Effet rebond de notre voyage dans le Baiser de Miossec la semaine dernière, ou bien encore mood/divagation du moment ? A moins que ce ne soit un coup d’œil dans le rétroviseur musical et personnel : il est temps de réécouter Albin de la Simone, et plus précisément son album L’un de nous (2017), et encore plus précisément son titre d’ouverture Le grand amour. On tient là ce qui est peut-être mon opus préféré de ce digne représentant de la pop française élégante et raffinée. Dans L’un de nous, il y a Ma barbe pousse, Embrasse ma femme, Pourquoi on pleure, des titres finement écrits et interprétés, chargés de poésie. On y trouve aussi Une femme, chanson par laquelle je découvris l’album un jour de 2018 au gré d’une promenade pleine de rires, de regards et désormais de souvenirs.
Comme un programme, une profession de foi, un condensé des titres qui suivent, Le grand amour nous fait entrer dans L’un de nous. Une douce intro au piano dans laquelle on perçoit, si l’on tend bien l’oreille, le léger frottement des marteaux et mécanismes sur les cordes. Puis le texte qui s’installe comme un court-métrage, assez vite soutenu par des arrangements subtils et jamais envahissants. Le texte, particulièrement mis en avant, dresse par petites touches un tableau délicat et passionné : la vie, des moments partagés à deux dans une sorte de passion qui ne dit jamais son nom. « On ne parlait pas d’amour / L’amour, c’est quoi ? / On en parlait jamais d’amour / Le grand amour / Ça n’existait pas » : cinq lignes d’un refrain résumant la complicité amoureuse qui plane entre l’homme et la femme. Hautement visuelle, cette chanson dépeint l’évidence d’un amour qui se passe de grands discours, de commentaires enflammés et de recherche effrénée de toute preuve.
La chute, puisque chute il y a dans le morceau comme dans l’histoire, n’en sera que plus douloureuse et incompréhensible. A ne pas savoir se rendre compte, à refuser de s’avouer qu’on a possiblement trouvé la perle rare (ou du moins une perle rare), à prendre peur à l’idée d’un peu de bonheur trouvé dans ce monde, on peut laisser tourner le vent et s’effondrer les moments les plus prometteurs. Et laisser s’échapper la possibilité d’une vie moins ordinaire et plus vivante. On peut être partisan de l’idée qu’il ne faut rien regretter, que tout cela nous forge, y compris nos erreurs. Il n’empêche que, dans les faits, c’est un peu plus compliqué. En se laissant aller à jeter un œil dans le rétroviseur (oui, celui du début de l’article), on a bien le droit à quelques pincées de regrets, et à imaginer ce que l’histoire serait devenue si on n’avait pas laissé partir l’autre. Trois morceaux plus loin, Une femme enfonce un peu plus le clou et nous l’écouterons également. Deux pépites pour le prix d’une, histoire de profiter d’Albin de la Simone comme il se doit, et de refaire pour quelques minutes la promenade de 2018 (oui, celle du début de l’article aussi), cheveux au vent et soleil dans les yeux.
Le 21 avril est une date marquante à double titre. En l’an 2002, ce funeste jour a vu, pour la première fois, l’accès de l’extrême droite au second tour d’une élection présidentielle française. Choc politique, et choc tout court, la déflagration se fait encore ressentir aujourd’hui à gauche, avec la disparition totale de toute vision fédératrice. Personne à ce jour n’a réussi à reconstruire un mouvement autour d’un pack d’idées qui fait envie et qui regroupe. Le deuxième tour Chirac-Le Pen (père) avait mis à peu près tout le monde dans la rue pour dire non à l’extrémisme, et encore plus tout le monde dans les bureaux de vote pour un puissant 82% versus 18%. Une double réaction qui laisse songeur quand on voit où on en est vingt ans plus tard. Grosse digression (quoique…) totalement hors musique, pour mieux revenir à l’autre 21 avril. En 1997 celui-là, avec la sortie de Baiser, deuxième album studio de Miossec. Précision : selon les diverses infos récoltées, la sortie de la galette est datée soit au 17 avril, soit au 21. N’ayant pas la réponse exacte et la mémoire défaillante, et par facilité pour servir cette chronique, on gardera le 21 avril : je vous mets le tout au même prix, c’est offert par la maison, pour célébrer quoiqu’il en soit les 25 ans de cet opus.
Baiser arrive presque tout pile deux ans après Boire (sorti lui le 10 avril 1995). A la sécheresse du rock acoustique de ce premier opus, succède un album beaucoup plus électrique. A l’image d’un Dylan qui branche sa guitare au milieu des années 1960, perd-on au change, et Miossec perd-il de son efficacité ? Non non non non (#référencefacile). Boire parcourait les errances alcoolisées, nocturnes et (déjà un peu) amoureuses. Baiser est clairement plus tourné sur la relation de couple, l’amour qui dure (ou pas), l’usure des sentiments et de la passion. Faut-il souffler sur les braises éternellement, ou allumer des feux à plusieurs endroits ? L’album est organisé autour de deux titres placés en miroir : La fidélité ouvre la galette, L’infidélité nous tombe dessus à mi-parcours. D’un côté, la quasi-rage à peine contenue (soutenue par une guitare vénère et pleine de tension) de ne pouvoir assouvir un désir amoureux et physique par fidélité. Fidélité à celui/celle qui partage notre vie du moment, mais fidélité aussi de l’objet du désir à celle/celui qui partage sa vie. Et une réflexion sur la possibilité d’une infidélité. Qui trouvera sa réponse plus loin avec le titre miroir. Maintenant que c’est fait, « tu ne crois pas qu’il faudrait quand même passer l’éponge ? ». Et un refrain qui est peut-être pire que toute recherche d’excuses et de réparation de la casse : « Elle n’était même pas belle, elle était même un peu conne / Et d’ailleurs je n’ai plus le moindre souvenir de sa personne / Elle n’était même pas belle, elle n’était même pas bonne / Et d’ailleurs je n’ai plus la moindre idée de sa personne ».
Autour de ces deux piliers de l’album, gravitent bien d’autres pistes sur l’humain, ses tentations, ses errances, ses remords, ses regrets, ses erreurs. Ça sent le brûlé et Je plaisante s’enchaînent pour décortiquer la fin des sentiments. La routine qui s’insinue partout dans la première chanson, puis quand l’un n’aime plus, et que l’autre s’imagine que c’est encore rattrapable dans la seconde. Un titre qui mélange d’ailleurs une grande tendresse et un cynisme absolu avec ce « Même si tu ne vois plus / Ce qui te fait rester chez moi / C’est peut-être le cul / Je plaisante mais j’y crois pas ». Un peu plus loin, et dans la même veine, Le mors aux dents et Juste après qu’il ait plu enfoncent le clou. Le « Je t’aime bien, mais je ne t’aime plus » qui ouvre cette dernière est absolument fatal en quelques mots seulement.
Si La fidélité et L’infidélité sont posées en miroir dans cet album, ce sont aussi deux groupes de titres qui se font face. D’un côté ceux évoqués dans les lignes précédentes, qui balaient l’usure des sentiments, du désir et de la passion. De l’autre, les morceaux qui se rapprochent le plus du titre de l’album et d’une certain frénésie de sexe. Le célibat en tête avec son « N’être là que pour la baise, et surtout pas pour les mots tendres », ou encore Tant d’hommes (et quelques femmes au fond de moi) avec son « J’aimerais bien me baiser moi-même / Me dire des cochonneries tout bas ». Ce qui pourrait passer pour une solution n’en est pas une, et c’est même posé dès Une bonne carcasse : « Et l’on nage et l’on nage, et l’on hèle des navires / Et l’on rage, et l’on rage, et on en pousse des soupirs ». Pas une solution parce que « Aujourd’hui se dire, je me retrouve chez une sombre connasse / Toi au moins tu me faisais rire, c’est ça qui me tracasse ». Une idée que l’on retrouvera, quelques albums plus tard, dans l’excellente Chanson pour un homme couvert de femmes (2011).
On peut baiser et se faire baiser dans bien des positions, mais aussi de bien des façons. La guerre que l’on n’a pas choisie est un dramatique théâtre qui baise toutes celles et ceux qui y sont pris, et qui y perdent toute perspective de baiser(s). La politique est un beau terrain de chasse aussi pour se faire baiser. On était tellement de gauche, et aujourd’hui, on est devenus quoi ? (vous voyez que je ne digressais pas tant que ça dans mon introduction). Le panorama est quasiment complet. Dès lors, Baiser ne pouvait pas se terminer autrement que sur la géniale reprise de Salut les amoureux, sorte de comptine aigre-douce enregistrée initialement en anglais par Steve Goodman et popularisée en français par Joe Dassin. Miossec y apporte sa voix grave et éraillée et son phrasé désabusé, pour une reprise d’anthologie.
Reste tout de même une question : cet album fait-il le constat en boucle de l’usure des sentiments et de l’impossibilité d’entretenir la passion versus l’insatisfaction sentimentale et humaine à ne se contenter que du plaisir physique ? A première approche oui, mais ce serait oublier un point fondamental. Le critérium contient une première clé de réponse : « Remporter le critérium, c’est pas rien crois moi / Mais t’embrasser sur le podium, là c’est tout pour moi ». Le titre de la galette est la seconde clé, avec son double sens. Faisant suite à Boire, et précédant A prendre (1998), on a trop souvent lu Baiser comme un verbe, formant ainsi une trilogie. Verbe qui, dans un sens familier, revient à avoir des relations sexuelles. Verbe qui veut aussi dire donner un baiser, et qui amène pour le coup au nom commun. Une piste à explorer sans doute, celle de baiser en n’oubliant pas les baisers.
En deux albums dans la deuxième moitié des années 1990, Miossec s’implante durablement dans le rock et la chanson française. Bien d’autres albums suivront Boire et Baiser, mais ces deux-là reviennent souvent sur la platine. Baiser notamment, pour toutes les raisons dont on vient de parler, pour son intemporalité, et pour son énergie. Histoire de se retrousser les manches et de reprendre la main, pour baiser ou déposer des baisers (l’un n’excluant pas l’autre), et surtout ne plus jamais se faire baiser. « A essayer de vivre comme si de rien n’était / On se fait un beau jour rattraper par la marée ».
Deux salles deux ambiances. Après le feu AC/DC, on change radicalement de direction musicale avec une petite pépite française, logée au fin fond de Boucan d’enfer (2002), treizième album studio de Renaud. A l’époque, c’est le grand retour du chanteur après quelques errances alcoolisées, et surtout douze albums magnifiques dont A la Belle de Mai (1995). Ce dernier exprime plus explicitement ce qui se profilait déjà depuis Putain de camion (1987) : le temps qui passe, les amis qui sont là et ceux qui s’en vont, la nostalgie d’une certaine tranche de la vie, plutôt que d’une époque précise. A la Belle de Mai contient lui-même des perles absolues de poésie mélancolique, telles que C’est quand qu’on va où ?, Le sirop de la rue, ou encore Son bleu. Suivront plusieurs années silencieuses de Renaud, envahi par plusieurs démons, dont le « démon anisé » comme il l’a lui-même confessé. Une période marquée par, notamment, une transperçante interprétation de Mistral Gagnant aux Victoires de la Musiques 2001, à l’occasion de la remise d’une Victoire d’honneur.
En 2002 arrive dans les bacs Boucan d’enfer, l’album du retour, l’album de Docteur Renaud / Mister Renard. Alors qu’on ne croyait plus vraiment à un nouveau disque du bonhomme, c’est le plaisir autant que la surprise de retrouver quatorze nouvelles chansons. Bien que toutes ne soient pas exceptionnelles, beaucoup de très jolies choses dans cette galette. A commencer par Mon bistrot préféré, qui clôt l’affaire (d’où l’inconvenance du terme « A commencer », mais que voulez-vous, on écrit comme on peut et comme ça vient). Pour tout dire, je me suis réveillé hier avec cette chanson en tête. Comme un lendemain de gueule de bois, qui n’est rien en comparaison du réveil qui nous attend lundi prochain. Oui, je reviens à l’instant du futur et, croyez moi, il est moche. Ou cauchemardesque. Je digresse (quoique).
Mon bistrot préféré, c’est le refuge quand rien ne va, quand on a besoin de réconfort et d’être bien entouré par des têtes pensantes, des esprits brillants et des personnages qui nous font du bien. Alors que la médiocrité du débat public semble régner, un Desproges, un Brassens, un Coluche, un Prévert ou un Franquin nous manquent terriblement. Pour moi qui ai coutume de me plonger dans mes mondes cinématographiques, musicaux, livresques ou vidéoludiques, afin de supporter ce monde, cette bien jolie chanson de Renaud est l’illustration parfaite de l’évasion mentale dont on a parfois besoin. On se crée l’univers dont on a besoin pour surmonter les jours de moins bien, les coups de mou, « Les jours de vague à l’âme / Ou les soirs de déprime ».
Manque-t-il des noms ? Forcément, selon les goûts. Chacun prendra dans le bistrot de Renaud ceux qu’il souhaite mettre dans son bistrot préféré personnel. Chacun y ajoutera les noms des absents. Certains ne figurent pas au panthéon renaldien, d’autres sont encore de ce monde. Serais-je tenté d’y ajouter un Higelin ou un Bashung ? Assurément. Est-ce que j’y croise parfois un Miossec, un Thiéfaine, un Arthur H, histoire de mélanger monde des vivants et des disparus, pour de passionnantes rencontres imaginaires ? Evidemment. Et, assis dans un coin, Renaud échangeant avec « Des poètes le prince / Tirant sur sa bouffarde / L’ami Georges Brassens ».
Commandez ce qui vous plait, avec qui vous voulez à votre table, « Et surtout des copains / Qui font la vie plus belle / Le désespoir plus loin » : c’est la tournée Five-Minutes pour quelques minutes d’évasion, et plus si affinités.
A l’heure où certains coursent les lapins et œufs dans les jardins, d’autres rematent pour la énième fois l’éclosion alienesque de Ridley Scott. On a les œufs qu’on mérite, et celui de 1979 a marqué à jamais tout cinéphile qui s’est un jour risqué à accompagner Ellen Ripley et ses compagnons d’infortune sur le Nostromo. Le facehugger (Manumala Noxhydria de son petit nom scientifique) n’est pas exactement la surprise qu’on s’attend à trouver au creux de n’importe quelle coquille, pas plus qu’une salmonelle d’ailleurs. D’autres encore attendent les cloches en ce weekend prolongé, alors que nous n’avons pas besoin de cette occasion particulière pour les entendre sonner. De tous horizons et sur n’importe quel sujet, le règne d’une époque où tout le monde a un avis sur tout sans connaître grand-chose est là et bien installé. Au milieu de cet océan de carillons, écoutons donc les vrais experts dans leur domaine : cela nous évitera bien des déconvenues et des crises d’angoisse.
Revenons donc à nos spécialistes en cloches, avec une pépite musicale intemporelle de AC/DC qui date de (déjà) 1980. A l’époque, le groupe de rock australo-britannique est en plein choc. Bon Scott, son emblématique chanteur qui a remplacé en 1974 Dave Evans (éphémère voix originelle de la formation), meurt en février 1980. Officiellement étouffé dans son vomi bien que la cause initiale n’ait jamais été déterminée. Le rock se pare tristement d’une nouvelle légende, mais plus prosaïquement, AC/DC se retrouve sans voix, alors même que les lascars sont à l’œuvre sur un nouvel album. Le précédent Highway to Hell (1979) a consacré le groupe dans le monde rock et auprès du grand public, notamment grâce à son titre éponyme en ouverture et son célèbre riff de guitare. Deux possibilités s’offrent alors à AC/DC : tout arrêter et entrer au panthéon du rock avant de se reformer plus tard (c’est la version alternative dans une dimension parallèle), ou continuer à exister en trouvant un nouveau lead singer.
Vous connaissez l’histoire : c’est la deuxième solution qui s’impose presque naturellement, avec l’arrivée de Brian Johnson. Le britannique prend le micro pour ne plus le lâcher, en dehors de la période 2016-2020 où des problèmes d’audition le tiennent éloigné de la musique. Période pendant laquelle Axl Rose (oui, le Axl de Guns N’ Roses) assurera l’intérim. Digression dites-vous ? Tout à fait. En 1980 donc, AC/DC planche sur le successeur de Highway to Hell. Et puisque durant cette galette 1979 on a pris l’autoroute de l’enfer, il est plus que cohérent de débarquer dans la suivante au son des cloches du royaume d’Hadès. Back in Black sort en juillet 1980, et débute donc fort logiquement avec Hells Bells (littéralement les cloches des enfers). Tout un programme.
Le titre s’ouvre sur les coups d’une cloche en bronze de plus de 900 kilos, spécialement coulée pour l’occasion. Non, je ne ferai pas la blague archi attendue et éculée que vous voyez poindre, en disant que c’est là un bien beau bronze que les rockers nous ont coulé (et bien si, finalement, je l’ai faite). Hells Bells devient le titre d’ouverture des tournées Back in Black en 1981 et For those about to rock en 1982, avant d’intégrer de façon permanente la tracklist des prestations scéniques d’AC/DC. Il faut dire que sa structure musicale et son efficacité en font instantanément un classique indémodable. Les coups de cloche, les arpèges guitare d’Angus Young bientôt rejoints par le reste de la troupe deuxième guitare/basse/batterie posent le cadre d’un rock lent, lourd, gras mais jamais indigeste. La touche finale est apportée par Brian Johnson et sa voix à la fois haut perché et rocailleuse. Le tout servi avec l’énergie rock et le frisson qui va bien, pour cinq minutes de bon son qui défoncent et sont à jamais gravées dans l’esprit de tout musicos qui a, un jour, posé ses oreilles sur cette pépite, et ce disque sur sa platine.
Hells Bells sonne à la fois le glas de Bon Scott, et la consécration définitive d’un des plus grands groupes rock du monde. Et si « L’enfer même a ses lois » (Goethe, in Faust), AC/DC en écrit là une page majeure.
Ci-dessous deux versions de Hells Bells : la version studio de 1980, et une version live captée à River Plate en 2009 (quel putain d’incroyable live !), peut-être une des plus habitées avec un public chaud bouillant et en transe totale. C’est ça qu’on veut : du live, du gros son, de la sueur, de l’énergie, de la vie. Choisissez votre version (ou pas, écoutez les deux), et ne vous privez pas de monter le son 🤘
Voilà un album qui m’aura marqué et un groupe qui, à mon sens, n’a pas eu le succès qu’il aurait mérité. Comme son nom l’indique de manière si évidente, DeVotchKa (« jeune fille » en russe) est un groupe indé américain construit autour du chanteur Nick Urata… Leur quatrième album How It Ends reçoit un joli accueil critique et leur permettra de créer la BO de Little Miss Sunshine, road-movie émouvant et plein d’humanité qui dénonce avec subtilité la mode des concours de beauté pour les enfants aux Etats-Unis. Si vous avez envie de voir Paul Dano en adolescent torturé proche de l’autisme ou Toni Colette en mère prête à tout pour sa fille, vous savez désormais ce qu’il vous reste à faire. J’aurais pu choisir pour cette chronique le titre How It Ends qui est le sublime thème principal du film (sous le titre The Winner Is), titre qui aura été aussi choisi pour la publicité du jeu vidéo Gears of War 2 (oui, on est sur un tout autre registre je vous l’accorde) mais c’est bien le septième album 100 Lovers qui me désarme littéralement à chaque écoute…
Entre le morceau d’ouverture The Alley dont les premières minutes semblent tout droit sorties de la discographie de Sigur Ros, All the Sand in all the Sea dont les violons ne sont pas sans évoquer les premiers opus d’Arcade Fire et le rock balkanique The Common Good se trouve la pépite intemporelle du jour, 100 Other Lovers. Dans un univers plus fantasque à la Yeasayer, le morceau déroule son charme slave et la justesse de son orchestration tout en cordes. Un bijou parfait pour aborder la discographie de DeVotchKa, enjoy !
Au lendemain d’une soirée électorale quelque peu difficile qui confirme l’inéluctable montée en puissance des extrêmes et de ce spectre de la peur qui alimente le racisme, le besoin de la musique-refuge se fait profondément ressentir… Cela fait plusieurs mois que je suis obsédé par un titre rencontré au gré du hasard des playlists, Can’t Hide It pour ne pas le citer, single de power-pop imparable mâtinée de soul qui me file une sacrée patate digne de l’explosion positive qui m’anime à écouter un Crazy de Gnarls Barkley. Je ne connais pas du tout son interprète originaire d’Atlanta, Curtis Harding, un ancien choriste de CeeLo Green, qui a déjà sorti deux albums, Soul Power en 2014 et Face Your Fear en 2017. La soul n’est pas mon domaine d’écoute et encore moins d’écriture (si tant est que je possèderai vraiment un domaine d’écriture) mais je ne peux pas laisser passer ce troisième opus sorti en novembre dernier If Words Were Flowers tant il me fait chaud au coeur, et la chaleur humaine fait clairement défaut quand on voit les résultats de l’extrême-droite… Oublions cette politique pour le moins nauséabonde et saisissons la main tendue pleine d’espoir de Curtis Harding qui continue à donner toutes ses lettres de noblesses à la soul-music en 2022.
Le morceau d’ouverture If Words Were Flowers met d’emblée en avant les cuivres qui se verront utilisés toujours à juste titre dans l’album. La mélodie de la trompette, la rythmique soul et les choeurs dignes d’Harlem nous offrent un premier instant de poésie apaisée, pour le seul morceau de l’opus où Curtis Harding ne chante pas. Hopeful nous ramène alors davantage sur les traces de la Motown avec son chant engagé à la Curtis Mayfield, les choeurs ne cessant de nous inviter à l’optimisme et les cordes qui viennent s’inviter avec justesse avant la guitare électrique finale. Ce morceau réussit le tour de passe-passe de reprendre les codes de la soul-music des années 60/70 tout en restant résolument moderne. Passée l’incandescente déclaration d’amour Can’t Hide It qui mérite de trôner dans toutes les meilleures playlists, With You nous ramène vers la douceur downtempo avec une véritable ode à la sensualité sublimée par la voix de Sasami Ashworth.
Explore démontre l’amplitude vocale hallucinante de Curtis Harding et lance une deuxième partie d’album très puissante. Entre le phrasé plus hip-hop de Where’s The Love qui contraste à merveille avec le refrain cuivré, la sensualité soul de The One qui semble ressusciter le Curtis qu’on ne présente plus et le bijou So low qui sublime le topos du chagrin d’amour en se permettant d’utiliser avec brio l’auto-tune, je ne sais plus à quel saint me vouer et j’ai envie de me réécouter en boucle la BO de Shaft et d’enfiler un cuir de justicier. La soul mid-tempo de Forever More qui montre la facilité de Curtis Harding à tutoyer les sommets vocaux et l’intemporel It’s A Wonder qui donne l’impression que Balthazar a momentanément déposé les guitares électriques nous amènent vers le brillant morceau final I Won’t Let You Down, ode célèbrant la puissance de l’amour tout en dessinant les contours de la soul du XXIème siècle. Curtis Harding vient de faire une entrée tonitruante dans mon ADN musical avec ce sublime If Words Were Flowers, j’aurais bien été égoïste de garder cela pour moi, enjoy !
Morceaux préférés (pour les plus pressés): 3. Can’t Hide It – 8. So Low – 11. I Won’t Let You Down – 4. With You
Voici quelques jours, ma moitié bloguesque Sylphe vous a parlé du nouvel album de Kavinsky (pour les distraits, c’est à lire en suivant ce lien), tout en évoquant Carpenter Brut. Simple hasard ? Absolument pas. D’une part, parce que le hasard n’existe pas. Rien n’arrive sans raison. D’autre part, parce que nous avions minutieusement préparé notre coup en conférence de rédaction hebdomadaire. Il savait sur quoi j’écrirai aujourd’hui et en a fait mention. Voilà donc une semaine placée sous le signe de deux musiciens fortement influencés par les années 1980 et adeptes des synthés en tout genre. Pas que des synthés en ce qui concerne Carpenter Brut, et nous allons voir tout cela sans tarder.
Leather Terror est sorti la semaine dernière, très exactement vendredi 1er avril. Tuons le suspense tout de suite, en parlant opportunément de bonne pêche musicale. Ce nouvel opus de Franck Hueso (tête tellement pensante de Carpenter Brut qu’il l’incarne à lui seul, du moins dans l’esprit artistique) envoie du lourd, et même du très très lourd. Attendait-on le garçon à ce niveau ? Oui et non. Oui, parce qu’avec Carpenter Brut dans les oreilles, on n’est jamais déçus. Non, parce que le précédent opus Leather Teeth (2018) m’avait un peu laissé sur ma faim. Pour ne contenir que huit titres, et parce que je l’avais trouvé un poil en deçà de l’exceptionnelle trilogie originelle et séminale EP I (2012), EP II (2013), EP III (2015), regroupée dans Trilogy (2015). Leather Teeth inaugurait d’ailleurs une nouvelle trilogie, avec un nouveau parti pris : narrer musicalement les aventures de Bret Halford, lycéen tout droit sorti de la fin des 80’s, au travers de trois vraies-fausses BO de trois vrais-faux films de série Z inspirés des slashers de bon goût. Faisant ce choix, Carpenter Brut avait accentué ses inspirations cinématographiques, pour livrer un album entre pop-rock et glam-metal.
L’histoire globale prend place en 1987. Bret Halford est un lycéen un peu timide, sorte de Arnie Cunningham du film Christine, réalisé par John Carpenter (qui , au passage, n’a pas donné son nom au groupe, mais dont l’influence musicale est réelle). Notre Bret est (évidemment) total in love de Kendra, la cheerleader du bahut, qui ne veut (évidemment) pas de lui et l’éconduit (évidemment) sans trop de ménagement. Histoire de la séduire malgré tout, il se lance dans une carrière musicale, en devenant le chanteur du groupe Leather Patrol. Ce qui n’aura aucun effet sur la belle. En revanche, il fera l’objet de multiples brimades et humiliations, qu’il compte bien faire payer à ses auteurs. Avec Leather Terror, nous sommes quatre années plus tard. Bret Halford est devenu une grande star du glam-rock, mais aussi un psycho-killer en puissance qui va déchaîner sa vengeance en douze titres et une quarantaine de minutes.
L’album affiche une réelle évolution par rapport à son prédécesseur. Sur sa construction et sa narration tout d’abord, en profitant d’une autre galette sortie entre les deux Leather : la BO (réelle celle-là) de Blood Machines (film tout aussi réel) de Seth Ickerman. Un opus sorti en 2020 et dont nous avions parlé dans ces colonnes (à relire par ici pour les curieux), qui faisait la part belle à une intelligente progression dans le propos et les images qu’il accompagnait. On a vraiment cette sensation que, en passant par la case BO réelle, Carpenter Brut a appris beaucoup quant à la fabrication d’une soundtrack. L’ouverture martiale sur Opening title puis Straight outta hell est un générique évident qui plante le décor sans délai. Viennent ensuite dix autres morceaux plus diversifiés que dans Leather Teeth, offrant ainsi plus de scènes différentes tout en donnant à entendre une cohérence assez fascinante.
Leather Terror nous balade toujours sur le terrain hyper maîtrisé de la dark synthwave. Toutefois, les élans pop et glam-rock du précédent disque font place à d’autres influences très début 90’s : normal, l’action se situe en 1991. C’est l’occasion de retrouver du rock metal industriel rappelant furieusement Nine Inch Nails ou Rammstein. Du gros son qui tabasse ? Assurément, et ce ne sont pas des Imaginary fire ou Leather Terror (le titre, en clôture de l’album) qui me feront mentir. Vous allez en prendre plein la tronche. Tout comme vous ne sortirez pas indemnes de l’excellent Color me blood, titre malsain et torturé qui renvoie immanquablement à The Perv, ou encore de la presque dernière ligne droite Stabat Mater puis Paradisi Gloria, sorte de dernier mouvement lyrique apocalyptique à la sauce Carpenter Brut. Seuls deux moments d’accalmie sur ce disque : « … Good night, Goodbye » qui joue sur une ambiance inquiétante piano/nappes de synthés/glitches sonores puis voix, et plus loin Lipstick masquerade, sorte de bonbon pop/dance façon Madonna des 90’s éclairé aux néons fluos.
L’ensemble est puissant, porté par une pierre angulaire située en plein milieu de l’album. Le diptyque Day Stalker / Night Howler (littéralement Harceleur de jour / Rôdeur de nuit) résume à lui seul, par ces deux titres enchaînés, toute l’énergie de Leather Terror. Tel le climax de l’album, ce moment d’anthologie musicale débute comme un Giorgio Moroder façon thème principal de Midnight Express (encore une BO…) pour monter en intensité. Une forme d’excitation intérieure chez Bret Halford, qui doit autant à ses envies de carnage sanglant que de sexe sauvage et passionné (mais non assouvi) avec la pom-pom girl de son cœur. Cette tension intense incroyablement retranscrite en deux titres ne trouve sa délivrance et son soulagement que dans Lipstick masquerade, le morceau pop/dance déjà évoqué qui dégouline à la fois de sucre, de sueur et d’un rouge à lèvres sensuel et sanguinolent.
Leather Terror permet à Carpenter Brut de poursuivre l’histoire de Bret Halford au son de sa BO imaginaire, en étant un album intense, riche, varié et implacable. En mode slasher crade et malsain mâtiné d’une évidente charge sexuelle, on plonge avec ce disque dans une série Z fantasmée et fantasmagorique qui ne laisse aucun répit. Leather Terror réussit même un tour de force remarquable : alors qu’il est énergivore à souhait de par son intensité, on en redemande dès le disque terminé, en relançant la galette pour une nouvelle écoute. Carpenter Brut est de retour et vous n’êtes pas prêts, mais foncez quand même. Ce serait une monumentale erreur que de passer à côté de Leather Terror.
9 ans, il aura bien fallu attendre 9 longues années pour que Vincent Belorgey, alias Kavinsky, arrive à donner un successeur à son premier opus, OutRun. Comme beaucoup, je me suis fait happer par la BO de Drive et son titre-phare si emblématique du film Nightcall (dont j’ai déjà parlé par ici pour les curieux) qui a apporté un succès aussi intense qu’annihilant pour la suite de la carrière de Kavinsky. Il aura fallu attendre 3 ans après la sortie de Drive pour le premier opus OutRun qui, à l’époque, m’avait certes séduit mais pas complètement retourné (même si un bon Roadgame me donne toujours autant envie de mordre la vie à pleines dents avec son souffle épique purement jouissif). 9 ans en musique c’est sacrément long -espérons que nous n’attendrons pas 27 ans pour le prochain – et j’ai de plus en plus l’impression que Kavinsky a malheureusement raté le coche pour décrocher la lune. Passé derrière les intouchables Daft Punk, grillé sur la ligne d’arrivée par le succès instantané du duo Justice et pillé par le plus mainstream The Weeknd, il s’adresse désormais à un public plus restreint et nostalgique du son des années 80 qui aime sa patte électronique, tout comme il savoure le son plus brut de Carpenter Brut. Je suis ce public et ce Reborn est une excellente nouvelle pour moi !
Autant se dire les choses en toute franchise, le début de l’album est plutôt laborieux. Pulsar et ses pulsations cardiaques en fond ne brille pas par son inventivité, sa débauche de synthés rappelle certes le potentiel cinétique de Kavinsky mais j’ai l’impression d’écouter une face D de Daft Punk. La production de Gaspard Augé et de Victor Le Masne (Housse de Racket) se fait davantage ressentir sur Reborn qui, pour le clin d’oeil, fait appel à Romuald Lauverjon qui chantait déjà sur Woman de Justice. Très axé électro-pop -marque de fabrique de l’album – le titre peine à décoller. Renegade avec Cautious Clay au chant fonctionne davantage dans cette veine électro-pop avec un refrain qui fonctionne à merveille pour un résultat hybride entre The Shoes et The Weeknd.
Heureusement le duo Trigger/ Goodbye va entrer en scène de manière magistrale. A ma gauche Trigger et ce son électro percutant anxyogène tout droit sorti d’Escapades de Gaspard Augé qui me hérisse le poil, à ma droite le bijou de douceur électronique mélancolique Goodbye sublimé par le chant de l’inusable Sébastien Tellier, époque La Ritournelle. Ce Goodbye me désarme littéralement par sa simplicité et sa pureté… Plasma nous ramène ensuite de nouveau sur les terres de l’électro-pop et Morgan Phalen, le chanteur de Diamond Nights, n’a franchement rien à envier à The Weeknd et démontre une belle énergie communicative. On le retrouvera sur le plus oppressant Vigilante et sa rythmique angoissante pour un morceau qui m’évoque le souffre d’Algiers ainsi que sur l’excellent Zenith où sa voix se marie à merveille avec la voix vocodée à mort de Prudence (ex moitié de The Dø) dans un morceau qui prend le risque de balancer du saxo.
Vous rajoutez l’électro-pop de Cameo et la voix convaincante de Kareen Lomax (déjà entendue dans ses collaborations avec Diplo), le son plus sombre de Zombie (en même temps tu n’imagines pas un titre de pop solaire s’appeler Zombie…), la douceur estampillée Air d’Outsider qui fait écho à Goodbye et l’inclassable Horizon final (ce serait vraisemblablement la voix de Thomas Mars de Phoenix passée à la moulinette du vocoder) et vous obtenez un album qui tient assez bien la route. Kavinsky restera un outsider que je prendrai plaisir à réécouter régulièrement, ce Reborn sans être transcendant regorge de beaux moments, enjoy !
Morceaux préférés (pour les plus pressés): 5. Goodbye – 4. Trigger – 8. Zenith – 6. Plasma