Pépite du moment n°99: Parallel Kingdom d’Hayden Thorpe (2021)

Voilà un album dont je me délecte depuis un bon mois mais auquel je ne saurai pas rendreHayden Thorpe Moondust For My Diamond dignement hommage dans une review… Qu’on se le dise d’emblée, je suis un fan de la première heure des Anglais de Wild Beasts et de leurs 5 albums studio, avec un gros coup de coeur pour Two Dancers (2009). Je suis en particulier sous le charme de la superbe voix de ténor du chanteur Hayden Thorpe qui illumine par sa grâce les compositions. Depuis le split du groupe, Hayden Thorpe a entamé une carrière solo qui est littéralement passée sous mon radar, j’ai ainsi snobé sans le savoir le premier opus Diviner en 2019. Suite à l’EP Aerial Songs en 2020, ce deuxième album à la pochette minimaliste Moondust For My Diamond vient offrir un bel écrin à une des plus belles voix cristallines du moment. Les 12 titres proposent une synth-pop pleine de grâce et une belle panoplie de moments magiques, vous pourriez facilement vous laisser séduire par les synthés 80’s du très éthéré Material World, le plus sombre et sensuel No Such Thing qui laisse imaginer un potentiel à séduire les dance-floors des hangars désaffectés ou Hotel November Tango qui aurait pleinement sa place dans la maison Warp. Pour le titre du jour, j’ai choisi Parallel Kingdom qui me séduit par son alliance subtile entre ce chant angélique et des sonorités électro (pour ne pas dire dance, au risque de choquer certains). Sur ce, je vous laisse savourer ce dimanche et vais de ce pas me remettre à jour et écouter Diviner, enjoy !

Sylphe

Five reasons n°33 : KID A MNESIA (2000/2001-2021) de Radiohead

KID_A_MNESIA_CompilationA l’occasion des vingt ans du diptyque Kid A (2000) et Amnesiac (2001) que l’on appellera Kid A/mnesiac pour la suite, le groupe de rock britannique Radiohead fait les choses en grand. En 2017, nous avions déjà eu droit à la réédition augmentée de OK Computer (1997), sous le titre OK Computer OKNOTOK, qui offrait alors du matériel inédit dans un fort bel objet, triple vinyle notamment. Pour commémorer la claque Kid A/mnesiac, la bande de Thom Yorke propose, de nouveau, une réédition augmentée de ces deux opus (sortie le 5 novembre dernier), accompagnée d’une exposition visuelle et sonore disponible en ligne depuis quelques jours. Vous voyez venir les interrogations ? Faut-il tomber dans le panneau et replonger, voire racheter, cette édition ? Kid A/mnesiac, ça a vieilli comment ? On regarde ça en cinq raisons chrono mais, si cette sortie fait l’objet d’une chronique ici, vous vous doutez déjà que ça vaut (un minimum) la peine.

1. Il faut tout d’abord se rappeler de l’arrivée de Kid A, puis de son petit frère Amnesiac au tournant des 20e/21e siècles. Le paysage musical rock n’est alors déjà pas dépourvu de bons sons, et notamment pas du côté de Radiohead. En 2000, on surfe encore sur le terrible et positif choc que fut OK Computer trois années plus tôt. C’est l’album où Radiohead se révèle totalement, après les deux opus assez rock classique à guitares qu’ont été Pablo Honey (1993) et The bends (1995). Avec OK Computer, le groupe commence à intégrer de l’électro dans ses morceaux, mais surtout à déconstruire le schéma habituel couplet-refrain standardisé. Avec des titres explosifs comme Paranoid Android ou Karma Police, Radiohead met une très grosse baffe. En 2000, la joue est encore rouge et personne ne se doute de ce qui arrive. Kid A explose définitivement les repères musicaux rock et du groupe. Très peu de guitares, la part belle à l’électro et aux boucles, et une audace créative sans nom. Le free jazz de The National Anthem ou la berceuse burtonienne Motion Picture Soundtrack sont autant de preuves que Radiohead a décidé de marquer son époque, et l’histoire de la musique en général. La surprise ne s’arrêtera pas là, puisque quelques mois plus tard sort Amnesiac, constitué de morceaux enregistrés à la même époque que Kid A. Un diptyque historique inoubliable.

The National Anthem sur Kid A (2000)

2. Puisque c’est inoubliable, pourquoi donc en faire une réédition anniversaire, alors que tout le monde a déjà ses exemplaires de Kid A/mnesiac ? Excellente question, à laquelle je répondrai par une autre : se pose-t-on la question face à des rééditions de Sur la route de Jack Kérouac, ou de 1984 de George Orwell ? Face à la énième sortie d’un 2001: L’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, ou du Matrix des Wachowski ? Se demande-t-on s’il est pertinent et nécessaire de relire Albert Camus, Voltaire, Edgar Poe ou Virginie Despentes ? Non. Tous ces grands noms sont déjà entrés dans l’Histoire culturelle et artistique. Il en est de même pour Radiohead et son Kid A/mnesiac. Avec ce double album, le groupe arrête de faire de la musique rock, pour basculer dans la musique totale. Il prend définitivement une autre dimension, qu’aucun album suivant ne dépassera, même si toutes les galettes suivantes sont, elles aussi, exceptionnelles. Kid A/mnesiac pour Radiohead, c’est un peu le triptyque Atom heart mother/Meddle/Dark side of the Moon de Pink Floyd, ou le Controlling Crowds d’Archive. La charnière où un groupe atteint un climax artistique et assoit définitivement son nom. Rien de perturbant, donc, à ce que Kid A/mnesiac revienne vingt ans plus tard.

3. Le diptyque revient, mais pas sous sa forme originelle, simplement estampillée d’une jolie étiquette commerciale du genre « Remastered from the analogic original tapes ». En 2021, Kid A/mnesiac devient KID A MNESIA et propose, outre Kid A et Amnesiac dans une seule pochette, un troisième disque Kid Amnesiae rempli de matériel inédit provenant des sessions studios de l’époque. Voilà donc l’occasion, en un seul objet, de retrouver un diptyque majeur de l’histoire de la musique. Il n’y a rien à jeter du début à la fin de Kid A : des toutes premières notes de Everything in its right place aux derniers souffles de Motion Picture Soundtrack (d’ailleurs conclu par un Untitled), le voyage est époustouflant. L’ambiance est tout à tour androïdesque (Kid A), planante (How to disappear completely ou Treefingers), tendue et nerveuse (Optimistic ou Idioteque). Même combat dans Amnesiac, qui enchaine les morceaux de bravoure musicale : l’envoûtant Pyramid song, le mystérieux Pulk / Pull Revolving Doors, le vénère I might be wrong, le désespéré et bouleversant Like spinning plates, avant de fermer sur le jazzy underground berlinois Life in a glasshouse (qui, précisément, rappelle le Berlin de Lou Reed). D’un bout à l’autre de ces deux disques, le voyage est fascinant, émotionnellement puissant. Dire que c’est pur plaisir de replonger là-dedans est un doux euphémisme.

Pyramid Song sur Amnesiac (2001)

4. La cerise ? Kid Amnesiae, cette troisième galette qui recèle de la pépite à n’en plus finir. On pensait avoir parcouru tout le potentiel de cette œuvre majeure qu’est Kid A/mnesiac, et voilà que Radiohead nous balance onze titres tous plus captivants les uns que les autres. A commencer par la version piano-voix-scratches de Like spinning plates, qui ouvre le bal. On connaissait déjà cette relecture, présente sur l’album live I might be wrong (2001), mais la retrouver là en enregistrement studio nous raconte que le titre a été envisagé sous cet arrangement dès l’album, et pas seulement pour les concerts. Plusieurs Untitled et des versions alternatives de titres déjà connus parsèment la galette, et accompagnent If you say the word, un inédit total planant et onirique. D’aucuns diront que ce troisième disque est dispensable, ou à réserver aux fans hardcore de Radiohead. C’est sans doute vrai, mais pour qui s’intéresse un minimum au groupe, ou à la création musicale en général, ces onze pépites complètent parfaitement ce que l’on connaissait déjà de Kid A et Amnesiac, tout en révélant, si besoin en était, la bouillonnante créativité de Thom Yorke et de ses petits copains de jeu.

Like Spinning Plates (‘Why us ?’ Version) sur KID A MNESIA (2021)

5. La double cerise ? L’exposition virtuelle proposée par le groupe, en accompagnement de KID A MNESIA, sobrement intitulée KID A MNESIA EXHIBITION. Initialement, le groupe pensait à une exposition physique (en présentiel comme on dit désormais) qui aurait voyagé dans le monde. L’épidémie de Covid-19 en a décidé autrement, et les artistes se sont rabattus sur l’idée d’une exposition virtuelle. Cette dernière mélange la musique de Radiohead et les créations visuelles et graphiques de Stanley Donwood datant de l’époque Kid A/mnesia. Disponible gratuitement au téléchargement sur PC, Mac et PS5, l’exposition est à récupérer via ce lien https://kida-mnesia.com pour ensuite se balader librement dans un vrai objet artistique aussi déroutant qu’envoûtant. Une expérience visuelle, sonore et sensorielle qu’il est difficile de décrire, mais que je vous conseille absolument sans réserves. A vivre de préférence sur un écran de bonne taille, et surtout casque vissé sur les oreilles. On se balade en vue à la première personne dans un dédale de salles et d’espaces où l’on est littéralement au cœur des sons de Radiohead, tout autant que l’on est happés par des dizaines de visuels et d’animations. Une plongée hallucinée, mystérieuse, intrigante et jouissive dans un format créatif qui, finalement, est peut-être le plus adapté.

Trailer officiel de la KID A MNESIA EXHIBITION (2021)

Retour à la réalité et aux interrogations de départ : faut-il se réjouir de KID A MNESIA, et y plonger ? Evidemment oui. Je n’aurais pas été aussi bavard si le jeu n’en valait pas la chandelle. Et encore, les mots me manquent pour dire tout l’enthousiasme et le plaisir sans bornes que j’ai à retrouver cet univers qui ne m’avait pourtant jamais vraiment quitté depuis vingt ans. Sorti sous de multiples formats et dans différentes éditions, KID A MNESIA place définitivement Radiohead et le diptyque originel Kid A/mnesia au panthéon artistique. Voilà sans aucun doute un chef d’œuvre total et absolu, offert au monde par des artistes en constante évolution, sans aucune barrière créative et ayant une fois pour toute fait voler en éclat tous les cloisonnements pour s’imposer comme de l’Art. Tout simplement.

If you say the word sur KID A MNESIA (2021)

Raf Against The Machine

Review n°88: Friends That Break Your Heart de James Blake (2021)

La nouvelle d’un album de James Blake procure chez moi des réactions diverses, de l’impatienceJames Blake Friends That Break Your Heart d’aller me replonger au plus profond de cette âme torturée à la fébrilité d’avoir à écrire dessus. « Avoir à écrire dessus » est une expression un brin surprenante car mon libre-arbitre semble avoir rendu les armes… Et ce n’est pas faux ma foi, je ne peux pas m’empêcher de partager mon attirance pour ce spleen so british, attirance qui tente de collaborer maladroitement avec une volonté de poser un regard plus critique. Le dernier album Assume Form en 2019 m’avait ainsi laissé sur des impressions mitigées, comme si le souffle mélancolique de James Blake tendait à manquer d’air (à relire par ici pour les curieux). Ce cinquième opus dont le titre Friends That Break Your Heart se détourne quelque peu des tourments amoureux nous attend donc avec sa pochette, aussi belle que mystérieuse. Je m’interroge encore, James Blake se sentirait-il comme un puzzle émotionnel dont certaines pièces demeurent définitivement introuvables? Aime-t-il les siestes dénudées au milieu des bois? Tant de pistes sans réponse…

Le morceau d’ouverture Famous Last Words nous rassure d’emblée avec cette alliance subtile qui fait le charme de l’artiste, des synthés et des rythmiques dubstep et ce grain de voix mélancolique à souhait qui me fragilise dès les premières notes. Alors, oui, les choeurs n’apportent pas grand chose à l’ensemble mais on part sur des bases solides que les cordes sur la fin viennent sublimer. Life Is Not The Same reste dans la même veine mais on monte encore d’un niveau, le morceau nous enveloppe de sa puissance émotionnelle et de sa chaleur apaisante. Un bijou dont je vous invite à savourer la richesse instrumentale… Coming Back me rassure ensuite dans sa capacité à se confronter aux ambiances R’n’b avec le flow précis de SZA même si je dois reconnaître que cette direction artistique n’est pas celle que je préfère. Frozen avec les deux rappeurs JID et SwaVay sera par la suite bien moins convaincant et assez dispensable pour moi. Entre ces deux incartades dans les sonorités urbaines, Funeral nous a proposé sa douceur mélancolique et son spleen un peu trop dépouillé à mon goût.

C’est bien à travers la deuxième partie de l’album que je me sens rasséréné, James Blake n’a définitivement rien perdu de sa superbe. L’intensité de I’m So Blessed You’re Mine et son surprenant refrain robotisé, le sublime duo avec Monica Martin sur Show Me, Lost Angel Nights et Friends That Break Your Heart qui ont une saveur plus pop-folk digne d’Alt-J, la ballade intimiste finale If I’M Insecure, il n’y a pas une seule anicroche et l’intensité gagne en puissance. J’ai choisi volontairement de finir sur le chef d’oeuvre de l’album, Say What You Will, qui résume tout ce que j’aime chez James Blake : l’instrumentation tout en langueur s’offre comme un écrin à cette voix hallucinante capable d’aller chercher les notes à tous les niveaux. Volontiers taquiné pour ce spleen qu’il traîne inlassablement (en même temps, certains osent bien faire ce même reproche à Thom Yorke, enfin bref…), James Blake fait fi de toutes ces remarques envieuses et trace sa route. Voilà bien une voix et une sensibilité incontournables de ces dix dernières années dont je ne me lasse pas, ce Friends That Break Your Heart ne déroge pas à la règle et offre son lot de pépites introspectives, enjoy !

Sylphe

Pépite du moment n°98 : Wake me up (2021) de Foals

Les sorties et retours en tout genre continuent de pleuvoir en ce mois de novembre 2021. Il est désormais temps de pencher une oreille sur Wake me up, le nouveau single de Foals. Le groupe britannique originaire d’Oxford, formé en 2005 autour de son chanteur Yannis Philippakis, aligne tranquillement cinq albums studios. Nous étions restés en 2019 sur l’excellent Everything not saved will be lost, un double album sombre et post-apocalyptique sorti en deux temps qui renouait avec une couleur très rock et des titres qui tabassaient plutôt. Sans oublier en 2020 les Collected reworks, une triple galette de remixes de titres précisément issus de ce dernier album studio en date. Un petit jeu de relectures dont je ne suis pas nécessairement friand, mais qui m’avait pourtant bien attrapé dans le cas présent. A l’ambiance rock et brute de décoffrage des originaux s’opposaient alors des versions plus dance et électros. Tout ça, c’était avant le « coronavirus, connard de virus » (je suis obligé de mettre entre guillemets car je pique l’expression à qui vous savez #ToujoursDebout).

Covid-19 et ses variants sont passés par là, et les Foals ont eu envie de revenir avec de l’énergie, du positif, du fun, au travers d’un son qui groove, histoire de nous sortir tous de chez nous et de ce fucking coma humain et relationnel qui nous charge tous la tronche depuis maintenant près de deux ans. Voici donc Wake me up, premier single d’un futur album encore non daté. Un Wake me up qui n’a strictement rien à vois avec le Wake me up de Wham! (#lesvraissavent), et qui a pour lui une vraie patate funky qui fait plutôt du bien. Le groupe promet d’ailleurs un album studio à venir du même acabit. Des titres qui enverront le bouzin (#Sylphesorsdececorps) et qui feront, on l’espère, bouger nos corps comme il faut. Pour le moment, Wake me up remplit la mission, tout autant qu’il porte bien son titre. Un son efficace qu’on ne peut que vous recommander.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°97: Haagen – Dazs de Kyan Khojandi (2021)

Allez un bon petit son pour ces dimanches soirs toujours un brin amers… Vous connaissez très vraisemblablement Kyan Khojandi en tant qu’humoriste brillant et vous rappellerez peut-être avec émotion de la déflagration que fut le concept de la série Bref. Ce dernier se lance dans la musique et sortira son premier album L’Horizon des événements le 26 novembre prochain. Il y a 4 jours, le premier single Haagen -Dazs est sorti en éclaireur avisé et le moins que l’on puisse dire c’est que la surprise est plus qu’agréable. Dans un morceau traitant de la sacrosainte rupture amoureuse, Kyan Khojandi pose son slam net et précis -et accessoirement un texte touchant entre pudeur et désarroi – sur une atmosphère instrumentale mélancolique, sublimée par les cordes. L’impression qu’Ez3kiel a mis son talent de composition au service de Fauve, des influences brillantes et amplement méritées qui me donnent envie d’écouter ce premier opus à sa sortie. Accessoirement le clip est prenant et la performance d’acteur de Kyan Khojandi puissante… Bref j’ai adoré, enjoy !

 

Sylphe

Pépite intemporelle n°87 : My weakness (1999) de Moby

71AZeY5TqRL._SL1300_Après le bouleversant Human de Thomas Méreur sorti la semaine dernière, on se fait un grand coup d’œil dans le rétroviseur pour remonter en 1999 et retrouver un autre titre d’une sensibilité poignante. My weakness est le dix-huitième et dernier titre de l’album Play de Moby, également connu sous le nom de Richard Melville Hall. Cet artiste new-yorkais n’a cessé, depuis ses débuts en 1978, d’explorer différents univers musicaux, de la techno au rock alternatif en passant par l’électro. C’est toutefois en 1999, soit plus de 20 ans après ses débuts, qu’il explose à l’international avec Play, galette au succès planétaire qui approche les dix millions d’exemplaires vendus. Chaque titre est un carton, repris en maintes circonstances. Mettez ça dans les oreilles de n’importe qui, il y aura toujours un « Ah mais ça je connais ! » ou encore « c’est trop cool ce son ». Au terme de la grosse heure que dure Play, et après un voyage musical chargé de styles et d’émotions, My weakness nous attend.

My weakness est une sorte de berceuse aérienne, un moment de flottement final sur les nuages, un gros shoot de sérénité qui parcourt tout le corps. La première minute du morceau envoie en boucle des chœurs qui rappellent, coté frissons, le God Yu Tekem Laef Blong Mi de la BO du film La ligne rouge. Au cœur de trois heures de film prenantes et sans issue, ce morceau venait illuminer l’ensemble de ses voix d’enfants, espoirs de l’humanité. Les voix de My weakness ont ce même effet sur la clôture de l’album, tout en étant soutenues par quelques sons et scratches électros, ponctués de rires et voix d’enfants. C’est déjà très beau, mais le titre va plus loin en ajoutant, à partir de 1’10, des nappes de synthés qui convoquent immédiatement les moments les plus vibrants d’un Angelo Badalamenti servant les images de Lynch dans un Twin Peaks ou un Lost Highway. Une ambiance sonore de chez Moby qui préfigure aussi les moments les plus envoûtants du Mulholland Drive sorti deux ans plus tard : un chef-d’œuvre sublimé par sa BO. Puis, les synthés se taisent pour laisser les trentes dernières secondes aux chœurs et aux voix d’enfants, de nouveau. Sublime.

Pour tout dire, et puisque l’on parle de BO, je suis retombé sur ce titre voici quelques jours, à la faveur d’un énième revisionnage de la série TV X-files. Neuf saisons originelles, plus deux ultérieures dans les années 2010, à suivre les enquêtes et pérégrinations des agents du FBI Mulder et Scully. Série TV hors normes, fondatrice à bien des égards autant que bourrée de références et d’hommages, X-files est aussi le parcours initiatique et humain de deux égarés : Dana Scully, en constante quête d’elle-même, de croyances et de sens de sa vie ; Fox Mulder, traumatisé par la mystérieuse disparition de sa jeune sœur à l’enfance, la séparation de ses parents, un personnage névrosé en quête de réponses et de paix intérieure, tout autant que de mise en accord avec lui-même. Il est commun de dire que X-files a plusieurs fin. La première en fin de saison 5, lorsque les tournages se déplacent de la région de Vancouver en Californie : la série arrive à la fois à la fin d’un grand arc narratif, notamment via un long métrage cinéma, et change d’identité visuelle au grand dam de bon nombre de fans. La troisième, en fin de saison 7, lorsque Mulder quitte la série, laissant ainsi Scully esseulée et désormais sans moitié humaine et intellectuelle. La quatrième en fin de saison 9 (2002), lorsqu’on pense l’aventure définitivement close. On retrouvera pourtant le duo et son univers au milieu des années 2010 pour deux mini-saisons revival.

Les plus observateurs d’entre vous auront remarqué que je n’ai pas parlé de la deuxième fin. Peut-être la seule et la vraie, qui se place en plein milieu de la saison 7, avec le double épisode Délivrance (10e et 11e) : au terme d’une enquête à la fois lente, pesante et envoûtante, Mulder découvre enfin ce qui est arrivé à sa petite sœur des années plus tôt. Sa quête prend fin, mais c’est surtout la paix qu’il trouve dans les dernières minutes de l’épisode. Enfin dirait-on, tant le personnage s’est montré torturé, secoué par des questionnements existentiels, perdu parfois. Longue ellipse télévisuelle me direz-vous ? Oui, mais tout cela pour expliquer que cet épisode se clôt, précisément, au son de My weakness (à regarder ci-dessous, avec un gros Spoiler alert toutefois). La série et ce moment ne pouvaient trouver meilleur accompagnement musical, le morceau de Moby ne pouvait trouver meilleure illustration visuelle. Fox Mulder est enfin apaisé et délivré, et nous avec lui. Après presque sept années à porter ses douleurs et ses traumas, il peut passer à la suite de sa vie et nous avec, tant on a pu s’identifier à son parcours. Avec lui, on se relâche et on se détend. On se remet à regarder l’avenir. Au son de cette merveille absolue qu’est My weakness.

My Weakness de Moby
SPOILER ALERT – LA scène finale de Délivrance (X-files ép. 10-11) au son de My weakness

Raf Against The Machine

Review n°87: Windflowers d’Efterklang (2021)

Et si finalement cette année 2021 était bien celle de la consécration pour Casper Clausen? Après avoir sorti en tout début d’année un brillant premier album solo Better Way qui m’avait particulièrement envoûté (à (re)lire par ici), voici ce dernier de retour pour boucler l’année avec son groupe de toujours Efterklang et son sixième opus Windflowers. Le dernier album des Danois qui mettait à l’honneur pour la première fois leur langue natale, Altid Sammen, remonte à 2019 et nous a laissé de très bons souvenirs. Bref, comme vous le comprendrez aisément, telle une jouvencelle aveuglée par ses sentiments, je ne demande qu’à succomber à la douceur et au charme aérien de ces brillants scandinaves…

Une pochette assez sobre mettant à l’honneur cette anémone fleurissant au printemps dans les forêts danoises -je vais m’arrêter là pour ces considérations florales avant que mon inculture notoire dans ce domaine ne soit trop criante – aurait plutôt tendance à nous diriger vers un certain classicisme un brin suranné. Sinon je peux me contenter de dire que la pochette est peu attractive… Dès les premières notes du titre d’ouverture Alien Arms, on est surpris par une rythmique de fond fallacieuse car elle nous invite à un univers hypnotique et dansant. La voix grave de Casper Clausen va vite nous ramener dans des contrées connues en se déroulant avec sobriété et une forme de majestuosité. Quelques choeurs féminins donnant une saveur de dream-pop et un saxo en fond permettent au titre de gagner en intensité. Beautiful Eclipse va ensuite dessiner un superbe paysage sonore que n’aurait pas renié The Notwist, l’ensemble est fragile et gracieux, magnifié par les cordes. Hold Me Close When You Can prolonge l’émotion sur un début piano/voix d’une grande beauté qui fait frissonner la jouvencelle en moi -oui ceux qui me connaissent diront qu’elle est profondément enfouie. La voix de Casper Clausen est sublime et les violons viennent accompagner avec retenue une subtile montée. L’intermède instrumental Lady of the Rocks nous permet de reprendre contact avec la Terre, après ce trio inaugural aérien.

Dragonfly amène ensuite une tonalité plus pop grâce à une touche de vocoder et une voix féminine assez juste. Le titre reste cependant assez attendu et je préfère le brillant Living Other Lives, version compréhensible d’Animal Collective. Les couches de sons se superposent, on navigue entre la pop ésotérique et l’ambient à la Four Tet pour un résultat d’une grande richesse. Après un Mindless Center Casper Clausen sort son timbre de voix noir comme l’encre, House on a Feather surprend par ses voix robotisées et séduit par sa montée en tension finale. Abent Sar et ses presque 8 minutes nous emmènent finalement très loin grâce au talent de The Field qui sublime 3 minutes dignes de Sigur Ros grâce à ses boucles hypnotiques.

Je ne peux que vous inviter à savourer ce Windflowers qui vous offrira de belles effluves printanières au milieu de cet automne, enjoy !

Sylphe

Pépite du moment n°96 : Human (2021) de Thomas Méreur

La semaine écoulée a été plutôt riche en bonnes sorties. Au nouveau single d’Archive Shouting within (dont nous avons parlé par ici), s’ajoutent Wake me up qui marque le grand retour (festif et dansant) de Foals, ou encore la réédition du diptyque Kid A/Amnesiac de Radiohead en un Kid A Mnesia augmenté d’une galette supplémentaire d’inédits. Autant dire qu’on est plutôt gâtés en ce début novembre 2021, autant de pépites dont on reparlera possiblement ici. Au milieu de ces étoiles, une autre s’est rallumée, avec Human, premier single d’un nouvel album à venir de Thomas Méreur. Le garçon fait un retour en beauté , deux ans après son émouvant et magnifique premier opus Dyrhólaey, qui reste, faut-il le rappeler, mon album de l’année 2019. A l’époque, j’en disais déjà le plus grand bien et nous avions profité de la sortie de l’album pour une review/interview, à relire ici. L’heure est désormais à la découverte : Human est-il le digne successeur de Dyrhólaey ? Oui, clairement. Thomas Méreur a-t-il à rougir de revenir au milieu de cette semaine dantesque ? Assurément non. Plus qu’une concurrence intimidante, Human est une telle réussite qu’il nous ferait plutôt parler d’alignement des planètes. Rien que ça.

Dès les premières notes du morceau, on retrouve l’émotion de la découverte d’Apex voici deux ans. Emotion augmentée car, à la surprise de l’époque se substitue le plaisir de retrouver autant de talent. Démarrage tout en douceur sur quelques notes de piano, avant que n’arrive la voix. LA voix. Bordel que c’est beau. Comme sur Dyrhólaey, Thomas Méreur pose ses mots aériens, et travaille le mix de plusieurs nappes de voix, soutenu par un savant mélange de nappes de synthés. Les quatre minutes de Human passent comme quelques secondes, tout en semblant durer une éternité suspendue. Ce ne sont que quelques instants d’une journée, un moment de vie qui passe mais qui éclaire tout comme un phare inextinguible. Comment fait-il pour composer des mélodies aussi aériennes (pleines d’air mais également stratosphériques), et réussir à y déposer un chant aussi incroyable ? Sans doute le talent, auquel il faut ajouter une sensibilité évidente et une capacité à regarder le monde avec lucidité, justesse et recherche d’une forme de sérénité.

Comme il le confie lui-même, Thomas Méreur a bricolé une mise en images de son Human. Ses choix visuels donnent une dimension supplémentaire à sa musique et font travailler notre imaginaire émotionnel à son maximum. Tout en remettant au devant de tout l’Humain, qui donne naturellement son nom à cette pépite absolue. La musique de Thomas Méreur me fait un bien fou par sa beauté, ses vibrations, son espoir, sa capacité à m’emmener hors du temps et ailleurs, tout en me retrouvant en moi-même. C’était déjà le cas avec le bouleversant Dyrhólaey. Human enfonce définitivement le clou. Cette musique m’aide à regarder le monde qui m’entoure, tout en ne le laissant pas me happer. Ce son Thomas Méreur rend mes journées plus supportables et sereines, mes nuits plus paisibles et m’apporte un peu d’optimisme : s’il existe des infâmes salopards, il ne sont assurément pas humains. Human remet les choses à leur juste place. Et me rend fou d’impatience de découvrir l’album futur car, à n’en pas douter, le Méreur reste à venir.

Human mis en images par Thomas Méreur himself

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°95: Back To Oz de Sufjan Stevens et Angelo De Augustine (2021)

La discographie de Sufjan Stevens ne cesse de s’enrichir à un rythme effréné ces dernières années et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’est pas toujours simple de suivre le bougre… Après un onzième opus aussi gargantuesque que brillant (à lire ou relire par ici), Sufjan Stevens se lance dans l’aventure en duo avec Angelo De Augustine, un artiste folk signé sur le label Asthmatic Kitty que je connais très peu et qui a déjà eu la chance de figurer en première partie de Sufjan. Les 14 titres de A Beginner’s Mind déroulent une folk soignée faisant la part belle à l’émotion et les deux voix d’une grande douceur se marient à merveille. Cependant, je dois reconnaître que l’extravagance quasi baroque me manque et je trouve que cet album est finalement trop lisse à mon goût. En même temps, la folk épurée ne trône pas forcément au centre de mes genres musicaux de prédilection… Néanmoins, un album de Sufjan Stevens a toujours le mérite de regorger d’instants de grâce et de bijoux auditifs, le morceau Back To Oz ne déroge ainsi pas à la règle. Inspiré par le Disney Oz, un monde extraordinaire (Return to Oz en anglais), on retrouve une subtile association entre la grâce folk et la luxuriance de l’imaginaire. On suit avec délices le périple de Dorothy pour un résultat dont les arrangements sont brillants, le tout illustré par un clip savoureux. Un petit solo de guitare électrique sur la fin nous désarme et imprime un sourire définitif, il faut se rendre à l’évidence que nous nous sommes de nouveau fait cueillir, enjoy !

 

Sylphe

Pépite du moment n°94 : Shouting within (2021) de Archive

iayvvOGt_400x400Le 15 septembre dernier, Archive était de retour avec Daytime coma, premier single du douzième album studio à sortir au printemps 2022. Nous avions alors dit tout le bien qu’on en pensait, et c’est à (re)lire par ici si ça vous tente. Ce premier extrait vertigineux, torturé et post-apocalyptico-videsque (bien qu’on me dise dans l’oreillette que l’épidémie n’a pas dit son dernier mot) nous avait littéralement retournés, en laissant augurer d’un grand album à venir. Initialement porteur du titre de travail #Archive12, le successeur de The False Foundation (2016) a désormais un nom officiel. La nouvelle galette des Londoniens s’intitulera Call To Arms & Angels, et sortira le 8 avril 2022 dans de multiples éditions (déjà disponibles en précommande, c’est le bon iencli qui vous le confirme ^^). Il sera porteur de 17 titres, dont Daytime coma et Shouting within, deuxième single disponible depuis le 1er novembre dernier.

Shouting within est aux antipodes musicales de Daytime coma. Construit sur une base piano-voix épurée, le titre laisse s’épanouir toute la puissance et l’émotion de la voix de Holly Martin. Voilà une composition qui peut faire penser à Nothing Else par exemple. C’est, en apparence, calme et serein. En apparence seulement, car le morceau recèle en fait d’incroyables moments de vulnérabilité, de tension et de peurs. Littéralement traduit, Shouting within revient à « Crier à l’intérieur ». Holly Martin prolonge l’idée en évoquant le contexte d’écriture du morceau : « In the past two years, we’ve been seeing how constant fear and uncertainty can impact human connections. Writing Shouting Within, we were talking about how people have been feeling so angry, so paralysed and so vulnerable getting caught in the divide. Craving connection but fearing contact. » (Traduction : « Ces deux dernières années, nous avons vu comment la peur et l’incertitude peuvent avoir un impact sur les connexions humaines. En écrivant Shouting Within, nous voulions parler de la façon dont les gens se sentaient si en colère, si paralysés et si vulnérables, souvent pris entre deux feux. Ils ont besoin d’être connectés mais craignent le contact. »)

Se dessine donc, avec seulement deux extraits à ce jour, ce que pourrait bien raconter Call To Arms & Angels : le monde tel qu’il est aujourd’hui, au presque tournant de 2021/2022 et après quasiment deux années d’une pandémie qui nous a changés à jamais. Symptôme d’une société mondiale déconnante et égarée dans laquelle tout le monde semble souhaiter la prééminence de l’humain sans toutefois y parvenir, cette saloperie de virus aura finalement révélé et exacerbé toutes les fragilités et les failles de ce monde. Un tableau certes assez sombre, renforcé par les récents nouveaux visuels du groupe. Le logo jusqu’alors néon-lumineux a fait place à une version noir charbon (voir en haut de cet article). Quant à la pochette désormais dévoilée, elle est tout autant magnifique dans son puissant noir et blanc, que laissant apparaître un monde usé et ravagé.

Le visuel-pochette de Call to Arms & Angels, douzième album de Archive (source https://archive.tmstor.es)

Tout cela est fort peu joyeux, je vous l’accorde. Néanmoins, quoi de meilleur pour continuer à avancer et pour tenir bon, que de pouvoir se réfugier dans du bon son ? La musique d’Archive en fait évidemment partie, depuis bien des années maintenant. La bonne nouvelle, c’est que dans cinq mois nous pourrons découvrir la totalité de Call To Arms & Angels. D’ici là, deux extraits fascinants sont déjà disponibles à l’écoute. Et on ne peut que s’en réjouir, tout en criant à l’intérieur.

Raf Against The Machine