Five reasons n°33 : KID A MNESIA (2000/2001-2021) de Radiohead

KID_A_MNESIA_CompilationA l’occasion des vingt ans du diptyque Kid A (2000) et Amnesiac (2001) que l’on appellera Kid A/mnesiac pour la suite, le groupe de rock britannique Radiohead fait les choses en grand. En 2017, nous avions déjà eu droit à la réédition augmentée de OK Computer (1997), sous le titre OK Computer OKNOTOK, qui offrait alors du matériel inédit dans un fort bel objet, triple vinyle notamment. Pour commémorer la claque Kid A/mnesiac, la bande de Thom Yorke propose, de nouveau, une réédition augmentée de ces deux opus (sortie le 5 novembre dernier), accompagnée d’une exposition visuelle et sonore disponible en ligne depuis quelques jours. Vous voyez venir les interrogations ? Faut-il tomber dans le panneau et replonger, voire racheter, cette édition ? Kid A/mnesiac, ça a vieilli comment ? On regarde ça en cinq raisons chrono mais, si cette sortie fait l’objet d’une chronique ici, vous vous doutez déjà que ça vaut (un minimum) la peine.

1. Il faut tout d’abord se rappeler de l’arrivée de Kid A, puis de son petit frère Amnesiac au tournant des 20e/21e siècles. Le paysage musical rock n’est alors déjà pas dépourvu de bons sons, et notamment pas du côté de Radiohead. En 2000, on surfe encore sur le terrible et positif choc que fut OK Computer trois années plus tôt. C’est l’album où Radiohead se révèle totalement, après les deux opus assez rock classique à guitares qu’ont été Pablo Honey (1993) et The bends (1995). Avec OK Computer, le groupe commence à intégrer de l’électro dans ses morceaux, mais surtout à déconstruire le schéma habituel couplet-refrain standardisé. Avec des titres explosifs comme Paranoid Android ou Karma Police, Radiohead met une très grosse baffe. En 2000, la joue est encore rouge et personne ne se doute de ce qui arrive. Kid A explose définitivement les repères musicaux rock et du groupe. Très peu de guitares, la part belle à l’électro et aux boucles, et une audace créative sans nom. Le free jazz de The National Anthem ou la berceuse burtonienne Motion Picture Soundtrack sont autant de preuves que Radiohead a décidé de marquer son époque, et l’histoire de la musique en général. La surprise ne s’arrêtera pas là, puisque quelques mois plus tard sort Amnesiac, constitué de morceaux enregistrés à la même époque que Kid A. Un diptyque historique inoubliable.

The National Anthem sur Kid A (2000)

2. Puisque c’est inoubliable, pourquoi donc en faire une réédition anniversaire, alors que tout le monde a déjà ses exemplaires de Kid A/mnesiac ? Excellente question, à laquelle je répondrai par une autre : se pose-t-on la question face à des rééditions de Sur la route de Jack Kérouac, ou de 1984 de George Orwell ? Face à la énième sortie d’un 2001: L’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, ou du Matrix des Wachowski ? Se demande-t-on s’il est pertinent et nécessaire de relire Albert Camus, Voltaire, Edgar Poe ou Virginie Despentes ? Non. Tous ces grands noms sont déjà entrés dans l’Histoire culturelle et artistique. Il en est de même pour Radiohead et son Kid A/mnesiac. Avec ce double album, le groupe arrête de faire de la musique rock, pour basculer dans la musique totale. Il prend définitivement une autre dimension, qu’aucun album suivant ne dépassera, même si toutes les galettes suivantes sont, elles aussi, exceptionnelles. Kid A/mnesiac pour Radiohead, c’est un peu le triptyque Atom heart mother/Meddle/Dark side of the Moon de Pink Floyd, ou le Controlling Crowds d’Archive. La charnière où un groupe atteint un climax artistique et assoit définitivement son nom. Rien de perturbant, donc, à ce que Kid A/mnesiac revienne vingt ans plus tard.

3. Le diptyque revient, mais pas sous sa forme originelle, simplement estampillée d’une jolie étiquette commerciale du genre « Remastered from the analogic original tapes ». En 2021, Kid A/mnesiac devient KID A MNESIA et propose, outre Kid A et Amnesiac dans une seule pochette, un troisième disque Kid Amnesiae rempli de matériel inédit provenant des sessions studios de l’époque. Voilà donc l’occasion, en un seul objet, de retrouver un diptyque majeur de l’histoire de la musique. Il n’y a rien à jeter du début à la fin de Kid A : des toutes premières notes de Everything in its right place aux derniers souffles de Motion Picture Soundtrack (d’ailleurs conclu par un Untitled), le voyage est époustouflant. L’ambiance est tout à tour androïdesque (Kid A), planante (How to disappear completely ou Treefingers), tendue et nerveuse (Optimistic ou Idioteque). Même combat dans Amnesiac, qui enchaine les morceaux de bravoure musicale : l’envoûtant Pyramid song, le mystérieux Pulk / Pull Revolving Doors, le vénère I might be wrong, le désespéré et bouleversant Like spinning plates, avant de fermer sur le jazzy underground berlinois Life in a glasshouse (qui, précisément, rappelle le Berlin de Lou Reed). D’un bout à l’autre de ces deux disques, le voyage est fascinant, émotionnellement puissant. Dire que c’est pur plaisir de replonger là-dedans est un doux euphémisme.

Pyramid Song sur Amnesiac (2001)

4. La cerise ? Kid Amnesiae, cette troisième galette qui recèle de la pépite à n’en plus finir. On pensait avoir parcouru tout le potentiel de cette œuvre majeure qu’est Kid A/mnesiac, et voilà que Radiohead nous balance onze titres tous plus captivants les uns que les autres. A commencer par la version piano-voix-scratches de Like spinning plates, qui ouvre le bal. On connaissait déjà cette relecture, présente sur l’album live I might be wrong (2001), mais la retrouver là en enregistrement studio nous raconte que le titre a été envisagé sous cet arrangement dès l’album, et pas seulement pour les concerts. Plusieurs Untitled et des versions alternatives de titres déjà connus parsèment la galette, et accompagnent If you say the word, un inédit total planant et onirique. D’aucuns diront que ce troisième disque est dispensable, ou à réserver aux fans hardcore de Radiohead. C’est sans doute vrai, mais pour qui s’intéresse un minimum au groupe, ou à la création musicale en général, ces onze pépites complètent parfaitement ce que l’on connaissait déjà de Kid A et Amnesiac, tout en révélant, si besoin en était, la bouillonnante créativité de Thom Yorke et de ses petits copains de jeu.

Like Spinning Plates (‘Why us ?’ Version) sur KID A MNESIA (2021)

5. La double cerise ? L’exposition virtuelle proposée par le groupe, en accompagnement de KID A MNESIA, sobrement intitulée KID A MNESIA EXHIBITION. Initialement, le groupe pensait à une exposition physique (en présentiel comme on dit désormais) qui aurait voyagé dans le monde. L’épidémie de Covid-19 en a décidé autrement, et les artistes se sont rabattus sur l’idée d’une exposition virtuelle. Cette dernière mélange la musique de Radiohead et les créations visuelles et graphiques de Stanley Donwood datant de l’époque Kid A/mnesia. Disponible gratuitement au téléchargement sur PC, Mac et PS5, l’exposition est à récupérer via ce lien https://kida-mnesia.com pour ensuite se balader librement dans un vrai objet artistique aussi déroutant qu’envoûtant. Une expérience visuelle, sonore et sensorielle qu’il est difficile de décrire, mais que je vous conseille absolument sans réserves. A vivre de préférence sur un écran de bonne taille, et surtout casque vissé sur les oreilles. On se balade en vue à la première personne dans un dédale de salles et d’espaces où l’on est littéralement au cœur des sons de Radiohead, tout autant que l’on est happés par des dizaines de visuels et d’animations. Une plongée hallucinée, mystérieuse, intrigante et jouissive dans un format créatif qui, finalement, est peut-être le plus adapté.

Trailer officiel de la KID A MNESIA EXHIBITION (2021)

Retour à la réalité et aux interrogations de départ : faut-il se réjouir de KID A MNESIA, et y plonger ? Evidemment oui. Je n’aurais pas été aussi bavard si le jeu n’en valait pas la chandelle. Et encore, les mots me manquent pour dire tout l’enthousiasme et le plaisir sans bornes que j’ai à retrouver cet univers qui ne m’avait pourtant jamais vraiment quitté depuis vingt ans. Sorti sous de multiples formats et dans différentes éditions, KID A MNESIA place définitivement Radiohead et le diptyque originel Kid A/mnesia au panthéon artistique. Voilà sans aucun doute un chef d’œuvre total et absolu, offert au monde par des artistes en constante évolution, sans aucune barrière créative et ayant une fois pour toute fait voler en éclat tous les cloisonnements pour s’imposer comme de l’Art. Tout simplement.

If you say the word sur KID A MNESIA (2021)

Raf Against The Machine

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