Review n°113: Alpha Zulu de Phoenix (2022)

Des nouvelles aujourd’hui de Phoenix, un groupe marquant de la french touch dans les années 2000, qui mérite d’être régulièrement réécouté pour ses coups d’éclat Wolfgang Amadeus Phoenix en 2009 ou Bankrupt! en 2013 ou l’excellent album des débuts Alphabetical en 2004. Néanmoins, il est assez incontestable que le groupe est en nette perte de vitesse et le dernier opus Ti Amo en 2017 m’a plutôt laissé de marbre… Au moment d’écouter ce septième album Alpha Zulu, je n’ai pas particulièrement d’attente et j’oscille entre la curiosité polie et la sensation bizarre qu’écouter Phoenix en 2022 serait presque un anachronisme. Dernière précision avant d’entamer l’écoute de l’album, je dois reconnaître que j’ai toujours eu beaucoup de difficultés à écrire sur ce groupe mais j’aime persister, bref vous êtes prévenus désormais si vous restez avec moi!

Le morceau d’ouverture Alpha Zulu doit son nom à un épisode vécu par le groupe qui a connu un vol agité au-dessus des montagnes de Belize dans un avion nommé Zulu, avec un pilote ne cessant de répéter Alpha Zulu. Tout cela paraît en effet un brin romancé mais nous ne gagnerons rien à remettre en cause cette justification du titre. Le titre propose une pop déstructurée assez classique où l’on retrouve avec plaisir la voix toujours aussi charismatique de Thomas Mars. Tonight qui fait appel à Ezra Koenig, le chanteur de Vampire Weekend, monte le curseur avec cette ligne de basse addictive et ce refrain survitaminé qui rappelle le pouvoir pop incontestable du groupe. The Only One joue ensuite la carte de sonorités plus aquatiques et oniriques pour un résultat assez classique mais je préfère l’excellent After Midnight, morceau le plus dansant de l’album. Une rythmique uptempo, des synthés omniprésents, une évidence mélodique, le tout n’est pas sans nous rappeler les grands morceaux de The Strokes. La première partie de l’album se clôt sur le très beau et onirique Winter Solstice dont l’instrumentation évoque l’atmosphère de Charlotte Gainsbourg, en particulier son album Rest.

Après une première partie pleine de belles promesses, la deuxième partie de l’album va s’avérer plus (trop) classique. Season 2 et Elixir nagent dans les eaux tièdes d’une pop attendue sur lesquelles nous aimerions voir souffler une brise marine plus riche en arômes. All Eyes on Me va surprendre davantage avec une ambiance plus électro, ce qui devrait logiquement me plaire au vu de mes goûts musicaux (oui l’usage du conditionnel n’est pas rassurant…), mais je dois reconnaître que je suis resté sur le bord de la route. Je n’en dirai pas plus pour ne pas paraître déplaisant… Heureusement, la pop lumineuse d’Artefact et ses guitares « strokiennes » ainsi que le titre final Identical, pop plus subtile, réussissent à contrebalancer un ensemble un peu trop homogène.

Je resterai donc sur cette impression qu’écouter Phoenix en 2022 demeure un anachronisme, néanmoins ce Alpha Zulu reste une belle porte d’entrée pour aller réécouter une discographie brillante, enjoy !

Morceaux préférés (pour les plus pressés): 4. After Midnight – 2. Tonight – 5. Winter Solstice – 7. Artefact

 

Sylphe

Pépite intemporelle n°109 : Grandma (Destruction) (2017) de Keiichi Okabe

artworks-000209408336-k2r2z9-t500x500On retiendra de ce jeudi 17 novembre 2022 la fin annoncée de Gamekult pour le 7 décembre prochain après 22 ans d’existence. Suite au rachat du groupe Unify par Reworld Media, la rédaction du site de presse spécialisée jeux vidéo a annoncé ce soir son départ collectif dans les prochains jours. On est apparemment bien éloignés de Five-Minutes. Pas tant que ça. Gamekult c’est avant tout une passion partagée. C’est aussi une rigueur journalistique, une éthique, et une équipe investie pour ses lecteurs et abonnés. Si Gamekult n’avait pas existé, je ne serais pas devenu le modeste gamer que je suis, à dévorer par dizaines les contenus publiés et à me faire embarquer hors de ma zone de confort dans des terres vidéoludiques où je ne serais jamais allé sans cette fine bande. Si Gamekult n’avait pas existé, je n’aurais sans doute pas la modeste mais passionnée culture musicale et vidéoludique qui est la mienne. Grâce à leur travail, ces journalistes m’ont appris à écouter les jeux autant qu’à les jouer. En point d’orgue, sans Gamekult, je n’aurais pas mis un jour la main sur le jeu parmi les jeux, le chef-d’œuvre absolu à mes yeux. NieR: Automata de Yoko Taro, porté par sa BO incroyable composée sous la direction de Keiichi Okabe.

Impossible de choisir un autre son que celui-là : un des titres de NieR: Automata, que j’avais déjà chroniqué il y a quelques temps mais qui reste une merveille absolue. Grandma (Destruction) est un condensé de Keiichi Okabe dont je ne me lasse pas, comme l’entièreté de la BO d’ailleurs. Ecoutez-moi ça d’urgence, montez bien fort le son, plongez vous là-dedans. Avec une énorme pensée pour cette rédaction Gamekult de rêve et de passion qui reste digne jusqu’au bout. Chapeau bas, merci pour tout ce que vous avez fait. Et, bien évidemment, #Merde.

Visuels Square Enix

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°120: Our Flag d’Ibrahim Maalouf feat. Sharon Stone (2022)

Mieux vaut parler succinctement de musique que de proposer un silence pesant, tel sera mon objectif du soir. Voilà uneIbrahim Maalouf - Capacity to Love bonne semaine que j’écoute le dernier album Capacity to Love d’Ibrahim Maalouf. Un album qui m’a désarçonné sur les premières écoutes par son hétérogénéité mais que je savoure de plus en plus au fil des écoutes car il s’impose pour moi comme un mix gargantuesque, véritable déclaration d’amour à la musique sous tous ses aspects. L’album s’appuie sur une collection d’artistes prestigieux, d’Erick The Architect à Gregory Porter en passant par M ou De La soul, un vrai feu d’artifice sonore qui part dans tous les sens et fait feu de tout bois. Avec bien sûr comme dénominateur commun et liant magique cette trompette d’Ibrahim Maalouf que je ne vous ferai pas l’injure de présenter…

J’ai choisi l’avant-dernier titre de l’album Our Flag qui met à l’honneur un texte engagé écrit et récité par Sharon Stone sur un fond sonore superbe de douceur et de mélancolie qui m’a rappelé par certains côtés les BO d’Hans Zimmer. Les explosions de cuivres laissent la place à ce superbe texte dont les mots frappent avec poésie et précision, comme une gifle assénée à des dirigeants qui ont perdu le sens des priorités. Un bijou de texte engagé, enjoy !

 

Sylphe

Pépite intemporelle n°108 : Untitled #1 (Vaka) (2002) de Sigur Rós

R-69857-1505864447-6375Une chronique Five-Minutes peut tenir à peu de choses. Parfois longuement mûrie et réfléchie, parfois plus spontanée, elle a toujours pour objectif de partager un moment et un bon son. Celle d’aujourd’hui n’échappe pas à la règle et, si elle aurait pu relever de la catégorie « mûrement pensée », elle s’inscrit toutefois dans la seconde. Notre son du jour est d’un intemporalité évidente, mais il m’est revenu dans les oreilles de façon un peu inattendue alors que j’échangeais quelques messages avec un copain sur la beauté de ce monde (non). Spoiler : nous étions en train de discuter de toutes les tristes immondices qui nous entourent, entre la nature dont tout le monde semble se contrefoutre et préférer la saloper, le racisme ouvertement exprimé dans l’enceinte de l’Assemblée Nationale, ou encore la connerie humaine en général. Vaste programme dépressif à nous rendre plus asociaux et misanthropes qu’on ne l’est déjà. Nous avons cherché une lueur d’espoir, que j’ai modestement résumé par un « Heureusement qu’il y a la musique ». Ce à quoi le garçon m’a répondu par l’envoi d’un lien simplement ponctué d’un « Genre ça ».

Le lien en question, c’était cette pépite totale du jour. Untitled #1 est le titre d’ouverture du troisième album de Sigur Rós nommé (). Pas vraiment de titre pour cet opus qui fait suite au déjà excellent Ágætis byrjun (1999), en relevant encore le niveau. Si le groupe islandais s’était déjà montré on ne peut plus créatif, cette troisième galette enfonce le clou de la poésie sonore et de l’évasion maximale. Sur de grandes nappes sonores quasi hors du temps, le chanteur Jónsi pose sa voix de falsetto pour des mélodies qui défient les lois du temps et de l’espace. Sans doute un des plus beaux albums au monde, () est une claque absolue autant qu’une bulle pour se réfugier du monde et arriver à le supporter.

Le titre d’ouverture Untitled #1 illustre brillamment ce constat, en se faisant mélange de douceur et de mystère porté par les mots de Jónsi. Mots que l’on ne cherchera pas à comprendre, puisque l’album tout entier est enregistré en Vonlenska, une langue inventée en totalité par le chanteur. Est-ce essentiel de comprendre le texte ? Non, pas quand la voix et les sons qui l’entourent portent autant d’émotions. Le morceau se suffit à lui-même, et sans plus tarder nous allons en profiter dans une version live quelque peu différente de l’enregistrement originel, mais tout aussi envoûtante. Puisque le bonheur des oreilles est total, on vous drope les deux version, histoire de comparer et de doubler le plaisir.

Et, si l’ambiance vous attrape autant que nous chez Five-Minutes (Sigur Rós figure vraiment très haut dans notre panthéon musical), courez donc écouter la totalité de (). Un album qui ressort d’ailleurs pour ses 20 ans, en version remasterisée et augmentée de 3 B-sides et 3 démos. Ne vous privez pas de cet album hors du temps qui nous permet de continuer à vivre dans ce temps.

Raf Against The Machine

Review n°112 : Transmissions (2022) de Transmission

Capture d’écran 2022-11-04 à 11.29.03Pour qui a eu la chance de passer un moment au festival HopPopHop d’Orléans mi-septembre dernier, il y avait une performance à ne rater sous aucun prétexte : le collectif Transmission, pour une création originale. Nous avions entendu à peu près tout et son contraire avant d’entrer dans la dernière session des quatre programmées : « Sans doute le meilleur moment du festival » versus « C’est particulier, mais c’est intéressant » versus « Il y avait des gens dans la salle qui ont manifestement aimé ». On kille le suspense tout de suite : on a adoré Transmission, et c’est personnellement la meilleure prestation que j’ai vue et entendue durant ce weekend là. Une claque. Transmission est fait de plein de personnes et d’influences différentes. Autour de Johann Guillon et Benjamin Nérot tout droit sortis d’Ez3kiel, on y trouve d’autres artistes : James P Honey aka Dull Fame, Lionel Laquerrière, Félix Classen et Victor Neute. Autant de personnalités différentes qui unissent leur talent au sein de Transmission.

Et du talent dans Transmission, il y en a : dès les premiers sons, nous voilà plongés dans un monde qui se dessine note après note, mot après mot. Dans un savant mélange d’électro et de hip-hop, le sextet dessine un univers sonore nerveux et mélancolique plein de machineries, de bruits de ferrailles, mais aussi de nappes infra-basses et electro-ambient. Comme par exemple dans Mussolini mistress. Il en résulte la fantasmée bande son d’un film à la croisée de Blade Runner et de 8 mile. Transmission est cinématographique dans l’âme. Les premières minutes nous installent dans un univers cyberpunk, violent, dark, parfois cauchemardesque, mais toujours profondément humains par les deux voix qui interviennent tour à tour dans les compositions. A la voix grave et toujours incroyable de Benjamin Nérot répond celle de James P Honey qui déverse un flow généreux et imparable.

Au cœur de Transmission et du dispositif scénique, une cabine téléphonique 3.0. Relique d’un monde passé, l’objet sort tout droit de notre imaginaire post-apocalyptique. Tel un vestige d’un monde où la communication passait par le temps d’attente à la porte de ladite cabine, la patience, mais aussi l’essentiel : avec quelques pièces ou une carte téléphonique (les plus jeunes, ne me regardez pas avec des yeux effarés… oui, ceci a existé), il fallait synthétiser nos échanges, tout en profitant un maximum de ces quelques minutes. C’est quasiment la réussite méta, en plus de la claque sonore, de Transmission. Comme des personnages échoués d’un Fallout ou d’un Death Stranding, les musiciens du groupe entrent tour à tour dans la cabine pour des Calls, qui servent d’intermèdes entre les morceaux comme autant de tentatives de remettre en lien un monde fragmenté. Plus encore, le collectif recrée un lien communicationnel en faisant de cette prestation d’une heure un vrai moment de partage entre la scène et le public. Autre signe qui ne trompe pas : l’espace scénique est central, le public en cercle autour. Reconstituer du tissu social et humain par l’art, c’est bien l’éclatante réussite de Transmission.

Si l’on en parle aujourd’hui, c’est à la faveur de la réécoute du disque Transmissions (sorti le 19 août dernier), ou l’occasion de replonger dans cette création assez incroyable portée par les festivals HopPopHop (Orléans) et Les Rockomotives (Vendôme), sous l’égide de l’association Figures Libres. Disponible chez Figures Libres Records/L’Autre Distribution, le double LP est disponible accompagné de la version CD. Tout ceci pour la modique somme d’une vingtaine d’euros : ne passez pas à côté d’un des albums les plus percutants et enchanteurs de cette année 2022. L’occasion de (re)découvrir des titres assez incroyables tels que Jane Austen (et le flow de Dull Fame qui tabasse), The ebb and the flow (peut-on mettre de la cornemuse dans de l’électro hip-hop et que ça soit génial ? Oui), ou encore Diana folded in half (le cauchemar cyberpunk incarné).

L’album est aussi disponible sur Bandcamp en version numérique, mais faites vous plaisir et soutenez la création artistique : offrez vous ce génial album en physique comme on dit, vous ne regretterez pas le voyage. Et vous bouclerez ainsi la boucle meta en remettant un peu de matérialité dans ce monde parfois trop virtuel et humainement désincarné. Merci Transmission et Figures libres pour tout ça.

L’album en LP + CD est disponible sur le site de Figures Libres Records : https://figureslibresrecords.fr/transmission-2-x-lp-cd/

Le visuel pochette est tiré de la page Bandcamp de Figures Libres, où vous pouvez trouver l’album en numérique, mais aussi l’acheter en version physique : https://figureslibresrecords.bandcamp.com/album/transmission-transmissions

Raf Against The Machine

Review n°111: 9 Pieces de Thylacine (2022)

C’est la tournée de mes chouchous électros français actuellement… Après Les Gordon, c’est au tour de Thylacine deThylacine - 9 Pieces sortir un nouvel album, son cinquième déjà, intitulé 9 Pieces. Depuis 2019 et Roads Vol.1, je prends plaisir à suivre le périple musical de William Rezé qui confronte aussi bien les gens que les sons dans ses voyages sonores. Sur ce puzzle de 9 pièces, certaines sont déjà connues et les lecteurs assidus du blog ont déjà entendu parler de Polar ou Versailles qui ouvrent et ferment l’album de 39 minutes.

Polar offre donc d’emblée une électro puissante avec le bruit des créatures marines en fond, une rythmique assez sombre qui contraste à merveille avec la voix féminine qui a presque quelque chose d’incantatoire. Le résultat est aussi surprenant qu’envoûtant. Les titres suivants vont ensuite nous emmener du côté de cette Turquie à l’identité floue, entre Europe et Proche-Orient. Anatolia est un bijou qui résume musicalement tout ce qu’est la Turquie avec d’un côté les instruments qui représentent les traditions de la Cappadoce et de l’autre les tentations de la techno pour la jeunesse d’Ankara. Duduk (du nom d’un hautbois d’Arménie) et Olatu creusent le sillon de cette électro contemplative qui survole les paysages mélancoliques pour un résultat d’une finesse et d’une justesse inégalables – le piano de Duduk est un exemple imparable. Olatu, qui me fait penser au travail sur les boucles de Les Gordon, propose des sons plus électro-pop et sort quelque peu Thylacine de sa zone de confort. Bosphorus clôt ce voyage turc dans une ambiance plus rythmée et tournée vers les dance-floors, la montée est excitante, tout comme le saxophone habituel de Thylacine qui tente d’insuffler une douce mélancolie à l’ensemble. La musique de Thylacine est à l’image de la Turquie moderne, une terre de contrastes qui se veut un lieu de rencontres.

War Dance surprend alors par son âpreté et cette techno martiale -néanmoins pas aussi monolithique qu’elle ne peut le paraître à la première écoute – comme un triste clin d’oeil à l’actualité ukrainienne… Pleyel nous ramène vers une orchestration plus classique, dans la droite lignée de son dernier opus Timeless, pour un résultat tout en tensions d’une grande modernité. La richesse des propositions de ce morceau -qui me fait penser à Aufgang – est proprement hallucinante. Night Train est le morceau le plus frontal de l’album avec une électro débordante d’énergie qui se présente comme la bande-son idéale d’un voyage en train, le titre est peut-être un peu en-dessous en termes d’originalité de la proposition. Versailles clôt enfin avec subtilité l’album en jetant des ponts entre les époques, après avoir jeté des ponts entre les peuples, en s’appuyant sur des instruments, des mécanismes et des objets du château de Versailles. Le résultat confirme la volonté sur la deuxième partie de l’album de mettre en avant des ambiances plus dansantes. S’il y a bien quelque chose que Thylacine sait parfaitement faire, c’est nous faire voyager -dans les époques, les contrées, les genres musicaux – dans notre fauteuil, le casque vissé sur les oreilles… Enjoy !

 

Sylphe