Pour accompagner l’étouffant dernier jour de juillet auquel nous avons eu droit hier, je me suis cloitré dans un frais tout relatif et replongé dans un moment de suffocation cinématographique avec Cloverfield (2008) de Matt Reeves.
Oui, Cloverfield est un film intense. C’est peut-être pour ça qu’il ne dure qu’1h25, générique de fin compris, tellement il est exigeant. A l’époque, c’est à dire en 2007-2008, c’était le mystère total tout autant que la hype complète. Imaginez donc (ou souvenez-vous de) ce qui s’annonce : un énigmatique film catastrophe ou de monstre piloté par J. J. Abrams et sa bande. Ce dernier est déjà partout. Côté séries TV, on a eu droit à Felicity (1998-2002) et Alias (2001-2006), mais on est surtout en train de se faire tarter par Lost (2004-2010), qui reste pour moi la grande baffe/aventure télévisuelle des années 2000. Et on n’est pas encore tombés dans Fringe (2008-2013). Côté ciné, le Mission : Impossible III (2006) et sa patte de lapin ont twisté de ouf la franchise, et on a sur le feu le reboot Star Trek (2009), en même temps que ce Cloverfield confié à Matt Reeves pour la réalisation et Drew Goddard pour le scénario (Abrams étant producteur).
Au passage, rappelons que Matt Reeves signera plus tard les excellents La planète des singes : L’affrontement (2014) et La planète des singes : Suprématie (2017). Quant à Drew Goddard, c’est le garçon derrière, notamment, La cabane dans les bois (2012) et la série Marvel/Netflix Daredevil (2015-2018). On a connu pire cartes de visite.
Cloverfield est donc, en 2008, le terrain de jeu de cette joyeuse bande, accompagnée de Michael Giacchino, compositeur attitré de J. J. Abrams. Qui signera là un unique morceau, mais quel morceau ! Compositeur prolifique qui inonde le cinéma depuis le début des années 2000 (dont Les Indestructibles et les deux Planètes des singes de Matt Reeves, BOs dont je suis fan hyper), Giacchino propose une pièce d’anthologie dans Cloverfield. Le film est totalement dépourvu de musiques (à l’exception des morceaux entendus pendant la teuf de début du film), à juste titre. Le film est en mode found footage (enregistrement trouvé) comme l’était Le projet Blair Witch en 1999 : un faux film tourné en vidéo amateur par les protagonistes, nous plongeant ainsi au cœur de l’action en ne voyant que ce que voit la caméra.
C’est efficace et diablement astucieux pour Cloverfield, qui place pour quelques heures Manhattan et ses habitants face à un danger sorti de nulle part et dont on ne sait rien ou presque. C’est trépidant, épuisant, parfois irrespirable, mais terriblement jouissif en tant qu’objet cinématographique immersif. La seule bande sonore pendant toutes les scènes urbaines est celle des cris, des hurlements, de l’incompréhension face à l’incompréhensible, et parfois des suffocations de nos partenaires, à travers un quatrième mur qui vole rapidement en éclat.
Enfin, après 1h15 de fuite, épuisés, vidés, complètement ahuris et retournés par ce film qui réinvente à la fois le film catastrophe et le film de monstre (oui, c’était les 2 finalement), on se laisse envelopper par les premières notes du générique de fin : ce Roar ! tendu et désespéré, violent et tourmenté, chaotique et apocalyptique, mais d’une infernale beauté et obsédant par ses ruptures rythmiques. Et par cette voix sortie de nulle part qui semble prolonger les cris de tous ceux qui ont traversé cette nuit de cauchemar. A moins que ce ne soit celle d’un requiem, autant pour les victimes que pour un monde qui ne sera plus jamais le même.
Je me souviens, en sortant de la salle de ciné il y a 12 ans, d’avoir été content de revoir la lumière du jour et de respirer l’air frais. Je me souviens aussi de cette sensation, rare, d’avoir vécu un vrai moment de création cinématographique, et j’ai longtemps gardé Roar ! en tête. En me disant aussi que oui, Rob a évidemment raison : à moins d’être un connard déshumanisé et sans aucun sentiment, n’importe qui (et moi le premier) serait allé chercher Beth McIntyre.
Raf Against The Machine