Ciné-Musique n°18 : Grease (1978) de Frankie Valli/Barry Gibb

71JhrIASJLL._UF1000,1000_QL80_Ce samedi nous gratifie d’une météo toute grise, alliant pluie, froid et vent. Une ambiance qui va de pair avec une actualité bien grise elle aussi. Pas de quoi se réjouir me direz-vous ? Et bien si, puisque c’est précisément les conditions idéales pour se plonger dans un peu de bon son et partir à la recherche d’un antidote à tout ce gris. Certains fouilleront dans leurs discothèques ou leurs playlists, d’autres chercheront un film positif et léger. Pourquoi pas les deux ? Grease est à la croisée de nos recherches, et pourrait bien être le parfait contrepied à cette grise journée (#sansaucunmauvaisjeudemots). Sorti en 1978 et réalisé par Randal Kleiser, le long métrage est l’adaptation cinématographique de la comédie musicale éponyme créée par Jim Jacobs et Warren Casey en 1972. Placée en 1958, l’action raconte l’histoire d’amour entre Danny Zuko (John Travolta), chef de la bande des T-Birds, et Sandy Olsson (Olivia Newton-John), australienne en vacances aux Etats-Unis qui sera bien vite entourée par les Pink Ladies menée par Betty Rizzo. Garçons en blousons noirs versus filles en rose au cœur du lycée Rydell High, avec en bonus la rivalité entre les T-Birds et le gang ennemi des Scorpions, Grease pose tous les ingrédients de la comédie romantique avec ses clichés, ses quiproquos et son énergie vivifiante.

Une énergie que le film démultiplie au travers de sa bande originale. Etant originellement une comédie musicale, Grease réalise le crossover parfait pour devenir une imparable comédie romantique musicale. La soundtrack est un savant mélange de rock’n’roll, de boogie-woogie et de pop qui rencontrera un énorme succès, tant l’album que les différents singles. Parmi ces derniers, on retiendra en début de film le célèbre Summer Nights, narration très subjective par Danny et Sandy de leurs amours estivales, ou encore l’énergisant You’re the one that I want qui les fait se rejoindre à la fin. Entre ces deux pépites musicales, l’insouciance de la fin des années 50 déroule ses couleurs, sa joie de vivre, ses rires. Une ambiance fort bienvenue, à rapprocher de celle de la série télévisée Happy Days, tournée entre 1974 et 1984 mais qui situe son action à la même période que Grease. Une ambiance également présente dans Retour vers le futur (1985), et notamment ses scènes en 1955.

La BO de Grease comporte toutefois un titre anachronique, et pas des moindres : son générique. Composé par Barry Gibb et interprété par Frankie Valli, ce morceau est un pur produit disco-rock, genre inexistant à l’époque où se déroule l’histoire du film. Il n’est pas étonnant que la chanson Grease porte cette coloration musicale : Barry Gibb n’est autre que le chanteur leader des Bee Gees, au sommet de leur gloire disco en 1978 lorsque sort le film Grease. Cet anachronisme ne nuit en rien, bien au contraire. Il en résulte un titre particulièrement énergique et fiévreux, qui donne instantanément envie de se déhancher et de groover comme un John Travolta sur la piste de danse un samedi soir. Entre rythmique appuyée et puissantes descentes de cuivres, Grease est notre pépite du jour, en écoute ci-dessous. Ajoutons-y en bonus Summer Nights et You’re the one that I want déjà évoqués, pour vous donner une idée du petit soleil et de la bouffée de bonne humeur que constitue le film Grease. Et si le cœur vous en dit, n’hésitez pas à vous caler au fond du canapé et à le visionner en intégralité. Vous en ressortirez possiblement comme moi au bout des deux heures : détendu, souriant, ensoleillé. Une comédie romantique parfaite, peut-être parfois un peu kitsch et datée, mais indéniablement réussie.

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°17 : Sucker Punch (2011) de Zack Snyder

8obc33jenym3rqpiwgtqxqbp96j-038Sorti deux ans après la claque Watchmen (2009), Sucker Punch n’a pas connu le succès critique ni d’audience qu’il méritait. Premier film de Zack Snyder à être basé sur une histoire originale, le long métrage mérite pourtant qu’on s’y attarde, pour peu que l’on accroche à l’univers du réalisateur, mais aussi que l’on apprécie les bandes originales de qualité. Sucker Punch narre le parcours de Babydoll, jeune femme internée en hôpital psychiatrique par son beau-père, après qu’elle a accidentellement tué sa petite sœur. Le beau-père se révèle être non pas l’adulte attentif qui prend soin des filles après la mort de la mère, mais bien un ignoble salopard qui ne pense qu’à lui-même pour toucher l’héritage, et n’a aucune hésitation à violenter les jeunes filles. Babydoll est destinée à subir une lobotomie, afin de ne plus pouvoir témoigner contre son beau-père. Informée de la machination, elle monte le projet de s’évader en compagnie de quatre autres jeunes femmes. Pour à la fois supporter l’internement, mais aussi élaborer le plan d’évasion, elles vont s’immerger dans un cabaret imaginaire, au sein duquel elles parcourront différents univers où récupérer le nécessaire pour s’évader.

Sucker Punch est en fin de compte l’histoire d’une évasion du réel pour préparer une évasion réelle d’un environnement insupportable. Construit comme un jeu vidéo où s’enchainent les niveaux sous forme d’univers chapitrés, le film est accompagné d’une bande originale qui dit tout dès le premier morceau. Le générique, d’une beauté assez fascinante, est porté par une reprise de Sweet Dreams d’Eurythmics, ici interprétée par Emily Browning, l’actrice qui incarne Babydoll. On entend ensuite Army of Me de Björk, dans un remix avec un featuring de Skunk Anansie. Après l’éthéré Sweet Dreams, nous voilà dans un titre bien plus rock industriel qui sied parfaitement aux scènes d’action qu’il accompagne. Accalmie avec une version du White Rabbit de Jefferson Airplane prise en charge par Emiliana Torrini. Le même lapin blanc qui accompagne Alice dans son Pays des merveilles, autre évasion mémorable s’il en est, ou encore celui que Thomas Anderson suit dans Matrix pour s’en évader et rejoindre le monde réel. La première partie de la BO s’achève sur un mash-up assez démentiel de Queen entre I want it all et We will rock you, appuyé par Armageddon aka Geddy.

La puissante BO se poursuit avec Search and Destroy de Skunk Anansie. Porté en ouverture par un clavier aérien, le titre monte soudainement en puissance et des guitares très en avant. Pas très étonnant, puisque le titre est initialement sorti en 1973 sur Raw Power, troisième album des Stooges. Autrement dit, du rock pur et dur qui colle toujours parfaitement à la folie énergique et visuelle que représentent Sucker Punch et les évasions mentales de Babydoll. Tomorrow never knows est aussi une reprise, des Beatles cette fois, puisque le titre apparaît initialement sur Revolver (1966). Revisité par Alison Mosshart de The Kills, Tomorrow never knows conserve son côté psychédélique tout en se parant d’une touche plus rock. Le titre devient ainsi une oscillation entre un morceau connu, mais aussi déformé. En quelque sorte une zone entre le réel et une version imaginaire et revisitée de ce réel. A ce stade de Sucker Punch et de sa BO, on pourrait finir par ne plus trop savoir où l’on en est. Ce qui tombe très bien, puisqu’on retrouve Emily Browing accompagnée de Yoav pour une relecture de l’incontournable Where is my mind ? des Pixies. Un son qui fait d’abord ressentir cette sensation d’égarement, comme au réveil d’un profond sommeil, ou après un moment intense lorsque l’on a perdu une partie de nos repères. Puis le rock et l’énergie reprennent le dessus. Cette énergie qui ne quitte jamais Babydoll dans sa folle entreprise d’échapper à son funeste destin.

La BO s’achève avec Asleep, là encore interprété par Emily Browning. Un titre calme et apaisé qui accompagne la fin du voyage de Babydoll. Fin choisie ou subie, évasion réussie ou délivrance forcée, chacun appréciera et on ne spoilera évidemment rien du dénouement de Sucker Punch. Un film dont on recommande la version longue non censurée, qui rétablit l’exacte narration souhaitée initialement par Zack Snyder. Dans cette même version, on retrouve également une scène entre Carla Gugino et Oscar Isaac, où ils interprètent Love is the drug : la reprise d’un titre de Roxy Music sorti en 1975, également présente sur la galette.

Sucker Punch est construit sur trois niveaux qui baladent le spectateur : la réalité, la semi-réalité et les univers imaginaires. Sa BO porte admirablement ce triptyque dimensionnel, en nous emmenant sur des titres évocateurs de l’évasion du réel, et d’autres que l’on connait déjà mais que l’on retrouve et redécouvre avec un certain décalage, comme dans un monde parallèle. Revoir Sucker Punch avec tout cela en tête, en se laissant porter par sa BO et par son spectacle visuel, permet de reconsidérer ce long métrage mal aimé, mais aussi de replacer Babydoll et ses accolytes pour ce qu’elles sont : des femmes à qui on ne la raconte pas, et qui savent retourner toutes les mécaniques qui s’acharneraient contre elles pour renverser le réel.

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°16 : Godzilla Minus One (2023) de Naoki Satō

41SAgMpUZaL._UXNaN_FMjpg_QL85_Si vous aimez les films de monstres, de kaïju et le Japon, vous avez peut-être vu Godzilla Minus One en décembre dernier dans les cinémas français. Il aura fallu jouer d’un peu de chance et de disponibilité, le film n’étant projeté que les 7 et 8 décembre dans les cinémas Pathé, et exclusivement en salles Imax ou 4DX. Une incompréhensible diffusion restreinte, qui va se voir augmentée d’une ressortie sur cette deuxième quinzaine de janvier 2024. Godzilla Minus One est d’ores et déjà visible, et ce jusqu’au 31 janvier, à la faveur d’un succès critique mais aussi commercial qui ne pouvait laisser de marbre les exploitants de salles. Le long métrage est sans aucun doute le meilleur Godzilla depuis bien longtemps, loin devant le Godzilla (2014) de Gareth Edwards qui n’était pourtant pas mauvais, et encore bien plus loin devant le Godzilla (1998) de Roland Emmerich qui figure aujourd’hui parmi les nanars parfaits en vue d’une soirée ciné avec pop-corn et pizzas entre copains.

Si Godzilla Minus One est aussi bon, c’est d’abord pour sa réalisation parfaite. Point d’effets spéciaux à gogo qui seront datés d’ici quelques années : les images sont réalistes, filmées à hauteur de rue et d’homme, avec un sens de la photo qui m’a personnellement beaucoup accroché. Le film est tourné et construit comme un Godzilla des années 50, comme le Godzilla originel de 1954. Si la créature est numérique, elle semble analogique et très réelle, dans un environnement qui l’est tout autant. Voilà une autre force du film : raconter une petite histoire dans la plus grande, en y introduisant le Godzilla, élément perturbateur mais aussi révélateur d’un monde nouveau. Nous sommes juste après la Seconde Guerre Mondiale. Le Japon est ravagé et sa population tout autant, mais la résilience des Japonais est déjà à l’œuvre. Sur fond de Guerre froide déjà en germe, nous suivrons Kōichi Shikishima, jeune soldat pilote déserteur, hanté par sa propre peur et ses erreurs, qui devra lui aussi faire preuve de résilience.

Godzilla Minus One revient aux sources en rendant un hommage appuyé au cinéma japonais des années 1950. Le long métrage renforce encore son propos et son intensité avec une bande originale de toute beauté et de grande classe, composée par Naoki Satō. On lui doit diverses BO de séries anime, mais aussi la musique de cérémonie de remise des médailles aux JO de Tokyo de 2020 (qui ont eu lieu en 2021 rappelons-le). La BO de Godzilla Minus One est construite d’une part sur des thèmes d’ambiances, d’autre part sur une suite percutante. Les premiers font la part belle aux nappes tantôt lourdes tantôt aériennes, un peu comme si le Hans Zimmer d’Interstellar était passé déposer quelques graines. Ces différents thèmes posent constamment l’ambiance d’un monde ravagé qui ne perd jamais de vue la lumière. Quant à la Godzilla Suite divisée en trois parties et entendue au fil de l’histoire, elle porte toute la dimension menaçante du Godzilla, tout en rappellant parfois l’efficace Roar! composé par Michael Giacchino pour Cloverfield (2008) (et chroniqué par ici). Cloverfield qui fut peut-être un des meilleurs Godzilla sans Godzilla à l’intérieur, tant le film a en commun avec les bons Godzilla.

Film impeccable de 2023 accompagné de sa non moins impeccable BO, Godzilla Minus One est à découvrir absolument ces jours-ci sur grand écran : film catastrophe dans son contexte historique et sociétal tout autant que drama japonais mâtiné d’un monstre qui détruit tout sur son passage sauf ce qui peut fonder l’humain, voilà un long métrage porté par sa BO puissante, et qui colle incroyablement au propos du film. En un mot comme en cent, foncez !

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°15 : Navras (2003) de Juno Reactor vs. Don Davis in Matrix Revolutions

The_Matrix_Revolutions_-_Music_From_The_Motion_PictureQuasiment jour pour jour il y a 20 ans sortait Matrix Revolutions, épisode final (mais pas conclusion) de la trilogie Matrix. Ce troisième volet a connu une sortie mondiale en simultané le 5 novembre 2003, histoire que le monde entier découvre à l’unisson l’issue du combat entre les hommes et les machines, entre le monde réel et la Matrice. Après un Matrix assez incroyable et jamais vu (malgré le déjà-vu du chat qui passe) sorti en 1999, les Wachowski livrent une double suite. Matrix Reloaded en mai 2003, puis Matrix Revolutions en novembre 2003. Si l’épisode initial a mis presque tout le monde d’accord, la double suite va se montrer bien plus clivante. D’un côté, les fans absolus qui trouvent toutes les justifications au chemin emprunté. De l’autre, les détracteurs inconditionnels qui dégomment chaque instant du double film en estimant qu’il s’agit d’un grand délire, entre tout et n’importe quoi. Faut-il choisir son camp ? Pas nécessairement, bien que l’on sera forcément dans l’un ou l’autre. J’avoue pencher plutôt du côté des fans, tout en relevant quelques scènes ou choix un peu discutables. Il n’en reste pas moins que je revois régulièrement l’ensemble avec grand plaisir. Et que je replonge avec encore plus de plaisir dans la BO de cette trilogie somme toute indispensable au cinéma et à la SF.

Nous n’allons pas passer en revue l’entièreté de la BO matrixienne. Elle est longue comme un jour sans fin et il y aurait à dire sur presque chaque titre qui la compose. Retenons toutefois que l’on y retrouve des titres déjà existants de divers artistes de la scène rock/métal/electro. Notamment dans Matrix premier du nom, où l’on entend Rage Against The Machine, les Propellerheads, Rammstein, Marylin Manson, Rob Zombie ou encore Deftones. En parallèle, les trois films se déroulent au son des compositions de Don Davis, prolifique compositeur de BO même s’il reste essentiellement connu pour son travail matrixien. Pour certaines compositions, il s’associe les service de Juno Reactor, groupe de musique électronique actif depuis 1993 avec un savant mélange de trance/ambient/tribe techno. Le résultat est des plus efficaces, puisque à l’épique apporté par Don Davis se superpose la techno tribale et frénétique de Juno Reactor.

Il en résulte de puissantes créations, dont Navras est peut-être l’exemple le plus représentatif. Titre du générique de fin de Matrix Revolutions, et donc dernier morceau qui résonne dans nos oreilles après avoir encaissé la trilogie, Navras est une folie totale de 9 minutes. Il s’ouvre sur des chœurs puissants avant une intro faite de cors et de cuivres qui percutent, soutenus par une boucle de piano très marquée. Ces trois composantes vont se mêler durant une minute avant que l’ensemble ne bascule dans une techno hypnotique, ultra rythmée, envoûtante. A peu près aussi étourdissante que l’aura été l’enchainement des trois longs métrages (car oui, on vous conseille de les voir d’une traite). Une légère accalmie aux accents planants et quasi mystiques au centre du morceau ne sera là que pour mieux repartir dans une hypnose tourbillonnante pour les 4 minutes restantes.

En fin de compte, Navras est un parfait condensé de ce que la trilogie Matrix nous fait vivre : une ivresse des sens, une perte de conscience de la réalité, une poussée d’adrénaline, un plaisir intense d’explorer un univers de mélange des genres qui reste diablement cohérent. Navras nous amène à la fin du voyage matrixien. La fin, mais pas la conclusion. En décembre 2021, Matrix Resurrections débarque sur les écrans de cinéma. Comme pour répondre à l’hypothèse faite à la toute fin de Matrix Revolutions. Comme pour nous faire remettre en question ce que l’on pensait avoir enfin compris. Comme pour relancer une nouvelle version de la Matrice. Pour notre plus grand plaisir.

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°14 : Lost Highway (1997) par Angelo Badalamenti & Others

71xIwcm3CKL._UF1000,1000_QL80_Voilà déjà plus de 25 ans que David Lynch nous a retourné la tête avec son Lost Highway sorti en 1997. On pensait alors avoir tout vu en matière de film qui nous passe le cerveau au mixeur. C’était sans savoir qu’en 2001 on découvrirait Mulholland Drive (une sorte d’odyssée de l’espace mental de son réalisateur), avant qu’on ne se fasse achever les neurones avec Inland Empire en 2006. Ces trois films formant une trilogie Los Angeles, on sera bien inspirés de les revoir presque d’un bloc, histoire de mesurer l’ampleur de l’expérience cinématographique proposée par David Lynch en trois longs métrages : une autoroute perdue qui mène sur Mulholland Drive, pour se finir dans le quartier d’Inland Empire. Revenons à la source du voyage, sur Lost Highway. Loin de moi l’idée de raconter ou décortiquer le film, de l’analyser et de tenter toutes sortes d’explications plus ou moins rationnelles aux pérégrinations de Fred Madison et de sa femme Renée, de Pete Dayton et de son amante Alice, et de tout ce beau monde. Bien d’autres ont fait ce travail avant moi, bien mieux et avec talent. De plus, la meilleure interprétation du film est peut-être la nôtre. Celle que l’on développe en soi en s’immergeant dans Lost Highway.

Tour à tour intrigant, poisseux, inquiétant, sulfureux, dérangeant, sexuel, Lost Highway ne serait pas le même sans sa BO. Aux commandes, Angelo Badalamenti, fidèle compositeur de David Lynch, auquel on doit tous les grand thèmes de la filmographie du réalisateur. Depuis Blue Velvet (1986), personne d’autre n’a aussi bien transcrit en musique les images de Lynch. Avec Twin Peaks (1991) en apogée, ou encore le chef-d’œuvre Mulholland Drive dix ans plus tard, le duo d’artistes invente à chaque création un univers hors normes et immédiatement identifiable. Les images de Lynch, ses cadrages, sa photo, associées aux nappes de synthés et aux sons irréels et parfois perturbants de Badalamenti contribuent à nous plonger dans des expériences à nulle autre pareilles. Sans oublier le Red bats with teeth (en écoute ci-dessous), qui démarre jazzy pour se finir dans un chaos de saxophone similaire au cerveau de Fred Madison… précisément saxophoniste dans le film.

Lost Highway et sa BO constituent un fabuleux exemple de la réussite du duo. Toutefois, la maestria de cette soundtrack va bien plus loin. Non content de s’adjoindre les talents de Badalamenti, Lynch va aussi chercher des titres existants, et des musiciens additionnels. C’est ainsi que le film s’ouvre sur I’m deranged de David Bowie, tiré de son album 1. Outside (1995) : du rock industriel alternatif froid, mécanique, troublant. Le son idéal pour ouvrir Lost Highway. Dans ce film rugueux et perturbé, on entendra aussi des compositions de Trent Reznor de Nine Inch Nails. Le même Trent Reznor qui, depuis 2010, nous a gratifié de BO assez incroyables avec son compère Atticus Ross, notamment dans les films cliniques de David Fincher (Millenium ou Gone Girl), mais aussi pour la série TV Watchmen. Deux chansons originales de Nine Inch Nails sont par ailleurs composées spécialement pour Lost Highway. Le son industriel et torturé du groupe convient là encore à merveille au long métrage.

Outre Badalamenti et Reznor/Nine Inch Nails, on retrouve sur la BO de Lost Highway d’autres grands noms de la noirceur et du trouble. Marylin Manson donne de la voix dans une reprise hantée de I put a spell on you, et dans Apple of sodom, une composition originale. Les Smashing Pumpkins se font entendre avec Eye. On est alors en pleine période Adore. Le son du groupe est dark, tout comme le phrasé de Billy Corgan. En parlant de voix, impossible de passer à côté de celle de Rammstein, groupe de métal industriel allemand. Rien que ça. Et, sans grande surprise, cette grosse machine sonore se greffe à merveille sur les images de Lynch. A moins que ce ne soit ces dernières qui collent à merveille au son de Rammstein. Enfin, comment ne pas citer la parenthèse presque apaisée apportée par Lou Reed et son interprétation de This magic moment. Là où l’ensemble de Lost Highway est noir, sombre, inquiétant, ce titre apporte sa touche de lumière lorsque Patricia Arquette/Alice illumine la vie de Pete Dayton lors de sa première apparition et de leur rencontre. This magic moment est assez étonnant de légèreté, autant au cœur de Lost Highway que dans la discographie de Lou Reed.

Lost Highway est une double expérience cinématographique et musicale. Peut-être plus encore que dans Mulholland Drive ou Inland Empire, les images et la BO ne vont pas les unes sans les autres. Certes, cette dernière peut s’écouter sans voir le film, mais pour qui connaît le long métrage, chaque titre réveille nos souvenirs de telle ou telle scène. Quant à chacune des scènes, elle ne prend sa pleine dimension que soutenue par les notes et voix de ces artistes judicieusement réunis par Lynch. De la part d’un artiste qui pense son art autant dans le visuel que le sonore, il y a là une certaine cohérence. Souvenons nous enfin que, quatre ans plus tard, Lynch sortira Blue Bob (2001), un album de blues industriel dont certains titres auraient aisément eu leur place sur la BO de Lost Highway. Mais ça, c’est une autre histoire.

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°13 : The Last of Us (2023) de Gustavo Santaolalla

ab67616d0000b27370f76c0e9a71f567b690f5e8Quitte à enfoncer des portes ouvertes, autant le faire avec classe et sur un sujet qui vend du rêve. Pour la classe, il serait bien prétentieux de ma part de l’avancer : c’est vous seuls qui en êtes juges à la lecture de ces lignes et de ce blog. Pour le sujet qui vend du rêve, en revanche, j’ai moins de doutes. A peine disponible sur Prime video en janvier dernier, la première saison de la série HBO The Last of Us a déchaîné les commentaires, et des plus élogieux. Les neuf épisodes sont aujourd’hui visibles en totalité sur la plateforme. Il est donc possible de se binge-watcher ce qui restera possiblement comme la première adaptation TV d’un jeu vidéo enfin réussie. De sa photo à son casting, en passant par son scénario et sa réalisation, The Last of Us est une pure réussite. Tout comme dans sa version vidéoludique, on suit Joel et Ellie à travers des Etats-Unis (et un monde) ravagé par le cordyceps, un champignon parasite. Ce dernier divise le monde en deux catégories : ceux qui sont infectés, et ceux qui survivent. Vraie plongée dans le post-apocalyptique qui se loge parfois là où on ne l’attendait pas, The Last of Us mélange habilement la grande histoire du monde ravagé et l’intimisme des relations humaines en temps de crise.

La série a l’intelligence d’adapter le jeu vidéo sans chercher à faire du jeu vidéo filmé. C’est là toute sa force, et c’est sans doute pourquoi elle fonctionne aussi bien. Point de séquences gaming qui s’enchainent les unes aux autres, mais plutôt un long film de plusieurs heures (près de 9 donc), chargé de tensions et d’émotions. Un visionnage qui nous amène à nous questionner : si c’était nous, quels choix ferions-nous ? Voilà un point commun entre la série et son inspiration JV. Autre point commun, et pas des moindres, la bande-son de la série. Si on y entend du a-ha, ou encore la voix sépulcrale d’Eddie Vedder, le score original revient à Gustavo Santaolalla et David Fleming. Le même Gustavo Santaolalla qui composa à l’époque les BO des jeux The Last of Us.

Musicien argentin né en 1951, il n’en est pas à son coup d’essai. The Last of Us le ramène sur le devant de la scène, mais on lui doit bon nombre de BO ciné et séries assez mémorables. A commencer par les films d’Alejandro González Iñárritu comme 21 grammes (2003) ou Babel (2006), ou d’autres longs métrages tels que Le secret de Brokeback Mountain (2005). Pour la série The Last of Us, les pépites s’enchaînent épisodes après épisodes, et contribuent ainsi à l’ambiance si particulière qui plane au cours de la saison. La meilleure façon de découvrir tout cela, c’est de vous plonger dans les neuf épisodes de The Last of Us. En guise de mise en bouche, on s’écoute le générique de la série, qui vaut autant par ses qualités graphiques que sa bande-son hors du temps.

Raf Against The Machine

Ciné-musique n°12 : Space Oddity (1969) de David Bowie in Westworld (2020) par The Classic Rock String Quartet (2004)

Westworld_Season_3_Music_from_the_HBO_Series_Bande_OriginaleUn jour, je vous parlerai en détail de la BO de la série TV Westworld, et de comment elle dessine tout le propos et accompagne merveilleusement les trois saisons actuellement disponibles. Tout comme je prendrai le temps de revenir sur The Leftovers et sa BO concoctée par Max Richter. Tout ça, c’est comme la BO de NieR: Automata : des œuvres tellement puissantes, qui m’ont bouleversé et me bouleversent encore aujourd’hui que je ne sais pas vraiment comment en parler comme il faut, et comment ne pas trahir la somme d’émotions qu’il y a dans tout ça. Comme disait Jack Kérouac, « Un jour, je trouverai les mots justes. Et ils seront simples ». Nous n’en sommes pas encore là, et il va vous falloir patienter, le temps que j’écrive des chroniques satisfaisantes à mes yeux. Promis, j’y travaille ! Cela n’empêche pas de tout de même jeter une oreille du côté de Westworld et notamment de sa saison 3 qui recèle de bien beaux morceaux.

Pour resituer rapidement, et sans déflorer, cette grande série de SF, la saison 1 se déroule dans Westworld, un parc d’attractions pour adultes très friqués. Moyennant un ticket d’entrée bien relevé, ces derniers peuvent se plonger dans un Far-West où il est possible de vivre ses plus profondes pulsions et ses plus bas instincts, sans aucune limite. Envie de flinguer à tout va ? C’est possible. De se bourrer la gueule avant de se tabasser allègrement ? C’est possible aussi. De baiser à n’en plus pouvoir, éventuellement des putes ? De jouer un immonde salopard qui baise avec des putes avant de les tabasser, voir de les flinguer ? Tout ça à la fois ? Tout est possible à Westworld, puisque tous les hôtes du parc (qui seraient des PNJ dans un jeu vidéo) sont des robots, ce qui débarrasse le friqué visiteur de tout éventuel scrupule. Des androïdes ultra perfectionnés et si proches de l’humain qu’on fait difficilement la différence. Evidemment, ce joyeux bordel à rupins va se mettre à déconner, et les androïdes se révolter. Rêvent-ils de moutons électriques ? L’histoire ne le dit pas, mais ils aspirent en revanche à une vie humaine, peut-être même à la place des humains dans le monde réel. La saison 2 prolonge ces thématiques en donnant à voir d’autres parcs à thème basés sur le même principe. Quant à la saison 3…

La saison 3 déjoue tous les plans et tout ce qu’on pouvait attendre de la série. Saison déconcertante pour certains, fascinante pour d’autres. Je suis de la deuxième team, tellement j’ai trouvé intelligent le virage pris. Une série menée par Jonathan Nolan (frère de) et Lisa Joy (femme du précédent et donc belle-sœur de) et produite par le J. J. Abrams. Ce dernier et Jonathan Nolan avait déjà sévi avec Person of Interest, série plus profonde qu’il n’y paraît, bien qu’on pût la voir sur TF1. Comme quoi. Westworld enfonce le clou bien plus loin sur la question de l’intelligence artificielle et de ce qui fait de l’Homme un Homme. Thématiques SF classiques mais parfaitement traitées, et à ce jour 28 épisodes portés par une BO de furieux, composée par Ramin Djawadi.

Le garçon a déjà une palanquée de BO à son actif, au cinéma comme pour la TV. Citons en vrac Pacific Rim (le premier, le seul et l’unique, pas la daube qui suit), Iron Man, Uncharted, ou encore Game of Thrones, Person of interest et The Strain. Pour Westworld, il a intelligemment mêlé des compositions originales (le générique est une pure merveille) et des reprises de titres archi connus, dans des arrangements souvent inattendus. Dès la saison 1, on entendra ainsi du Radiohead, les Stones, Nirvana ou encore Amy Winehouse revus et corrigés. En saison 3, ça continue à déboîter sec et à toucher en plein cœur, avec en plus des titres par leur propres interprètes, ou relus par d’autres. En témoigne cette version piano-cordes de Space Oddity. Peut-être un des plus beaux morceaux de David Bowie, et à mon goût dans le Top 5 (voire 3) de ce très grand artiste. Je suis dingue de cette chanson qui me transperce à chaque écoute. La version cordes est à mettre au crédit de The Classic Rock String Quartet, qui s’est fait une spécialité de reprendre des grands artistes rock en formation musique de chambre. Cette interprétation, disponible sur The Bowie Chambre Suite (2004), apporte une dose supplémentaire d’émotions par son minimalisme intimiste. J’en ai déjà trop dit, car cette petite merveille se passe presque de tout commentaire. Il faut juste l’écouter et se laisser emporter. Et comme on aime nos lecteurs (oui vous !) sur Five-Minutes, on vous rajoute la version originale par Bowie himself (à écouter au casque pour bien capter le mixage multipiste de malade). Les poils et la chialade, puissance 2.

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°11 : I’m shipping up to Boston (2005) des Dropkick Murphys in Les Infiltrés (2006) de Martin Scorsese

Capture d’écran 2022-03-17 à 18.15.35Alors que l’on redécouvre au cinéma la trilogie Infernal Affairs vingt ans après sa sortie, à la faveur d’une ressortie en version restaurée 4k, on peut aussi se replonger dans deux enfants spirituels des films de Alan Mak et Andrew Law. Les trois longs métrages hong-kongais suivent l’existence de deux infiltrés sur une dizaine d’années : l’un au sein de la police, l’autre dans les triades de Hong Kong. Si le genre vous tente un tant soit peu, foncez sur ce triptyque qui a marqué non seulement le début des années 2000, mais aussi l’univers vidéoludique et le cinéma occidental. Infernal Affairs a en effet largement semé dans Sleeping Dogs, jeu vidéo très efficace sorti en 2012 sur PS3, puis en version polishée et définitive en 2014 sur PS4. On y incarne Wei Shen, policier infiltré dans les triades, pour un GTA-like dense et captivant de par l’environnement où l’on évolue. Entre la nécessité de sans arrêt jouer sur un fil et divers retournements de scénario, voilà bien un titre qui ne peut nier sa filiation avec Infernal Affairs.

Du côté du cinéma occidental, Martin Scorsese s’empare du sujet dès 2006 pour réaliser Les infiltrés. Un film policier de haute volée, qui oppose la mafia irlandaise et la police dans la ville de Boston. On retrouve Matt Damon en flic mais issu du milieu mafieux et qui n’a pas réellement coupé les ponts, et Leonardo DiCaprio en flic infiltré issu d’un milieu assez huppé tout en ayant dans son arbre généalogique quelques spécimens de truands. Autant dire qu’il n’y a rien de manichéen dans Les infiltrés, et qu va rapidement s’engager un jeu de dupes dont personne ne sortira indemne. No spoil évidemment, je vous laisse découvrir cette petite merveille si vous ne la connaissez pas. Outre son scénario diablement ficelé et ses interprètes au sommet de leur forme (oui, même Matt Damon) sous la caméra du maître Scorsese, c’est une énorme énergie rock qui se dégage du film. Si le réalisateur a choisi Howard Shore pour la BO de son film, il est aussi allé chercher son thème principal chez les Dropkick Murphys.

En activité depuis 1996, la formation américaine de punk rock celtique déverse une énergie qu’on a connu jadis dans de folles et interminables soirées lycéennes/étudiantes au fin fond d’un pub enfumé et chargé de houblon. Un son qui rappelle parfois celui de The Pogues, dans son côté foutoir festif rock. Dix albums studio au compteur pour les Dropkick Murphys, et notamment The Warrior’s Code en 2005, qui leur apportera le succès commercial. Pas seulement commercial puisque Scorsese, en fin mélomane et grand connaisseur rock, saura repérer le titre I’m shipping up to Boston pour mettre le feu à ses Infiltrés. Sans ce thème énergique, rageux et inoubliable, le film de Scorsese aurait-il été le même ? Dans sa qualité et sa globalité, oui sans doute. Toutefois, le rock incendiaire des Dropkick Murphys apporte sa dose de tabasco dans une sangria déjà bien relevée. Voilà une nouvelle preuve de la fusion Scorsese/Rock, que l’on retrouve depuis des décennies au fil de films aussi géniaux que Les Affranchis, Casino, ou encore de projets autour de Bob Dylan. Prêts à mettre un peu le bordel et à prolonger la St Patrick ?

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°10 : The Batman (2022) de Matt Reeves/Michael Giacchino

news_13642Enfin sorti hier 2 mars après des mois d’attente et d’impatience, The Batman de Matt Reeves a déjà mis presque tout le monde d’accord. Affichant à ce jour un 8,9/10 chez IMDb (plus de 21 000 avis), 86% chez Rotten Tomatoes et un double 4,3/5 spectateurs et 3,9/5 presse du côté d’Allociné, les dernières aventures cinématographiques du Dark Knight font presque l’unanimité. Il faut dire que le film est une immense réussite artistique, doublée d’une adaptation franchement convaincante. Tout spectateur qui s’attendra à une histoire de super-héros ponctuée de blagounettes lourdingues sera bien déçu. En effet, The Batman joue la carte du retour aux sources du personnage : un détective impulsif et de haute volée, qui se plonge dans une enquête d’une grande noirceur, tant dans son propos que dans l’esthétique. Une série de crimes violents et énigmatiques frappe la ville de Gotham, déjà submergée par la violence. La police est dépassée, bientôt rejointe par un Batman/Bruce Wayne encore jeune, mais surtout névrosé et dépressif au plus haut point. Robert Pattinson (totalement bluffant et excellent dans le rôle) campe un Bruce Wayne enfermé dans le choc jamais surmonté de la perte de ses parents, et dans un désespoir existentiel qui l’amène à tout donner pour Gotham.

Esthétiquement, The Batman mélange les influences et les clins d’œil, empruntant notamment au Se7en de David Fincher sous bien des aspects et se jouant dans une ville détrempée de pluie. La direction photo est quasi irréprochable, avec bon nombre de plans incroyables qu’on croirait tirés de comics. La nuit est omniprésente : sur trois heures de film, on doit voir le jours dix minutes en cumulé (et encore je suis large). Batman est une créature de la nuit, et Matt Reeves la replace dans son élément. Pour qui a envie de se plonger dans un thriller dark très 90’s assez magnifiquement réalisé et interprété, aucune hésitation à avoir : The Batman est le film qu’il vous faut. Les esprits chagrins qui doutaient de Robert Pattinson en seront pour leurs frais. Ce dernier déploie une qualité de jeu qui se rapproche bien plus de Cosmopolis ou Tenet que de Twilight. Les secondes rôles sont parfaits. Quant à l’ambiance globale noire, inquiétante et désespérée dont on a déjà parlée, elle est aussi soutenue par une bande son à couper le souffle.

Pour la bande originale de The Batman, Matt Reeves a fait appel à Michael Giacchino. Un nom qu’on ne présente plus, tant il a composé de thèmes mémorables pour le cinéma et la télévision depuis une vingtaine d’années. Lost, Fringe, Les Indestructibles, Mission Impossible 3, Jurassic World, Star Trek, Rogue One… c’est lui, et la liste est loin d’être exhaustive. On pourrait toutefois y ajouter ses précédentes collaborations avec Matt Reeves, notamment pour le très efficace Cloverfield, et les excellents La planète des singes : l’affrontement et La planète des singes : Suprémacie. Les deux compères se retrouvent pour un score qui laissera des traces. Basées sur des sons, des bruitages, des boucles minimalistes, des cordes grinçantes, les compositions de Michael Giacchino contribuent à la noirceur et l’inquiétante ambiance de The Batman, tout en sachant exploser et se faire plus intenses et fournies lorsque le film s’emballe. A aucun moment on ne se rend compte que la musique est là, tout simplement parce qu’elle s’insinue sans prévenir et fait totalement corps avec les images. Déjà en grande réussite sur leurs collaborations précédentes, les deux artistes atteignent ici une osmose naturelle et d’une foudroyante efficacité. Je défie quiconque de se débarrasser rapidement du thème principal en sortant du film.

Au-delà du score de Michael Giacchino, la plus grande trouvaille de Matt Reeves est peut-être d’injecter dans la BO de son film des morceaux déjà existants que l’on attendait pas. Je ne prendrais que deux exemples, sans spoiler quoique ce soit, et surtout pour ne pas vous en dévoiler trop. D’un côté, un Ave Maria qui ouvre notamment le film, pour une scène inaugurale d’une rare efficacité. De l’autre, Something in the way de Nirvana, pour éclairer à plusieurs reprises le désespoir ambiant. Pouvait-on mieux choisir, lorsqu’en plus on a droit à un Robert Pattinson se confondant parfois avec un Kurt Cobain revenu d’entre les morts qui incarnerait un Bruce Wayne totalement habité par ses angoisses névrotiques ?

The Batman est un vrai film réfléchi, construit, réussi, brillant, ultra-fidèle au matériau comics de base, et follement addictif. Après trois heures passées dans la salle (qui d’ailleurs ne se voient pas passer), l’envie de replonger est quasi-immédiate. La cohérence artistique du film est renversante, et la BO tient largement sa place dans cette réussite. Et dire que The Batman n’est que le premier d’une trilogie annoncée.

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°9 : Who did that to you ? (2012) de John Legend

Django_Unchained_Bande_OriginaleSi la pépite intemporelle du jour vous dit quelque chose, c’est très possiblement pour l’avoir entendue en accompagnement musical d’un des plus grands films de ces dernières années. Nous y reviendrons très vite. Who did that to you ? a été composée précisément pour ce film, par un John Legend totalement inspiré. Musicien en activité depuis plus de vingt ans, il s’illustre dans les registres mêlés de la soul et du R’n’B, ce qui a donné lieu à des collaborations avec des Lauryn Hill, Jay-Z, ou encore Alicia Keys, excusez du peu. Le garçon est également à la tête d’une flopée de singles et d’albums sous son propre nom. Multi-récompensé notamment aux Grammy Awards, Golden Globes et Oscar, on tient là un artiste productif et qui ne manque pas de prestance.

En témoigne la pépite du jour. Who did that to you ? est un savant mélange de soul et de blues, teinté de gospel. Rien d’étonnant à cela, vu que John Legend a été plongé dès son plus jeune âge dans la musique par ses parents, chrétiens pratiquants. Ses premiers contacts musicaux ont été les chansons chrétiennes et le gospel. Who did that to you ? respire ces influences, tant dans la composition que le texte. Côté partition, ça groove et c’est mené comme les meilleurs morceaux soul de l’histoire, avec un vrai frisson. L’utilisation en intro d’un sample du viscéral et vénéneux The right to love you (1966) du groupe soul/funk The Mighty Hannibal ne fait que renforcer la puissance musicale du titre de John Legend.

Une force et une rage contenue à fleur de peau qui se décline aussi dans les paroles de Who did that to you ? Il est ici question de colère, de Dieu, et de la promesse d’une vengeance à la hauteur du mal fait à l’aimée. Composée spécialement pour Django Unchained (2012), septième film de Quentin Tarantino, cette chanson est sans doute un des morceaux qui colle le plus au propos film. Comme toujours chez Tarantino, il est question de revanche, et même ici de revanche multiple : racisme, esclavagisme, discrimination sociale, sexisme. Et la recherche de la liberté absolue, tant pour ses personnages que pour son propre cinéma. Tarantino développe tout ça avec brio dans l’univers du western, pour un résultat marquant et, sans doute, un de ses meilleurs films. Intéressant par ailleurs de voir que Django Unchained s’inspire et fait référence à Django (1966) de Sergio Corbucci, et qu’un des titres les plus efficaces de sa BO sample et s’inspire d’un autre titre, lui aussi de 1966.

Il ne reste plus qu’à (re)voir Django Unchained pour (re)visionner la scène qu’accompagne notre pépite musicale, et notamment le regard en gros plan qui dit tout à 2h31 pile. La boucle est bouclée. Et jamais n’aura été aussi présente l’idée que Tarantino fait coïncider images et musiques percutantes. Du grand son, du grand ciné : Who did that to you ? au cœur de Django Unchained, pour un moment d’anthologie, et l’introduction des parfaites quinze dernières minutes d’un film parfait. Intense et jouissif.

Raf Against The Machine