Pépite intemporelle n°12: Taste Me de Griefjoy (2013)

Découvrir les arcanes de la réussite musicale n’est pas chose aisée et certains facteurs Griefjoyrelèvent davantage de la chance… c’est tout du moins ce que je me dis avec le groupe français Griefjoy qui, à mon sens, n’a pas la renommée qu’il mériterait. Les quatre niçois (Guillaume Ferran au chant et synthétiseur, Billy Sueiro à la guitare et au synthétiseur, David Spinelli au synthétiseur et Romain Chazaut à la batterie) se sont formés en 2008 sous un nom devenu célèbre grâce à Bruno Vandelli Quadricolor et ont remporté le CQFD des Inrocks en 2010 avant de prendre le nom de Griefjoy. Après deux EP ils sortent en 2013 un premier album brillant et addictif Griefjoy qui regorge de pépites telles que Feel, Windswept, Crimson Rose ou Taste Me que je souhaite partager avec vous pour ce dernier article de 2018.

Une superbe voix toute en sensualité, une ambiance instrumentale tout en contrastes avec ces notes de piano qui tombent comme des perles au milieu des synthétiseurs, une rythmique accrocheuse et rock, des choeurs fragiles et bien sentis me donnent l’impression que les français de Stuck in The Sound auraient rencontré l’orfèvre des machines Trentemoller et créé une créature hybride d’une richesse infinie. Ce morceau a le mérite de me donner une énergie folle au moment d’aborder avec enthousiasme la nouvelle année et je vous souhaite une bonne année quelques heures en avance en espérant vous voir toujours plus nombreux sur Five-Minutes en 2019!

Pour ce Taste Me, je vous laisse la version de l’album et un superbe morceau en live pour Mikrosession où les machines prennent subtilement le pouvoir. Enjoy!

Sylphe

Review n°17: Séquence collective de Cabaret contemporain (2018)

Cabaret contemporain ou le défi de jouer de la techno de manière acoustique en oubliant Cabaret contemporainles machines… Signés sur le label d’Arnaud Rebotini, Blackstrobe Records, les cinq compères (Fabrizio Rat au clavier, Giani Caseroto à la guitare, Julien Loutelier à la batterie, Ronan Courty et Simon Drappier aux contrebasses) font souffler un vent frais sur les complexes industriels désaffectés de Détroit pour réveiller Jeff Mills et consorts. Une musique âpre et brillamment produite qui démontre que la techno a bien, elle aussi, sa place sur Five-Minutes.

On ne va pas se mentir, la techno est un style musical aussi séduisant qu’exigeant et j’ai de plus en plus de mal à écouter des albums ou des sets en entier… (#jevieillisetjeposeplusmespiedsenclub) Cet album se pose donc comme une belle exception tant je trouve la démarche artistique louable. Petit tour d’horizon de ces 8 titres taillés dans la pierre brute.

Les 7 minutes du morceau d’ouverture Ballaro ne laissent pas la place au doute. Sonorités sombres et urbaines, ryhmiques lancinantes des contrebasses, superposition des couches sonores, le titre est un subtil hommage à la techno de Jeff Mills et une vraie pépite de haut vol. Transistor reste dans cette même veine tout en se montrant encore plus âpre et plus anxyogène. Plus dépouillé et privilégiant moins une ligne mélodique évidente, ce titre ne trouve pas véritablement grâce à mes yeux… ce qui n’est pas du tout le cas de La selva qui me rappelle les premiers morceaux de Vitalic. Le climat est inquiétant et la rythmique dub particulièrement entêtante pour un résultat brillant et hypnotique. Arrive alors mon sommet de l’album, La chambre claire, plus downtempo et volontiers groovy avec ses contrebasses. La mélodie est plus douce et l’ambiance plus lumineuse, ce morceau est d’une richesse évidente et s’impose comme un de mes titres préférés de l’année.

Arnaud Rebotini collabore ensuite sur le morceau Boogaloo, la voix caverneuse et les synthés délivrant une mélodie répétitive donnent l’impression que Faithless est sorti de la naphtaline. Ce morceau un brin suranné amène le minimaliste Cactus qui, par son âpreté et ses bruits qui hérissent le poil, représente la froideur de la techno qui me séduit peu. Heureusement la rythmique uptempo de TGV va vite me faire oublier ce Cactus avec ses envies de trance qui me rappellent le très bon Manual For Successful Rioting de Birdy Nam Nam. De nouveau Arnaud Rebotini collabore sur le morceau final October Glider, subtile montée en puissance portée par des sirènes angoissantes où l’explosion finale réveille le démon de la danse hypnotique en moi.

Cabaret contemporain réussit donc le tour de force avec ce Séquence collective de revitaliser brillamment la techno.

Sylphe

Five reasons n°5 : Danser sur la table de Vincent Delerm (2016)

Changement de dernière minute sur Five-Minutes : je pensais vous parler d’un des grands albums de l’année 2018, mais ce sera pour plus tard, genre la semaine prochaine (#l’artduteasing!). Comme la semaine passée, au fil de mes tweets, je (re)découvre des sons, dont un bien beau titre de Vincent Delerm, Danser sur la table, à la faveur d’un tweet de Vincent Dedienne. J’ai réécouté ça dans un moment de suspension, et voilà (au moins) 5 raisons pour lesquelles je vous invite à faire de même.

  1. C’est une chanson de Vincent Delerm, et si son travail vous touche, ce titre synthétise bien des choses que l’on aime chez lui : une trame musicale présente et discrète à la fois, un texte subtil, un poil mélancolique, un peu énigmatique et pourtant très clair.
  2. C’est une chanson que l’on a envie de dédier à tous ces gens qui vivent leur vie sans jamais danser sur la table, avec parfois quelques accidents de la vie, dans une discrétion mêlée de pudeur. Tous ces gens qui recèlent des trésors d’humanité et dont on ne peut plus se défaire une fois qu’on les a rencontrés.
  3. C’est une résonance avec Les gens qui doutent (1977), un titre d’Anne Sylvestre repris, justement, par Vincent Delerm sur son album live A la Cigale (2007), accompagné par Albin de la Simone et Jeanne Cherhal. « J’aime les gens qui doutent / Les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer », un texte magnifique que j’adore, qui parle de fragilité et de sensibilité humaine.
  4. Ce sont quelques minutes qui me plongent dans un état de tiédeur mentale par ce froid mercredi de décembre. Quelques minutes que j’ai écoutées un grand thé vert fumant à la main. En me disant que, sans doute, « Et ma vie passera / Et ma vie incroyable / Et je vivrai comme ça / Sans danser sur la table ». Parce que oui, on peut vivre et se satisfaire de mille et uns petits plaisirs de la vie, sans être un va-t-en guerre ou une grande gueule. Sans esbroufe.
  5. C’est une chanson qui m’a fait relancer et réécouter tout l’album A présent (2016), dont elle est tirée. Un disque où j’ai retrouvé de bien belles choses, et je vous invite à faire de même. Pour vous y inciter, je vous propose ci-dessous la version studio, mais aussi l’interprétation live piano-voix tout en nuances de Vincent Delerm et Vincent Dedienne de ce Danser sur la table.

Joyeux Noël à tous, et profitez-en bien, tout comme de la vie : nul besoin de Danser sur la table pour se sentir vivant et se laisser envahir par un certain esprit de Noël.

Bonus de Noël : Les gens qui doutent repris par le trio de rêve… parce que je ne résiste pas 🙂

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°11: Instant Crush de Cage The Elephant (2017)

L’une de mes dernières claques musicales a eu lieu l’été 2017 en écoutant un live d’unCage The Elephant groupe que je ne connaissais pas, Cage The Elephant… Je n’ai pas véritablement d’intérêt pour les albums live qui me paraissent souvent des pompes à fric qui aspirent les fans, incapables de résister à la tentation. Oui, bon, je me rends bien compte que je suis quelque peu extrême dans mes propos quand mes yeux tombent sur le Live from Mars de Ben Harper… Bref, la pochette de l’album n’était pas véritablement attirante, c’était un live et un groupe que je ne connaissais pas… et mon Dieu, quelle claque!

Du rock assez jouissif, des perles à foison (Trouble, Cold Cold Cold, Sweetie Little Jean, Too Late To Say Goodbye), un aspect intemporel et j’oserai même dire suranné particulièrement séduisant… Vous n’êtes pas à l’abri que je vous reparle un jour de ce sublime Unpeeled à ne pas mettre entre les mains de tous les amateurs de rock, par peur de vous retrouver avec un procès sur le dos ayant pour motif « Deal de produits créant une dépendance totale »…

Je m’égare et ne dois pas perdre de vue que je veux vous parler d’une superbe reprise du Instant Crush de Daft Punk (avec Julian Casablancas, le chanteur de The Strokes en featuring) présente sur ce live. Le morceau de base est déjà imparable et s’impose comme un des sommets de Random Access Memories, la rythmique oscillant entre électro et funk et le chant percutant et survitaminé au vocoder sont estampillés « Made in France de qualité ». La version live de Cage The Elephant réussit le tour de force de redonner un second souffle à cette pépite dans une version acoustique brillante. La diction faussement nonchalante de Matthew Shultz et les cordes subliment cet Instant Crush qui garde son pouvoir mélodique addictif.

Je serais bien embêté de devoir choisir ma version préférée parmi ces deux pépites… et vous, vous êtes plutôt Daft Punk ou Cage The Elephant? Voilà de quoi animer quelques repas de Noël soporifiques où, après 7 entrées et un chapon destinés à vous faire péter la panse, vous voudrez éviter les convives un peu saoûls de s’écharper autour du sujet des Gilets jaunes… Bref Five-Minutes vous souhaite un joyeux Noël!

Sylphe

Five Titles n°3: Takk… de Sigur Ros (2005)

Hier Raf Against The Machine nous faisait découvrir Mùm dont la musique aérienne et Sigur Roséthérée faisait honneur aux terres sauvages de l’Islande. Ce pays reste pour moi une énigme musicale tant il a cette capacité à faire émerger des artistes qui me touchent particulièrement. Au milieu de Björk, Monsters and Men, Asgeir ou encore Emiliana Torrini trône un groupe à la sensibilité exacerbée qui figure humblement dans mon panthéon musical, Sigur Rós. Excepté la chronique du plus rock et plus âpre Kveikur en 2013 ou le très bel album solo de Jonsi Go en 2010, j’ai toujours eu une réticence à parler des premiers albums de Sigur Rós par peur de déflorer ce sublime îlot d’innocence et de ne pas trouver les mots pour décrire l’émotion dégagée par ce groupe.

L’envie de partager a cependant pris le dessus aujourd’hui et c’est avec la plus grande humilité face à ce monument que je souhaite vous parler du quatrième opus sorti en 2005, Takk… Ce choix de titre -takk signifie merci en islandais- représente bien les mots qui me viennent à l’écoute de cet album. On retrouve dans ce bijou tout ce qui fait la grâce et la beauté de Sigur Rós: le falsetto touchant de Jonsi, la finesse et la douceur de l’orchestration entre violons, cuivres et glockenspiel, les lentes montées en puissance post-rock qui nous évoquent Mogwai ou encore Godspeed You Black Emperor. Voici 5 titres qui devraient illuminer votre journée ou vos années à venir…

1.Après le doux morceau d’ouverture Takk… qui s’apparente pour moi à une fragile constellation de synthés, Glósóli (soleil brillant en islandais) est le premier moment de grâce de l’album. La voix de Jonsi, la richesse des sons aquatiques et du glockenspiel qui esquisse un univers enfantin, la lente montée en puissance qui prend forme au bout de deux minutes pour finir en une sauvage explosion post-rock aussi brutale que savoureuse avec ces guitares acérées… Imparable..

2. A peine remis de Glósóli, Hoppípola (« sauter dans des flaques d’eau ») vient nous donner une subtile leçon de candeur. L’orchestration est juste sublime, le piano et les violons viennent donner un aspect majestueux au morceau qui célèbre l’enfance. Les cuivres finissent de nous cueillir dans la montée finale.

3. Sé Lest (« je vois un train ») et ses presque 9 minutes est une belle odyssée intimiste à l’orchestration subtile. J’aime en particulier le clin d’oeil des cuivres sur la fin qui m’évoque un autre orfèvre, Beirut.

4. Sæglópur (« perdu en mer ») est une nouvelle pépite post-rock que je rapproche de Glósóli. La douceur de la neige laisse peu à peu sa place à la lave volcanique qui anime le morceau pour une très belle démonstration post-rock que ne renierait pas Mogwai. Je savoure en particulier le sentiment d’urgence que l’on ressent à travers la rythmique uptempo.

5. Pour le dernier morceau, j’aurais pu choisir la douceur du trio final de l’album mais je vais de nouveau me laisser tenter par le post-rock de Milanó où la voix de Jonsi montre toute la richesse de son émotion.

Si le besoin de s’évader se fait ressentir pourquoi n’iriez-vous pas voyager en Islande avec Sigur Rós pour parcourir ces paysages sauvages et polaires où les volcans peuvent à tout moment entrer en irruption?

Sylphe

Pépite intemporelle n°10 : The land between solar systems (2002) de Mùm

Après la découverte Tamino de la semaine dernière, une nouvelle trouvaille piochée dans le fil de tweets de Thomas Méreur. Si ce nom vous dit quelque chose, c’est possiblement parce que nous avons déjà parlé ici-bas ici même de son bel album en préparation (pour relire l’article en question, un petit clic ici vous y conduira). Et le moins que l’on puisse dire, c’est que si le garçon compose de bien belles choses, il en connaît aussi un rayon et en fait profiter ses followers.

The land between solar systems constitue une de ses dernières propositions en date, que je lui emprunte donc sans vergogne, mais c’est pour le bien de tous, histoire de faire découvrir au plus grand nombre ce plaisir des oreilles. Plus de dix minutes en apnée dans un morceau totalement irréel et onirique, qui trompe d’abord un peu son auditeur en commençant sur des faux-airs de Meddle (1971) de Pink Floyd. Une sorte de mix entre le vent de démarrage de One of these days et des sonorités qui appellent le sonar d’ouverture de Echoes. Pourtant, très rapidement, c’est à un tout autre voyage que Mùm nous convie.

A propos, Mùm c’est quoi c’est qui ? Mùm est un groupe de musique expérimentale islandais qui œuvre depuis 1997. L’Islande, tiens donc… L’Islande donc, où Mùm concocte ses sons, basés sur un mélange d’électro et de mélodies planantes. Une rythmique plutôt composée de petits (voire micro) sons électroniques, parfois dissonants, parfois cliquetants comme dans certains titres d’Amon Tobin, sur laquelle viennent se poser des lignes mélodiques qui s’installent en boucle comme pour mieux nous envoûter. Nappes de synthés, instruments traditionnels aussi : Mùm mélange les genres et explore des terrains sonores où ils nous invitent.

Et on les suit volontiers, notamment au cœur de The land between solar systems qui constitue un des titres les plus aériens de l’album Finally we are no one (2002) dont il est issu, et qu’il clôt de cette dizaine de minutes illuminée par une voix hors du temps et de l’espace. C’est une descente au fin fond d’un lac islandais, à moins que ce ne soit une virée dans les cieux les plus perchés. Difficile de savoir où l’on en est au bout de quelques minutes. Quelques minutes ou quelques heures car, une fois immergé dans ce son, il est bien difficile de savoir à quel endroit du titre on se trouve. Une sorte de perte de repères temporels accompagne The land between solar systems, qui semble tout autant durer quelques secondes que des heures entières, sans jamais lasser.

Un morceau fascinant que l’on peut d’ailleurs laisser tourner en boucle pour s’y abandonner. Titre d’album de circonstances : Finally we are no one. Une sensation d’être personne, tout du moins une insignifiante poussière dans l’univers, entre plusieurs systèmes solaires. Une poussière qui retournera poussière, un amas de grains qui, là où il sera passé, aura essayé d’être et de vivre, tout en profitant de moments de lumière comme celui-ci, que je vous invite à partager. Thanks pour la découverte Thomas M.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°14: Knights of Malta de The Smashing Pumpkins (2018)

On ne présente plus la troupe de Billy Corgan qui s’est imposée comme un des groupesSmashing Pumpkins de rock majeurs des années 90. Pour moi, ils ont créé un des albums marquants de l’histoire du rock avec le sublime Mellon Collie and the Infinite Sadness en 1995 qui revient régulièrement sur ma platine. Le groupe a connu le quotidien des grands groupes de rock, drogue, départ de membres, split en 2000. Après un retour assez judicieux en 2007 avec l’album Zeitgeist (souvenirs d’une autre vie et d’un live particulièrement réussi à la Route du Rock…), The Smashing Pumpkins se reforme en 2018 dans sa version initiale, excepté la bassiste D’arcy Wretzsky, pour ce onzième opus, Shiny and oh so Bright, Vol.1/ LP: No Past. No Future. No Sun. (What the fuck ce titre!). 8 titres particulièrement aboutis où je me délecte de retrouver la voix nasillarde de Billy Corgan (qui au passage ressemble de plus en plus physiquement à Lord Varys) et toute l’énergie brute du groupe. Je vous ferai grâce de la nostalgie évidente qui m’anime à réécouter The Smashing Pumpkins

J’ai choisi en particulier le morceau d’ouverture Knights of Malta avec sa douce mélodie qui tisse subtilement sa toile dans nos cerveaux. Quelques riffs de guitare bien sentis et la voix de Corgan, le tour est joué! Je rassure les fans de la première heure inquiets par ce morceau relativement calme, le reste de l’album (le titre Solara en tête) envoie du bois et mérite d’être écouté.

Allez j’ai craqué et la nostalgie a pris le dessus… Je vous laisse avec 1979 tiré de Mellon Collie and the Infinitive Sadness.

Sylphe

Pépite du moment n°13: Mandalay de Amyl and The Sniffers (2018)

« On met tous les potards à fond et on joue très fort ». J’imagine ce qu’a pu dire Amy Taylor à son ingénieur du son pour enregistrer les morceaux d’Amyl and the Sniffers. Ça sonne lourd et fort ce machin et cette énergie brute, on ne l’avait pas entendu depuis pas mal de temps. Oui, c’est un peu une parole de vieux con mais je ne vous dis pas la fatigue chronique que me procurent les productions musicales hexagonales actuelles qui sonnent toutes pareilles et molasses – et j’ai un peu du mal à comprendre pourquoi on n’entend pas un peu plus de musique défouloir et politiquement incorrecte ! Dans le contexte actuel, ça ferait du bien à tout le monde…

Donc ces 4 australiens se sont rencontrés dans leur co-location de Melbourne en 2016, on imagine qu’ils avaient pas mal d’énergie à dépenser et qu’ils n’avaient pas l’intention de perdre trop de temps dans la vie. Alors commençons par revenir à l’essentiel : des morceaux de 2 minutes maximum, pas d’histoire, pas de chichi, du riff, du dur, du violent, du crasseux et de l’exaltation de la jeunesse. Et puis il y a dans ce groupe le feu de la chanteuse Amy Taylor, boule d’énergie blonde, flot de paroles, qui semble tenir ses musiciens en laisse, les dominer par sa performance et son charisme naturel. Les Sniffers sont les dignes héritiers des Riot grrrl mouvement féministe et rock dont les Bikini Kill sont l’emblème. Ils jouent visiblement comme ils avalent la vie, avec bruit et fureur ; des récits simples, directs, une bombe d’énergie dont on attend impatiemment le premier album.

Parce qu’en fait ils n’ont pas encore véritablement de premier album, Big Attraction / Giddy Up dont est tiré Mandalay est la version combinée de deux EP d’Amyl and The Sniffers. L’histoire raconte que le premier a été écrit, enregistré et diffusé sur Bandcamp en douze heures seulement ! C’est une œuvre de jeunesse un peu fougueuse, un peu brouillonne mais terriblement électrisante. Depuis, ils ont sorti un 2 titres en septembre dernier, très bien produit, qui préfigure sûrement le futur véritable premier album du groupe. L’année 2019 sera celle d’Amyl and the Sniffers. Je lance les paris.

Rage

Review n°16: From Gas to Solid / You Are My Friend de Soap&Skin (2018)

Un piano, des ambiances sombres, une artiste torturée, voilà les premières expressions Soap&Skinqui me viennent à l’esprit lorsque j’évoque l’autrichienne Anja Franziska Plaschg alias Soap&Skin. Il faut dire que les deux premiers albums Lovetune for Vacuum en 2009 et Narrow en 2012 marqué par le décès de son père  s’apparentent à une éclipse totale à peine illuminée par la  grâce touchante de l’artiste. Si vous commencez à me connaître, vous vous doutez que la musique exutoire d’un mal-être existentialiste possède souvent les armes pour me toucher…

Je retrouve donc avec une impatience fébrilement dissimulée Soap&Skin pour ce troisième opus qui aura su se faire attendre, From Gas to Solid/ You Are My Friend. Un titre assez obscur, une pochette particulièrement réussie avec cette vue aérienne et ce paysage surréaliste qui tranche littéralement avec les deux précédentes où Anja se mettait sobrement en scène. Premier signe d’une évolution radicale? La réponse dans moins de cinq minutes…

L’ouverture This Day nous ramène d’emblée vers des contrées familières. Un certain dépouillement à prime abord avec la voix toujours aussi touchante d’Anja qui se marie parfaitement à son instrument de prédilection, le piano… les violons s’installant au fur et à mesure pour accentuer la mélancolie du titre. Ce tableau se dessine avec une grâce et une pudeur incommensurables tellement séduisantes… Athom nous aide à quitter ces régions éthérées pour aborder un son plus organique. L’ambiance instrumentale est plus riche et tout en contrastes, les percussions répondant au piano et aux violons qui prennent un plaisir sadique à venir nous cueillir sur la deuxième partie du morceau. La recette est un brin classique mais imparable. Italy, créé initialement pour la BO de Sicilian Ghost Story, s’impose alors comme un premier tournant de l’album. Des paroles obsédantes qui tournent en boucles et des cuivres omniprésents qui me rappellent le Gulag Orkestar de Beirut apportent un souffle épique au morceau. Morceau paradoxal pour moi, car je peux le trouver tout aussi séduisant que trop facile par cette litanie obsédante.

Les choeurs inquiétants de (This is) Water viennent alors brutalement mettre fin à la légèreté presque pop d’Italy, Soap&Skin n’a pas vendu son âme au diable de la pop et ce n’est pas le sommet de l’album Surrounded qui me contredira. Ce morceau est à mon sens un bijou d’orchestration où les couches de sons se superposent avec une rigueur de métronome d’où jaillit la voix d’Anja. L’impression que Woodkid aurait décidé d’orchestrer un morceau de Fever Ray… juste brillant. Le doux piano de Creep vient nous rassurer avant le titre plus baroque Heal qui permet de souligner la puissance plus directe du chant, un peu dans une démarche similaire à Jeanne Added dans son deuxième album. A noter la douceur enfantine et ingénue de ce « I have no fear » final prononcée par la fille même d’Anja.

Après un Foot Chamber très (trop?) classique, l’album finit très fort. Safe With Me souligne l’évolution d’Anja à maîtriser ses démons avec ce piano presque virevoltant qui donne une belle luminosité au titre. Falling est brillant et instaure un climat plus anxyogène avec ses orgues et ses sonorités électroniques à la Caribou, telle une complainte dystopique. Cette vaste odyssée électronique montre la capacité à créer des fresques sonores en se passant d’une voix pourtant au centre même du succès de Soap&Skin. Au passage je suis curieux de connaître vos interprétations des quelques secondes finales où nous entendons la mélodie presque discordante d’un jouet pour enfant, de mon côté euhhh je ne vois pas… Petit clin d’oeil pour sa fille? (# interpretationpourrie). Palindrome reste dans cette volonté d’instaurer une ambiance plus sombre avec ses choeurs tout droit sortis d’un couvent abandonné le soir d’une pleine lune, petite allusion au courant de la pop gothique à laquelle on s’est plu à rattacher Soap&Skin au début de sa carrière. Finir sur ce titre aurait été surprenant pour un album qui, dans l’ensemble, a gagné en luminosité. Anja, qui avait déjà repris Voyage, voyage de Desireless dans Narrow, imprime un sourire de béatitude sur notre visage en reprenant avec finesse et délicatesse What a Wonderful World de Louis Armstrong. Voilà un titre qui finalement résume tellement bien cet album qui aurait sa place dans la hotte du père Noël pour n’importe quel mélomane.

Sylphe

Pépite du moment n°12 : Indigo Night (2018) de Tamino

La vie est faite de rencontres, parfois anecdotiques, parfois renversantes. C’est dans cette seconde catégorie que je classe illico et sans réserve la pépite du jour, Indigo night par Tamino.

Du haut de ses 22 ans, cet auteur compositeur interprète belge d’origine égyptienne semble avoir déjà avalé une putain de collection de disques, mais aussi les avoir absorbés, digérés et synthétisés, pour s’en faire un son rien qu’à lui. Sa musique est faite de Leonard Cohen et de Radiohead, qui auraient lentement infusé dans le génie de Jeff Buckley. Oui, rien que ça. Leonard Cohen, pour la voix mélancolique et ténébreuse posée sur quelques notes, façon Suzanne (1968). Radiohead, pour la voix qui sait aussi partir ailleurs, dans quelque ligne mélodique et mélancolique que ne renierait pas Thom Yorke. Jeff Buckley, pour la surprise de nous asséner, dès un premier album, du génie à l’état pur comme avait pu l’être le choc Grace (1994). Tout ça porté par une trame musicale minimaliste et pourtant d’une richesse déconcertante, qui oscille entre ambiances feutrées et sonorités orientales.

Là où il se pose, le son de Tamino est tout autant ténébreux que lumineux, crépusculaire que solaire. Ça sent à la fois la sensualité, la fin de toute chose, la solitude moderne, le coin du feu à deux, la noirceur de ce monde mais aussi sa potentielle lumière. L’envie de dire merde à cette putain de vie tout en se la goinfrant par tous les bouts. Bien en peine de dire si c’est du rock, de la pop, de la chanson. A moins que ça ne soit tout ça à la fois, pour n’être finalement que du Tamino. C’est retournant, c’est bouleversant, c’est à se faire dresser les poils à chaque instant, c’est à en pleurer à chaque détour de piste et dans chaque recoin de l’album. Oui, car le garçon a pondu un album complet de douze pépites imparables. Il n’y a rien à jeter dans ces 52 minutes de bon son, sur lesquelles nous reviendrons sans doute.

Pour le moment, en guise d’échantillon(s), laissez donc couler en vous ce Indigo night, qui résume à merveille tout ce que l’on vient d’évoquer. Si une drôle de sensation vous attrape le fond du bide, pour remonter le long de votre peau tout le long du corps jusqu’au cerveau dans une explosion de lumière cérébrale accompagnée d’une vieille envie de chialer… lâchez-vous et laissez tout sortir. Vous ne serez pas les premiers.

Et s’il fallait vous convaincre encore un peu plus, sur Five Minutes on vous propose un deuxième échantillon avec Cigar, autre titre de Tamino, dans une version voix-guitare à laquelle il n’est pas nécessaire d’ajouter le moindre mot.

Raf Against The Machine