à l’automne 2011. Dans un style musical fait de garage rock et de blues, ce premier opus mélange des titres punk, et d’autres plus soul. En février 2012, le journal Le Monde parlera d’un album qui « rayonne de sauvagerie et de sex-appeal ». Une formule on ne peut plus juste. Dans cette ambiance, pas étonnant de retrouver une reprise de Heartbreak Hotel assez différente de la version originale, mais tout aussi incendiaire dans la sensualité dégagée. Une interprétation dépouillée et à l’os qui fait monter la température d’un bon cran dès les premières notes, que ce soit celles jouées par la guitare ou celles chantées par Hanni El Khatib.

Bien d’autres artistes ont repris Heartbreak Hotel au cours des décennies d’existence du titre. De John Cale à Billy Joel, en passant par Bruce Springsteen, Michael Jackson ou encore Paul McCartney, des dizaines d’artistes se sont frottés à la revisite de cette chanson. Sans, toutefois, y injecter l’énergie sensuelle qu’Elvis a su y mettre à sa création, et que Hanni El Khatib a su retrouver 55 années plus tard. Etranges sensations de vie et de plaisir, procurées par un morceau inspiré, au départ, par le suicide d’un jeune homme. Comme un mélange de grande et de petite mort, Heartbreak Hotel synthétise en quelques minutes tout ce qui peut nous faire vibrer, et parfois chavirer. Si tu ne fais rien aux prochaines vacances déconfinées, je t’emmène faire une virée au Heartbreak Hotel. Pour le meilleur évidemment, qui reste à venir.

Heartbreak Hotel version 1956 par Elvis Presley
Heartbreak Hotel version 2011 par Hanni El Khatib

Raf Against The Machine

Review n°76: New Fragility de Clap Your Hands Say Yeah (2021)

Voilà un album marquant de ce premier tiers de l’année 2021 en approche… En 2005, vous avez dû être submergés, tout comme moi, par la vague de fraîcheur indie-rock d’un album autoproduit sans titre d’un groupe au nom à rallonge Clap Your Hands Say Yeah. Porté en particulier par la voix nasillarde et prenante du chanteur Alec Ounsworth ainsi qu’une instrumentation animée d’un souffle énergisant, des titres comme Over and over Again (Lost and Found) ou The Skin of My Yellow Country Teeth se sont irrémédiablement incrustés dans mon ADN musical. On était en droit d’imaginer pour ces Américains issus de New-York une carrière à la Arcade Fire tant les promesses initiales de ce premier opus laissaient augurer le meilleur… mais les opus suivants Some Loud Thunder en 2007 et Hysterical en 2011 ne retrouvèrent pas le souffle des débuts. En 2012, le groupe se sépara et seul le chanteur Alec Ounsworth fait désormais vivre le groupe CYHSY avec deux albums Only Run en 2014 et The Tourist en 2017 que j’ai littéralement ratés. Au moment d’écouter ce New Fragility, je suis donc animé par une simple curiosité polie teintée d’une douce nostalgie, peut-être le meilleur état d’esprit pour se faire cueillir… Le constat est d’une simplicité imparable, je bénis les Dieux de la musique qui ont donné envie à Alec Ounsworth de prolonger l’aventure CYHSY, tant ce New Fragility, produit par John Agnello (Dinosaur Jr, Kurt Vile) est un bijou introspectif loin des explosions colorées des débuts.

Dès le morceau d’ouverture Hesitating Nation qui fait un bilan amer des Etats-Unis post Trump, on comprend que le message va être plus engagé. Je retrouve avec plaisir la voix nasillarde d’Alec dans un chant uptempo séduisant avec cette tension sous-jacente qui ne va pas cesser de monter tout au long du morceau. Thousand Oaks, titre faisant référence à une fusillade en 2018 dans un « Bar & Grill » de Thousand Oaks en Californie, dresse ensuite un constat pessimiste sur la montée de la violence et la difficulté de la contrecarrer « And we’re reasoning with messengers/ Who try to pass for grown men »… La batterie donne une ambiance rock à l’ensemble et je me surprends à penser au dernier album de The Killers car j’y retrouve cette même intensité. La ballade plus dépouillée Dee, Forgiven, qui s’appuie sur un piano et un harmonica d’une grande justesse favorise l’introspection même si je trouve que le chant tombe un peu trop dans le pathos. Le morceau éponyme New Fragility (oui ça ressemble fort à un pléonasme) m’évoque l’univers de The Cure et brille par la force de son refrain. C’est au précieux Innocent Weight que revient la chance de clore cette première partie de l’album particulièrement belle, sublimé par un violon qu’on croirait tout droit sorti d’un album d’Owen Pallett pour un résultat d’une grande grâce.

La deuxième partie de l’album est plus homogène et tend davantage vers l’introspection comme l’illustre si bien la ballade piano/voix Mirror Song. CYHSY, 2005 et ses violons ainsi que If I Were More Like Jesus et son étonnante reverb continueront à creuser ce sillon, avec une originalité moindre. Je préfère retenir la guitare folk et l’univers digne de Ray Lamontagne de Where They Perform Miracles mais surtout le bijou Went Looking For Trouble… On a l’impression d’accéder au lyrisme d’un Thom Yorke à travers un univers instrumental très riche et insaisissable où les violons jouent un rôle central, le genre de morceau qui montre qu’Alec Ounsworth a encore beaucoup à nous offrir.

Tu es déprimé parce que tu viens de t’enfiler tout le chocolat offert pour Pâques alors qu’il te reste 3 semaines à tirer pour le sacrosaint confinement? J’ai ce qu’il te faut, enfin Clap Your Hands Say Yeah plutôt, enjoy!

 

Sylphe