Reprise du jour n°3 : Where is my mind ? de The Pixies (1988) par Maxence Cyrin (2010) et The Motion (2019)

Triple combo pour ce jeudi avec un titre phare, un titre culte, un titre incontournable de ma discothèque : Where is my mind ? paru en 1988 sur Surfer Rosa, le premier et excellent album de The Pixies. Disque séminal et matriciel pour toute la scène rock à venir, du grunge de Nirvana aux sons bruts des Smashing Pumpkins ou de PJ Harvey. Bref, impossible de passer à côté, que ce soit à l’époque, ou encore de nos jours pour qui aime un tant soit peu le rock.

Surfer Rosa est un album brillant, rehaussé et illuminé en son exact milieu par Where is my mind ?, qu’on pourrait traduire strictement par « Où est mon esprit ? », un peu moins littéralement par « Où ai-je la tête ? ». Ce titre vit sa vie depuis maintenant 32 ans, étant maintes fois utilisé au cinéma ou dans les séries TV, ou encore repris par divers artistes. Côté ciné, on pensera évidemment au final de Fight Club accompagné de cette rengaine punk-dépressive dans sa version originale : rarement le propos d’un film et sa conclusion (notamment musicale) auront été aussi bien ajustés. No spoil pour celles et ceux qui n’auraient encore pas vu ce grand film de David Fincher, adapté du non moins grand roman de Chuck Palahniuk, mais si vous aimez les histoires qui retournent un peu le crâne, foncez, c’est du bon. Côté séries TV qui secouent la tête, on entend Where is my mind ? en fin de saison 1 de Mr. Robot (là encore, c’est judicieusement placé et c’est une belle référence à Fight Club), dans une version piano solo qui constituera notre première reprise.

Prenant le contrepied total des Pixies, de leurs guitares grinçantes et du son rock garage, Maxence Cyrin interprète seul, au piano, sa version de Where is my mind ?. A ce jour, c’est une des versions les plus émouvantes et touchantes que je connaisse de ce titre. Un mélange de tête à l’envers et d’apaisement qui semble raconter que, désormais, tout va aller mieux. Cette interprétation est disponible sur l’album Novö Piano (2010), constitué de 10 reprises au total. Si vous aimez cette version de Where is my mind ?, n’hésitez pas à découvrir le reste de l’album, pour y entendre des relectures inattendues de Lithium de Nirvana, Kids de MGMT ou encore Around the World de Daft Punk. Bref, Maxence Cyrin livre là une très chouette interprétation qui fait du bien.

Cerise et troisième élément du combo du jour, une reprise trouvée presque par hasard en farfouillant sur le Net dans les multiples versions de notre Where is my mind ?. Cette fois, c’est The Motion qui est aux commandes. Un artiste dont, en toute honnêteté, j’avoue ne pas connaitre grand-chose du parcours. En revanche, je me suis baladé dans son travail, puisque d’autres titres connus passent entre ses mains pour une réinterpréation retrowave/synthwave. Dans le cas de Where is my mind ?, ça sonne très proche de A Real Hero de College, entendu notamment dans le film Drive, et dont on avait fait un son estival du jour à relire/réécouter ici. Là encore, avec d’autres sonorités, The Motion livre une version apaisée et apaisante qui, tout en apportant sa bouffée d’air, conserve le mode tête à l’envers originel.

Si, comme moi, vous êtes dingues de ce Where is my mind ?, voilà donc l’original et deux confiseries pour le réécouter sous différentes formes et varier un peu les plaisirs. Si c’est plutôt le challenge reprise qui vous attire, vous êtes au bon endroit, puisque ce titre bénéficie de nombreuses reprises/versions, outre les deux proposées aujourd’hui. Si, enfin, c’est le besoin de bon son qui vous amène, j’espère vous en avoir apporté quelques minutes. Where is my mind ? A la porte du confinement.

Raf Against The Machine

Five Titles n°14: The Ascension de Sufjan Stevens (2020)

Avec trois de jours de retard par rapport à ce qui était prévu, nous voilà donc aux Etats-Unis pour laSufjan Stevens 2 suite de notre road-trip musical des vacances. 3 jours à se torturer l’esprit face à ce gargantuesque onzième opus de Sufjan Stevens, The Ascension, que je voulais chroniquer entièrement mais que je vais finalement aborder plus modestement à travers cinq titres. Tentative d’explication… Je voue une vraie admiration pour Sufjan Stevens que je résumerai à travers 3 bijoux: le chef d’oeuvre d’émotion Illinois en 2005, la pop bricolée et orchestrée à souhait de The Age Of Adz et la folk intimiste de Carrie & Lowell. Certes, il existe certains accidents de parcours comme le très conceptuel et inaudible Aporia sorti en début d’année et je dois reconnaître que le message religieux souvent très présent dans les paroles est quelquefois un brin pesant mais Sufjan Stevens récolte cependant l’unanimité de mes suffrages. The Ascension, qu’on se le dise d’emblée, est un album brillant mais qui souffre de deux défauts m’empêchant de le placer au summum de la discographie de l’Américain. Peut-être à tort je vous l’accorde car cet album mérite d’être longtemps savouré en bouche…Tout d’abord, il est d’une très grande densité et dure… 1h15. Je ne fais pas partie de la génération actuelle qui aime zapper rapidement et pour laquelle l’album est en train de rendre les armes face aux playlists mais mon attention s’éteint malheureusement sur la fin. J’ai l’amère impression de ne pas savourer à sa juste valeur le tryptique final SugarThe AscensionAmerica et regrette que Sufjan Stevens ait laissé quelques morceaux tourner à la redite. Le deuxième défaut c’est justement ce message religieux oscillant entre un optimisme pas désagréable en cette période torturée et un angélisme désuet qui me fatigue, j’avoue. Une fois évacués ces deux défauts, il faut reconnaître que The Ascension brille par sa capacité à croiser avec délices la folk intimiste de Carrie & Lowell avec les trouvailles électroniques de The Age Of Adz pour un résultat plein d’émotions. Voilà cinq titres qui méritent de se confronter à cet album somme.

  1. Le morceau d’ouverture Make Me An Offer I Cannot Refuse séduit par sa douceur électronique, comme si l’on avait allié la bidouille des machines d’un Baths ou d’un Animal Collective à la folk électronique d’un Loney Dear. Le résultat est imparable, d’autant plus avec la montée finale.
  2. Run Away With Me, quant à lui, est peut-être le plus bel hymne à l’amour écrit depuis longtemps. La douceur mélancolique nous enveloppe comme une bulle intemporelle, la voix feutrée de Sufjan Stevens s’adressant au plus profond de nous-mêmes. L’acmée de l’émotion dans cet album pour moi.
  3. Video Game referme le superbe tryptique initial dans un registre surprenant. Les synthés sont entêtants et la voix pleine de réverb donne une couleur psychédélique au morceau. A première vue incongru et trop mainstream, ce titre s’insinue en nous et devient vite addictif. Et oui, on peut s’appeler Sufjan Stevens et se faire un petit plaisir pop non?
  4. Tell Me You Love Me, tout comme Ursa Major plus tard, reste dans l’univers et les paroles de Make Me An Offer I Cannot Refuse. La rythmique down-tempo me séduit et j’aime le souffle épique final.
  5. Ativan (du nom d’un anti-dépresseur) m’évoque Loney Dear et me touche par sa description angoissante et sans concession des symptômes du consommateur d’Ativan. L’univers est esthétiquement anxiogène.

Voilà en tout cas un Sufjan Stevens incontournable qui devrait occuper vos soirées à la maison, couvre-feu oblige, enjoy!

Sylphe

Pépite du moment n°76: Another Wave de Catastrophe & Cure (2020)

Notre road-trip musical de ces vacances nous emmène aujourd’hui en Autriche après avoir visité laCatastrophe & Cure Colombie et le Canada. Voilà une contrée que je connais assez peu musicalement en dehors de Kruder & Dorfmeister, Parov Stelar ou Waldeck qui développent son versant électronique… Le groupe du jour au nom assez surprenant Catastrophe & Cure a sorti en 2020 son troisième opus Somewhere Down the Line qui fait très bien le boulot en à peine 30 minutes et mérite amplement d’être écouté. Le titre du jour Another Wave s’appuie sur une guitare d’une grande coolitude qui accompagne parfaitement la voix de Johannes Eder, l’ensemble peut paraître assez classique mais fonctionne à merveille pour moi. Voilà une superbe transition avant de retourner aux Etats-Unis demain avec le dernier Sufjan Stevens, enjoy!

 

Sylphe

Review n°61 : S16 (2020) de Woodkid

S16Sept longues années après The Golden Age (2013), premier album brillant et imparable, Yoann Lemoine aka Woodkid revient avec la redoutée et redoutable épreuve du second album. Entre temps, le garçon n’a pas manqué d’activités artistiques, malgré une annonce du retrait de la scène musicale en juillet 2014. Pourtant, dès 2015, Woodkid revient aux affaires en multipliant les créations et collaborations en tout genre et sur divers supports. Pour en arriver, voici quelques jours, à la sortie de S16, un deuxième album studio aussi espéré qu’attendu. Après une semaine d’écoute attentive et approfondie, verdict en cinq (peut-être six) minutes chrono de lecture.

La première chose qui saute aux yeux avec S16, c’est la noirceur qui l’habille. Le contact initial avec un album, outre l’achat, c’est sa pochette. Ici, point de clarté à l’horizon. Autant The Golden Age irradiait de sa blancheur, autant S16 affiche du noir. En quelque sorte, l’inverse chemin d’une Jeanne Added avec un Be sensational (2015) à la pochette sombre, puis un Radiate (2018) bien plus lumineux. Pour son second opus, Woodkid, vêtu de noir, enlace, sur fond noir, une créature noire, possiblement faite de goudron/pétrole et sortie de nulle part. Il l’enlace, ou se blottit dans ses bras : les deux interprétations sont possibles, surtout à l’écoute à venir. On ne le sait pas encore, mais une fois tout l’album absorbé, c’est cette image, et nulle autre, qui vous obsèdera. Comme une correspondance parfaite avec la musique de Woodkid.

L’album, venons-y. S16 n’est pas un album facile, encore moins simpliste. Son prédécesseur The Golden Age explorait une électro-pop épique et lyrique, à grands coups de percussions puissantes, d’envolées grandioses et d’une forme de démesure auditive qui emportait tout sur son passage. Dès la première écoute, il s’offrait pour que l’on puisse y plonger à l’envi, avec une forme de plaisir immédiat sans cesse renouvelable. S16 se place à l’opposé : s’il accroche notre attention dès la première écoute, il faudra en revanche y revenir plusieurs fois pour commencer à y entrer pleinement. C’est un disque épais et dense qui demande du temps, de l’investissement et de la persévérance. Bref, un contraste saisissant avec le monde de l’immédiateté qui est aujourd’hui le nôtre. Ne vous attendez pas à un The Golden Age bis : Woodkid ne ressert pas la même cuisine. Sept années sont passées pour lui, pour nous, et pour le monde. Autant dire une éternité, qui appelle une nouvelle façon d’aborder les choses.

Le simplisme aurait consisté, en effet, à repartir sur la lancée du premier opus, fort de ses 800 000 ventes (oui, oui). Ça aurait sans doute fonctionné, puisque The Golden Age se vend et s’écoute toujours par palettes. Pourtant, S16 emprunte une toute autre voie : celle de la mélancolie, du combat, de l’introspection, de la déconstruction, des ruptures et des cassures. Au printemps dernier (date initiale de sortie de l’album), on avait découvert le premier single Goliath, musicalement impressionnant et accompagné d’un clip assez vertigineux. L’homme contre les machines, la disproportion d’échelles, tout ceci dans un univers industriel renforcé par le visuel du 45 tours : un disque de disqueuse bien affuté. Ce premier extrait racontait un monde en lutte, l’Homme contre la pression et l’oppression, parfois l’Homme contre lui-même. Une sorte de préambule à ce S16 à venir. Oui, c’est bien tout cela dont l’album parle : un environnement chahuté, un monde chaotique fait de secousses et de bousculades.

Ce climat se retrouve pleinement dans les 11 compositions qui forment S16. Goliath ouvre le bal avec ses percussions tourbillonnantes, bientôt complétées par des nappes de programmations dark qui n’ont rien à envier aux moments les plus sombres d’un Blade Runner. Plus que tout, les variations rythmiques sautent aux oreilles. Oubliés les élans pop de 2013, même si déjà Woodkid jouait à l’époque avec les changements de rythmes. Ici toutefois, ces ruptures sont accentuées par des artefacts et des glitches sonores qui viennent raconter que tout est instable et fragile. Pale Yellow est typique de ce mélange cassures mélodiques/sons parasites. Presque tout autant que Highway 27, avec son ouverture percussions et boite à rythmes, qui nous emmènera jusqu’à sa fin (qui est également la fin du premier vinyle) dans une omniprésence de ces rythmes troublants. Entre ces 3 titres, In your likeness et Enemy jouent plutôt la carte de la fausse sérénité. Dans une ambiance beaucoup plus planante, le temps est cependant à l’introspection hypnotique, tout autant que mélancolique. Après ces 5 premiers titres, la claque est déjà puissante. Pourtant, S16 n’a pas livré tous ses secrets, puisqu’il reste un second vinyle et 6 titres à venir.

Et quels titres ! Reactor ouvre le second disque avec des chœurs qui rappellent le travail de Woodkid pour Louis Vuitton/Nicolas Ghesquière ayant donné lieu à une galette dont nous avions parlé voici quelques semaines. Le Suginami Junior Chorus (chœur japonais composé exclusivement d’enfants) apporte une énergie lumineuse inattendue qui relance l’album et l’enrichit encore, au-delà de ce que l’on pouvait imaginer. Ce Reactor m’a clairement fait penser à la BO de NieR: Automata, peut-être la plus belle soundtrack du plus grand jeu vidéo de tous les temps. Rien que ça. Drawn to you enchaîne avec, une fois encore, ce rappel aux collaborations Louis Vuitton/Nicolas Ghesquière renforcé par les cordes orientalisantes. Se greffent toutefois de nouveaux glitches et artefacts sonores, semblables à ceux de Pale Yellow. Un titre somme, avant les trois suivants qui nous plongent dans un dépouillement presque total. Shift, So handsome hello et Horizons into battlegrounds jouent la carte voix/piano/programming. Shift est aérien, posé, presque lumineux. So handsome hello remet les percussions en avant pour se faire parfois inquiétant. Horizon into battlegrounds pourrait être une fin d’album, en mariant la voix de Woodkid à un piano qui ruisselle en gouttelettes magiques. C’est pourtant Minus Sixty-One qui fermera le voyage, avec le retour du Suginami Junior Chorus. Ce dernier titre s’ouvre calmement, pour monter en puissance et aller vers une intensité émotionnelle pour laquelle vous n’êtes pas prêts. Pas plus que je ne l’étais.

S16 est donc un album de l’instabilité, du chaos, de la bousculade, du combat, de l’équilibre. Mais il est également un album puissant, riche, complexe et émotionnellement ravageur. Deux raisons à cela. D’une part, les compositions de Woodkid foisonnent de trouvailles et d’inventivité. C’était déjà le cas avec The Golden Age, mais ce S16 monte encore en gamme. Vos oreilles vous diront merci pour ce travail d’orfèvre, cette minutie du détail sonore où rien n’est laissé au hasard. Aucun son en trop, ni aucun manquant. Tout est d’une justesse absolue et réveille des sensations parfaitement dosées tout autant que des émotions puissantes. Les compositions bénéficient en outre d’un programming rigoureux et imparable, de percussions exceptionnelles mais aussi d’instruments plus classiques comme des cordes et bois. Tout ce qui fait la richesse de la musique de Woodkid est sublimé par le mélange de ces ingrédients. D’autre part, le dernier instrument dont nous n’avons pas encore parlé, mais ô combien précieux et fondamental : la voix de Woodkid. Bordel, quelle voix ! Depuis les graves les plus ronds et puissants aux notes les plus hautes, le musicien utilise sa voix comme jamais. Il dessine des lignes mélodiques incroyables qui viennent se mêler aux compositions musicales, pour offrir une démonstration hallucinante de ses talents, et un paysage sonore encore inexploré.

Vous l’aurez compris : S16 est une véritable claque. En 2013, The Golden Age avait déjà tapé très haut. Sept années plus tard, Woodkid remet le couvert. A ce jour, c’est très possiblement mon meilleur album 2020 ever. Il faut croire que la mi-octobre est propice aux bijoux musicaux et aux albums parfaits. L’an dernier, c’était Dyrhólaey de Thomas Méreur (18 octobre 2019). Cette année, le S16 de Woodkid, tombé dans les bacs le 16 octobre. Ce disque est magistral et incontournable, pour ce qu’il raconte du parcours musical de son auteur/compositeur, pour ce qu’il dit de notre époque et du monde tel qu’il évolue, mais aussi pour son incroyable profondeur d’écoute. Après de multiples passages sur la platine, S16 se découvre encore et toujours, sans facilité mais sans non plus se cacher de quoique ce soit. C’est tout simplement un disque d’une richesse incommensurable qui ne fait que commencer son existence.

Je ne peux rien vous dire d’autre que de foncer, en sachant que, peut-être, S16 ne s’offrira pas immédiatement à vous. Il mérite la persévérance pour en explorer toutes les richesses. Là où il se pose, ce nouveau son de Woodkid est entêtant, permanent, obsédant, et saura venir se loger durablement dans chacun des recoins de vous. Comme le visuel de la pochette, véritable obsession/invitation, en fin de compte, au réconfort dans les bras de l’autre.

Raf Against The Machine

Review n°60: Generations de Will Butler (2020)

Will Butler, le frère cadet du leader charismatique Win d’Arcade Fire, est d’une grande discrétionWill Butler derrière le couple formé par son frère et Régine Chassagne. Il brille néanmoins par son énergie et sa fantaisie dans les concerts et s’est lancé depuis 2015 dans une carrière solo avec son premier album Policy. Un album que je n’avais jamais écouté avant cette déflagration sonore qu’est ce Generations et qui, sans être brillant, démontrait un beau potentiel (le titre What I Want en étant un parfait exemple) s’il arrivait à prendre un peu plus de distance avec l’univers tentaculaire d’Arcade Fire, groupe pour lequel je voue une admiration sans bornes…

L’empreinte digitale ensanglantée de la pochette de ce Generations démontre deux volontés évidentes: se livrer corps et âme et ne rien occulter de la violence de notre monde contemporain. Le défi est relevé haut la main tant ces 44 minutes sont animées d’une intensité folle qui font de cet album un moment central de l’année musicale 2020… Nous pouvons désormais l’affirmer avec aplomb, une fée s’est véritablement posée au-dessus des berceaux de la famille Butler. Will dont la voix a des similitudes troublantes avec celle de son frère vient de se faire défintivement un prénom sans vouloir tomber dans de la pyschologie familiale de comptoir. Le fantôme d’Arcade Fire plane bien sûr au-dessus de l’album, ce qui n’est pas pour me déplaire, mais il s’apparente davantage à un mécène qui guide qu’à un héritage qui freine…

Le morceau d’ouverture Outta Here frappe fort d’emblée avec une power-pop qui révèle la puissance du chant de Will Butler. Le titre monte et, porté par ses percus et ses riffs de guitare acérés, prend une teinte rock séduisante. On n’est pas loin d’un rock taillé pour les stades mais Will résiste à la tentation de la facilité et on retiendra la belle énergie de ce morceau ainsi que les paroles qui invitent à fuir notre quotidien sombre. La claque musicale c’est Bethlehem qui va nous l’infliger… Rock uptempo d’une grande intensité, une batterie qui martèle le morceau, des choeurs bien sentis, Régine Chassagne en clin d’oeil sur la fin, voilà le genre de titres un brin épiques qui ont fait la marque de fabrique d’Arcade Fire. Close My Eyes ralentit le rythme cardiaque dans un registre plus classique de pop suave éclairée par les choeurs du refrain avant que I Don’t Know What I Don’t Know distille avec délices un univers sombre empreint d’une vraie tension électrique. Le traitement de la voix dans ce morceau m’évoque un David Bowie période Aladdin Sane, impression confirmée ultérieurement avec Promised. Un Surrender plus solaire avec une voix parcourant les aigus et une montée à base de choeurs digne d’Arcade Fire, un Hide It Away plus dépouillé et parcouru de décharges électriques étonnantes, un Hard Times séduisant par sa volonté de bidouiller pour créer une pop bricolée à la Baths, les explorations sont diverses et fonctionnent à merveille. Le tryptique final parachève avec brio l’album: Promised s’impose comme une créature hybride entre Arcade Fire et David Bowie, Not Gonna Die et son piano joue la carte de l’émotion dans un véritable hymne à la vie qui me donne autant le sourire qu’un No Cars Go alors que Fine finit sur un combo piano/clarinette qui a la fâcheuse tendance à me piquer les yeux… Merci Will Butler d’être définitivement sorti de l’ombre majestueuse d’Arcade Fire, ce deuxième album fait penser dans sa démarche artistique à un certain Neon Bible et on ne peut que s’en réjouir, enjoy!

Sylphe

Pépite du moment n°75: they told us it was hard, but they were wrong d’Ela Minus (2020)

On est partis pour deux semaines de vacances placées sous le signe de la musique, tant ces dernières semaines regorgent de nouveautés aussi excitantes les unes que les autres… La première étape de notre road-trip musical va nous emmener en Colombie pour découvrir une artiste qui sortira ce vendredi 23 octobre sur le label Domino son premier album studio acts of rebellion (oui la demoiselle est fâchée avec les majuscules), Ela Minus. Je suis tombé par hasard sur le premier single they told us it was hard, but they were wrong sorti en avril mais qui était passé sous mon radar amateur. Le morceau est littéralement hypnotisant avec ces synthés en staccato qui s’adressent au corps et invitent au dance-floor. Le chant tout en retenue amène un désenchantement séduisant qui se marie parfaitement à la montée électrique finale qui, dans l’utilisation des synthés, m’évoque Caribou. Le clip de Will Dohrn est d’une simplicité étonnante à la Michel Gondry et illustre avec sobriété la première pépite de ces vacances d’une artiste capable de croiser en 4 minutes Fever Ray (ou plus largement The Knives) et Caribou, enjoy!

Sylphe

Reprise du jour n°2 : Baba O’Riley de The Who (1971) par Pearl Jam

Continuons notre inauguration de cette nouvelle rubrique Reprise du jour avec une virée rock à deux époques.

D’un côté, The Who, qu’on ne présente plus (mais faisons-le tout de même un minimum) : groupe britannique rock fondé à Londres en 1964 autour de Roger Daltrey (chant), Pete Townshend (guitare), John Entwistle (basse) et Keith Moon (batterie), toujours en activité après plusieurs interruptions. La formation a traversé divers courants rock au cours de quasiment six décennies. Avec Baba O’Riley, on est au cœur de la période opéras-rock et concept albums : Tommy (1969) et Quadrophenia (1973) encadrent Who’s next (1971), dont est tiré notre titre du jour. Oui, Who’s next, vous savez : l’album avec la pochette où les quatre lascars du groupe pissent sur une sorte de monolithe de béton façon 2001 : l’odyssée de l’espace. Musicalement, cet opus est surtout connu pour l’introduction de synthés et de pistes électroniques préprogrammées dans le rock de The Who. Et notre Baba O’Riley en est un parfait exemple dès l’ouverture de la galette. Morceau efficace, très rock dans l’esprit malgré les guitares reléguées au second plan, voilà une poignée de minutes qui envoie du bois. Depuis, le titre a été multi-utilisé, y compris dans des contextes absolument pas rock comme le générique des Experts : Manhattan. Mais également multi-repris, comme nous allons le voir de suite.

Puisque, de l’autre côté, nous avons Pearl Jam, qu’on ne présente plus non plus (mais faisons-le aussi tout de même un minimum) : nous sommes au tout début des années 1990, le grunge est porté par Nirvana, Soundgarden ou encore Alice in Chains. Et Pearl Jam, formé autour d’Eddie Vedder. En presque 30 ans de carrière et une belle tripotée d’albums, la formation de Seattle a fait les belles heures du rock, les miennes en tout cas. Dès le départ, je suis tombé dans leur son. Planté dans ma récurrente tenue jeans/Docs/chemise à carreaux sur t-shirt, j’ai poncé des albums comme Ten (1991), Vs. (1993), Vitalogy (1994) ou No code (1996). Depuis, je n’ai pas changé de fringues (enfin si, c’est plutôt le style qui est resté le même) et j’ai continué à écouter la bande à Vedder, et même Vedder seul dans l’exceptionnelle BO de Into The Wild. A quel moment dans tout ça Pearl Jam a-t-il repris Baba O’Riley ? Tout le temps. Le groupe s’est fait une spécialité de le jouer régulièrement en live, et souvent en clôture du show. En alternance avec une autre reprise, celle de Fuckin’ Up de Neil Young.

C’est mieux ? C’est moins bien ? Pour tout dire, c’est différent et c’est la même chose. Différent parce que la version de Pearl Jam éjecte tout synthé ou instrument électronique pour ne garder que de la guitare bien en avant. Dès l’intro, la boucle de synthé laisse place à un tapping saturé et un tempo moins rapide, qui va rapidement prendre une vitesse de croisière. Le son est gras, le son est rugueux, à l’image du riff post premier couplet (1:12 dans la version proposée). Plus électrique, plus animal, plus rageux. Plus efficace à mon goût, n’en déplaise aux puristes des Who (1:39 dans l’enregistrement originel). Ça défonce tout et rien que pour ces quelques secondes là je pourrais écouter le titre en boucle. Ce que j’ai d’ailleurs fait en écoutant un nombre incalculable d’interprétations live de Baba O’Riley par Pearl Jam. A chaque fois c’est la même baffe rock. Alors oui parfois la voix de Vedder chevrote et ne vaut pas celle de Daltrey, et oui la reprise écourte un peu le titre. Perso, je m’en fous un peu. Tant que le rock m’envoie du rock, je prends et je pardonne les quelques petites faiblesses, tant que l’énergie est là. Au-delà, c’est finalement la même chose parce qu’on a là deux fucking groupes rock qui envoient le bouzin. The Who ont créé la matière première, d’une efficacité redoutable et sans laquelle Pearl Jam n’aurait rien eu à reprendre, avec la puissance et la sincérité qui les caractérisent.

Je vous laisse vous faire un double shoot. De mon côté, j’ai S16, le nouveau Woodkid, à écouter. Oui, il ne sort que demain, mais comme chez Five-Minutes on est motivés et en précommande constante, la double galette a eu la bonne idée d’arriver aujourd’hui. En parlant précos, novembre s’annonce déjà comme assez dantesque en sorties. Ça tombe plutôt bien : on va passer de longs moments confinés, autant le faire en musique.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°60: Everything In Its Right Place de Radiohead (2000)

Comme mon ami Raf Against The Machine, je n’ai pas pu m’empêcher de savourer les teintes grises Radiohead Kid Ade la nostalgie en réécoutant le troisième album de Radiohead, Kid A, qui vient d’avoir 20 ans… Radiohead est une des pierres angulaires de ma modeste culture musicale et la voix de Thom Yorke sait toucher en moi les cordes les plus profondes de ma sensibilité. Après deux albums rock plus classiques dans leur approche Pablo Honey (1993) dont est tiré le single imparable Creep et The Bends (1995), les Anglais sortent un des albums les plus marquants et intenses émotionnellement OK Computer (1997) pour lequel les mots manquent tout simplement…

Kid A a donc pour rude tâche en 2000 de faire suite à un véritable coup de maître. L’orientation de l’album est très claire, les guitares vont laisser leur place aux machines (synthés et samplers) pour accompagner la voix de Thom Yorke qui va devenir encore plus centrale. L’album va pleinement relever le défi et nous infliger une nouvelle énorme claque musicale, 3 ans après OK Computer. Le titre du jour, Everything In Its Right Place, et ses paroles pour le moins minimalistes (mais pourquoi ce citron?) est le morceau d’ouverture de Kid A. Une vaste lande désertique d’un minimalisme désarmant où la voix de Thom Yorke nous hante au milieu des synthés inquiétants, les samplers prenant un malin plaisir à expérimenter, à briser les codes pour mettre à jour une litanie aussi obsédante qu’angoissante. Voilà un titre à l’image de la pochette de l’album, beau et anxiogène… A savourer en réécoutant en entier ce sublime Kid A, enjoy!

Sylphe

Reprise du jour n°1 : Motion Picture Soundtrack de Radiohead (2000) par Thomas Méreur (2020)

Deux titres pour le prix d’un, ou plus exactement deux versions d’une même pépite : voilà l’idée de fond pour cette nouvelle rubrique sur Five Minutes, sobrement intitulée Reprise du jour. Pour l’inaugurer, connectons-nous à l’actualité tout en retrouvant deux grands artistes.

D’un côté, Radiohead. On ne présente plus le groupe de rock britannique, emmené par Thom Yorke et les frères Greenwood. De ses débuts au milieu des années 80 à son Moon Shaped Pool (2016), voilà une aventure musicale qui nous a offert quelques-uns des très grands albums des dernières décennies. OK Computer (1997) en est un, figurant aussi dans ma top liste des albums parfaits. Amnesiac (2001) en est un autre, immédiatement précédé de Kid A (2000). Ces deux derniers LP constituant d’ailleurs un diptyque par lequel Radiohead a redessiné de nouvelles voies musicales qu’il s’est empressé d’emprunter. Kid A fête ses 20 ans : la galette est tombée dans les bacs le 2 octobre 2000. Soit 3 ans après OK Computer qui nous avait ravagé la tête de tant d’invention, de génie, de sons, d’énergie. Après cette torgnole artistique, tout le monde se demandait ce que Radiohead pourrait bien proposer de nouveau et d’aussi puissant. Réponse : Kid A.

De nouveau, rien à jeter dans cet opus, comme d’ailleurs très souvent chez Radiohead. L’album s’ouvre par Everything in its right place, titre annonciateur pour recaler les choses, sans aucune guitare. Si vous ne connaissez pas encore ce disque et ses merveilles, foncez : The National Anthem, Optimistic et autre Morning Bell vous feront passer un sacré moment. Et une écoute hors du temps, conclue par Motion Picture Soundtrack, qui ferme l’album comme il avait débuté : sans guitare, avec la voix de Thom Yorke enveloppée de synthés et de sons électro, finalement soutenue par des chœurs aussi lunaires que crépusculaires. Ce morceau est une pépite absolue, une parenthèse temporelle et une bulle d’émotions concentrées. Pour la beauté de sa composition et de son interprétation, mais également parce que l’on sait que c’est la fin. Du disque en premier lieu, mais ce pourrait être la fin de tout, et ce titre pourrait bien résonner comme une ode funèbre ou un mini-requiem. Dans les faits, il n’en fût rien : à peine un an plus tard, le groupe publie Amnesiac ; quant à nous, 20 ans plus tard, nous sommes toujours là (enfin il semblerait).

De l’autre côté, Thomas Méreur, toujours là lui aussi, pour notre plus grand plaisir. Son actualité à lui, c’est, dans quelques jours, la première bougie plantée sur ce qui reste, sans hésitation aucune, le plus bel album de 2019 : Dyrhólaey, sorti le 18 octobre 2019. Nous avions alors rencontré cet artiste à la fois discret et terriblement talentueux pour une review/interview à relire d’un clic ici-même. Il n’a jamais caché l’influence majeure de Radiohead dans son travail, ni l’importance du groupe dans sa vie. Comme un clin d’œil, il a choisi de saluer les 20 ans de Kid A avec une reprise de Motion Picture Soundtrack qui porte indéniablement sa touche artistique. A l’exception de quelques micro-ajouts électros sur la fin, nous voilà plongés dans une version épurée piano-voix à forte puissance émotionnelle.

Reconnaissons-le : il faut soit de l’inconscience, soit du courage pour s’attaquer à la reprise d’un Radiohead, particulièrement de ce Motion Picture Soundtrack qui me semblait intouchable et parfait (et donc sans aucune nécessité d’être touché). La version de Thomas Méreur me prouve le contraire. Sans doute est-ce son approche délicate et bourrée d’émotions tout autant que de talent qui vient sublimer le matériau de départ, déjà fantastique. C’est la marque des réinterprétations de très haut vol : lorsque l’artiste qui reprend a tout bonnement intégré en totalité l’esprit du titre visé, et qu’il le restitue avec sa propre personnalité. Vous l’aurez compris, la reprise de Motion Picture Soundtrack de Thomas Méreur ne relève ni de l’inconscience, ni du courage. C’est tout simplement un musicien qui en admire d’autres, qui le montre avec ses propres voix et sons, et qui n’a rien à leur envier dans le domaine poils qui se dressent/chialade.

La cerise ? Thomas Méreur a aussi mis en images (humblement comme il le dit dans son tweet) sa reprise de Motion Picture Soundtrack. Ce titre, que j’ai toujours perçu comme une forme de bande-son d’une époque qui s’achève, retrouve tout ce sens avec ce clip maison. En mode Tenet, nous regardons et écoutons la reprise, en avançant dans le temps et dans son écoute, alors que sous nos yeux nous le remontons puisque tout va à l’envers. Des images d’un temps perdu, mais qui sont toujours là et nous reviennent tout en s’évanouissant. Dans ce genre de moment, me reviennent aussi des pages d’Annie Ernaux dans Les Années (2008), un livre exceptionnel dont je ne me lasse pas. C’est tellement brillant et touchant que les mots me manquent pour vous dire l’effet que ce titre, ainsi que sa reprise et sa mise en images par Thomas Méreur me font.

Je préfère donc vous laisser plonger dans cet océan d’émotions. C’est évidemment un grand merci à Radiohead (comme toujours) d’avoir écrit ce titre. C’est une immense reconnaissance à Thomas Méreur de s’en être emparé de cette façon. Le genre de moment artistique qui rend ce monde un peu plus doux et plus supportable.

Raf Against The Machine

Review n°59 : Falaises ! (2020) de Mirabelle Gilis & Miossec

Souvenez-vous d’il y a 25 ans, d’un temps que, forcément, les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Au beau milieu de ces années 90 déjà chargées en pépites, de Radiohead à Pearl Jam en passant par Jeff Buckley ou Nirvana, débarque une sorte d’ovni dans la chanson française. L’album Boire de Miossec nous est tombé dessus en avril 1995. Sec comme un coup de trique et joué à l’os, voilà bien une galette qui prouve qu’on peut faire de la chanson française rock et décharnée en mode acoustique et avec du texte intelligent inspiré par les écueils de la vie. Thiéfaine chantait Errer humanum est en 1986, Miossec relance le constat à peine dix ans plus tard avec un album matriciel et séminal. Album d’ailleurs réédité le 18 septembre dernier, avec un nouveau mastering pour (re)découvrir ce grand disque.

Ce même 18 septembre, et presque comme un pied de nez à la vie, Miossec est de retour avec la sortie parallèle d’un EP sobrement intitulé Falaises ! Composé, enregistré et interprété avec sa compagne Mirabelle Gilis, ce maxi 45 tours (pensez à régler votre platine à l’écoute ;)) lâche 4 titres fabriqués pendant le confinement du printemps dernier. Les deux artistes ont passé ces longues semaines au bout de la Bretagne, dans une cabane en bois avec vue sur mer. Dans la double idée de faire quelque chose de cette étrange période, mais aussi d’ouvrir de nouvelles perspectives de travail, Falaises ! développe la collaboration Gilis/Miossec. Collaboration déjà aperçue puisque la violoniste avait rejoint Miossec en 2016 pour l’album Mammifères, puis sur la tournée (assez géniale d’ailleurs) qui avait suivi. Toutefois, on découvre ici un réel duo avec une co-écriture, un mélange des voix et des compositions à quatre mains. Tour du proprio en 4 morceaux.

En ouvre le mini-album, après être déjà sorti en single quelques semaines plus tôt. Le texte, construit comme un immense jeu de mots autour du En, raconte une histoire d’amour, tout du moins les différentes facettes d’une relation. Sans en éluder aucun aspect, en intégrant les hauts et les bas de la vie avec un(e) autre, ce titre s’inscrit dans la pure veine Miossec par sa thématique. On parlait de Boire plus haut, album dans lequel il y avait déjà ces questionnements et constats, que l’artiste n’a de cesse de développer depuis ses premiers titres. La nouveauté vient de la composition, avec une première partie très portée par des sons synthétiques et presque mécaniques déjà entendus sur l’album Les rescapés (2018). Puis, sans prévenir dans la dernière minute du titre, le violon de Mirabelle Gilis t’éclaire et te réchauffe tout ça en t’attrapant la gueule pour te réveiller et te dire que oui, il faut se focaliser sur le beau et le lumineux. Fatal et imparable.

Elle a pourrait passer pour beaucoup plus pop et léger que le précédent morceau. Il n’en est rien. Sur une partition qui rappellera Le roi (album Mammifères) tant par ses sonorités que ses arrangements, Gilis et Miossec posent là le portrait d’une femme en errance et en recherche d’elle-même. « Elle a tout pour elle / Mais elle ne le voit pas » : comment ne pas y voir, là encore, une préoccupation récurrente du chanteur, déjà ancrée dans Combien t’es beau, combien t’es belle (album Boire), Pentecôte (album 1964 en 2004) ou Le cœur (album Ici-bas, ici-même en 2014) ? La recherche de soi, c’est à la fois accepter une forme d’errance, mais aussi savoir à un moment voir qui l’on est et en accepter les aspects.

Tout ira bien est un titre de l’après. Après le merdier, après le confinement, après les baffes de la vie, après les sorties risquées et incertaines en mer, après les cauchemars, après le monde qui s’effondre et dégueule de s’être trop mangé lui-même, après les souffrances. Pris dans la tourmente, la solitude, les peines et la nuit, difficile parfois de se dire que le mieux arrivera. Ce sont trois mots simples, une phrase à la con, un truc qu’on peut (se) dire comme une expression toute faite ou auquel on peut se raccrocher comme la plume de Dumbo. Sous la plume et dans les voix de Gilis et Miossec, c’est surtout un morceau incroyablement serein et réconfortant, qui étale du baume sur nos plaies et nous enveloppe dans ses bras pour remplacer ceux de l’autre qui n’est pas et nous manque. Tout ira bien est un titre simple mais pas simpliste, en fait plus complexe et riche qu’il n’y paraît à la première écoute.

Presque naturellement après ce mini-parcours, Trop d’amour vient clore le EP. A la fois comme une conclusion au disque et comme un écho à Elle a, ce dernier titre dessine le portait d’un homme qui déborde et dégouline d’amour. Pas d’amour con et niais tout fabriqué. Non, de cet amour généreux et profond que l’on trouve chez les belles personnes. De celui qui nourrit les jolies rencontres et les belles relations. Seulement voilà, dans l’histoire, il n’y a personne pour accueillir ou recueillir cet amour là : « Tu as beaucoup trop d’amour / En toi / Et ça déborde, ça coule / Entre tes doigts / Comme un torrent / Que l’on n’arrête pas / Jour après jour dedans / Tu te noies ». Comment, en à peine 3 minutes, dresser le portrait et les errances (là encore) des gentils. Ceux qui font attention aux autres (parfois plus qu’à eux-mêmes) mais qui, parfois, faute d’autre à qui offrir cet amour, se retrouvent eux-mêmes submergés par ce trop-plein. Ceux qui ne comprennent pas toujours ce monde et ne s’en accommodent pas. Ce qui tombe bien (ou pas), car souvent le monde ne les comprend pas non plus.

Falaises ! ne dure que 13 minutes, mais il est d’une puissance et d’une richesse qui confirment que la qualité vaut mieux que la quantité. Reste à se pencher sur le titre du EP, à la lumière de cette écoute attentive. Faut-il y voir un avertissement de la proximité de la falaise, pour éviter d’en chuter violemment ? Ou au contraire, étant en pleine navigation errante et erratique, un signe de l’aperçu de falaises au loin, synonymes de terres ferme où se reposer enfin ? Double question rhétorique, tant la réponse semble être double. Voilà quatre titres beaux et efficaces qui posent, une fois encore avec Miossec, que la vie pourrait bien n’être que ça : une déambulation sur le fil du rasoir et sur le bord de la corniche, avec des chutes mais aussi des avancées, et, lorsque l’existence nous gâte un peu, un(e) autre pour nous tenir la main et à qui on le rend bien. Lorsque c’est composé, écrit et interprété avec tant de talent et d’émotions, on a juste envie de dire merci au duo Gilis/Miossec. Tout simplement.

Raf Against The Machine