Five Titles n°20: Humor de Russell Louder (2021)

Découverte totale au programme en cette fin de weekend ensoleillé…. Russell Louder, signé(e) chez LisbonRussell Louder Lux Records, est originaire de l’Ile du Prince-Edouard et vit désormais à Montréal. Son premier opus Humor vient de sortir avec ses 9 titres pour une petite trentaine de minutes mais il n’en faut pas plus long pour prendre conscience que l’on tient ici une vraie voix et un univers dans lequel on a envie de se poser. Concernant l’univers instrumental, il est teinté d’électro rappelant le trip-hop sensuel des premiers albums de Goldfrapp, les synthés et la boîte à rythmes tenant une place importante même si la guitare fait une apparition remarquée sur la fin de l’album. On retrouve rapidement la filiation avec des artistes comme Florence and the Machine ou Austra mais ce qui m’a tout de suite désarmé c’est cette voix qui m’a paru instantanément familière. Une voix puissante et chaude qui m’évoque Annie Lennox de Eurythmics, alliant la puissance plus contenue d’une Beth Ditto à l’émotion d’une Jeanne Added. Je vous propose cinq titres qui vous donneront un bref aperçu de l’univers de notre Canadien(enne) [l’artiste est transgenre, d’où le masculin et le féminin qui se marient, mais j’ai envie de dire que le talent n’a pas de sexe ici].

  1. Le morceau d’ouverture Home est celui qui m’évoque le plus l’univers de Goldfrapp à qui je voue un vrai attachement. Des sonorités électro downtempo et un brin bruitistes, une voix puissante qui nous enveloppe langoureusement et qui prend le dessus sur les synthés, on savoure cette réminiscence du trip-hop qui arrive 20 ans plus tard.
  2. Après le traitement de la voix digne de Jeanne Added dans Cost of Living, Light of the Moon confirme que la voix de Russell Louder mérite d’être au centre de tout. Le groove du titre est imparable tant au niveau de la voix que des synthés. Morceau aussi brillant que la lumière de la lune…
  3. Vow est, quant à lui, porté par sa ligne rythmique et sa boîte à rythmes épileptique qui n’arrive pas à destabiliser la puissance tranquille de la voix de Russell Louder. Ce premier opus surprend véritablement tant la voix fait preuve d’une maturité hallucinante.
  4. Hello Stranger brille de son côté par son univers électronique qui me ferait penser à une formule extravertie et quasi-pop de The XX et par la douceur cristalline de la voix. Ce titre démontre tout le potentiel à faire bouger les corps.
  5. Je finirai avec Know the Game qui fait preuve d’un certain dépouillement pour un résultat empreint d’émotions.

On ne tombe pas tous les jours amoureux d’une voix dès un premier album, malheureusement ou plutôt heureusement, et Russell Louder, avec une retenue charmante, vient de me retourner en 30 petites minutes. Et vous, si vous preniez le risque d’être touché(e)s? Enjoy!

 

Sylphe

Pépite du moment n°84 : Si par hasard (2021) de Gaëtan Roussel

unnamedLa semaine dernière, précisément le 19 mars, deux bien beaux albums très différents sont arrivés dans les bacs. D’un côté, Elysée Montmartre – Mai 1991 de Noir Désir, donc nous avons largement parlé dans un Five Reasons à relire si le cœur vous en dit. De l’autre, Est-ce que tu sais ? ou le quatrième album solo de Gaëtan Roussel, après Ginger (2010), Orpailleur (2013) et Trafic (2018). Rappelons que, outre Louise Attaque, Gaëtan Roussel a aussi été Tarmac dans les années 2000, puis Lady Sir en 2017 avec Rachida Brakni tout en réactivant Louise Attaque le temps d’une Anomalie en 2016. Carrière pléthorique et kaléidoscopique, avec toutefois une ligne directrice : raconter des histoires aux messages plus profonds qu’on ne pourrait le croire comme tout autant de comptines pop, et parfois très rock/électro comme avait pu en témoigner sa prestation live au Printemps de Bourges en 2019. C’est peu dire que je suis très client de son travail, et son dernier LP n’échappe pas à la règle. Certains penseront qu’il compose et chante toujours la même chose. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Pour ma part, la galette tourne en boucle depuis quelques jours et, avant de détailler les 11 titres qui la composent dans une prochaine Review, arrêtons-nous sur un des morceaux, pépite absolue.

Si par hasard clôture l’album, et ce n’est pas complètement un hasard. Elle était facile, certes, mais qu’est-ce qui peut motiver un tel jeu de mots ?

D’une part, cette chanson raconte une fin/séparation. Je me garderai bien d’en spoiler la nature, car ce serait à coup sûr fusiller sans ménagement la possible émotion qui vous attend. Comme Gaëtan Roussel sait le faire depuis des années, il travaille son texte avec le double axe de la répétition, et des mots qui se mélangent ou se répondent. Mélodie pop étincelante et cristalline pour un texte qui boucle sur lui-même et nous emmène là où on ne s’y attend pas. Bien que connaissant son écriture et les tours de passe-passe verbaux qu’il construit, je me suis encore fait avoir par les paroles de Gaëtan Roussel. La fin/séparation que j’imaginais au départ n’est pas celle qui m’a attrapé quelques 3 minutes plus tard. La cerise (car il y en a une) : ce talent de nous faire construire, en quelques lignes, une représentation de ce que le texte raconte, avant de nous twister l’émotion en éclairant notre lanterne, tout en nous laissant y injecter nos propres sentiments et vécus. Si, comme moi, vous avez quelques années au compteur ponctuées d’expériences de vie qui nous permettent de nous construire, et que vous avez un petit bout de votre cœur tout sensible, vous pourriez bien vivre la même chose que moi. Je n’étais clairement pas prêt à ce que ce morceau m’a envoyé. La déflagration émotionnelle de cette apparente comptine innocente ne m’a laissé aucune échappatoire, tout en me délivrant un plaisir et une énergie énorme et inattendu.

D’autre part, et à la lumière ce que je viens de dire, Si par hasard est typiquement un titre de clôture d’album de Gaëtan Roussel. Ce dernier a toujours soigné ses fins de disques. Pour Ginger (2010), c’était Les belles choses. Dans Orpailleur (2013), on se quittait sur Les courants d’air, alors que Trafic (2018) se terminait ironiquement sur Début. Chacune de ces pépites apporte une conclusion logique et cohérente à tous les titres qui les précèdent, tout en délivrant une charge émotionnelle qui ne laisse pas intact. Si par hasard n’échappe évidemment pas à la règle, en constituant une sorte de conclusion aux 10 morceaux précédents qui abordent, une fois de plus chez Gaëtan Roussel, la vie, le temps qui passe, la mort, l’essentiel et le superflu, l’amour. Y a-t-il vraiment autre chose qui compte ? Par intermittence sans doute oui. Toutefois… avoir conscience de son parcours de vie, des réussites et des échecs pour avancer… savoir dépasser les erreurs ou les coups durs pour devenir ce que l’on est vraiment, sans se conformer à de quelconques attentes sociétales pour pouvoir être soi-même… être capable de reconnaître une belle rencontre et partager ensemble des moments nourrissants en apprenant à exprimer ce qu’on ressent… Voilà des fondamentaux de vie que Gaëtan Roussel exprime album après album, dans un enrobage pop qui ne rend que plus percutant le message lorsqu’on veut bien s’y plonger.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°83: Ride Or Die de Boys Noize & Kelsey Lu feat. Chilly Gonzales (2021)

Attention claque sonore et graphique en approche…Le trio à l’origine de ce morceau nous inspire déjà une totale confiance avec le producteur électronique Boys Noize, la violoncelliste et vocaliste Kelsey Lu, ainsi que l’inclassable et brillant Chilly Gonzales. Trois artistes que je vous invite d’emblée à aller (ré)écouter mais aujourd’hui c’est bien leur collaboration qui nous réunit. Tout part d’une mélodie jouée par Chilly Gonzales sur un clavecin particulier, une épinette, sur laquelle vient se poser la belle voix de Kelsey Lu, entre douceur et distorsion. Le début pop se déploie avec majestuosité quand une tension sous-jacente entre en jeu… Les machines font monter le morceau en tension et la fin électro de Boys Noize emmène le titre vers des contrées inattendues. L’ensemble est brillant et d’une grande homogénéité, d’un grand pouvoir cinétique, ce que confirme le brillant clip produit par le studio Art Camp. Je l’ai découvert il y a quelques heures et je ne peux déjà plus m’en passer, vous tentez l’expérience? Enjoy!

 

Sylphe

Five Titles n°19: Yol d’Altin Gün (2021)

Voyageons aujourd’hui vers les sonorités orientales d’Altin Gün (âge d’or en turc) qui, comme son nom l’indique peu, Altin Günest un groupe néerlandais. Même s’ils se plaisent à rappeler qu’un seul membre du sextuor est d’origine turque, le groupe créée par des collaborateurs de Jacco Gardner s’inspire pleinement des sonorités orientales et le saz (sorte de luth) tient une place centrale dans les deux premiers albums On en 2018 et Gece en 2019. Certes les voix de Merve Dasdemir et Erdinç Ecevit Yıldız me séduisent mais je dois reconnaître que ces deux premiers albums ne me touchent pas plus que ça, même si je reconnais leur cohérence. Du coup, je n’ai pas particulièrement d’attente en écoutant ce troisième opus Yol et je suis juste curieux de voir l’évolution du son d’Altin Gün. Certes, on retrouve cette langue turque aux accents chantants et les influences orientales mais quelle évolution et ouverture vers une synthpop 80’s qui me séduit pleinement. La curiosité polie laisse ainsi place à un vrai plaisir, ce Yol est brillant et fait parfaitement le lien entre Orient et Occident, tel une Istanbul placée sur le détroit du Bosphore entre Europe et Asie. Je vous propose de découvrir 5 titres marquants de ce Yol (route en turc), qui vous permettront de voyager.

 

  1. Ordunun Dereleri, après les trente secondes du morceau d’ouverture, frappe fort et révèle d’emblée la révolution sonore. Sur fond de circulation automobile, un synthé puissant vient prendre le pouvoir et marteler avec une certaine douceur le titre. La voix de Erdinç Ecevit Yıldız apporte sa grâce pour un résultat de synthpop séduisant et entraînant où les gimmicks sonores s’épanouissent en fond.
  2. Yüce Dağ Başinda joue de son côté la carte de la pop à fond. Les synthés sont omniprésents (j’y ai reconnu des sons présents chez Gorillaz …) et la voix de Merve Dasdemir porte le titre pour un résultat d’une grande spontanéité particulièrement communicative.
  3. Une guitare d’une grande justesse et des synthés? J’ai ce qu’il vous faut avec Kara Toprak qui est sublimé par la voix de Merve Dasdemir. Je dois reconnaître que mes mots peinent à retranscrire mon plaisir d’écoute et je ne peux que vous inviter à me faire confiance…
  4. Maçka Yollari rappelle, quant à lui, l’univers des deux premiers albums. Le saz est omniprésent mais le contraste avec la boîte à rythmes lui donne encore plus de poids et le voyage est garanti. Ce morceau me donne une furieuse envie de danser dans mon salon.
  5. Le morceau final Esmerim Güzelim clot l’album avec douceur par un jeu subtil de ruptures de rythme et un vent pop qui souffle avec justesse.

C’est avec une certaine frustration que je finis cette brève chronique qui ne rend pas assez honneur à ce Yol, je compte sur vous pour que votre plaisir d’écoute compense tout, enjoy!

 

 

 

 

Sylphe

Five Reasons n°27 : Elysée Montmartre – Mai 1991 (2021) de Noir Désir

Live-a-l-Elysee-MontmartreDemain 19 mars tombera dans les bacs une double galette invitant à un saut de 30 ans dans le passé. Uniquement disponible à ce jour dans le coffret CD Noir Désir – Intégrale sorti en décembre 2020, le live Elysée Montmartre – Mai 1991 des Bordelais s’offre une sortie CD, ou double vinyle pour les amateurs (avec, au passage, une chouette édition limitée vinyle rouge à la Fnac). A ce jour, on ne dispose officiellement que de 4 albums live : Dies Iræ (1994) pour la tournée Tostaky et Noir Désir en public (2005) pour la tournée Des visages, des figures, auxquels on peut ajouter Nous n’avons fait que fuir (2004), captation d’une performance poético-musicale de juillet 2002 et Débranché (2020), regroupement de deux prestations acoustiques période 666.667 Club. Nous voilà donc avec un 5e enregistrement live. Pour quoi faire, serait-on tenté de se demander. Y a-t-il encore des choses à découvrir de ce qui est très possiblement le meilleur groupe rock français ? Y a-t-il une bonne raison de plonger dans ce disque ? Pour être honnête, j’en vois même cinq.

  1. Elysée Montmartre – Mai 1991 constitue, à ce jour, le seul témoignage sonore officiel de ce que fût sur scène Noir Désir Période 1. Une Période 1 qui englobe les trois premiers albums Où veux-tu qu’je r’garde ? (1987), Veuillez rendre l’âme (à qui elle appartient) (1989) et Du ciment sous les plaines (1991). Viendra ensuite la Période 2 qui regroupe Tostaky (1992) et 666.667 Club (1996), avant la Période 3 (inachevée) uniquement faite de l’exceptionnel Des visages, des figures (2001). Ce découpage en trois périodes n’a aucun caractère officiel. Il ne sort que de mon regard sur la carrière du groupe. Si le dernier album ouvre des perspectives sonores inattendues et prometteuses, le dyptique Tostaky/666.667 Club déploie du gros son et marque surtout la reconnaissance internationale pour le groupe. Les trois premiers opus sont ceux d’une formation naissante mais terriblement excitante, inscrits dans une tendance très 80’s et un poil dépressive du rock français. Trois mois après la sortie de Du ciment sous les plaines, Noir Désir investit l’Elysée Montmartre pour une série de 9 concerts qui annonceront une mutation musicale.
  2. Côté mutation musicale, l’album Du Ciment sous les plaines amorce déjà bien les choses début 1991. Jusqu’alors, Noir Désir se résume à un 6 titres en 1987 qui fleure bon le rock underground new-wave (il n’y a qu’à voir les looks du groupe à l’époque, savant mélange de Cure et d’un style gothico-romantique qui se cherche), puis à un premier LP dont les radios retiendront surtout Aux sombres héros de l’amer. Alors que cet album contient des pépites brûlantes comme Les écorchés, La chaleur, et surtout le génial et poisseux Le fleuve. Du ciment sous les plaines apporte un son plus épais et plus dense, résolument plus rock et électrique. La tournée qui suit confirme la tendance : en écoutant cet Elysée Montmartre, on devine déjà le gros son à venir de Tostaky, et l’énergie furieuse qui habitera le live Dies Iræ.
  3. Elysée Montmartre est une ode à Du ciment sous les plaines. Parmi les 14 titres de l’album studio, 8 alimentent le live sur un total de 15. Soit une grosse moitié. Du ciment est à la fois l’album le moins connu du groupe, et celui qui a enregistré le moins de ventes. De là à dire que c’est le moins apprécié, il y a un pas que je ne franchirai pas, puisque j’ai précisément une passion pour cet opus. L’énergie de titres comme En route pour la joie, Tout l’or, Le Zen émoi, la tension insoutenable de Si rien ne bouge, No No No, ou encore la dépression rock de Charlie sont autant de facettes musicales d’un rock que j’aime profondément. Pas étonnant de retrouver ces titres sur le live, aux côtés d’autres pépites du même acabit tirées des deux premiers albums : La rage, Les écorchés, La chaleur, Pyromane envoient du très très lourd. Quelqu’un qui ne saurait pas dans le détail de quels albums sont tirés les titres pourrait penser qu’il sortent d’une seule et même galette. En un mot : la capacité d’un groupe à mélanger anciens et nouveaux morceaux, dans un son unique.
  4. Ce son est celui du début des années 1990. Celui d’il y a 30 ans tout rond. Celui d’un monde qui n’est plus, dans lequel nous avons vécu et écouté à sa sortie Du ciment sous les plaines, au milieu de dizaines d’autres albums tout aussi marquants. Ce son est aussi celui qui accompagnait nos existences quotidiennes d’il y a 30 ans. Vous faisiez quoi en 1991 ? Vous étiez où ? J’ai pour ma part un souvenir très précis de ces années et de poignées de moments dans lesquels ont résonné ces titres de Noir Désir. Loin de tomber dans la nostalgie car je suis bien plus heureux aujourd’hui et à mon âge actuel, ce sont plutôt des images mentales de moments passés avec des copains autour d’un demi, de nuits à refaire le monde ou du moins à rêver qu’il change, d’interminables weekends à passer de la guitare à une clope à un verre à un film à des rires à des regards… C’est aussi l’époque d’une fougue et d’une énergie qui sont intactes aujourd’hui, avec un peu de patine, d’expérience et de connaissance de soi. Mais, voilà pourquoi il est bon de replonger dans Elysée Montmartre et 1991 : retrouver des sensations de ce que nous avons été, pour mieux apprécier ce que nous sommes devenus et se préparer à la suite.
  5. Pour tous les fans de Noir Désir, cet album est tout bonnement indispensable. Indispensable dans le son rock et unique qu’il porte, et que l’on ne retrouvera pas dans les futurs lives du groupe. Pas même dans Dies Iræ qui, s’il lui ressemble à la première écoute, est nettement plus marqué gros son épais. Indispensable pour le vide qu’il comble dans la case de disques Noir Désir. Pour les autres, je vous laisse seuls juges. Néanmoins, si vous aimez la musique, si vous aimez le rock (et notamment le rock français), si vous vous intéressez à son histoire et son évolution, il y a de fortes chances que vous craquiez sur cette pièce hautement incandescente. Enfin, peut-être cet Elysée Montmartre vous sera-t-il incontournable juste parce qu’il est la mémoire d’un temps qui fût et qui n’est plus. En l’écoutant, j’ai pensé au magnifique livre Les Années d’Annie Ernaux : cette biographie sociétale collective que l’autrice construit page après page à coups d’images mentales et de petites touches du quotidien de chaque époque. Voilà un album qui a toute sa place dans mes années à moi.

Elysée Montmartre – Mai 1991 de Noir Désir sort officiellement demain 19 mars. Si vous n’avez pas, tel le bon iencli que je suis, déjà précommandé (et reçu, je l’avoue !) la double galette, il ne vous reste plus qu’à foncer demain chez votre disquaire préféré pour pouvoir écouter à fond tout le weekend un album un peu inespéré, qu’on n’attendait plus à l’unité puisqu’il était disponible en coffret, mais terriblement incendiaire et addictif.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°74: Always On The Run de Yuksek (2011)

Et tout est parti d’un générique de série qui me déçoit…Je m’explique. J’ai depuis peu cédé à la tentation de regarder la série En thérapie qui est véritablement brillante, porté par la performance magistrale de Frédéric Pierrot (déjà touchant de sincérité dans Polisse) et de tous les autres comédiens, Mélanie Thierry en tête. Je ne peux que vous inviter à savourer le travail d’Eric Toledano et Olivier Nakache qui ne nous déçoivent jamais dans leur approche de l’humanité et ses fragilités. Le bémol minime, me concernant, c’est ce générique et la musique qui l’accompagne qui peinent à me convaincre, et ceci est un doux euphémisme. Je suis d’autant plus déçu que ce générique est l’oeuvre d’un artiste que j’apprécie particulièrement, Yuksek. Du coup, j’ai eu envie de contrebalancer cette « déception » en me replongeant dans les premiers albums du Rémois de naissance, Away From The Sea (2009) et Living on the Edge of  Time (2011)… De nombreuses pépites électro-pop jalonnent ces deux petits bijoux d’une grande instantanéité et le choix d’un titre n’a pas été aisé. J’espère que la pépite du jour, en l’occurrence le morceau d’ouverture de Living on the Edge of Time à savoir le susnommé (non, non, ce n’est pas une insulte) Always On The Run, vous donnera envie de parcourir les albums. Des synthés obsédants qui ne sont pas sans rappeler ceux de leurs potes rémois de The Shoes, un refrain addictif qui gicle littéralement, un intermède digne de Justice au niveau des voix, une électricité sous-jacente que ne renierait pas Birdy Nam Nam et ce clip brillant dont la chute est particulièrement inattendue suffisent à me donner le sourire. Et vous, si vous écoutiez les premiers albums de Yuksek ? Voilà une thérapie qui porte rapidement ses fruits, enjoy!

 

Sylphe

Review n°75: Sand de Balthazar (2021)

Une solution face au blues du dimanche soir? J’ai ce qu’il vous faut avec le cinquième opus des Belges deBalthazar Sand Balthazar, Sand, sorti le 26 février dernier. J’avoue avec sincérité avoir découvert ce groupe formé autour du duo Maarten Devoldere / Jinte Deprez assez tardivement mais je reste sous le charme du dernier album Fever, chroniqué par ici. Deux ans plus tard, nous arrive donc cette créature pour le moins surprenante et mystérieuse, espèce d’Alf 2.0 ou personne déprimée car le couvre-feu vient de lui ruiner sa soirée déguisée? Bref, je vous laisse méditer sur cette pochette ouverte à tous les vents de l’interprétation. Je ne vais pas tourner autour du pot (belge… blague pour les cyclistes), cet album s’inscrit dans la droite lignée de Fever et fonctionne à merveille. Les ingrédients sont limpides: des voix rocailleuses et sensuelles à souhait qui te feraient virer ta cuti en deux temps trois mouvements, des lignes de basse d’un groove indéniable, des rythmiques qui se prélassent avec dépouillement et douceur même si les boîtes à rythme prennent avec justesse une place plus importante, un sens de la mélodie imparable qui pousse de plus en plus les Belges à aller explorer le pays plat de l’électro-pop. Si tu as 43 minutes devant toi (la même durée que le dernier Django Django, coïncidence ou complot, toutes les hypothèses demeurent…), installe toi une bière à la main et savoure la future défaite de ton blues dominical…

Le morceau d’ouverture Moment introduit avec classe et majestuosité dépouillée l’album à travers sa boîte à rythme et sa ligne de basse qui sentent bon la sueur. Les cuivres, les choeurs, on retrouve toute la richesse de l’univers de Balthazar. Ce Moment amène sur un plateau d’argent le bijou Losers qui brille par la puissance électro-pop de son refrain et de ses choeurs, sublime contraste avec le groove downtempo des couplets. On A Roll fonctionne ensuite sur la même recette, d’un côté cette ligne de basse toujours sur le fil et de l’autre ce refrain plus lumineux qui n’est pas sans m’évoquer le pouvoir pop de MGMT. I Want You avec sa boîte à rythme obsédante et sa litanie finale ainsi que You Won’t Come Around et sa douceur d’une grande sensualité qui sort l’atout caché des cordes sur la fin font parfaitement le job avant la nouvelle pépite Linger On d’inspiration plus électro qui brille par sa rythmique addictive. Ce morceau est imparable et réveille en moi ce déhanché démoniaque qui fait succomber toutes les femmes… dans mes rêves.

L’électro-pop et les choeurs féminins de Hourglass paraissent en comparaison un brin faciles par la suite et je préfère dans ce registre Passing Through qui est sublimée par les cordes finales si représentatives du son de Balthazar. Il faut reconnaître que la fin de l’album est plus classique et déclenche moins de soubresauts, les mauvaises langues y déceleront une certaine paresse en rapport avec cette créature sur la pochette. Le saxo et les cordes de Leaving Antwerp apportent cependant un supplément d’âme savoureux, Halfway n’est pas une valeur ajoutée évidente et Powerless mise sur un piano fragile qui se marie parfaitement à la douceur finale. Voilà 43 minutes qui devraient être déclarées d’utilité publique tout simplement, enjoy!

 

 

Sylphe

Review n°74: Glowing in the Dark de Django Django (2021)

Retour aux affaires blogesques aujourd’hui après deux semaines de vacances, coupé d’internet maisDjango Django pas de l’actualité musicale très riche du moment où des grands noms comme Tindersticks, Altin Gün ou Balthazar ont sorti des albums qui font chaud au coeur. Vous vous doutez bien que Django Django va venir enrichir cette belle litanie avec son quatrième album Glowing in the Dark sur le label très recommandable Because Music… Après un premier album éponyme  particulièrement enthousiasmant en 2012 dans sa volonté de proposer une pop hédoniste brisant les frontières et croisant avec succès le rock psyché et les sonorités électroniques, les Anglais de Django Django ont tranquillement tracé leur sillon au rythme d’un album tous les trois ans avec Born Under Saturn en 2015 et Marble Skies en 2018. C’est donc sans surprise, après trois nouvelles années bien longues (la dernière paraît s’écouler lentement non?) que ce Glowing in the Dark, composé dans son intégralité pendant le confinement, va venir nous apporter sa touche lumineuse. Si vous avez besoin d’un album qui vous imprime un sourire perpétuel sur le visage, cet album est fait pour vous tant il revient à  l’hédonisme des débuts!

Le morceau d’ouverture Spirals va nous offrir d’emblée 5 minutes très riches, comme la BO d’un western psychédélique. Une boucle électro qui s’accélère et fait monter une tension presque palpable, la batterie qui entre en jeu et la voix si caractéristique de Vincent Neff qui sublime un refrain pop addictif, font de ce titre une pépite qui fonctionne immédiatement. Les pisse-froid diront que la recette est un brin éculée mais elle est appliquée à la perfection! Right the Wrongs et Got Me Worried jouent ensuite la carte d’une pop solaire et sans retenue, nourrie à la fontaine du psychédélisme et lorgnant vers ses compères d’Hop Chip. J’aime bien les rythmiques uptempo mais ces deux titres restent un peu trop linéaires et classiques à mon goût pour me renverser totalement, même si le kitsch des applaudissements live sur la fin de Got Me Worried n’est pas pour me déplaire. Je me laisse plus facilement toucher par la voix mystérieuse de Charlotte Gainsbourg, leur compagne de label, sur Waking Up,qui prouve au passage que la pop lui va à merveille et la rythmique ralentie de Free from Gravity. Quelques sonorités spatiales et un refrain entêtant suffisent à mon plaisir car je suis un homme facile.

Headrush vient alors proposer un croisement original entre psychédélisme et expérimentation électronique. Une ligne de basse qui s’imprime en toi et fait vibrer ta colonne vertébrale, des choeurs un peu kitsch qui se marient à merveille avec l’instrumentation très riche, je n’arrive pas à me retirer de la tête en écoutant ce morceau que les Américains d’Animal Collective viennent de vriller et se mettent à composer de la pop accessible… Cet album regorge de vraies surprises comme ce surprenant The Ark inquiétant qui propose une revisite électro- SF (oui je trippe totalement sur ce nom) de krautrock. Bref, vous l’aurez compris, c’est joliment inclassable. Un Night of the Buffalo séduisant par son sentiment d’urgence sous-jacent et sa guitare en arrière-plan (et ce, malgré des violons improbables sur la fin qui montrent que le confinement n’a pas laissé de marbre nos amis Anglais) et la douceur de The World Will Turn où l’association voix/guitare sèche nous donne l’impression que Jean-Baptiste Soulard s’est mis à l’anglais une bonne fois pour toute nous amènent vers une fin d’album particulièrement réussie.

Kick the Devil Out tout d’abord et sa sonnette inaugurale surprenante prolonge la veine de la pop hédoniste  avant l’électro séduisante de Glowing in the Dark qui lorgne avec envie vers le dance-floor et les Anglais de Hot Chip et le bijou Hold Fast, superbe épopée électronique au pouvoir pop incontestable… La voix de Vincent Neff révèle amplement toutes ses qualités, je dois reconnaître que je suis sous le charme de ce morceau et regrette presque qu’Asking for More, morceau classique plus pop, vole à Hold Fast la place finale de cet album qui vous permettra d’aborder sereinement la dernière ligne droite de cet hiver, enjoy!

 

 

Sylphe

Pépite intemporelle n°73 : When the levee breaks (1971) de Led Zeppelin

LEDCD004Nous sommes fin 1971, le 8 novembre très exactement. Tombe dans les bacs le quatrième album de Led Zeppelin, généralement nommé Led Zeppelin IV, en continuité des 3 précédents, bien que la pochette de ce nouvel opus soit totalement dénuée de toute inscription. Le groupe britannique, emmené par Jimmy Page à la guitare, Robert Plant au chant, John Paul Jones à la basse et John Bonham à la batterie, vient de pondre 3 albums incroyables entre 1969 et 1970 : Led Zeppelin (1969), Led Zeppelin II (1969) et Led Zeppelin III (1970). Trois galettes qui posent les bases d’un son nouveau en explorant des choses bien connues : le blues, le rock, le folk, mais tout ceci à la sauce Led Zeppelin. Autrement dit, un son fait d’une voix assez incroyables, de riffs et de solos de guitares ravageurs et démentiels, et d’une section rythmique apportant un groove assez inattendu, pour ce qui deviendra les origines du hard rock. La grande question avant de se plonger dans ce Led Zeppelin IV, c’est de savoir ce que le groupe peut apporter de plus et de mieux après 3 disques où il n’y a pas une seconde à jeter. La réponse ? Un quatrième album de nouveau parfait, une sorte de condensé de tout ce que le quatuor sait faire.

Led Zeppelin IV est construit autour de 8 titres, chacun plus efficace que le précédent et que le suivant. C’est bien simple : quelle que soit la porte d’entrée sur cet album, ça fonctionne. Que l’on commence avec les très rock Black dog ou Rock and roll, que l’on poursuive avec le folk celtique The battle of evermore ou que l’on plonge dans l’incontournable Stairway to heaven, la première face de l’ascension est ponctuée de frissons et d’une pêche assez folle. Seulement voilà, il reste l’autre face de l’aventure. Un second temps qui s’ouvre sur le groovy Misty mountain hop, pour enchaîner sur l’excellent blues folk incandescent Four sticks. En 7e position, Going to California la joue balade folk intimiste. Ne reste qu’un morceau pour boucler cet incroyable galette. Un dernier morceau de 7 minutes qui nous prend par surprise, tant on pensait finir en douceur.

When the levee breaks ne pardonne pas. Nos oreilles et nos corps sont arrivés exsangues et ravis à la fin de Going to California. Ravis de cette virée musicale multi-influences et pensant avoir tout entendu. Ce n’est évidemment pas le cas, avec cette reprise d’un vieux titre blues écrit en 1927 par Kansas Joe McCoy et Memphis Minnie. Le morceau, dont le titre signifie « Quand la digue se rompt », fait référence à la grande crue du Mississippi de 1927 qui ravagea l’Etat éponyme et les régions voisines. De nombreuses habitations furent détruites, tout comme l’économie agricole locale. Ces lourdes conséquences poussèrent des familles entières à partir chercher du travail dans les villes industrielles du Midwest, et contribuèrent à la grande migration des Afro-Américains en ce début de XXe siècle. Voilà pour l’acte de naissance, et voilà également, en pépite bis, la version originale.

Evidemment, la revisite de Led Zeppelin ne va pas laisser ce titre au rang de sympathique et tranquille blues acoustique. Le groupe retouchera les paroles, mais défenestrera surtout la partie musicale : une ouverture de bucheron à la batterie, vite rejointe par un chant d’harmonica vibrant et saturé, et une guitare entêtante. Pour une introduction démentielle de presque 1 minutes 30, avant que Robert Plant ne vienne planter sa voix stratosphérique au milieu de cette jungle bluesy. S’ensuit alors une virée hypnotique et vénéneuse dans laquelle sont injectés des sons à l’envers (harmonica et écho), du phasing (technique consistant à répéter un court motif musical en le décalant, tout en augmentant et diminuant ce décalage) et du flanging (effet sonore obtenu en ajoutant au signal d’origine ce même signal, légèrement retardé). When the levee breaks par Led Zeppelin, c’est tout autant une affaire d’interprétation que de techniques sonores nouvelles que le groupe explore pour notre plus grand bonheur.

Il en résulte un titre poisseux directement sorti du bayou, terriblement obsédant et sensuel et d’une efficacité assez rare, surtout lorsqu’il s’agit de refermer un album. Là où certains artistes négligent les fins de disques (et notamment à l’époque du tout vinyle où la face B pouvait se voir sacrifiée en contenant des B-sides et morceaux secondaires), Led Zeppelin soigne sa sortie. Comme pour récompenser les fans et les courageux qui se sont aventurés jusque là. Mais aussi pour montrer que, de la première à la dernière note, ce groupe de légende ne vole ni sa réputation ni son talent. When the levee breaks met un point final à quatre albums, eux aussi de légende. Led Zeppelin poursuivra ensuite sa carrière tout au long des années 70, avec encore de bien belles choses à venir. Pourtant, aucun album futur n’égalera ces quatre premiers. Et aucune fin d’aucun album de Led Zeppelin ne possède cette intensité et cette puissance qu’apporte When the levee breaks.

Raf Against The Machine