Son estival du jour n°31 : Getcho money ready (2003) de Fred Wesley

5159GHOCzXLSur Five Minutes, nous prenons goût à une certaine percée des sons estivaux avec quelques semaines d’avance. Et ce n’est pas la journée d’aujourd’hui qui me fera mentir, tant elle ressemblait à un moment loin de tous les tracas du monde. Sous le soleil, à profiter du temps qui passe en savourant un café, dans une douceur d’après-midi qu’absolument rien n’était en mesure de venir perturber. La vie dans les grandes largeurs tout autant que dans sa simplicité la plus extrême. Histoire de clôturer ce week-end en surfant sur les bouts d’été qu’on y a trouvé, voilà un son qui, je l’espère, égaiera les dernières heures de ce dimanche.

En piochant dans la grande marmite des sons de chez Five Minutes, nous avons trouvé ce Getcho money ready de Fred Wesley. Un titre de 2003, qui approche donc la vingtaine d’années, pour un musicien qui approche lui la quatre-vingtaine. Tromboniste de son état (et quel tromboniste), Fred Wesley s’est surtout fait connaître pour avoir joué aux côtés de James Brown, tout en ayant été son directeur musical. Il a également sévi aux côtés de Maceo Parker, sax alto de James Brown. Le monde est petit, et les talents se regroupent. Depuis 1988, le « Funkiest Trombone Player Ever » a livré une jolie poignées d’albums solo, ou plus exactement en leader. Comme vous le constaterez en écoutant Getcho money ready, ce grand monsieur sait s’entourer d’une troupe fort efficace, et sait mener la danse. Il est temps de vérifier tout cela : let’s go maestro !

Raf Against The Machine

Son estival du jour n°30 : California Dreamin’ (1966-1968) de The Mamas & The Papas, par José Feliciano

81Yvlr2p4uL._SL1500_Si vous êtes des habitués de Five Minutes, vous savez que, généralement, on dégaine des sons estivaux pour la période juillet-août. Histoire de continuer à vous alimenter en musiques, tout en nous accordant un peu de relâche. Un son estival sur Five Minutes, c’est quoi ? Un bon son (ça va sans dire), que l’on vous dépose comme ça, presque sans commentaires et sans en faire des paragraphes entiers. Tout au plus quelques lignes, histoire d’accompagner l’essentiel : quelques minutes de musique à glisser dans vos oreilles, au cœur de l’été. Ceci étant dit, je vois l’étonnement poindre. Non, nous ne sommes pas déjà en juillet-août. Ce n’est même pas encore l’été officiellement, puisqu’il nous reste 3 semaines à attendre. Alors, que se passe-t-il chez Five Minutes pour que vous ayez droit à un son estival un 27 mai ?

Soyons honnêtes : une semaine démentielle, bien peu de disponibilités et d’énergie pour écrire et préparer une chronique approfondie digne de ce nom. Mais aussi l’envie d’un peu de légèreté, sans doute due à l’arrivée (enfin) d’une vraie journée printanière, baignée d’un bon soleil qui nous a fait du bien depuis ce matin. Et ce son qui me trotte dans la tête depuis quelques heures. California Dreamin’ est un standard absolu de la deuxième moitié des 60’s. En pleine explosion du Flower Power, à l’approche de Woodstock, The Mamas & The Papas créent ce titre devenu incontournable. C’est pourtant une version plus feutrée que nous allons écouter : la reprise faite deux ans plus tard (soit en 1968) par José Feliciano. Une interprétation que l’on retrouve notamment sur l’exceptionnelle BO de Once upon a time… in Hollywood, l’exceptionnel 9e film de Quentin Tarantino.

C’est un son estival : j’en ai déjà bien trop dit ! Place à la musique, sous les derniers rayons solaires du jour avec, pourquoi pas, un petit verre de fin de journée pour souffler un peu. Un vin blanc ? Parfait. En plus, ça nous permettra de regarder au travers la douceur de la lumière du soir. La vie.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°78: Budapest et Antibodies de Poni Hoax (2006 et 2008)

Nicolas Ker, le chanteur de Poni Hoax entre autres, a fui définitivement ses démons en début de semaine et je ne doute pas une seule seconde que les anges là-haut prendront plaisir à se dévergonder au son de ce rock habité et intense. Je ne vais pas me lancer dans un panégyrique exalté car d’autres maîtrisent bien mieux que moi la plume hyperbolique mais plutôt évoquer humblement mes souvenirs de Poni Hoax. Poni Hoax pour moi c’est donc ce concert de novembre 2018 au Chato Do à Blois où j’avais littéralement été estomaqué par ce chanteur habité par la musique, d’une intensité folle… On sentait que cet homme avait passé sa vie sur un fil, prenant plaisir à jouer avec les interdits et n’ayant connu que tardivement une vraie reconnaissance. Au moment du premier album éponyme en 2006, Nicolas Ker a déjà toute une vie derrière lui et 36 ans bien tassés. Ce succès tardif explique peut-être ce sentiment d’urgence qui perce dans les textes et que l’on retrouvera aussi dans le deuxième album Images of Sigrid en 2008. Ces deux premiers albums sont très puissants et méritent de figurer dans les discographies les mieux senties… Autant dire que je les ai beaucoup réécoutés cette semaine et qu’ils se sont bonifiés avec le temps. Je ne résiste pas à la tentation de vous partager deux titres rendant hommage à Nicolas Ker et à feu Poni Hoax, deux titres qui me font frissonner presque 15 ans après leur sortie. A ma gauche Budapest présent sur le premier album est un hymne vénéneux et glaçant à la ville de Budapest. La voix sombre et mystérieuse d’Olga Kouklaki dresse un sublime portrait angoissant et se marie avec délices à cet univers instrumental lorgnant vers les sonorités froides de l’italo disco. On retrouve la patte électronique de Joakim, le patron de leur label Tigersushi, avec la rythmique oppressante en fond, ces violons comme tant de coups de poignard dans le coeur et cette montée rock finale portée par la batterie. Une perle aussi noire que sublime. A ma droite, Antibodies apparaît sur Images of Sigrid. Plus lumineux et plus rock, il démontre la capacité de Poni Hoax à faire bouger les corps. Il demeure le single le plus immédiat du groupe et démontre la richesse du son de ce groupe qui aura offert le plus bel écrin à l’esprit torturé de Nicolas Ker.

 

Sylphe

Pépite du moment n°86 : Leave the door open (2021) de Silk Sonic aka Bruno Mars & Anderson .Paak

1200x1200bf-60Après Bob Dylan la semaine dernière et la toujours excellente Julia Stone par mon ami Sylphe, changement total de décor. Trois salles, trois ambiances serait-on tenté d’écrire. Et quelle ambiance avec la pépite du moment que nous allons écouter ensemble. Leave the door open fait partie de ces titres qui font du nouveau avec de l’ancien, de ces morceaux que l’on pense avoir déjà entendu des dizaines de fois mais qui brillent d’un je-ne-sais-quoi de suffisamment nouveau pour nous embarquer et fonctionner comme si on découvrait le bon son pour la première fois. Côté découverte, je n’ai d’ailleurs aucun mérite à présenter cette chanson. Je n’ai pas passé des heures les pieds dans l’eau, agenouillé dans la rivière et tamis en mains, à la recherche du petit caillou brillant qui illuminera la semaine. Leave the door open est arrivé à moi comme par magie. Il m’est surtout arrivé en discutant musiques avec toi qui écoutes de bien belles choses. Merci infiniment pour ces moments de partage, pour cette trouvaille dont tu m’as fait profiter et pour ces 4 minutes de bon son dans lesquelles nous allons plonger sans tarder.

Leave the door open est le premier single de Silk Sonic, un nouveau groupe formé autour du duo Bruno Mars & Anderson .Paak. On ne présente plus le premier, artiste musical et multiforme touche-à-tout et à tous les genres musicaux : voilà maintenant 17 ans que ce petit génie inonde la planète de ses mélanges de rock, pop, r’n’b, soul, hip-hop. Pour un aperçu des talents du garçon, on écoutera par exemple Unorthodox Jukebox (2012), son deuxième album studio, ou encore l’explosif Uptown Funk avec Mark Ronson. En revanche, je reconnais humblement découvrir Anderson .Paak avec ce titre. Du haut de ses 35 ans, voilà pourtant un moment qu’il sévit sur la planète r’n’b/soul, fort de sept albums studio, dont certains sous le nom de Breezy Lovejoy. Faut-il en dire plus ? Oui : il est signé sur Aftermath Entertainement, le label de Dr. Dre. On a connu pire référence. A jeter un œil sur le parcours de chacun, rien d’étonnant à ce qu’ils aient annoncé en février dernier la naissance de ce projet commun Silk Sonic. Avec, en ligne de mire, un album à venir intitulé An evening with Silk Sonic qui mettra en vedette Bootsy Collins. Autant dire que ces trois là réunis devraient proposer du très bon son.

La qualité est déjà largement au rendez-vous avec ce premier single Leave the door open. Le titre est clairement orienté soul langoureuse, façon Motown séductrice. Ici, point d’envolée rythmique ou de groove tapageur. Silk Sonic envoie du charme, de la douceur, du sucre et du tissu qui frissonne sous la caresse sonore de la mélodie susurrée. Pour un groupe qui s’appelle Silk Sonic (littéralement Soie Sonique), on ne pouvait rêver meilleure carte de visite. Leave the door open aurait tout à fait sa place sur la BO de Jackie Brown aux côtés d’un Didn’t I blow your mind this time ? des Delfonics. Si l’on n’y faisait pas attention, cette pépite pourrait passer pour un enregistrement soul d’il y a 40 ans. Pourtant, comme dans bien de ses compositions précédentes, Bruno Mars réussit (une fois encore) le coup de nous vendre du rêve musical avec une recette entendue cent fois, mais remise au goût du jour pour la faire sonner à sa façon. Est-ce du Marvin Gaye, du Michael Jackson, du Stevie Wonder ? C’est tout ça à la fois, tout en étant du Silk Sonic.

Alors oui, laissons la porte ouverte. Parce que, peut-être, ce fucking Covid aura l’idée de partir et de nous laisser en paix. Parce que l’air devient plus doux et qu’on a bien envie de profiter de cette petite brise qui passe. Parce que le son de cette pépite pourra s’envoler à l’extérieur, et qu’un maximum de personnes en profitera. Parce que les portes fermées, c’est comme les esprits fermés et les murs : nous n’avons rien à y gagner et, après 15 mois d’isolement, il est temps de s’aérer et de retrouver du lien pour ne pas être frappé un de ces jours par le virus brun de l’intolérance abjecte. Parce que ça permet d’aller et venir au soleil pour y partager un café et des sourires, en regardant le temps s’écouler. Parce que c’est un bon moyen d’entendre l’océan qui caresse la Terre. Parce qu’une porte ouverte, c’est l’univers des possibles qui s’étend : dans un monde et une vie où le meilleur est à venir, pas question de s’arrêter de rêver et d’espérer. Hope.

Raf Against The Machine

Review n°80: Sixty Summers de Julia Stone (2021)

Le duo australien Angus et Julia Stone -un frère et une soeur au passage – brille depuis une dizaine d’années et quatre albums dont le dernier Snow en 2017. Je vous invite en particulier à vous laisser bercer par la douceur de A Book Like This (2007) ou la puissance plus pop de Down the Way (2010) qui méritent de figurer dans les discographies les plus respectables. J’ai beau me montrer particulièrement sensible au timbre de voix de Julia Stone, je dois reconnaître que je n’ai jamais été très attentif à sa carrière solo et ne peux mettre que des bribes de souvenirs d’écoute de The Memory Machine (2010) et By the Horns (2012). Peut-être la fâcheuse impression inconsciente que le projet solo n’est pas une véritable valeur ajoutée au projet en duo, qui sait? Toujours est-il qu’il m’a été impossible de n’écouter qu’une fois, ce troisième opus Sixty Summers, neuf ans après le dernier album solo, tant on tient là un bijou d’émotion… Un album qui prend humblement rendez-vous avec les tops de fin d’année où il devrait brillamment figurer. Je vous invite à parcourir avec moi cette exploration torturée des méandres de l’amour, sujet central de ce Sixty Summers.

Le morceau d’ouverture Break se place d’emblée sous le sceau d’une pop uptempo d’une grande fraîcheur avec ses clochettes en fond, sa batterie si juste et ses cuivres. Le refrain rappelant la fragilité du timbre de Julia Stone évoque l’intensité de l’amour. Sixty Summers, un des titres les plus marquants de l’album, va ensuite nous rappeler, à travers la thématique de la nostalgie amoureuse, la puissance de la voix de Julia Stone. L’ambiance instrumentale est plus sombre, même si les cuivres tentent désespérément d’apporter des touches de lumière. Le résultat est d’une très grande intensité… Et que dire de la douceur de We All Have qui nous enveloppe de son voile fragile pour souligner le besoin de relativiser les échecs dans la quête de bonheur? Pour les fans de The National dont je suis, Matt Berninger vient apporter son grain de voix si reconnaissable pour un duo de voix aussi contrasté qu’évident. Voilà en tout cas un trio de titres initial qui place ce Sixty Summers sous l’égide du talent et de la sensibilité.

Nous pouvons globalement distinguer deux directions dans cet album, ayant pour point de rencontre la sublime voix de Julia Stone. Désolé de souligner avec une certaine platitude la beauté de la voix et d’enfoncer d’une certaine manière une porte ouverte mais certaines évidences méritent tout de même d’être rappelées. D’un côté nous retrouverons donc des titres plus classiques dans l’approche instrumentale, lorgnant vers les plaines de la pop-folk et mettant la voix au centre de tout. Je pense au sublime Dance brillamment illustré par un clip de Jessie Hill et le couple Danny Glover/ Susan Sarandon (cette dernière a 74 ans… mon Dieu quelle belle femme…) qui aborde la difficulté d’aimer avec une certaine poésie, à la notion de coup de foudre abordée dans Heron ou encore l’écrin de douceur I Am No One. Au passage, on notera à la fin de l’album une version française de Dance tout aussi touchante avec le refrain toujours en anglais et des couplets très beaux (et non de simples traductions des paroles initiales) où l’artiste Pomme a été mise à contribution.

D’un autre côté, nous pouvons ressentir le besoin d’explorer et de sortir des sentiers battus. Who part par exemple sur un univers plus électronique particulièrement entraînant -ce qui au passage me fait penser au dernier album de Georgia – avec une attirance pour les sonorités dance du début des années 90 (toute proportion gardée, ne vous attendez pas à un 2 Unlimited hein? ). On retrouvera cette attirance électronique avec Unreal et son refrain qui utilise l’autotune avec justesse.  Fire In Me, le morceau le plus sensuel écouté depuis longtemps, me séduit quant à lui par sa rythmique obsédante et ses sons plus sombres. Vous imaginez l’univers tout en ruptures de Sneaker Pimps et la sensualité exacerbée de Goldfrapp et vous obtenez ce Fire In Me follement excitant. Enfin Julia Stone a aussi cette capacité à donner un grain soul à sa voix dans l’excellent Queen qui souligne avec subtilité la dépendance à l’être amoureux quand tout semble pourtant s’effondrer. Je ne vais pas faire un parallèle facile sur la dépendance mais vous voyez bien où je veux en venir, ce Sixty Summers est dangereux mais que serait la vie sans cette pointe de danger que notre vie de confiné(e)s a tenté d’écarter? Enjoy!

 

Sylphe

Five reasons n°29 : The Rolling Thunder Revue (1975/2002/2019) de Bob Dylan

127456196Le voilà ce fameux live teasé depuis deux jeudis consécutifs : après avoir écouté la semaine dernière les brillantes prestations live d’Amy Winehouse tout juste tombées dans les bacs, quittons un moment l’immédiate actualité discographique pour revenir en 2002. Cette année-là sort The Rolling Thunder Revue de Bob Dylan, dans la collection des Bootleg Series. Il s’agit d’enregistrements live, inédits, rares, alternatifs mais néanmoins officiels, constituant un complément plutôt riche et instructif pour qui apprécie un minimum la carrière de Dylan. Estampillé numéro 5 de ces Bootleg Series (rien à voir avec le parfum du même nom), The Rolling Thunder Revue offre un panorama de ce que fût la tournée 1975-1976 de Dylan, en se concentrant toutefois sur la première moitié de la tournée en 1975. D’où son sous-titre Live 1975. En quoi ce live serait-il plus intéressant que celui de 1966 au Royal Albert Hall, ou celui de 1964 au Philarmonic Hall ? Il n’est pas plus intéressant. Il est une des facettes de Dylan, artiste aux multiples visages et aux influences diverses, comme le montre l’excellent film I’m not there (2007) de Todd Haynes, dans lequel Dylan est interprété par cinq acteurs et une actrice différents, chacun incarnant un personnage (et donc un visage) différent du chanteur. The Rolling Thunder Revue est aussi un témoignage de la forme que peut prendre la création artistique, tout en étant bourré de moments incroyables. Préparez-vous au grand huit émotionnel, en cinq raisons chrono.

  1. The Rolling Thunder Revue marque le vrai grand retour de Bob Dylan sur scène, après une période plus discrète. En dehors de sa participation au concert caritatif pour le Bangladesh organisé par George Harrison en 1971, Dylan n’est plus réapparu en concert depuis 1966. Année au cours de laquelle, après sept albums studio exceptionnels, sa carrière connaît un brutal arrêt suite à un accident de moto. Durant ces presque dix années, sortiront plusieurs albums et on verra Dylan au cinéma dans Pat Garrett et Billy le Kid (1973). Il en écrit également la BO, dont le désormais classique Knockin’ on heaven’s door. Mais, point de scène, aucun concert. Il faut attendre 1974 et la tournée Before the flood pour retrouver l’artiste on stage après la sortie de Planet Waves. Dylan sort de dépression, joue et chante de façon tourmentée et sauvage. Sa vraie renaissance scénique intervient lors de cette Rolling Thunder Revue, qui prend naissance à l’automne 1975 pour une première phase, avant de se poursuivre en 1976 comme prolongement de la sortie de l’album Desire.
  2. Avec The Rolling Thunder Revue, Dylan propose une tournée hors normes. D’une part, en choisissant de se produire exclusivement dans des salles à taille humaine, parfois dans de petites villes, au grand dam du producteur qui pensait capitaliser sur le retour scénique de Dylan en remplissant des stades. D’autre part, en réunissant autour de lui toute une bande de vieux amis et de personnages hauts en couleurs, au premier rang desquels Joan Baez, mais aussi Mick Ronson ou Roger McGuinn. Se joignent également à cette épopée Allen Ginsberg (poète américain fondateur de la Beat Generation) et Sam Shepard. Ce dernier publiera en 1977 (en 2005 pour l’édition française) Rolling Thunder Logbook, copieux journal de tournée illustré de photos de Ken Regan. S’ajouteront, au fil des dates et parfois temporairement, des artistes croisés sur la route comme Joni Mitchell. Cette troupe, là encore multi-facettes, confère à la tournée un côté épique et bohème, avec une forte coloration hippie déjà passée de mode en 1975. Peu importe, c’est l’ambiance dans laquelle Dylan va se ressourcer et proposer des moments live inattendus, hors du temps et d’une intensité imparable.
  3. Il n’y a rien à jeter dans les 22 titres qui composent The Rolling Thunder Revue. Cet enregistrement est constitué de prises à différentes dates du premier segment de la tournée. Pas de prestation intégrale d’un seul trait, mais le choix ô combien pertinent de retenir les meilleures versions de ces titres proposés au long des soirées de la tournée. La playlist alterne titres récents et plus anciens. Parmi les premiers, Simple twist of fate et Tangle up in blue (issus de l’album Blood on the tracks), mais aussi Isis, One more cup of coffee ou Hurricane, de l’album à venir Desire. Dylan est dans son temps et synchronise ses prestations publiques à son actualité, comme une façon de reprendre pied après une période chahutée. Il n’oublie pas d’intégrer, dans un savant dosage, des morceaux plus anciens entendus dans ses albums sortis entre 1962 et 1966. Un choix qui donne lieu à des réinterprétations incroyables. Dylan est un spécialiste de la revisite de ses titres, dans des versions souvent méconnaissables, et parfois un peu scabreuses. Ici, tout fonctionne comme par magie. Il suffit d’écouter The lonesome death of Hattie Carroll (une pépite déjà chroniquée ici), Mr. Tambourine Man, It ain’t me, babe ou encore Just like a woman pour mesurer le potentiel créatif et émotionnel du bonhomme. Dylan déroule ses chansons et n’a jamais semblé aussi à l’aise dans ce subtil mélange de rock-folk-country éclairé de sa voix unique, que l’on n’a jamais entendue s’exprimer avec tant d’aisance, entre intimisme et énergie communicative d’un poète écorché.
  4. Se plonger dans The Rolling Thunder Revue, c’est aussi la possibilité de (re)découvrir Rolling Thunder Revue – A Bob Dylan Story (2019), le documentaire de Martin Scorsese, disponible sur Netflix. Le réalisateur avait déjà proposé l’excellent No direction home en 2005, concernant la période 1961-1966 de Dylan. Avec ce nouveau film, Scorsese explose les frontières et les règles du documentaire. Il mélange images de coulisses, captations live, interviews d’aujourd’hui et images tournées à l’époque pour une fiction, et donne ainsi à voir la dimension hors normes de cette tournée. Entre mythe et réalité, magie et moments du quotidien, Rolling Thunder Revue – A Bob Dylan Story accentue le côté irréel et hors du temps (et parfois de la réalité) de cette incroyable tournée. Chaque image est hypnotique et nous envahit, faisant passer les presque 2h30 de film comme un seul moment sans aucun temps mort et sans jamais regarder la montre. S’il fallait retenir trois séquences en particulier ? Premièrement, les captations scéniques dans lesquelles Dylan est magnétique, présent comme jamais, insaisissable et fascinant sous son maquillage blanc et ses yeux cernés de noir. Deuxièmement, ce court moment lors d’une fin de concert où l’on voit une jeune femme du public, presque hébétée et totalement sonnée émotionnellement de ce qu’elle vient de vivre. Troisièmement, un échange entre Joan Baez et Bob Dylan qui, en quelques phrases et regards, raconte tout le respect et l’amour intemporel qu’il y a entre ces deux-là. C’est à la fois réservé, retenu, et d’une puissance émotionnelle incroyable.
  5. The Rolling Thunder Revue est possiblement le live le plus riche et captivant de Bob Dylan. Il reste bien d’autres raisons pour soutenir cette idée, mais la dernière que je retiens est la possibilité d’augmenter sa collection de vinyles avec le bel objet qui contient ces enregistrements. Au-delà du double CD sorti en 2002, les plus complétistes et acharnés se tourneront vers le coffret 14 CD sorti en 2019 et contenant 5 shows intégralement captés, plus 3 disques de répétitions et un de raretés. L’exhaustivité pour un prix relativement raisonnable (autour de 60 euros). Pourtant, à quelques euros près, est également disponible un coffret 3 vinyles (également sorti en 2019), celui-là même sur lequel repose cette chronique. Pourquoi préférer prioritairement le vinyle ? Pour le choix des meilleurs enregistrements, comme déjà évoqué plus haut. Pour la qualité du mastering son mais surtout du pressage, qui fait enfin oublier le calamiteux Hard Rain sorti en 1976 et qui donnait un aperçu de cette même tournée. Pour le livret 64 pages grand format qui met en valeur bon nombre de photos d’époque. Enfin, pour profiter pleinement de la photo de pochette : un magnifique portrait noir et blanc de Bob Dylan, qui dit autant le côté fantasque et magnétique que les tourments et l’humanité qui habitent ce grand poète de notre temps.

The Rolling Thunder Revue est une pièce maîtresse pour tout amateur de bon son, mais aussi de la carrière de Bob Dylan. Si les cinq raisons évoquées ne suffisent pas, ou s’il en fallait une sixième qui chapeaute et rassemble toutes les autres, il y a simplement à se dire que The Rolling Thunder Revue, c’est du Dylan. Un artiste au parcours unique, prix Nobel de littérature en 2016 (faut-il le rappeler), qui a traversé les époques pour devenir une figure intemporelle, pourtant bien vivante, qui fêtera le 24 mai prochain ses 80 ans. Quelle plus belle occasion pour (re)plonger dans The Rolling Thunder Revue ? Aucune. Foncez.

Raf Against The Machine

Reprise du jour n°8: Nightcall de Kavinsky par London Grammar (2013)

Il faut se rendre à l’évidence, je n’arrive pas à m’ôter de la tête la reprise de Nightcall par London Grammar, présente sur leur premier album If You Wait… Ce n’est pas une forme de paresse intellectuelle ou de manque d’inspiration car j’ai de nombreuses idées en stock, en particulier les derniers albums de Julia Stone ou Kira Skov, enfin je vais m’arrêter là car c’est manquer de respect à ce superbe Nightcall qui se suffit amplement à lui-même. Nous connaissons forcément tous le titre initial de Kavinsky artiste du très recommandable label Record Makers, qui a eu le bonheur d’être le titre-phare de la BO du film Drive sorti en 2011. Thriller porté par le duo Ryan Gosling/ Carey Mulligan et ses ambiances nocturnes citadines d’une grande beauté, Drive est sublimé par sa bande-son et son compositeur Cliff Martinez. C’est au peu connu Kavinsky que revient l’honneur d’offrir ce Nightcall qui me file des frissons à chaque écoute presque 10 ans plus tard. Une ambiance électro avec un son lourd et une boîte à rythmes imparable, cet appel téléphonique entre le héros en fuite à la voix robotisée et la voix fragile de la chanteuse de CSS, Lovefoxxx, qui souligne avec simplicité l’attirance incontrôlable qui l’anime. La ligne mélodique de fond est addictive et ce titre touche au sublime, ce qui n’empêche pas London Grammar d’oser s’attaquer à ce bijou dès son premier album. Une reprise d’une grande douceur et d’un esthétisme saisissant s’appuyant sur un piano central et la voix poignante d’Hannah Reid. Ce Nightcall nous emmène dans un ailleurs poétique sans renier l’univers sombre du titre original, je crois sans trop m’avancer que cela représente la recette ultime d’une reprise, donner un second souffle pour un titre qui n’en manquait déjà pas… Voilà un duo parfait pour illuminer ce début de weekend prolongé bien sombre, enjoy!

 

Sylphe

Five Titles n°22: Californian Soil de London Grammar (2021)

Des nouvelles aujourd’hui des Anglais de London Grammar, trio composé de Dominic « Dot » Major (clavier,London Grammar percussions), Dan Rothman (guitare) et la chanteuse à la voix de velours Hannah Reid. C’est en 2013 (et oui, ma bonne dame, ça file…) avec leur premier opus If You Wait que l’on a fait connaissance avec ce groupe proposant un trip-hop moderne ayant batifolé avec la dream pop. Je vous invite à aller réécouter des titres comme Wasting My Young Years et Strong qui devraient réveiller en vous des réminiscences d’émotions fortes ou savourer la sublime reprise de Nightcall de Kavinsky. En 2017, je suis littéralement passé à côté de leur deuxième album Truth Is a Beautiful Thing mais ce Californian Soil est arrivé à bon port. Sur la base du hasard (j’ai regardé l’album dans une liste de sorties, cet album m’a regardé, bref j’ai écouté cet album…) j’ai écouté sans aucune attente particulière, si ce n’est une curiosité polie, cet album qui m’a totalement emporté dès la première écoute… Vous me direz que les textes ne sont pas les plus originaux du monde, que l’évolution du son de London Grammar est très prudente et que l’album est un peu trop homogène. Sans nier ces arguments, je vous répondrai juste que la voix d’Hannah Reid me transperce par sa douceur. La recette est donc d’une simplicité imparable: cette voix centrale qui a la capacité de porter à elle seule certains morceaux, des ambiances instrumentales entre le trip-hop de Massive Attack, l’électro d’un Thylacine et le lyrisme des cordes. Je vous invite à découvrir cinq titres qui s’imposent comme une porte d’entrée majestueuse de ce Californian Soil.

1. Le morceau d’ouverture sobrement intitulé Intro et ses deux petites minutes au pouvoir cinétique évident donne une leçon de grâce mystérieuse. Une mélopée irréelle qui vient remplacer ces cloches en fond et des violons/violoncelles qui viennent faire souffler un son épique, voilà la bande-son parfaite pour illustrer l’arrivée d’un héros solitaire au milieu d’une lande nappée de brouillard.

2. Le titre éponyme part lui sur une rythmique trip-hop digne du Teardrop de Massive Attack avec la voix aussi douce que puissante d’Hannah Reid. L’alliance entre la boîte à rythmes et les violons est subtile pour une superbe revisite moderne du trip-hop.

3. Lord It’s a Feeling joue quant à lui davantage la carte de l’électronica. L’instrumentation me fait fortement penser aux premiers albums de Moby pour un résultat qui gagne au fur et à mesure en complexité. Une des vraies prises de risques de l’album.

4. How Does It Feel aborde ensuite le thème de la rupture amoureuse en jouant davantage sur la fibre pop. Le refrain joue sur des sonorités aux frontières du disco pour un résultat plus dansant et particulièrement savoureux.

5. Baby It’s You brille enfin par son électro un brin nostalgique à la Thylacine qui contraste avec la puissance du chant. De la joaillerie musicale…

 

Pour commencer sous les meilleurs auspices ce weekend ensoleillé, si vous savouriez le cocktail doux et intense de ce Californian Soil? Enjoy!

Sylphe

Five Reasons n°28 : At the BBC (2021) de Amy Winehouse

At-The-BBCLa semaine dernière, j’ai joué du teasing et vous ai (peut-être) mis en appétit avec un live incroyable dont la chronique arriverait plus tard. Ce devait être ce jeudi, mais le combo agenda chargé/actualité brûlante a eu raison, cette semaine encore, de mes intentions. Nous écouterons et parlerons de tout cela prochainement (#teasingsemaine2). Aujourd’hui donc, focus sur At the BBC de Amy Winehouse, une compilation de captations live datant de 2003 à 2009. Soit la période qui englobe ses deux albums studio Frank (2003) et Back to black (2006) et sa période la plus prolifique et riche sur le plan musical, avant, malheureusement, une lente descente aux enfers de la célébrité et ses conséquences négatives sur sa créativité artistique. Alors que nous commémorerons le 23 juillet prochain les 10 ans de sa disparition (oui, 10 ans déjà), y a-t-il un intérêt à se jeter demain 7 mai, date de sa sortie officielle, sur ce disque ? Oui, et nous allons même voir cela en 5 raisons chrono, histoire de vérifier que l’on n’a pas perdu au change. Loin de là.

  1. At the BBC couvre la meilleure période musicale d’Amy Winehouse. Les premiers enregistrements remontent à 2003, année de la sortie de Frank. A réécouter ce premier album déjà prometteur, on mesure le potentiel de l’artiste au fil de ces titres très jazzy. C’est d’ailleurs l’ambiance que l’on retrouve sur les captations les plus anciennes de ce At the BBC : Stronger than me ou Take the box sont très représentatifs de cette ambiance avec, déjà, une voix incroyable. Pourtant, ces prestations les plus anciennes tranchent avec l’ambiance un peu plate et très pop/jazz de Frank. Amy Winehouse déclarait elle-même, à la sortie de l’album, ne pas pouvoir l’écouter, avant une réconciliation avec des morceaux qu’elle aimait jouer live plutôt que de les réentendre en version studio. At the BBC lui donne entièrement raison : tous les titres les plus anciens issus de Frank prennent une couleur beaucoup plus chaude, en basculant dans un univers jazz/soul que n’aurait pas renié Sarah Vaughan. La majorité des captations de At the BBC date de 2006-2007, autrement dit les années de Back to black, l’exceptionnel second album studio d’Amy Winehouse produit avec talent par Mark Ronson. Un son définitivement plus soul et blues. Outre son célèbre Rehab, on retrouve des pépites comme Love is a losing game ou You know I’m no good dans des versions frissonnantes et sorties d’un autre monde.
  2. At the BBC est à ce jour la meilleure façon officielle de découvrir ou d’entendre Amy Winehouse live. De son vivant, et si l’on excepte deux DVD, aucun disque live n’a vu le jour pour attester de la puissance et de l’énergie scénique de ce petit bout de femme. Depuis 2011, les seuls témoignages scéniques consistaient en une première édition très partielle At the BBC (2012) sous forme d’une quinzaine de titres et d’un coffret DVD, puis du très bon Live in London – From Shepherd’s Bush Empire 2007 uniquement disponible dans le coffret vinyle de l’intégrale Amy Winehouse sorti en 2015. Autant dire qu’avec cette nouvelle édition bien plus complète et plus exhaustive, on dispose là d’un panorama de gourmand pour qui veut comprendre ce qu’était la musique d’Amy Winehouse : un mélange de rock attitude et d’amour immodéré pour la soul et le blues, porté par une voix incroyable sortie de nulle part qui percute et émeut tout autant qu’elle crie ses fragilités. Intense émotion sur un Back to black ou Me & Mr. Jones.
  3. Intense émotion aussi lorsqu’Amy Winehouse se lance dans une reprise d’un titre que j’adore. I heard it through the grapevine, composé en 1966 et popularisé par Marvin Gaye, est typiquement le genre de morceau qui me file des frissons et me fait danser tout seul dans ma tête dans un coin de chez moi. C’est un titre légendaire et porteur d’une sensualité incroyable qu’Amy Winehouse reprend de la plus belle des façons. Cette version débute un peu différemment de l’original, mais quelque chose se déclenche immédiatement dans l’inconscient, du genre « Je connais, ça me dit quelque chose… » Bien sûr qu’on connaît. Et que l’on comprend très vite à quel monument musical elle s’attaque là. Mais, qui mieux qu’Amy Winehouse pouvait revisiter ce standard de la soul ? Peut-être Amy Winehouse, Paul Weller et Jools Holland ? Ça tombe bien, c’est justement flanquée de ces deux musiciens qu’elle déroule les 4 minutes incroyables qui arrivent. Du groove, de l’énergie, des cuivres et des voix de feu : voilà ce qu’est la reprise de I heard it through the grapevine par Amy Winehouse sur ce At the BBC.
  4. Des pépites comme celle-là, vous en trouverez 38 sur ce triple disque. Les esprits chagrins pourront faire remarquer que ce n’est pas tout à fait 38 titres, puisque reviennent plusieurs versions de Rehab, Valerie, You know I’m no good, Monkey man, Love is a losing game ou encore Know you now. C’est justement là que réside l’intérêt des captations live : pouvoir comparer les différentes interprétations d’un Rehab ultra connu, mais que l’on redécouvre tour à tour plus intimiste, plus rythmé, plus feutré au gré des arrangements et des placements de voix. Nul besoin d’être grand mélomane ou connaisseur technique pour apprécier : une simple écoute attentive permet de saisir sans grand effort la richesse musicale de ces enregistrements. C’est même doublement intéressant dans le cas d’Amy Winehouse, artiste jazz dans l’esprit, qui n’hésitait pas à revisiter ses morceaux avec à chaque fois d’infimes variations pour en dévoiler, écoute après écoute, toutes les facettes qui nous auraient échappées. Au-delà de l’énergie contenue dans At the BBC, il est également très émouvant de parcourir le potentiel d’une immense artiste partie bien trop tôt.
  5. Cerise sur le gâteau : cette ultime version de At the BBC est d’une qualité technique absolue. Tous les enregistrements sortis des cartons de la BBC sont généralement de très bonne qualité. Pensons un instant aux lives de Pink Floyd, de Bowie, des Beatles ou de Deep Purple. Ici, le matériau de base est excellent, et brillamment capté. Plus encore, le mixage est tout simplement incroyable, et rend hommage à l’ensemble des instruments, notamment les lignes de basse, mais aussi au grain des voix à commencer par celle d’Amy Winehouse. En entrant dans At the BBC, vous tenez là sans doute un des plus beaux enregistrements de sessions live, et sans doute aussi la meilleure façon de redécouvrir le travail d’Amy Winehouse. L’ensemble est disponible en triple CD mais aussi en triple vinyle. Je ne saurais que trop vous conseiller cette dernière édition. L’objet est magnifique : pochette très stylée à double rabat couverte de photos géniales, contenant trois galettes 180 grammes dans un pressage de haute qualité. Les collectionneurs comme les amateurs de bon son se régaleront de craquer sur cette édition, disponible qui plus est à un prix tout à fait raisonnable (autour de 30 euros selon votre disquaire, autant dire que c’est donné).

At the BBC est de ces disques dont on se demande initialement si on va l’acheter : est-il bien nécessaire de craquer sur des enregistrements de titres déjà entendus des centaines de fois ? Puis, on craque. On pose sur la platine. On écoute. Et on sait. Que l’on a fait un bien bel achat, qui va nous apporter des heures de réécoute et de plaisir. At the BBC est donc nécessaire. Il est également indispensable. Et totalement beau. Typiquement le genre d’album à écouter à deux, dans la douceur d’une soirée accompagnée d’un verre de vin. Une certaine idée d’un moment-bulle de sérénité.

Raf Against The Machine