Reprise du jour n°9 : The Letter (1967/1970) de The Box Tops par Joe Cocker

Poursuite de notre petite virée dans le monde merveilleux et sans fin des reprises : après Feeling good (à relire/réécouter ici), restons dans la deuxième moitié desR-1972905-1469205055-5541 années 1960 avec The Letter, standard pop-rock-soul tombé dans les bacs dans sa version originelle par The Box Tops en août 1967, puis repris dès 1970 dans une version survitaminée par Joe Cocker. En l’espace de 3 années, le monde et la société connaissent des bouleversements définitifs, tout comme le monde de la musique. The Letter en est, par ces deux versions, une excellente illustration.

D’un côté, The Box Tops et 1967. Le groupe, originaire de Memphis (Tennessee), se forme autour de son chanteur Alex Chilton. Ils sortiront 4 albums entre 1967 et 1969, dans un mélange de pop-rock psychédélique (n’oublions pas ce qui se passe alors à Londres notamment depuis quelques mois avec l’émergence de Pink Floyd) et de soul. Les termes de blue-eyed soul (soul aux yeux bleus) ou white soul (soul blanche) ont été utilisés à l’époque pour distinguer la musique soul faite par les musiciens blancs de celle faite par les musiciens noirs. Cette distinction s’inscrit dans le contexte particulier de la lutte pour les droits civiques et du climat sociétal de l’époque.

De l’autre, Joe Cocker et 1970. Il aura suffi de trois petites années et de l’explosion du bluesman de Sheffield pour revisiter et dynamiter la bluette pop-rock de The Box Tops. Presque simultanément à la reprise incandescente du With a little help from my friends des Beatles, Joe Cocker livre ici une version soul des plus fiévreuses. Le rauque de sa voix le dispute aux cuivres chauds et sonores qui ponctuent l’ensemble. En bref, la reprise n’a rien à envier à l’original et gagne très nettement notre préférence. Comme un super son qui ferait danser, jusque dans le fond des océans, les algues au rythme de la musique (#défidujour).

Courez écouter cette merveille si vous ne la connaissez pas. Remettez là en montant le son et en fermant les yeux si vous connaissez : vous savez que cette reprise by Joe Cocker est imparable.

Raf Against The Machine

Five Reasons n°39 : The Dark Side of the Moon – Live at Wembley Empire Pool, London, 1974 (2023) de Pink Floyd

61hDAw1dzqL._UF1000,1000_QL80_Tout juste 50 ans après la sortie de The Dark Side of the Moon de Pink Floyd, est tombé dans les bacs hier vendredi 24 mars 2023 une pépite que l’on désespérait de voir arriver un jour. The Dark Side of the Moon – Live at Wembley Empire Pool, London, 1974 (que nous appellerons Live at Wembley par commodité pour cette chronique) est disponible en CD et vinyle. Inclus dans le méga et hors de prix coffret commémoratif de The Dark Side of the Moon, Live at Wembley est également accessible séparément, pour une quinzaine d’euros en CD et à peine vingt euros en vinyle. Alors que l’on connait déjà par cœur The Dark Side of the Moon et qu’on nous ressort un live vieux de 49 ans, faut-il lâcher ses piécettes dans cette galette ? Assurément oui, et même cinq fois oui. Cinq fois exposées immédiatement et sans tarder.

  1. The Dark Side of the Moon est le meilleur album de Pink Floyd. Le groupe possède à son actif bien d’autres merveilles, mais pas à l’échelle d’un album complet. A saucerful of secrets (1968), Atom heart mother (1970), Echoes (1971) ou encore Shine on you crazy diamond (1975) sont des pépites totales, mais qui ne font pas toujours corps avec le reste de l’album. On pourrait se tourner vers Animals (1977) qui présente une véritable unité, sans pourtant atteindre le niveau de richesse sonore et d’inventivité de The Dark Side of the Moon. Quant à The Wall (1979), c’est évidemment un chef-d’œuvre, mais est-ce vraiment un album de Pink Floyd ? Avec un Roger Waters omniprésent et omnipotent, mais aussi en comptant l’absence de Rick Wright et de ses claviers, il faut se rendre à l’évidence. The Dark Side of the Moon est bien l’album masterpiece de la discographie de Pink Floyd. Et ce Live at Wembley est une excellente occasion d’y replonger.
  2. D’y replonger, et de mesurer la maîtrise musicale du quatuor. Enregistré à Londres les 15 et 16 novembre 1974, Live at Wembley est un témoignage édifiant. Nous sommes un an et demi après la sortie de l’album studio. Pink Floyd possède sa création de bout en bout, et comme jamais. D’autant que The Dark Side of the Moon a déjà été testé et rodé avant sa sortie, lors de divers concerts en 1972 aujourd’hui disponibles en ligne sur toutes les bonnes plateformes de streaming. Ces deux soirs à Wembley sont une forme d’aboutissement. Non seulement The Dark Side of the Moon est à maturité, mais également son interprétation par Pink Floyd. Ecouter ce Live at Wembley, c’est redécouvrir The Dark Side of the Moon live avec de subtiles différences, mais une énergie intacte et assez folle.
  3. Ce Live at Wembley permet également de mettre un point final à un faux débat : Pink Floyd est-il un groupe de studio ou de scène ? Compte-tenu des enregistrements studios, créatifs et tirés au cordeau comme on ne l’imaginerait même plus aujourd’hui (à part peut-être chez Radiohead ou Archive), on est en droit de se dire que sur scène, le groupe perd nécessairement la production et le mixage affinés. Pourtant, toutes celles et ceux qui ont vu, ou ne serait-ce qu’écouté, Pink Floyd sur scène savent que le groupe dégage une puissance live dont bien d’autres artistes pourraient s’inspirer. Live at Wembley met fin à toute interrogation. Pink Floyd livre une interprétation hors sol et hors du temps de The Dark Side of the Moon. Tout est en place. Les quatre musiciens jouent comme un seul et déroulent une somme d’émotions assez dingue.
  4. Ce plaisir musical est renforcé par la qualité de la captation. Là où les lives de 1972 précédemment évoqués et le matériel du coffret The Early Years (sorti en 2016) étaient parfois un peu brouillons, Live at Wembley offre une propreté d’enregistrement live tout bonnement ahurissante. De la première à la dernière seconde, le son Pink Floyd nous explose à la tronche. Pas un défaut sonore ne vient entacher ce live, qui se double d’un mixage lui aussi ahurissant. N’allons pas jusqu’à dire qu’il est meilleur qu’en studio. Il est légèrement différent, et a l’avantage de faire ressortir encore plus les voix, les collages sonores, les claviers de Rick Wright, la batterie de Nick Mason, la guitare de David Gilmour, mais aussi et surtout la basse de Roger Waters. Dans l’intro de Money bien sûr, mais plus encore sur tout l’album. Comme si, avec ce mixage, Pink Floyd envoyait un message caché à son membre fondateur désormais écarté. Comme pour lui dire « Tout est pardonné, tu as bien ton entière place à nos côtés dans le groupe ».
  5. Il faut enfin s’arrêter sur l’objet en lui-même. Disponible donc dans un coffret hors de prix dont je ne dirai rien du contenu (ne l’ayant pas eu entre les mains), mais aussi à l’unité, Live at Wembley est un bien bel objet pour tout collectionneur. Le vinyle s’offre une pochette gatefold de grande qualité, et contient les textes des chansons imprimés à l’intérieur, plus deux posters eux aussi de toute beauté signés Ian Emes et Gerald Scarfe (celui-là même qui œuvrera graphiquement sur The Wall). Ainsi que le disque vinyle bien sûr. Je ne parle que du 33 tours : offrez vous cette édition plutôt que le CD si vous pouvez vous le permettre. Vous profiterez ainsi d’un enregistrement de très haute tenue, mais aussi d’une grande pochette conçue à partir d’illustrations dessinées en 1973 par George Hardie. En bref, un objet qualitatif sur tous les plans.

Live at Wembley de Pink Floyd est un incontournable. Pour les fans du groupe, il est indispensable en tant que témoignage musical, pièce de collection et moyen supplémentaire de replonger dans le génie de The Dark Side of the Moon. Pour les amateurs de musique et historiens, il est un témoignage essentiel de ce que fut Pink Floyd et de ce qui se créait au cœur des années 1970. Pour les collectionneurs, il est une captation longtemps souhaitée, et aujourd’hui disponible pour une somme tout à fait correcte. En un mot comme en cent : foncez.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°130 : No Reason (2023) de The Chemical Brothers

Capture d’écran 2023-03-18 à 12.16.43Trente et un ans déjà que The Chemical Brothers nous envoient du son qui fait du bien. Fondé en 1992 par Tom Rowlands et Ed Simon, le duo anglais de musique électronique affiche 9 albums au compteur entre 1995 et 2019, tous plus captivants les uns que les autres. Depuis No Geography, dernier LP en date, c’est l’attente. On a beau se passer et repasser ces 9 galettes, depuis Exit Planet Dust (1995) jusqu’aux dernières secondes de Catch me I’m falling, qui referme No Geography, il faut avouer qu’on est un peu en manque de The Chemical Brothers. On avait bien eu le single The darkness that you fear en 2021, qui semblait annoncer un nouvel album. Pourtant, pas de nouvelles depuis, jusqu’à maintenant. Les deux anciens étudiants en histoire (comme quoi, en plus d’être une passionnante filière d’études, l’histoire mène décidément à tout) livrent ces jours-ci No Reason, un nouveau single inattendu et diablement efficace.

No Reason condense en 4 minutes tout ce qu’on aime des Chemical Brothers. Une basse funk sert de base rythmique et métronomique à un savant mélange de techno et d’acid house. L’ensemble est saupoudré de rock et de samples vocaux issus de Courts of war, titre du répertoire du groupe de new wave Second layer, sorti en 1979. Gros melting pot d’influences me direz-vous ? Exactement, et comme pour tout mélange des genres musicaux, c’est toujours une prise de risques qui peut finir en morceau casse-gueule et désastreux qui ne fonctionne pas. Sauf que nous avons là un des groupes les plus talentueux dans ses compositions, surtout lorsqu’il s’agit de préparer le genre de salade composée qui nous fait reprendre cinq assiettes.

No Reason est ainsi un titre bourré d’énergie(s), comme ont pu l’être en leur temps Block Rockin’ Beats (1997), Hey Boy Hey Girl (1999), Galaxy bounce (2002), ou encore Galvanize (2005). Si vous avez besoin de votre dose de groove qui donne le pêchon pour ce samedi, et même l’entièreté de votre weekend, No Reason est fait pour vous. Si vous voulez juste un bon son qui nous rappelle combien The Chemical Brothers sont indispensables au paysage musical, No Reason est fait pour vous. Si vous aimez la musique et la vie, No Reason est fait pour vous. En bref, listen it.

Chronique préparée à l’aide de l’article paru chez Tsugi : https://www.tsugi.fr/the-chemical-brothers-devoilent-no-reason-apres-deux-ans-dabsence/

Visuel pochette tiré du clip de No Reason, réalisé par Adam Smith & Marcus Lyall : https://store.thechemicalbrothers.com/*/No-Reason-Vinyl/No-Reason-12/7RJL1ZVN000

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°126 : Sure Shot (1994) des Beastie Boys

918TOjcOorL._SX355_Après avoir écouté du 50 ans d’âge la semaine dernière, réduisons un peu la voilure pour revenir presque 30 ans en arrière. En 1994 plus précisément, pour nous replonger dans l’excellent Ill Communication des Beastie Boys. Pour leur quatrième album, Michael « Mike D » Diamond, feu Adam « MCA » Yauch et Adam « Ad-Rock » Horowitz mélangent hip-hop, punk rock et sonorités jazz. Ce mix aventureux pourrait tourner à la catastrophe. Entre les mains des Beastie Boys, l’ensemble constitue un des meilleurs albums du groupe. D’un titre à l’autre parmi les 20 qui constituent la galette, on navigue entre titres à chiller, ambiance plus vénère et flow hip-hop jazzy. C’est plutôt dans cette dernière case qu’on rangerait Sure Shot, titre inaugural de Ill Communication et pépite énergique et énergisante comme on n’en fait plus.

Exploitant au maximum le sample de Howlin’ for Judy du flûtiste de jazz américain Jeremy Steig, Sure Shot est un titre obsédant. Dans son rythme d’une part, qui se met en route et se tend sans jamais relâcher l’énergie durant ses 3 minutes 20. Dans son flow d’autre part, que se partagent les Beastie Boys, en semblant ne jamais respirer de la première à la dernière note. Les trois rappeurs se passent et repassent le micro dans un morceau qui sonne comme une profession de foi. Titre d’ouverture parfait pour un album, qui envoie sans délai toute l’énergie nécessaire pour se tarter immédiatement après les 19 autres compositions. Sure Shot fut mon titre de rencontre avec les Beastie Boys, et j’y reviens régulièrement. Dont aujourd’hui, avec partage ici-bas, ici même. Avec en prime le clip, qui fleure bon les années 1990.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°125 : Time (1973) de Pink Floyd

61R7gJadP7L._SL1368_Il est grand temps d’écrire ma chronique hebdomadaire, et si vous en avez lu le titre, vous voyez déjà la pirouette que je vais faire. Il est grand temps… et hop un titre avec le mot temps dedans, en anglais pour faire un peu stylé. It’s time ! Retour 50 ans en arrière, avec un ultra classique comme on n’en fait plus. Tout a déjà été dit et écrit sur Dark Side of the Moon de Pink Floyd. Paru le 1er mars 1973 aux Etats-Unis et le 23 mars 1973 (on reviendra sur cette date) au Royaume-Uni, ce huitième album studio est la concrétisation du son Pink Floyd en gestation depuis la galette studio de Ummagumma (1969), puis Atom Heart Mother sur l’album éponyme en 1970 et Echoes sur Meddle en 1971. Un rock progressif qui expérimente les sonorités, une production studio léchée et tirée au cordeau avec notamment un mixage quadriphonique, un concept sonore qui conduit à l’évasion totale. Les 43 minutes et 10 titres de l’album forment comme un seul et même morceau qui déroulerait ses différents mouvements. Figurant dans le top 25 des albums les plus vendus de tous les temps, Dark Side of the Moon est resté 736 semaines dans le classement des albums du Billboard, de 1973 à 1988. On pourrait aligner les chiffres à l’envi, le constat est bel et bien là. Au-delà des ventes, des chiffres de production, Pink Floyd publie en 1973 un album majeur de l’histoire de la musique, dont le succès et les qualités ne se sont jamais démentis depuis.

Difficile de scinder Dark Side of the Moon en titres séparés, tant l’unité et la cohérence musicales sont évidentes. On peut toutefois s’arrêter sur une composition plutôt qu’une autre, comme on préfèrerait dans les Quatre saisons de Vivaldi le Printemps à l’Eté, ou l’ouverture des Noces de Figaro chez Mozart au reste de l’œuvre. En quatrième position de Dark Side of the Moon se trouve Time. Le morceau s’ouvre sur de multiples sonneries d’horloge avant de dérouler une longue intro de près de 2 minutes 30. C’est ensuite un titre assez classiquement pop-rock qui s’installe, pour s’amenuiser petit à petit et nous amener vers le formidable The Great Gig in the Sky qui conclut la face A. Ceux qui connaissent l’album savent que les 5 titres de la face B seront encore plus impressionnants. Il n’y a rien à jeter dans Dark Side of the Moon. Pas une seconde de trop, pas un son inutile ou raté. Même si j’ai une infinie passion pour Animals (1977), je reconnais en Dark Side of the Moon un chef-d’œuvre qui me fascine à chaque fois. Ne serait-ce que pour Time, apparemment un anodin titre rock qui prend toute sa mesure au cœur de cet album de légende.

Album tellement légendaire que, à l’occasion de ses 50 ans, il ressort dans une édition Deluxe le 24 mars prochain (je vous avais dit qu’on reparlerait du presque 23 mars). Une réédition dantesque, une version remasterisée (une fois de plus) agrémentée de nombreux goodies collector et de moult supports. Vinyles, CD, DVD, blu-ray, tout y est pour (re)découvrir Dark Side of the Moon sous toutes ses formes et sous tous les angles. Merci Pink Floyd, et merci aussi le capitalisme : si le contenu du coffret est dantesque, son prix aussi. A 250 € la bête, même les plus passionnés y réfléchiront à deux fois.

En revanche, sort séparément (tout en étant inclus dans le coffret) le Live at Wembley Empire Pool enregistré en novembre 1974. Il ne s’agit pas du concert intégral donnant à entendre Echoes en live, ainsi que des pré-versions de Shine on your crazy diamond, Sheep et Dogs, mais du bloc Dark Side of the Moon. Entendez par là que, pour la première fois en vinyle et CD, on va pouvoir écouter la prestation intégrale de Pink Floyd ces soirs-là jouant Dark Side of the Moon en live, de la première à la dernière note. Sensiblement ce que le groupe proposera en 1995 sur son live Pulse, à deux différences notables. D’une part, sur cette tournée, Dark Side of the Moon est joué live, mais pas forcément dans son intégralité selon les soirs. D’autre part, l’enregistrement de 1974 permettra de retrouver le Pink Floyd quasi originel (car point de Syd Barrett), avec Roger Waters dans ses rangs. Ce Live at Wembley Empire Pool sera, lui aussi, disponible le 24 mars prochain, pour un prix autrement plus abordable. Il est fort possible que nous en reparlions bientôt pour décortiquer l’intérêt et la qualité de l’objet.

Pour le moment, il est grand temps de laisser place à la musique. Time et, en bonus, The Great Gig in the Sky qui lui fait suite directement sur l’album.

Raf Against The Machine

Review n°117: Player Non Player d’Agar Agar (2023)

       Le duo composé de Clara Cappagli et Armand Bultheel, alias Agar Agar, aime prendre son temps comme ils Agar Agar Player Non Playerl’affirment dans une interview accordée aux Inrocks « On a besoin d’accueillir certaines propositions pour se les approprier et ne pas être dans un dialogue immédiat avec ce que l’on vit. » Dans une époque de l’immédiateté poussée à son paroxysme, la démarche est pour le moins à contre-courant. Le premier album The Dog and the Future (apprécié et chroniqué par ici pour l’inauguration des Five-Titles) date donc déjà de 2018 et c’est avec une véritable impatience que je me lance dans ce Player Non Player, album-concept qui est la bande-son du jeu vidéo du  même nom créée par un ami d’Armand, Jonathan Coryn. Un jeu vidéo au concept assez original où l’on incarne un personnage qui arrive sur une île et rencontre des personnages énigmatiques qu’il va aider à accomplir leurs rêves, la progression du jeu débloquant les clips musicaux interactifs d’Agar Agar.

      Le morceau d’ouverture Grass nous emmène d’emblée en territoire connu avec ses synthés brumeux, ses beats de fond et cette voix d’une nonchalance toujours aussi sensuelle et séduisante. Les synthés d’Armand Bultheel sonnent toujours aussi eighties et on perçoit tout l’amour des consoles 8-bits, à l’image d’un groupe comme Crystal Castles. The visit creuse le même sillon dans une version cependant un peu plus pop uptempo, les synthés rappelant les débuts de Calvin Harris. On retrouvera cette électro-pop attendue et riche de contrastes dans l’excellent morceau final It’s Over dont la mélancolie est particulièrement poignante.

      Néanmoins, ce Player Non Player se présente davantage comme un vrai patchwork d’inspirations diverses qui peut déstabiliser. Ainsi Trouble se présente-t-il comme un vrai casse-tête électronique qui part dans tous les sens et qui a dû se montrer particulièrement complexe à produire, dans la foulée Odile nous propose une belle plage de douceur, aussi belle qu’inattendue, contrastant avec l’intermède d’une minute 45 Dragon, électro dépouillée et languissante qui ferait penser à un morceau caché du Third de Portishead. Accrochez-vous car l’auditeur ne va pas cesser d’être trimballé dans de multiples univers: Dragonlie est un de mes morceaux préférés avec son trip-hop désincarné et cette froideur esthétique d’une grande beauté qui contraste à merveille avec Crave et ses 2 minutes angoissantes qui croisent l’univers de The Knife avec le goût du 8 bits de Crystal Castles. Ce Crave me déplaît et me met mal à l’aise et je retrouve avec plaisir la douceur de Fake names qui s’impose comme le plus bel exemple d’électrop-pop inventive d’Agar Agar.

     L’électro-pop plus attendue de No Pressure, le featuring de Zombie-Chang qui apporte un texte en japonais bien senti sur Dude on Horse et la sublime plage contemplative Plaine qui ramène aux étendues balayées par le vent de Boards Of Canada confirment ce plaisir jouissif à explorer des contrées variées. Même si ce Player Non Player m’a demandé plusieurs écoutes pour appréhender son aspect protéiforme, je ne peux que vous engager à savourer l’inventivité d’Agar Agar, enjoy !

 

Sylphe

Pépite intemporelle n°124 : Clint Eastwood (2001) de Gorillaz

GorillazAlbumQu’apprend-on la semaine dernière à la lecture des Inrockuptibles (27 février 2023, lien vers l’article complet en bas de chronique) ? Que le méga succès planétaire Clint Eastwood de Gorillaz repose sur une simple boucle de préréglage sur un instrument de musique électronique. Enfin pas vraiment. C’est plus exactement la rythmique de base et sa coloration traînante si particulière qui sort tout droit d’un Omnichord Suzuki OM-300. Le reste du titre relève du talent de composition de Damon Albarn, leader de Blur, mais aussi créateur (avec Jamie Hewlett) et tête pensante de Gorillaz. Rappelons que ce groupe existe sans exister, puisqu’il est officiellement composé de musiciens virtuels et/ou de fiction. Seul Damon Albarn existe réellement. C’est justement lui qui, récemment invité dans le Zane Lowe Show (podcast diffusé sur Apple Music), a révélé le secret du riff rythmique de Clint Eastwood, single emblématique de Gorillaz, premier album du groupe. Je vous invite à visionner les premiers instants dudit podcast ci-dessous, pour comprendre en quelques secondes. Albarn explique nonchalamment “That’s it. That’s the preset. It’s the Rock 1 preset”, avant de presser un bouton de la machine devant lui. Aucun doute possible, c’est à la note près la base de Clint Eastwood.

Si la révélation a de quoi étonner, elle prête plus à sourire qu’autre chose. Ici, point de soupçon de plagiat ou de sample malhonnêtement détourné. Damon Albarn s’est contenté de travailler autour d’une boucle de préréglage, qui existe depuis des années dans de nombreuses machines vendues dans le monde. Aucune cachotterie ou filouterie. N’importe quel possesseur/utilisateur d’un Omnichord Suzuki OM-300 était à même de découvrir le pot aux roses. Et, fort heureusement, la magie de Clint Eastwood ne repose pas que sur ce riff rythmique. Tout le reste, depuis la voix traînante de Damon Albarn qui s’oppose au flow de Del the Funky Homosapien jusqu’aux nombreuses gommettes musicales qui émaillent le titre, constitue un réel travail de création et de composition. Clint Eastwood et les nombreuses autres pépites qui constituent Gorillaz (dont le génial 5/4 et l’émouvant Latin Simone) font bien de cet album un must-have de toute discothèque. Cette galette constitue l’acte de naissance d’un des groupes les plus captivants de notre temps. Qu’il soit virtuel ou non n’a aucune espèce d’importance. Le duo Damon Albarn/Jamie Hewlett offre depuis plus de 20 ans maintenant un univers musical dont on ne se lasse pas. Retour aux origines avec Clint Eastwood et, dans la foulée, 5/4 pour vous convaincre (si besoin en était) de vous faire tout l’album.

(Article Les Inrockuptibles, 27 février 2023 : https://www.lesinrocks.com/musique/damon-albarn-revele-le-secret-de-fabrication-du-tube-de-gorillaz-clint-eastwood-541365-27-02-2023/)

Visuel pochette by Jamie Hewlett

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°123: Mia Mia d’Um (Romulus Remix – 2017)

Ce soir j’ai très envie de mettre la lumière sur un titre obsédant que j’ai croisé par hasard sur une compilation il y a 5 ansUm - Mia Mia et qui m’électrise toujours autant lorsque l’aléatoire de ma playlist Top Choucroute (mon paradis musical qui envoie du lourd comme la choucroute…#nosrégionsontdutalent) me l’offre. Le titre original Mia Mia est sorti sur le trois titres Take My Way en 2017 par le français Üm, un beau morceau chill sublimé par des choeurs d’enfants et des cordes en fond qui rajoutent ce supplément d’âme sur une rythmique funk savoureuse. Cependant, j’ai découvert l’original après ce remix extatique de Romulus qui insuffle un vent de folie épique au morceau. Il y a dans ce titre tout ce que j’aime dans la musique électronique au sens le plus large, dans sa capacité à nous raconter et nous emporter sans paroles. C’est une véritable terre de contrastes entre une rythmique électro/techno affirmée et ces cordes initiales qui prennent une véritable place centrale avec sa construction d’une grande intelligence qui réveille en moi cette foutue envie de laisser mon corps prendre le pouvoir sur mon dance-floor intérieur. Un bijou que Baudelaire aurait bien placé au rang des paradis artificiels avec le vin et l’opium, enjoy !

 

Sylphe