Five Reasons n°39 : The Dark Side of the Moon – Live at Wembley Empire Pool, London, 1974 (2023) de Pink Floyd

61hDAw1dzqL._UF1000,1000_QL80_Tout juste 50 ans après la sortie de The Dark Side of the Moon de Pink Floyd, est tombé dans les bacs hier vendredi 24 mars 2023 une pépite que l’on désespérait de voir arriver un jour. The Dark Side of the Moon – Live at Wembley Empire Pool, London, 1974 (que nous appellerons Live at Wembley par commodité pour cette chronique) est disponible en CD et vinyle. Inclus dans le méga et hors de prix coffret commémoratif de The Dark Side of the Moon, Live at Wembley est également accessible séparément, pour une quinzaine d’euros en CD et à peine vingt euros en vinyle. Alors que l’on connait déjà par cœur The Dark Side of the Moon et qu’on nous ressort un live vieux de 49 ans, faut-il lâcher ses piécettes dans cette galette ? Assurément oui, et même cinq fois oui. Cinq fois exposées immédiatement et sans tarder.

  1. The Dark Side of the Moon est le meilleur album de Pink Floyd. Le groupe possède à son actif bien d’autres merveilles, mais pas à l’échelle d’un album complet. A saucerful of secrets (1968), Atom heart mother (1970), Echoes (1971) ou encore Shine on you crazy diamond (1975) sont des pépites totales, mais qui ne font pas toujours corps avec le reste de l’album. On pourrait se tourner vers Animals (1977) qui présente une véritable unité, sans pourtant atteindre le niveau de richesse sonore et d’inventivité de The Dark Side of the Moon. Quant à The Wall (1979), c’est évidemment un chef-d’œuvre, mais est-ce vraiment un album de Pink Floyd ? Avec un Roger Waters omniprésent et omnipotent, mais aussi en comptant l’absence de Rick Wright et de ses claviers, il faut se rendre à l’évidence. The Dark Side of the Moon est bien l’album masterpiece de la discographie de Pink Floyd. Et ce Live at Wembley est une excellente occasion d’y replonger.
  2. D’y replonger, et de mesurer la maîtrise musicale du quatuor. Enregistré à Londres les 15 et 16 novembre 1974, Live at Wembley est un témoignage édifiant. Nous sommes un an et demi après la sortie de l’album studio. Pink Floyd possède sa création de bout en bout, et comme jamais. D’autant que The Dark Side of the Moon a déjà été testé et rodé avant sa sortie, lors de divers concerts en 1972 aujourd’hui disponibles en ligne sur toutes les bonnes plateformes de streaming. Ces deux soirs à Wembley sont une forme d’aboutissement. Non seulement The Dark Side of the Moon est à maturité, mais également son interprétation par Pink Floyd. Ecouter ce Live at Wembley, c’est redécouvrir The Dark Side of the Moon live avec de subtiles différences, mais une énergie intacte et assez folle.
  3. Ce Live at Wembley permet également de mettre un point final à un faux débat : Pink Floyd est-il un groupe de studio ou de scène ? Compte-tenu des enregistrements studios, créatifs et tirés au cordeau comme on ne l’imaginerait même plus aujourd’hui (à part peut-être chez Radiohead ou Archive), on est en droit de se dire que sur scène, le groupe perd nécessairement la production et le mixage affinés. Pourtant, toutes celles et ceux qui ont vu, ou ne serait-ce qu’écouté, Pink Floyd sur scène savent que le groupe dégage une puissance live dont bien d’autres artistes pourraient s’inspirer. Live at Wembley met fin à toute interrogation. Pink Floyd livre une interprétation hors sol et hors du temps de The Dark Side of the Moon. Tout est en place. Les quatre musiciens jouent comme un seul et déroulent une somme d’émotions assez dingue.
  4. Ce plaisir musical est renforcé par la qualité de la captation. Là où les lives de 1972 précédemment évoqués et le matériel du coffret The Early Years (sorti en 2016) étaient parfois un peu brouillons, Live at Wembley offre une propreté d’enregistrement live tout bonnement ahurissante. De la première à la dernière seconde, le son Pink Floyd nous explose à la tronche. Pas un défaut sonore ne vient entacher ce live, qui se double d’un mixage lui aussi ahurissant. N’allons pas jusqu’à dire qu’il est meilleur qu’en studio. Il est légèrement différent, et a l’avantage de faire ressortir encore plus les voix, les collages sonores, les claviers de Rick Wright, la batterie de Nick Mason, la guitare de David Gilmour, mais aussi et surtout la basse de Roger Waters. Dans l’intro de Money bien sûr, mais plus encore sur tout l’album. Comme si, avec ce mixage, Pink Floyd envoyait un message caché à son membre fondateur désormais écarté. Comme pour lui dire « Tout est pardonné, tu as bien ton entière place à nos côtés dans le groupe ».
  5. Il faut enfin s’arrêter sur l’objet en lui-même. Disponible donc dans un coffret hors de prix dont je ne dirai rien du contenu (ne l’ayant pas eu entre les mains), mais aussi à l’unité, Live at Wembley est un bien bel objet pour tout collectionneur. Le vinyle s’offre une pochette gatefold de grande qualité, et contient les textes des chansons imprimés à l’intérieur, plus deux posters eux aussi de toute beauté signés Ian Emes et Gerald Scarfe (celui-là même qui œuvrera graphiquement sur The Wall). Ainsi que le disque vinyle bien sûr. Je ne parle que du 33 tours : offrez vous cette édition plutôt que le CD si vous pouvez vous le permettre. Vous profiterez ainsi d’un enregistrement de très haute tenue, mais aussi d’une grande pochette conçue à partir d’illustrations dessinées en 1973 par George Hardie. En bref, un objet qualitatif sur tous les plans.

Live at Wembley de Pink Floyd est un incontournable. Pour les fans du groupe, il est indispensable en tant que témoignage musical, pièce de collection et moyen supplémentaire de replonger dans le génie de The Dark Side of the Moon. Pour les amateurs de musique et historiens, il est un témoignage essentiel de ce que fut Pink Floyd et de ce qui se créait au cœur des années 1970. Pour les collectionneurs, il est une captation longtemps souhaitée, et aujourd’hui disponible pour une somme tout à fait correcte. En un mot comme en cent : foncez.

Raf Against The Machine

Five Titles n°30 : Radiohead

Capture d’écran 2023-02-15 à 16.20.35Un Five Titles pour le moins original cette semaine : alors que nous réservons généralement cette rubrique à l’extraction de cinq titres d’un même album pour vous donner envie d’en écouter le reste, nous allons plutôt partir sur un top 5. Étrange idée ? Pas tout à fait. Voici quelques semaines, j’ai vu passer et répondu sur Twitter à un petit jeu consistant à donner son top 5 des titres de Radiohead, tout album confondu (Twitter où, je le rappelle, vous pouvez nous suivre dans nos pérégrinations bloguesques et culturelles en rejoignant nos deux comptes @sylphe45 et @BatRafATM). Ce top 5 Radiohead fut une sacrée difficulté : comment extraire de la discographie du groupe seulement cinq titres au beau milieu de cette avalanche de pépites depuis le premier album Pablo Honey en 1993 ? Trente ans que la bande de Thom Yorke nous accompagne, avec à ce jour une carrière parfaite. Pas un mauvais album, pas un titre à jeter. Après les plutôt rock Pablo Honey et The Bends (1995) que j’aime beaucoup, OK Computer (1997) fut la claque absolue dont je ne suis toujours pas remis. En 2000 et 2001, le diptyque Kid A / Amnesiac (aujourd’hui réuni dans le triple vinyle Kid A Mnesia sorti en 2021) fait entrer le groupe dans une nouvelle dimension artistique, en venant prolonger OK Computer tout en éclatant tous les repères.

Les quatre albums suivants, respectivement Hail to the thief (2003), In Rainbows (2007), The King of limbs (2011) et A Moon Shaped Pool (2016), installent définitivement Radiohead au panthéon du rock et de la musique des 20 et 21e siècles. Dès lors, comment ne retenir que cinq titres ? Tout simplement en les laissant venir, spontanément. Quels sont les morceaux qui me viennent et qui vibrent le plus en moi lorsqu’on me parle de Radiohead ? Réponse immédiatement, ici-bas, ici même.

  1. Paranoid Android (sur OK Computer) : titre rock, étiré, déconstruit, hors de toute norme single et radiophonique, Paranoid Android est un bijou de création qui alterne moments intimistes, dépressifs, planants, et explosions rock. Tout Radiohead est là, et si un jour il ne fallait en garder qu’un, le voilà.
  2. Like Spinning Plates (sur Amnesiac) : je peine à trouver les mots justes pour décrire l’effet que me fait cette chanson. Notamment dans sa version ‘Why us ?’, entendue sur le live I might be wrong en 2001, et disponible sur Kid A Mnesia. A écouter, tout simplement. Une des merveilles musicales de notre temps.
  3. Fake Plastic Trees (sur The Bends) : balade rock quasi acoustique qui empile les émotions comme les couches musicales, portée par la voix déchirée et déchirante de Thom Yorke. Là encore, une musicalité presque hors du temps.
  4. Motion Picture Soundtrack (sur Kid A) : quasi titre de clôture du chef-d’œuvre Kid A, un titre sans aucune guitare ni aucun attribut rock pour une mélodie aérienne qui monte très très haut à la faveur de chœurs quasi mystiques. En découvrant Kid A pour la première fois, et en le refermant avec ce morceau, des vagues d’émotions encore intactes aujourd’hui.
  5. Climbing up the walls (sur OK computer) : pour son travail sur le son, les dizaines d’artefacts et de glitches sonores (écoutez moi ça au casque je vous en prie), ce titre est une pépite d’écriture. Trois minutes contenues et posées en tension, pour finir sur un mur de guitares et de cordes déchirant, avant de s’échouer dans trente secondes de retombées. La transition avec No Surprises sur ce même OK Computer.

Vous aurez donc aujourd’hui non pas cinq minutes mais cinq titres de bon son fournis par une des plus grands groupes que la musique nous ait offert. On ne fait que relayer et vous partager ça, en attendant la review de fin de semaine qui concernera un autre grand musicien dont le dernier et bouleversant album est sorti vendredi dernier (spoiler/indice : on peut émouvoir avec des platines).

(Visuel by Stanley Donwood pour Radiohead)

Raf Against The Machine

Five reasons n°38 : A light for attracting attention (2022) de The Smile

THE-SMILE-a-light-fro-attracting-attentionLa chronique du jour pourrait bien vous apporter le sourire (voilà, elle est faite d’entrée de jeu avec gros sabots, on n’y reviendra pas) : avec son premier album intitulé A light for attracting attention, The Smile enchante nos oreilles et se place assez directement en bonne place pour figurer sur le podium 2022. Certes, nous ne sommes qu’en juin et il reste une moitié d’année à passer. Tout est donc encore possible et l’inattendu peut survenir à tout instant pour nous attraper. Telles des élections législatives qui ouvrent grand les portes à l’extrême brun, on n’est jamais au bout de nos surprises en ce bas monde. Mais je digresse, à défaut de dégraisser. Revenons à du bon son en nous rappelant que, quand plus rien ne va, il reste la musique. Et en égrenant cinq bonnes raisons de découvrir The Smile et sa galette.

1. Se plonger dans A light for attracting attention avec The Smile, c’est l’occasion de retrouver le travail de Thom Yorke. En effet, le trio musical est construit autour du chanteur de Radiohead et rassemble Jonny Greenwood (guitariste du même Radiohead) ainsi que Tom Skinner (batteur du groupe de jazz Sons of Kemet). Thom Yorke et sa créativité accompagnent nos années depuis près de 30 ans maintenant. Depuis qu’un beau jour de 1993 est tombé entre nos mains Pablo Honey, premier opus de Radiohead. On n’a jamais vraiment décroché de la proposition artistique du garçon et de ses différents projets, ni de sa voix hors normes avec laquelle il sait autant inquiéter que faire voyager.

2. The Smile, ce n’est évidemment pas du Radiohead, ni du Atoms for Peace, pas plus que du Thom Yorke solo. C’est néanmoins un peu de tout cela. A light for attracting attention rappelle parfois la période KID A/MNESIAC comme avec The same, mais sait aussi nous évoquer l’excellente BO de Suspiria composée par Thom Yorke, avec un titre cinématographique comme Pana-vision. Titre qui vient d’ailleurs quasiment clôturer la sixième et ultime saison de Peaky Blinders de sa mystérieuse et troublante élégance. Un peu plus loin, le titre Thin thing pourrait être une sorte de synthèse musicale de toutes ces étapes de carrière.

3. Comme dans tout bon groupe, chaque membre apporte sa pierre à l’édifice. Impossible de ne pas reconnaître le toucher de guitare de Jonny Greenwood dans des titres comme The opposite ou Skrting on the surface. La vraie touche de nouveauté, c’est l’introduction dans l’équipe de Tom Skinner, batteur de jazz. Tout en ne jouant pas spécifiquement jazz, il apporte un groove et une finesse de jeu spécifique à ce genre musical, ainsi que des rythmiques inhabituelles. Il en résulte un album étonnamment plus varié que ce à quoi je m’attendais. Initialement présenté comme un trio guitare/basse/batterie, avec comme fer de lance le single très punk-rock You will never work in television again, The Smile révèle une richesse créative que je n’espérais même pas. Le travail sur les ambiances sonores est assez exceptionnel, comme dans Speech bubbles (gros travail sur les cordes) ou Open the floodgates, un titre très aérien et planant.

4. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : The Smile sait aussi nous rappeler ses origines rock et Thom Yorke nous remémorer les années premières de Radiohead. Qu’il s’agisse de The opposite ou encore de We don’t know what tomorrow brings, le trio sait jouer sur la corde nostalgique, pour livrer des morceaux qui pourraient se trouver dans la faille temporelle entre The Bends (1995) et OK Computer (1997). Mention particulière aux lignes de basse qui ouvrent plusieurs titres et savent aussi se montrer diablement efficaces au creux des mélodies, toujours avec une âpreté rock du meilleur effet.

5. Il résulte de ce shaker musical un très grand album. Outre sa diversité et son inventivité, A light for attracting attention dévoile aussi une cohérence évidente à l’écoute, alors qu’un tel patchwork d’influences et de genres pourrait virer à la catastrophe. Cette nouvelle aventure discographique et scénique est menée de main de maîtres par le trio Yorke/Greenwood/Skinner. Dernière raison dans la raison : A light for attracting attention est disponible depuis le 17 juin dernier en vinyle. Un objet de toute beauté, et notamment sa pochette, avec des visuels de Thom Yorke et Stanley Donwood, fidèle compère et presque quatrième membre du groupe. Pour tout collectionneur ou amateur de belles pièces musicales, cet album de The Smile est aussi un indispensable.

A light for attracting attention est un disque phare dans cette année 2022 et en ces temps quelque peu troublés, voire troubles. C’est une disque qui fait du bien. Il encourage à l’unité et à la lumière, en dépit du bordel et de l’angoisse de notre époque. The Smile exprime tout cela en musiques, et le fait diablement bien. Après Call to Arms & Angels d’Archive sorti voici quelques semaines, A light for attracting attention est un autre album de notre temps, pour nous aider à le traverser et à survivre. C’est ambitieux, mais ça fonctionne et c’est déjà beaucoup.

Raf Against The Machine

Five reasons n°36 : Super8: A Call to Arms & Angels – Soundtrack (2022) de Archive

Capture d’écran 2022-05-19 à 17.42.56Chose promise… voici deux semaines, en toute fin de la review de Call to Arms & Angels, nouvel album d’Archive, nous évoquions une galette bonus : la soundtrack de Super8: A Call to Arms & Angels, le documentaire/making of qui accompagne la sortie de ce douzième opus studio. Evoquions seulement, car nous n’avions pas eu la possibilité de l’écouter pour en parler. Disponible uniquement dans les éditions Deluxe de Call to Arms & Angels* (soit en triple CD, soit en coffret  quadruple LP/ triple CD), cette BO est désormais arrivée à la maison. Dix titres supplémentaires pour enrichir l’album, ou le précéder. Peu importe le sens, cette dizaine de morceaux vient s’ajouter au déjà gargantuesque album de dix-sept compositions, pour former, plus que jamais, un disque majeur chez Archive tout autant que pour la musique en général. Pas convaincus ? Petit tout d’horizon en cinq bonnes raisons de replonger.

1. Super8: A Call to Arms & Angels est, selon vos goûts et votre humeur, la galette qui introduira ou complètera Call to Arms & Angels. Excellente introduction, car les dix titres nous plongent d’entrée de jeu dans l’ambiance que l’album développera plus tard. Ecrit, composé, enregistré sous ère Covid et début de sortie de Covid, Call to Arms & Angels dessine un monde déboussolé, destabilisé, mais en vie même s’il est à jamais modifié. La BO du documentaire installe déjà cette ambiance intrigante, voire inquiétante. Il suffit d’écouter Night People pour s’en convaincre, avec son intro à la Pink Floyd des périodes A saucerful of secrets et Ummagumma. Sans compter Throwing stars, titre de conclusion construit comme un patchwork de ce qui nous attend, en sautant d’un éclat de titre à un autre. Le teaser parfait en somme.

2. Super8: A Call to Arms & Angels pourra tout aussi bien compléter son album jumeau. Une fois Call to Arms & Angels parcouru, vous brûlerez d’envie de connaître l’arrière-cuisine de ce chef-d’œuvre, et de passer un moment avec Darius Keeler et ses compères. Pour comprendre leur travail. Pour comprendre les conditions de ce douzième opus. Pour cela, rien de mieux que le documentaire Super8: A Call to Arms & Angels. Malheureusement pas encore disponible en streaming ou à la vente (mais le groupe confie qu’ils y travaillent)**, nous sommes un certain nombre à l’avoir vu malgré tout. Par exemple, le 2 avril dernier en ligne, lors de la géniale soirée de lancement/présentation de l’album, ou encore le 11 mai dernier lors d’une projection/showcase organisée à Paris par le disquaire Ground Control. Le documentaire est passionnant, fortement soutenu par sa BO. Une BO dont on parle aujourd’hui et qui image on ne peut plus efficacement les deux années écoulées et matricielles de Call to Arms & Angels.

3. Super8 : A Call to Arms & Angels vaut aussi pour son parti pris exclusivement instrumental (ou quasi). A l’exception de quelques voix très ponctuelles dans Fall outside, Is this me ou encore Throwing stars, le groupe n’a bossé que sur des pistes instrumentales. Un choix qui permet de mesurer pleinement le potentiel d’Archive à composer des titres et sons complètement dingues. Créer de telles ambiances totalement saisissantes, enveloppantes, pénétrantes, uniquement sur la base d’instruments, n’est pas donné à tout le monde. Call to Arms & Angels fait la part belle au travail sur les voix comme aux compositions. Ici, tout repose sur les synthés, les rythmiques, les guitares. Comme pour nous rappeler aussi que, jadis, Archive composa une efficace BO : celle du film Michel Vaillant (2003). Si le long métrage est dispensable, voire oubliable, la BO de très haute volée envoie le bouzin (#commediraitSylphe). Archive, un vrai groupe complet de musiciens et de chanteurs/chanteuses qui sait tout faire.

4. Loin de moi l’idée de pousser à l’achat, mais Call to Arms & Angels sans ce disque supplémentaire Super8: A Call to Arms & Angels n’est pas vraiment complet. Les deux se répondent et sonnent en miroir. Me vient la même remarque que lors de la chronique de l’édition Deluxe de Est-ce que tu sais ?, dernier album de Gaëtan Roussel. Une fois l’album de base écouté, on se demande ce que l’on pourrait bien ajouter. Une fois la galette bonus dévorée, on se demande comment on a pu faire sans ces titres supplémentaires. Idem pour Radiohead et son KID A/MNESIA sorti l’an dernier. L’œuvre n’est complète que lorsqu’on peut l’apprécier dans son entièreté. Un ensemble qui, dans le cas de Call to Arms & Angels, pourrait bien se compléter d’un Rarities, qu’on rêve déjà de trouver en merchandising sur la tournée à l’automne : Darius Keeler a confié le 7 mai dernier sur Instagram, lors d’un jeu de questions réponses avec les fans, qu’existent encore dix à quinze titres composés mais non intégrés à l’album.

5. Une cinquième raison est-elle bien nécessaire (#astucedugarsquimanqued’idéepourfinir) ? Oui (#jenemanquepasd’idéefinalement) : soundtrack qui accompagne le documentaire éponyme, Super8: A Call to Arms & Angels se paie le luxe d’être écoutable en toute indépendance. Lecteurs habitués de Five-Minutes, vous connaissez ma position sur les BO : lorsque ces dernières existent à part entière, comme un album total et indépendant, c’est qu’on tient là de la pépite high level. Et c’est ici le cas. Procurez-vous d’urgence Call to Arms & Angels en Deluxe, et vous aurez sous la main à la fois un des plus grands albums de tous les temps, mais aussi une BO fascinante à écouter jusqu’à plus soif. Vous avez déjà acheté l’album en version simple ? Rachetez-le. Franchement, deux exemplaires d’un chef-d’œuvre, ça se défend. Et si vous arrivez à mettre la main sur le coffret Deluxe vinyle, vous y gagnerez en plus un objet de fort belle facture, limité à 1 100 exemplaires monde (du moins si j’en crois la numérotation du mien). Fan d’Archive, collectionneur de vinyles ou simple amateur de beaux objets musicaux, vous ne pouvez pas passer à côté.

Vous l’aurez compris : depuis que j’ai découvert la version Deluxe de Call to Arms & Angels, incluant la soundtrack du documentaire Super8: A Call to Arms & Angels, impossible de voir dans cette édition autre chose que la forme ultime et supérieure de ce qui trône déjà comme le disque de l’année 2022. Forme ultime certes, mais forme définitive ? Rien n’est moins sûr. Si un volume d’inédits pointe le bout de son nez, il y a fort à parier que le bon iencli que je suis se fera avoir. Mais, se faire avoir avec des sons pareils, c’est du plaisir quotidien ultra-jouissif.

*Edit du 27/05/2022 : Depuis aujourd’hui, Super8: A Call to Arms & Angels est également disponible en streaming à l’écoute sur toutes les bonnes plateformes. Soit à l’achat en Deluxe, soit à l’écoute en streaming, vous n’avez plus aucune excuse pour passer à côté 🙂

**Edit du 28/05/2022 : C’est au tour du film Super8: A Call to Arms & Angels d’être disponible ! Le documentaire est visible en streaming sur Youtube, et ça se passe en suivant ce lien https://youtu.be/XZ_2kQ8me9o

Raf Against The Machine

Review n° 100 : Call to Arms & Angels (2022) de Archive

call_to_arms_angelsDéjà une semaine qu’il est sorti, et huit journées d’écoutes en boucle : Call to Arms & Angels, douzième album studio canonique d’Archive, est enfin disponible après une longue année d’attente et de communication ultra maîtrisée. Album canonique, car depuis 2016 et The False Foundation, rien à se mettre sous la dent, malgré le coffret et la tournée 25, ou encore Rarities et Versions. Vous me direz que ça fait tout de même de quoi faire. Certes. Je vous rétorquerai qu’après le triple tir Axiom (2014), Restriction (2015) et donc The False Foundation, le collectif britannique Archive avait vogué vers son quart de siècle d’existence en alternant tournée anniversaire et revisites de leur répertoire. En somme, du toujours très qualitatif, mais rien de très innovant. Au cœur du printemps 2021, le groupe commence à teaser sur un nouvel album, nom de travail #archive12. Par une savante distillation d’indices, notamment sur internet et les réseaux sociaux, Archive a su faire monter l’attente comme jamais. Le résultat est-il à la hauteur ? Que vaut ce Call to Arms & Angels ? Parcourons ensemble les 17 titres de ce triple vinyle/double CD, pour comprendre en quoi on tient là, très possiblement, le disque de l’année 2022 et sans doute un des meilleurs opus du groupe, mais aussi un album majeur pour la musique.

Call to Arms & Angels est le fruit d’un long travail débuté fin 2019, juste après la conclusion de la tournée 25. Archive s’apprête alors à replonger en mode écriture/création. Sauf que, quelques semaines plus tard, une inattendue pandémie fait son apparition, et provoque confinement et isolement de chacun. Les membres du groupe n’y échappent pas. Suivent deux années pourries (disons les choses clairement) pendant lesquelles Darius Keeler et sa bande vont littéralement bouillonner d’idées et de créativité. Comme si le COVID, dans son empêchement à être ensemble, avait par ailleurs décuplé le potentiel de chacun. Call to Arms & Angels est un album sombre et profondément covidesque, à la fois dans ce qu’il raconte, mais aussi comme un témoignage de ce que furent nos vies et la créativité artistique pendant ces deux longues années.

L’album du retour et des retrouvailles

Comme un clin d’œil, les premières secondes de l’album laissent entendre une tonalité d’appel visio, qui perdurera en fond durant tout le premier titre. Ces fameux appels visios qui, pendant des mois, ont symbolisé à la fois notre isolement, et la possibilité de rester en contact. C’est à cela que nous invite Archive : se retrouver. Avec un premier titre, Surrounded by ghosts (Entouré de fantômes), qui permet de faire connaissance sans attendre avec Lisa Mottram, la nouvelle et renversante recrue voix du groupe. C’est bien ce qu’on a tous vécu : des semaines à être entourés de personnes fantomatiques qui nous ont manqué, mais aussi des journées et des journées à voir partir, par centaines, des êtres humains vers le monde des fantômes. Un titre faussement paisible, puisque si le son est aérien et posé, le propos est sec et violent. Peut-être est-ce pour ça que la transition vers Mr. Daisy se fait si naturellement. Voilà un deuxième morceau rock et tendu, guitares en avant pour porter la voix, toujours incroyable, de Pollard Berrier. Ce même Pollard qui enchaîne avec Fear there and everywhere, dont nous avions déjà parlé par ici lors de sa sortie en single. La plongée dans le mauvais rêve se poursuit, et ce n’est pas Numbers qui nous fera mentir. De deux titres très rock, on passe à un autre plus speed, bien plus électro aussi, dans la droite ligne de ce que l’on a pu trouver sur Restriction et The False Foundation. En seulement quatre morceaux, Archive a déjà balayé quatre styles et mis tout le monde d’accord. La puissance de ces premières minutes dévastatrices nous remémore le cauchemar covidesque dont on peine à sortir encore aujourd’hui.

C’est Holly Martin qui apporte le baume nécessaire avec Shouting within (précédemment chroniqué par ici), comme une première bulle respiratoire. Une simple illusion, pour un titre de nouveau faussement apaisé, qui relate en réalité les hurlements intérieurs d’un esprit troublé. Qui n’a pas ressenti ça un jour ? Qui n’a pas hurlé intérieurement d’ennui, de peur, de colère, pendant son confinement ? Shouting within raconte ces moments. Avant de passer la main à une première pièce maîtresse de l’album, Daytime coma. Premier extrait rendu public et déjà chroniqué ici également, il permet à Archive de renouer avec des morceaux longs, alambiqués et construits sur de multiples variations. Ce coma diurne a été inspiré à Dave Pen par ses sorties dans la ville déserte, les gens aux fenêtres, fantômes dans la cité éteinte. Un monde post-apocalyptique qui ne dit pas son nom, mais qui nourrit les quatre mouvements de ce quart d’heure torturé, éprouvant, mais hypnotique et magistral.

Vient ensuite Head heavy (Tête lourde), parfait prolongement de Daytime coma. Un titre très Pink Floyd qui rappellera par exemple un Shine on you crazy diamond, avec des nappes de synthés très travaillées et empilées soigneusement pour accueillir la voix de Maria Q. A ce stade de l’album, j’étais déjà conquis, mais c’était sans compter sur Enemy, autre pièce maîtresse du disque, et probablement son climax. Le titre est divisé en deux, pour une sorte de longue intro de quatre minutes où se superposent piano et violon mélancoliques, corne de brume en guise d’alerte, nappes de synthés aériennes, et la voix de Pollard qui inlassablement répète un « Come on enemy I see you / Come on enemy I feel you ». Et la menace, sournoise et omniprésente, qui monte. Pour se densifier et se violenter à mi-chemin, par une entrée de la section rythmique, amenée par des sons de plus en plus distordus, et des voix inquiétantes. La seconde partie est une folie absolue de tensions, faite d’innombrables superpositions sonores et d’un jeu vocal sur « Come on enemy / Come on into me ». A l’image de Bullets (sur Controlling crowds en 2009) où se mélangeaient « Personal responsability / insanity ». La bataille a eu lieu, on en sort épuisé et exsangue en y ayant laissé beaucoup d’énergie, mais aussi en transe de tant de créativité. Métaphore d’Archive traversant la pandémie.

Comme un nouveau répit, Every single day se pare d’arrangements pop-rock entre Lennon et Bowie, avant de replonger dans Freedom, un nouveau titre à l’improbable construction. D’abord un long couplet quasi hip-hop et scandé, qui nous rappelle que jadis Rosko John officia dans Archive. Avant un refrain qui rappelle le Free as a bird de Lennon, tout en se mélangeant avec des nappes de synthés et collages sonores en tout genre. Mais la vraie audace arrive au bout de quatre minutes, lorsque Archive colle une deuxième chanson dans la chanson, en mode piano-voix. Un mouvement musical d’une beauté transperçante, à peine ponctué de quelques notes de synthés complémentaires. Peut-être pour nous préparer à All that I have, un autre six minutes voix-piano-programmations d’un intimisme bouleversant, parfois aggravé de quelques sombres nappes. La palette de l’album s’élargit encore. Il pourrait presque s’arrêter là tant on est déjà comblés. Sauf que, chers Five-minuteurs, il reste six titres, et pas des moindres.

Un album profondément humain

Frying paint reprend la main de l’électro, avec là encore une construction audacieuse. Longue intro faite de collages sonores avant l’arrivée du chant de Pollard pour un titre bluesy dans ses couplets, et plus pop dans le refrain. Un titre furieusement groovy, avant de se laisser totalement hypnotiser par We are the same, dernier extrait publié voici quelques semaines. Qui sommes-nous après cette expérience de pandémie ? Qui avons-nous été pendant ? Sommes-nous si différents les uns des autres dans les temps sombres ? Magistrale chanson sur la différence et nos similitudes, sur ce qui fonde notre communauté humaine et nos aspirations, au-delà de nos peurs les plus viscérales. Et finalement, à la sortie de tout ce grand bazar, nous voilà vivants. Alive, comme un chœur de ressuscités ou jamais vraiment disparus. A moins que ce ne soit les Archive qui nous fassent entendre, voix unies, leur existence au-delà de tous les empêchements rencontrés. Oui, le groupe est bel et bien en vie, et Everything’s alright : encore un titre d’accalmie sonore autour de Pollard et de boucles vocales. On monte haut, très haut, on prend de la distance, là où, enfin, tout va bien. Disons mieux. Et, une fois encore, l’album pourrait s’arrêter là.

Pourtant, il lui reste deux temps majeurs à nous livrer. The Crown expose plus de huit minutes d’explorations électros et de samples. « Can you hear me now ? / Can you see me now ?”, comme si Archive avait besoin de nous crier que ce putain de bijou d’album est enfin sorti. Avant de nous laisser sur Gold, une dernière pépite (ok, elle était facile). De nouveau construit autour de collages, le morceau évolue lentement vers une sorte de Dark Side of The Moon, et surtout vers une émotion créative à fleur de peau, portée par les voix de Dave Pen et Maria Q. Une fois encore, près de huit minutes pour dérouler seconde après seconde, l’inattendu. Et pour quatre dernières minutes denses, aériennes, envoûtantes, construites sur une interminable boucle d’arpèges qui semblent ne jamais vouloir s’arrêter.

Et qui s’arrête pourtant en suspendant son vol, après une heure et quarante cinq minutes d’un voyage absolument incroyable. Call to Arms & Angels est un album majeur dans la discographie d’Archive, mais aussi pour la musique. Il ne cède jamais à la facilité et réussit la prouesse de nous surprendre en n’étant jamais là où on l’attend. Un son, un rythme qui change, un second titre dans le même titre : tout est fait pour nous surprendre à la première écoute, mais aussi après. L’album ne s’épuise jamais, malgré sa longueur et sa densité. Archive aligne les pépites comme autant de créations imparables, pour une ensemble d’une folle cohérence qui se découvre petit à petit, à chaque minute, mais aussi à chaque écoute. N’allez pas croire que vous ferez rapidement le tour de ce disque. J’en suis facilement à la vingtième écoute, et je continue à découvrir des sons, des variations, des émotions nichées là où elles ne se révèlent pas toutes en même temps.

Audace, créativité et document historique

Est-ce pour autant le meilleur Archive ? Depuis Controlling Crowds assurément. Treize années après ce double album puissant, cohérent et d’une rare intensité, le collectif frappe extrêmement fort. With us until you’re dead (2012) était brillant, mais n’était qu’une prolongation de Controlling Crowds. Axiom (2014) est un énorme album, mais restreint à une des branches musicales d’Archive. Enfin, Restriction et The False Foundation manquaient peut-être d’une pincée de cohérence et de variété. Et avant ? Avant, il y a Londinium (1996), album originel et hors-normes avec son univers trip-hop bristolien. Tellement hors-normes qu’il est pour moi à part dans la discographie d’Archive. Comparable à aucun autre, parce qu’ils basculeront dès Take My Head dans le rock électro/progressif. Les suivants sont de vraies claques à chaque fois et restent des disques fabuleux. Toute la discographie d’Archive est une référence absolue pour moi, mais Call to Arms & Angels surprend par son audace. Archive se permet un triple album avec dix-sept titres, dont plusieurs dépassent les huit minutes et sont construits hors de toute structure classique couplets/refrains. Archive ose expérimenter et nous embarquer dans une expérience sonore et sensitive, porté notamment par le travail du discret mais toujours efficace Danny Griffiths. A l’heure du formatage et des créations cloisonnées et sages, voilà qui fait un bien fou.

Call to Arms & Angels surprend aussi par la diversité de ses ambiances, d’un morceau à l’autre. Grâce à cette variété, chacun des titres de Call to Arms & Angels décrit musicalement une des facettes de cette trouble période pandémique. L’album alterne l’intimisme le plus strict, nous mettant face à nous-mêmes à espérer les autres, et des ambiances déchirées et violentées à en devenir complètement dingue. A l’écoute du disque surgissent des images mentales et sensorielles de ce que l’on a traversé, et de ce que l’on traverse encore. Call to Arms & Angels raconte deux années de ce siècle, aussi inattendues que bouleversantes, au sens où elles auront chamboulé nos vies comme jamais. L’enfermement, la solitude, l’isolement et l’exacerbation des travers de ce monde sont venus exploser tous nos repères. Archive raconte la vie sous pandémie. Ce que l’on croyait ne voir que dans les meilleurs récits de SF post-apocalyptique nous est finalement tombé dessus sous une forme que l’on ne soupçonnait pas. Combien d’entre nous sont restés des semaines, voire des mois, face à eux-mêmes, coupés de toute relation sociale ? Combien d’entre nous n’en sont jamais réellement sortis ? Combien d’entre nous y sont encore enfermés et n’ont toujours pas renoué avec une vie sociale du monde d’avant ? Combien d’entre nous n’ont pas encore retrouvé le frisson et la chaleur d’un contact corporel ?

Album après album, Archive raconte notre monde et archive ainsi une forme de mémoire de notre époque. Dans plusieurs siècles, lorsque nos descendants (pour peu qu’ils existent) voudront entendre des visions musicales du monde fin 90’s/début 21e siècle, ils pourront réécouter la discographie de ce groupe. Et lorsque les historiens seront en recherche d’objets historiques pour étudier les années pandémiques 2020-2022, ils auront avec Call to Arms & Angels une trace inattendue et inhabituelle mais ô combien cruciale de deux années qui ont changé le monde à jamais.

Un parfait chef-d’œuvre instantané

Cette année 2022 restera comme une année hors-normes, avec une guerre en Europe, un dérèglement climatique au bord du gouffre, ou encore une élection présidentielle à la fois tendue et usante. Hors-normes aussi, parce qu’on n’attendait pas non plus un Elden Ring aussi incroyable, un The Batman aussi puissant, un Horizon Forbidden West aussi dépaysant. Et un Archive aussi brillant. Malgré toute ma fanitude archivienne, je n’attendais pas le groupe à ce niveau. Call to Arms & Angels est un parfait et pur chef-d’œuvre par lequel Archive réussit à se réinventer et à offrir un album dense, intense, diversifié et mémorable. Les Beatles avaient leur White album, Radiohead leur OK Computer (oui, ils ont aussi leur KID AMNESIA), Pink Floyd leur Dark Side of the Moon. Archive a son Call to Arms & Angels. Même la durée est parfaite. Les 17 titres suffisent, en formant un ensemble complet, cohérent et achevé.

Un petit plus quand même ? Ça tombe bien, la Deluxe Edition est accompagnée d’une quatrième galette contenant le soundtrack du documentaire Super8 : A Call to Arms & Angels, qui retrace le parcours créatif du groupe. Un documentaire génial à voir absolument. Et dix titres instrumentaux supplémentaires pour prolonger le voyage. On en reparlera très vite, lorsque j’aurai reçu mon exemplaire et pu écouter cette quatrième partie. L’étape suivante, ce sera la déclinaison scénique de ce grand album, avec le Call to Arms & Angels Tour, qui passe nécessairement par chez vous : pas moins de quatorze dates françaises, et au moins autant en Europe (dont deux à Bruxelles). Inratable. Tout comme cet album incroyable et incontournable qui prend une option évidente pour (au minimum) le titre de disque de l’année 2022.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°104 : You will never work in television again (2021) de The Smile

On ne pouvait pas mieux entrer dans 2022. Alors que je zonais dans ma discothèque et sur internet ces dernières heures à la (re)découverte de sons, voilà que passe sous mes yeux un tweet de Thomas Méreur (oui, celui-là même à qui l’on doit The Dystopian Thing, mon album de l’année 2021 – chronique à relire par ici). Tweet-teaser qui a immédiatement attiré mon attention, et que je ne résiste pas à vous partager ci-dessous.

The Smile avait déjà attiré mon attention en mai 2021, à l’occasion du mythique festival Glastonbury. La formation avait alors fait ses débuts lors du livestream Live at Worthy Farm, avec une prestation haute en couleurs rock et fort efficace. Tout cela est peu étonnant, lorsqu’on regarde d’un peu plus près qui compose le groupe. On y retrouve Thom Yorke et Jonny Greenwood de Radiohead, associés à Tom Skinner, batteur issu du groupe de jazz Sons of Kemet. S’ajoute un quasi quatrième membre en la personne de Nigel Godrich, producteur historique de Radiohead. Pour résumer, The Smile est le nouveau projet spin off de Radiohead by Thom Yorke, aux côté de Atoms for Peace (déjà avec Nigel Godrich), mais aussi de ses albums solos.

Le résultat est très simple mais aussi extrêmement jouissif : du rock brut, direct, très guitareux et surplombé par la voix de Thom Yorke, et produit comme un vieux Radiohead des années 90. Avec une énergie intacte, et même assez surprenante. En témoigne ce single You will never work in television again, mis en ligne voici quelques heures. Le titre avait déjà été joué en mai dernier, mais était depuis indisponible à l’écoute. On peut maintenant profiter de ce morceau post-punk rock noise qui a le bon goût de lorgner sur le Velvet Underground (époque White Light/White Heat), mais aussi sur les Sex Pistols et les Stooges. Exactement l’énergie rock rageuse dont on a besoin pour traverser cette nouvelle période covidesque vraiment super chiante.

Bref : You will never work in television again de The Smile, c’est que du bon ! J’ai désormais très hâte de découvrir l’album, même si date et titre ne sont pas encore connus. En revanche, ce que l’on connaît, ce sont les dates de trois concerts londoniens que proposera The Smile. Les 29 et 30 janvier prochains, vous pourrez suivre un de ces lives en livestream. Les billets seront mis en vente demain vendredi 7 janvier sur le site officiel du groupe (https://www.thesmiletheband.com). Si 2022 propose d’avoir ce pêchon rock pendant 12 mois, à titre perso, je suis assez partant.

Raf Against The Machine

Top/Rétrospective de fin d’année 2021 par Raf Against The Machine

Visuel Top 2021Nous y voilà : à la porte de sortie de 2021, pour un passage en 2022. Avant de laisser derrière nous ces douze derniers mois, passons par le marronnier de chaque fin d’année, à savoir le bilan top/flop. Côté flop, je ne m’attarderai pas, puisque l’idée de Five-Minutes est de vous faire partager des coups de cœur, non de dégommer telle ou telle production. Je préfère me concentrer sur ce qui a étayé et marqué, en musique et parfois à la marge, mon année 2021. Sans plus attendre, balayons ensemble ces mois passés, et ce qu’il m’en reste musicalement à l’heure de la fermeture. Dix minutes de lecture, accompagnées d’une soixantaine de minutes d’écoute. D’un bloc ou en picorant, c’est à votre appréciation. Let’s go.

Il est de tradition de faire un top, un petit jeu auquel le copain Sylphe excelle. Il adore faire des classements, et vous en aurez la preuve cette année encore avec son top à lui. Pour ma part, je vous propose un podium albums qui a la particularité de compter quatre places. Selon la phrase convenue, la quatrième place est toujours la pire, la plus rageante, celle de la médaille en chocolat (cela dit de loin la meilleure des médailles). Voici donc, pour éviter cette maudite quatrième place, un podium avec une première place, assortie d’une marche intermédiaire pour une première place bis, puis de deux deuxièmes places. Un podium bien peu commun, dominé assez largement par Thomas Méreur avec The Dystopian Thing, son deuxième album, qui est clairement mon album de l’année 2021. Plein de finesse et de sensibilité, bouillonnant d’émotions et de lumière malgré les temps sombres qu’il décrit, voilà bien un disque que j’attendais et qui a dépassé mes attentes (chronique à relire ici), en clôturant 2021 de la plus belle des façons. Pas très loin derrière, et donc sur cette fameuse place numéro 1 et demi, Low skies de Nebno. Un album musicalement dans l’esprit de The Dystopian Thing : de l’ambient mâtiné d’une créativité sans nom, pour des ambiances toujours plus envoûtantes et un voyage dans des univers dont on ne ressort pas indemne, tout en affichant une unité artistique évidente (chronique à relire par là). Marvel cherche désespérément son multivers au cinéma. Dans le monde musical, Nebno propose un autre multivers qui, lui, fonctionne : il est dans Low skies.

A long way home de Thomas Méreur, sur The Dystopian Thing
Maze de Nebno, sur Low skies

Reste la double deuxième place du podium. Les lauréats ne surprendront aucun habitué de Five-Minutes. D’une part, The shadow of their suns. Le cinquième album studio de Wax Tailor (sixième si on compte By any remixes necessary, album de relectures de By any means necessary) a claqué très fort dès le moins de janvier, et à ouvert les hostilités en plaçant la barre très haut. Disque sombre mais optimiste (comme je l’écrivais dans un Five reasons à relire ici), aussi brillant qu’élégant et obsédant, The shadow of their suns n’a pas faibli en intensité, loin de là. Il reste un très grand album de Wax Tailor, et un gros pavé musical de 2021. D’autre part, et dans un tout autre genre, Est-ce que tu sais ? de Gaëtan Roussel. J’ai toujours été très client du garçon et de ses différents projets Louise Attaque, Tarmac, Lady Sir, et bien sûr ses albums solo. Toutefois, ce dernier opus en date occupe une place particulière pour moi. Il est arrivé à un moment où chaque titre m’a raconté un bout de moi, où chaque mélodie et chaque texte ont résonné d’une façon très personnelle. J’en avais déjà dit beaucoup de bien (à relire par ici), et je pourrais me répéter puissance dix. Album pop intimiste et poétique, chaque seconde qu’il égrène me ramène à toi. Inévitablement, inlassablement, et toujours avec la même force. Sache le, où que tu sois et si tu me lis.

The light de Wax Tailor, sur The shadow of their suns
Tout contre toi de Gaëtan Roussel, sur Est-ce que tu sais ?

Sorti de ce podium à quatre places, bien d’autres sons ont occupé mon année. Il faut pourtant faire un tri, faute de quoi je vous embarque pour plusieurs heures de lecture et d’écoute. Un tri facilité en retenant deux albums découverts en 2021, mais ne contenant pas du matériel de 2021. Subtil. The Rolling Thunder Revue de Bob Dylan est une belle découverte, appuyée par le visionnage du film éponyme de Martin Scorsese disponible sur Netflix. Ce dernier retrace le retour sur scène de Bob Dylan en 1975, après presque dix années d’absence live. Documentaire et album se complètent magnifiquement : l’émotion magnétique des images de Dylan et de sa troupe en tournée se retrouve dans les enregistrements, et réciproquement. Il en résulte un témoignage musical à la fois bouleversant et de haute qualité, dont j’avais déjà dit le plus grand bien voici quelques mois (à relire ici). Avec, au cœur de tout ça, une version habitée de The lonesome death of Hattie Carroll, mais aussi un échange puissant et humain (dans le documentaire) entre Bob Dylan et Joan Baez sur eux-mêmes et leur histoire commune. L’évidence mise à nu d’un lien profond, dans sa plus simple expression et son plus simple appareil. Je ne m’en suis toujours pas remis.

The lonesome death of Hattie Carroll de Bob Dylan, sur The Rolling Thunder Revue

Autre album de 2021 qui rassemble des sons du passé, At the BBC de Amy Winehouse (chronique à retrouver ici). Ou la sortie officielle, propre et parfaitement masterisée, d’enregistrements entre 2003 et 2009, soit la période la plus puissante d’Amy Winehouse. On y retrouve des versions live de titres connus, d’autres moins, et quelques reprises comme celle de I heard it through the grapevine avec Paul Weller. Si l’on connaissait déjà bon nombre de ces versions, l’album sorti cette année est l’occasion de tout rassembler en un seul endroit, et de se faire une plongée dans les traces des meilleures prestations scéniques d’une immense artiste partie bien trop tôt.

I heard it through the grapevine par Amy Winehouse feat. Paul Weller sur At the BBC

Autres temps, autres lieux : 2021 a aussi été l’année du retour annoncé d’Archive pour l’année prochaine. Là encore, aucune surprise pour les lecteurs assidus du blog, tant ce groupe est pour moi une référence absolue et indéboulonnable. Si le douzième album studio Call to Arms & Angels ne sortira qu’en avril 2022, il a été précédé par deux singles d’une rare efficacité. Daytime coma est une plongée de plus de dix minutes dans l’état d’esprit et les déchirements sociétaux covidesques (pépite à relire par ici), tandis que Shouting within est un modèle de rage et de colère intérieures, sous couvert d’intimisme (pépite à relire par là). Ajoutons à cela Super 8, premier extrait de la BO qui accompagne le documentaire en lien avec ce nouvel album, et la hype est absolument totale. Je trépigne chaque jour de hâte d’être au 8 avril 2022, et donc je me gave d’Archive pour patienter (qui a dit « comme d’habitude » ? J’ai entendu, ne vous cachez pas 😉 ).

Super 8 de Archive

Gaming, cinéma et au-delà

Au-delà des albums, il s’est aussi passé bien des choses en 2021. Dans le domaine numérique/vidéoludique, je retiendrai trois moments très marquants. Tout d’abord, l’expo virtuelle/en ligne proposée par Radiohead, à l’occasion des vingt ans du dyptique Kid A/Mnesiac, devenue KID A MNESIA (chronique disponible ici). Elle se visite comme un jeu vidéo en vue à la première personne. La plongée visuelle, sonore et musicale dans cette KID A MNESIA EXHIBITION (disponible gratuitement rappelons-le) est une vraie expérience de folie pour tout fan du groupe, mais aussi pour tout amateur de musique et de création multimédia. A voir absolument, tout comme il est indispensable de réécouter KID A MNESIA pour mesurer le potentiel créatif de Thom Yorke et de ses compères.

Trailer de la KID A MNESIA EXHIBITION de Radiohead

Ensuite, du côté jeux vidéo, comment ne pas parler de Death Stranding et de sa double BO à couper le souffle ? Oui, j’ai enfin pris le temps de faire et de terminer le dernier jeu d’Hideo Kojima, à la faveur de la Director’s cut sortie à l’automne 2021. Quelle claque côté jeu ! Une aventure qui ne serait pas ce qu’elle est sans le score original de Ludvig Forssell, ni sans les chansons de Low Roar, Silent Poets ou encore Woodkid. L’ambiance est prenante et totalement envoûtante. Cette double BO y joue un rôle majeur et peut s’écouter indépendamment. La marque des grandes. Enfin, autre BO de jeu vidéo, celle de NieR Replicant, dont le remake est sorti en 2021, pour un jeu initialement paru en 2010 : l’occasion de réenregistrer et de redécouvrir de magnifiques compositions. NieR: Automata avait déjà frappé très très fort en 2017, tant sur le plan du jeu en lui-même que de la BO. NieR Replicant (qui est sorti et se passe chronologiquement avant Automata) confirme que la franchise NieR est, à mes yeux et mes oreilles, au-dessus de tout ce qui se fait en matière de jeux vidéo et d’OST, et de très loin. Par le maître Keiichi Okabe.

Once there was an explosion de Ludvig Forssell, sur l’OST de Death Stranding
I’ll keep coming de Low Roar, tiré de l’OST de Death Stranding
Snow in summer, tiré de l’OST de NieR Replicant

Petite cerise vidéoludique musicale (oui, ça fait finalement quatre moments marquants et non plus trois, ne boudons pas notre plaisir) : la BO de Deathloop, dont on a parlé pas plus tard que la semaine dernière. Si le titre Déjà vu par Sencit feat. Fjøra est un petit plaisir assez jouissif, le jeu en lui-même et le reste de l’OST le sont tout autant. On reparle sans doute en 2022 de cette BO rock/jazz 60’s/70’s. En termes de cohérence jeu/musique, ça se pose là bien comme il faut. A l’image de Space Invader de Tom Salta, une composition qui n’a rien à envier à Lalo Schifrin.

Déjà Vu de Sencit feat. Fjøra, tiré de l’OST de Deathloop
Space Invader de Tom Salta, tiré de l’OST de Deathloop

Enfin, je ne peux pas terminer cette subjective et non exhaustive rétrospective 2021 sans faire un crochet par le monde du cinéma. Si ce dernier a payé cher (comme bien d’autres secteurs) le prix d’une épidémie qui n’en finit plus, je retiens tout de même deux moments qui m’ont marqué. D’un côté, le retour de l’univers Matrix avec Matrix Resurrections, qui est le quatrième volet de la saga sans l’être vraiment. Aucun spoil à craindre ici. Je ne dévoilerai rien de ce film que j’ai beaucoup aimé, mais qui risque d’en dérouter plus d’un. Si j’en parle, c’est pour son générique de fin qui reprend habilement le Wake up de Rage Against The Machine (entendu à la fin du premier Matrix), mais dans une version revue par Brass Against et Sophia Urista. Oui, Sophia Urista, celle-là même qui a défrayé la chronique voici quelques semaines, après avoir uriné sur un fan lors d’un concert. Toujours est-il que, la chanteuse s’étant platement excusée depuis, pendant que le fan en question se disait sur les réseaux sociaux ravi de l’expérience, on se concentrera sur le titre musical, à la fois reprise fidèle et référence tout en n’étant pas vraiment le titre de base. Comme un clin d’œil méta à ce qu’est possiblement le film. Mais toujours une putain de boule d’énergie. Rage Against The Machine forever, Brass Against & Sophia Urista enfoncent le clou avec brio et un flow qui n’a pas à rougir de la comparaison avec celui de Zach de la Rocha.

Wake up de Rage Against The Machine par Brass Against feat. Sophia Urista

De l’autre, c’est avec une grande tristesse que j’ai appris voici quelques jours la disparition du réalisateur canadien/québécois Jean-Marc Vallée. Si ce nom ne vous dit rien, sachez que c’est l’homme derrière C.R.A.Z.Y. (2005), Dallas Buyers Club (2013), Wild (2014), ou encore les séries Big Little Lies (2017) et Sharp Objects (2018). Autant de réalisations brillantes et touchantes, toujours assorties d’une bande son incroyable. Jean-Marc Vallée était un cinéaste féru de musiques, qui se définissait ainsi : « Je crois que je suis un DJ frustré qui fait des films ». Cette frustration a eu du bon, et nous a permis de vivre des films et séries toutes plus humaines et touchantes les unes que les autres, grâce à un sens pointu des images soutenu par une pertinence musicale toujours impressionnante. En témoigne Demolition (2015), son dernier long métrage en date, avant qu’il ne se tourne vers les séries TV. A mes yeux son film le plus bouleversant, tant dans ce qu’il raconte que dans la façon de le dire, de le mettre en images et en musiques. Sans doute parce que, comme plus récemment l’album de Gaëtan Roussel, Demolition est arrivé à un moment clé de ma vie où il a résonné puissamment. Au point d’être un film majeur à mes yeux, pour m’avoir fait prendre conscience de multiples choses, et très possiblement pour m’avoir sauvé la vie. Tout simplement. La chialade et la lumière en même temps. Merci infiniment pour tout ça, et si vous n’avez jamais vu/écouté Demolition, foncez (comme sur toute l’œuvre de Jean-Marc Vallée).

Bruises de Dusted, tiré de la BO de Demolition

Impossible de conclure sans un mot sur le blog lui-même. L’année 2021 a été pour Five-Minutes l’année de tous les chiffres. Nous avons multiplié par trois depuis l’an dernier le nombre de vues mais aussi le nombre de visiteurs sur le blog. Avec le copain Sylphe, on ne court pas après les chiffres et les statistiques. Chaque semaine, on écrit avant tout pour mettre en avant et partager un son qui nous plaît, nous touche. Ne nous mentons pas, on écrit aussi pour être lus. Alors, découvrir en cette fin d’année que la fréquentation de notre modeste et humble Five-Minutes a triplé, c’est une sacrée récompense et sans doute la meilleure motivation pour continuer cette chouette aventure. Merci à toi mon ami Sylphe. Merci infiniment à vous toutes et tous, de passage ou lectrices et lecteurs plus réguliers. Merci de venir partager quelques minutes de bon son de temps en temps avec nous. Likez, commentez, et n’hésitez pas à nous faire connaître autour de vous. Rendez-vous en 2022 pour bien d’autres sons. Ce sera avec un immense plaisir. Merci à vous, du fond du cœur.

Raf Against The Machine

Review n°90 : The Dystopian Thing (2021) de Thomas Méreur

a4171817291_10Presque tout pile deux années après Dyrhólaey, sorti en octobre 2019, Thomas Méreur est de retour avec son deuxième album The Dystopian Thing. Pour tout lecteur régulier de Five-Minutes, aucune surprise si je dis que c’est un des albums que j’attendais le plus cette année. Disons même que c’est l’album que j’attendais le plus. Dyrhólaey m’avait envoûté et embarqué par sa somme d’émotions et son intimisme (pour les retardataires, la review est toujours dispo par ici), au point de se hisser quasi instantanément et durablement à la place n°1 de mon année musicale 2019. Comme si cela ne suffisait pas, c’est un disque qui s’est bonifié avec le temps et qui m’accompagne depuis. Au point d’avoir joué un rôle majeur dans la survie de mon moral pendant le printemps et l’été 2020, au cours de longs mois de confinement forcé. Au-delà de ces circonstances particulières, j’ai tissé des liens et un rapport très particuliers à la musique de Thomas Méreur. The Dystopian Thing sort aujourd’hui 10 décembre. L’heure est venue de savoir si le garçon évite le piège du deuxième album, et si sa musique reste sur le haut du panier. Interrogation réthorique : harder, better, faster, stronger, The Dystopian Thing est une pure merveille qui prolonge et confirme le talent aussi insolent qu’incontournable de son auteur. Balade au cœur de l’album, éclairée par Thomas Méreur himself.

Par son titre, Dyrhólaey nous embarquait au bout des terres islandaises, sur une petite péninsule qui porte ce nom. The Dystopian Thing (littéralement « Le truc dystopique ») propose un autre type de voyage qui pourrait séduire les fans de science-fiction (dont je fais partie), mais l’explication est plus terre à terre, tout en recélant une référence qu’on valide sans réserve : « En fait, nous explique Thomas, c’est un vilain clin d’œil à Thom Yorke qui est, évidemment, ma référence absolue. Quelques mois avant la sortie de son album solo Anima, il y a eu quelques articles dans la presse anglaise où son disque, alors annoncé mais mystérieux, était appelé “the dystopian thing” ainsi qu’il avait sans doute dû y faire référence quand on l’interrogeait dessus. J’ai adoré ce working title et, en clin d’œil/blague, c’est comme ça que j’ai appelé le répertoire où je sauvegardais mes chansons sur mon iMac. Et c’est resté collé à l’album car je trouvais que ça décrivait très bien l’ambiance et l’esprit des paroles, notamment. J’étais très heureux quand j’ai découvert que l’album de Thom Yorke s’appelait Anima au final ! » Et l’on va vite s’apercevoir que la qualité de The Dystopian Thing n’a pas à rougir de ce clin d’œil appuyé à Thom Yorke/Radiohead.

The Dystopian Thing est une digne suite de Dyrhólaey. Ni meilleur, ni plus audacieux, ni plus ambitieux. Il est juste un logique prolongement, autant que l’enrichissement de compositions déjà existantes : « Dyrhólaey avait pris forme très vite au printemps 2018, en deux ou trois mois. Il s’est ensuite écoulé pas mal de temps avant sa sortie officielle. Du coup, j’ai commencé à composer d’autres chansons alors même que le premier disque n’était pas sorti. La plupart des chansons existaient même plus ou moins dès fin 2019. En revanche, contrairement au premier album, j’ai donc un peu plus pris le temps de réfléchir aux morceaux, de les retravailler, d’imaginer de nouvelles choses, d’ajouter des arrangements différents ; de les enrichir, en somme. C’était une approche assez différente de Dyrhólaey que je voulais vraiment brut et épuré. The Dystopian Thing s’est aussi étoffé de différentes expérimentations que j’ai pu mener avec des projets que je mène à côté. » Voilà pourquoi on retrouve dans ce nouvel album un titre d’ouverture tel que By the sea, dont la coloration musicale le rapproche d’un Apex sur Dyrhólaey. Mêmes frissons et mêmes promesses intenses dès les premières notes. En revanche, d’autres morceaux comme Jericho ou Lost in time proposent une exploration musicale nouvelle, avec la présence délicate de synthés qui décuplent la puissance mélodique de l’ensemble. Ce qui frappe dans The Dystopian Thing, c’est l’évidente parenté avec le premier opus, teintée de nouveauté. Autrement dit, Thomas Méreur réalise le tour de magie de nous emmener en terrain connu, tout en proposant de nouveaux paysages sonores. Mais je tourne en rond, et c’est bien lui qui parle le mieux de ce processus créatif : « Dyrhólaey est né d’une petite crise créative où je m’étais englué. J’avais alors besoin et envie de composer avec le strict minimum pour ne pas me perdre dans les méandres des arrangements. Avec cette base musicale forte et bien établie – un piano et des voix -, j’ai pu m’autoriser à ouvrir un peu les possibilités de ce point de vue. Mais je me suis quand même mis des limites : guitare, basse, nappes de violons et piano, pas plus. Du coup, ça m’a permis d’enrichir le son tout en restant dans la lignée du premier album sans m’éparpiller et risquer de me perdre. J’avais notamment très envie d’y mettre de la guitare car c’est mon premier instrument de cœur, avec lequel j’ai appris à composer. »

De nouvelles ambiances sonores

Cet enrichissement des compositions et des arrangements se retrouve par exemple dans Out of the dirt. Le titre apporte une dose de mystère à la limite de l’inquiétant que l’on ne connaissait pas avant, soutenue par des murmures qui s’infiltrent un peu partout. On y retrouve une grosse influence Erik Satie au travers de boucles de piano, mais aussi celle de la bande de Thom Yorke : « Avec Out of the dirt, j’avais envie de “salir” un peu ma musique avec un côté mystérieux, limite oppressant, comme dans Climbing up the wall de Radiohead notamment. Je voulais un peu bousculer ce côté paisible et planant pour provoquer quelque chose de différent. » Out of the dirt est totalement captivant. Voilà un titre qui, dès la première écoute, m’a collé à la cervelle et ne m’a pas lâché depuis. Un peu comme un son qui poisse mais qui envoûte. Une sorte de nouvelle d’Edgar Poe ou de Lovecraft en version sonore, qui perturbe autant qu’elle fascine.

Un peu plus loin, A long way home surprend aussi, mais cette fois par sa lumière éclatante. Le morceau joue énormément sur la répétitivité de courtes boucles électros, sur lesquelles arrive vers 1’20 la voix de Thomas Méreur, pour faire éclater de frissons tout l’ensemble. « A long way home est venu d’une petite expérimentation avec mon piano glissé dans une sorte de loop que j’ai un peu triturée. Ça donne un arpège assez rapide, entêtant et aléatoire que je ne maîtrisais pas vraiment. J’ai trouvé ça vraiment intéressant comme travail même si l’enregistrement des voix n’a pas été simple ! » A long way home a instantanément sonné dans mes oreilles comme une sorte d’Archive dans ce qu’il aurait de plus lumineux et aérien. Une référence que notre artiste du jour ne rejette pas, bien au contraire : « Archive, bien sûr que ça me convient ! Je suis très fan de ce groupe, notamment depuis l’album You all look the same to me. » Et comme par chez nous on est ultra fans de cette galette d’Archive (oui, des suivantes aussi, j’avoue), voilà qui nous parle droit au cœur. Cela dit, d’autres influences avouées sont tout aussi séduisantes : « J’ai effectivement été pas mal inspiré par l’artiste suisse Nebno dont les deux albums sont vraiment incroyables et qui réalise un merveilleux travail sur les atmosphères sonores qui entourent les morceaux. J’avais aussi un peu en tête Mélanie de Biasio et ses ambiances jazzy douces et envoûtantes. »

La chose la plus frappante dans The Dystopian Thing, c’est de ressentir la créativité à la fois spontanée et libre mais hyper chiadée qui s’en dégage. Comme c’était déjà le cas sur Dyrhólaey, une écoute distraite du disque laisserait penser à des compositions faciles et sans efforts. Il n’en est rien, puisque le processus créatif de Thomas Méreur débute sur de la libre recherche, avant de basculer sur un travail d’orfèvre, une sorte de dentelle musicale de tous les instants : « Pour le processus d’écriture en lui-même, j’avoue que je ne sais pas trop ce qui se passe ! Je me mets derrière mon piano et puis je laisse mes doigts jouer dessus simplement, tester des accords. Parfois c’est un petit arpège, parfois juste un accord unique et je travaille autour pour construire quelque chose. C’est une recherche, mais j’ai l’impression qu’elle mène à extirper des sons et des mélodies qui sont déjà là, quelque part dans ma tête… Ensuite, la voix vient vraiment au feeling. Les harmonies et les arrangements arrivent après : au fil des écoutes, j’ai parfois l’impression d’entendre au loin ce qu’il faudra ajouter au morceau et j’essaie alors de retranscrire ces sensations qui me viennent. » Il suffit d’écouter Human, Unsaid ou encore Devious time pour illustrer ces propos. Chaque note, chaque petit artefact sonore, chaque arrangement tombe pile au bon moment, dans une finesse absolue.

La voix au cœur des compositions

En réalité, au cœur de ce processus créatif, se trouve un élément fondamental qui lie les 11 titres de l’album : la voix de Thomas Méreur. Sur Dyrhólaey, certains morceaux étaient instrumentaux. Point de ça pour le deuxième opus, sur lequel les voix sont omniprésentes. Oui, j’ai bien écrit les voix : même si ne résonne que celle de Thomas Méreur, le travail de polyphonies et d’équilibrage est poussé au maximum. Résultat, cette voix sortie de nulle part qui sait nous emmener à peu près partout nous transperce de beauté durant les 45 minutes que dure The Dystopian Thing. « Je crois que j’assume de plus en plus ma voix et mon penchant pour les polyphonies, explique Thomas. C’est vraiment quelque chose qui me fait vibrer. Même quand j’écoute de la musique, j’ai souvent tendance à vouloir placer des secondes voix dessus, à ajouter une mélodie en parallèle qui viendra enrichir la première. Je trouve que ça donne beaucoup de relief à une chanson ». Voilà l’idée : donner du relief à des compositions qui n’en manquent déjà pas, en superposant des mélodies vocales. Un titre comme This far gagne alors une épaisseur musicale et émotionnelle incroyable.

Et côté émotions, Thomas Méreur sait y faire. Si son premier album m’avait bouleversé, The Dystopian Thing enfonce le clou. On y retrouve cette capacité à nous emmener très loin, tout en se retrouvant avec soi-même dans une bulle intime et introspective. Durant les 45 minutes de l’album, j’ai souri, j’ai frissonné, j’ai pleuré. Des images et des souvenirs me sont venus, convoqués par les différents titres. Des moments de vie, des moments à vivre. Passés, présents et à venir. Des retrouvailles imaginaires avec des fantômes du passé que je n’ai jamais oubliés, ou jamais vraiment laissés partir. Des envies d’autres fantômes pas encore rencontrés, d’esprits lumineux, humains, naturels et enveloppants. Je suis parti très loin avec The Dystopian Thing, avant parfois d’être rattrapé par moi-même et de me réfugier au plus profond de moi. Ces musiques m’apportent aussi un regard sur le monde et sur la vie. Elles me donnent de l’apaisement, de l’espoir, de l’énergie, et rendent mes journées plus supportables et mes nuits moins insomniaques. Un paquet d’émotions à fleur de peau, une sensibilité exacerbée, affichées par Thomas Méreur lui-même : « Je suis quelqu’un d’assez sensible, mais qui ne le montre pas du tout aux autres – dans mon quotidien, je veux dire. J’ai toujours beaucoup de retenue et une pudeur presque maladive. J’imagine que la musique est une manière pour moi d’évacuer et faire ressortir les émotions que je cache habituellement ou même dont je ne suis pas toujours très conscient. » On retrouve aussi, tout au long de l’album, un rapport essentiel à la nature, incarné notamment par Human. « Je suis extrêmement sensible à l’écologie et au changement climatique, précise Thomas. J’avais vraiment envie d’aborder ces thèmes et c’est le fil rouge de tout l’album, à travers mon regard assez pessimiste d’ailleurs… Quasiment toutes les chansons abordent plus ou moins ces sujets, de différentes manières. » Ecouter Human, et par extension The Dystopian Thing, c’est aussi regarder la Terre depuis le ciel en observant ce que l’Homme, qui peut être le plus grand des génies comme le pire des salopards, est capable de faire de son bien le plus précieux. Touchant et bouleversant album. Une claque émotionnelle totale.

Le Méreur reste à venir

The Dystopian Thing est disponible à l’écoute dès ce 10 décembre sur toutes les bonnes plateformes de streaming, mais aussi et surtout à l’achat sur le Bandcamp du label Shimmering Moods Records, « un label néerlandais qui existe depuis pas mal d’années et qui est plutôt spécialisé dans l’ambient tirant parfois vers l’expérimental. Le catalogue est vraiment très riche et varié et j’ai vraiment beaucoup de chance d’avoir pu sortir mon album chez eux. » L’album est en vente en version numérique mais aussi en CD, avec en plus un visuel de pochette de toute beauté. Pour la version physique, ne trainez pas : tous les exemplaires proposés en précommande à compter du 3 décembre s’étant envolés en quelques heures, le label en represse quelques exemplaires qui devraient eux aussi partir très vite. Alors, heureux Thomas Méreur ? « Plus qu’heureux, oui !! Et franchement surpris ! C’est vraiment incroyable. Depuis deux ans, j’ai toujours du mal à réaliser ce qui se passe. Avec Dyrhólaey, j’ai déjà eu des retours fantastiques et l’album a beaucoup voyagé. Il s’est passé plein de choses suite à ça, mais je ne réalise toujours pas vraiment, je crois. » Et pourtant, la réalité est bel et bien là. Tous les voyants sont au vert, avec des compositions incroyables qui me fascinent au plus haut point, un deuxième album sold out avant même d’être sorti, et des projets en quantité pour poursuivre cette belle aventure.

Pas de perspective de scène à l’heure actuelle, à la fois en raison de cette fucking épidémie, mais aussi parce que cela nécessiterait d’« être 2 ou 3 sur scène pour retranscrire les morceaux tel qu’il faudrait. » En revanche, plusieurs pistes fort alléchantes qui n’étonnent pas vraiment. Puisque The Dystopian Thing ouvre des portes en enrichissant l’univers musical de Thomas Méreur, ce dernier prévoit d’enrichir ses compositions en ouvrant, précisément, d’autres portes : « J’ai un album 100% piano qui est prêt et que j’aimerais sortir l’année prochaine. J’ai aussi quelque chose de beaucoup plus ambient/drone qui pourrait venir, et puis une collaboration avec Caminauta, une merveilleuse musicienne d’Uruguay, avec qui on travaille tout doucement sur un projet d’album. » Enfin, rappelons que Thomas Méreur est aussi Amaebi, grand fan de jeux vidéo et journaliste chez Gamekult.com (#lesitederéférence) pour des tests et une chronique Juste un doigt (sur le jeu mobile) que je ne saurais que trop vous conseiller. Crossover évident, la musique/les BO de jeux vidéo. « C’est effectivement un grand rêve pour moi de réussir à mêler mes deux passions. Je travaille en ce moment sur la BO de Facettes et c’est vraiment hyper inspirant de composer à partir d’un vrai support, d’habiller des images et d’imaginer ce qu’elles peuvent dégager musicalement. Et si tout va bien, j’aurais dans quelques mois une autre très très belle surprise à dévoiler de ce côté ».

En résumé, « j’ai pas mal de projets en cours. Limite un peu trop ! Il faut que j’essaie de me recentrer un peu, mais c’est tellement enthousiasmant tout ça. Bref, j’ai de quoi faire ! » Et tant mieux pour ce garçon aussi talentueux que chaleureux. D’ici là, nous aussi avons de quoi faire, avec ce The Dystopian Thing : un album à vous procurer de toute urgence et à écouter en boucle tellement il fait du bien au corps, à l’esprit, à la vie. Il est arrivé juste à temps pour concourir à mon podium 2021, et autant lever le suspense tout de suite : il est dessus, et sur la première marche. Le top de fin d’année sera l’occasion d’y revenir. 2021 avait très bien commencé avec The shadow of their suns de Wax Tailor, un autre grand disque. Elle se termine de la plus belle des manières, avec un album indispensable, magnifiquement écrit, réalisé et interprété. Si vous ne devez en acheter qu’un seul cette année, le voilà. Dans ce monde qui respire bien trop souvent la crasse, la connerie humaine, l’intolérance, le gâchis et les idées nauséabondes, il existe ce magnifique The Dystopian Thing. Ce serait totalement incompréhensible de ne pas s’y plonger.

Un immense merci à Thomas Méreur pour sa disponibilité lors de nos échanges, et pour m’avoir permis de découvrir en avant-première The Dystopian Thing, afin de préparer cette chronique. Merci à toi.

Raf Against The Machine

Five reasons n°33 : KID A MNESIA (2000/2001-2021) de Radiohead

KID_A_MNESIA_CompilationA l’occasion des vingt ans du diptyque Kid A (2000) et Amnesiac (2001) que l’on appellera Kid A/mnesiac pour la suite, le groupe de rock britannique Radiohead fait les choses en grand. En 2017, nous avions déjà eu droit à la réédition augmentée de OK Computer (1997), sous le titre OK Computer OKNOTOK, qui offrait alors du matériel inédit dans un fort bel objet, triple vinyle notamment. Pour commémorer la claque Kid A/mnesiac, la bande de Thom Yorke propose, de nouveau, une réédition augmentée de ces deux opus (sortie le 5 novembre dernier), accompagnée d’une exposition visuelle et sonore disponible en ligne depuis quelques jours. Vous voyez venir les interrogations ? Faut-il tomber dans le panneau et replonger, voire racheter, cette édition ? Kid A/mnesiac, ça a vieilli comment ? On regarde ça en cinq raisons chrono mais, si cette sortie fait l’objet d’une chronique ici, vous vous doutez déjà que ça vaut (un minimum) la peine.

1. Il faut tout d’abord se rappeler de l’arrivée de Kid A, puis de son petit frère Amnesiac au tournant des 20e/21e siècles. Le paysage musical rock n’est alors déjà pas dépourvu de bons sons, et notamment pas du côté de Radiohead. En 2000, on surfe encore sur le terrible et positif choc que fut OK Computer trois années plus tôt. C’est l’album où Radiohead se révèle totalement, après les deux opus assez rock classique à guitares qu’ont été Pablo Honey (1993) et The bends (1995). Avec OK Computer, le groupe commence à intégrer de l’électro dans ses morceaux, mais surtout à déconstruire le schéma habituel couplet-refrain standardisé. Avec des titres explosifs comme Paranoid Android ou Karma Police, Radiohead met une très grosse baffe. En 2000, la joue est encore rouge et personne ne se doute de ce qui arrive. Kid A explose définitivement les repères musicaux rock et du groupe. Très peu de guitares, la part belle à l’électro et aux boucles, et une audace créative sans nom. Le free jazz de The National Anthem ou la berceuse burtonienne Motion Picture Soundtrack sont autant de preuves que Radiohead a décidé de marquer son époque, et l’histoire de la musique en général. La surprise ne s’arrêtera pas là, puisque quelques mois plus tard sort Amnesiac, constitué de morceaux enregistrés à la même époque que Kid A. Un diptyque historique inoubliable.

The National Anthem sur Kid A (2000)

2. Puisque c’est inoubliable, pourquoi donc en faire une réédition anniversaire, alors que tout le monde a déjà ses exemplaires de Kid A/mnesiac ? Excellente question, à laquelle je répondrai par une autre : se pose-t-on la question face à des rééditions de Sur la route de Jack Kérouac, ou de 1984 de George Orwell ? Face à la énième sortie d’un 2001: L’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, ou du Matrix des Wachowski ? Se demande-t-on s’il est pertinent et nécessaire de relire Albert Camus, Voltaire, Edgar Poe ou Virginie Despentes ? Non. Tous ces grands noms sont déjà entrés dans l’Histoire culturelle et artistique. Il en est de même pour Radiohead et son Kid A/mnesiac. Avec ce double album, le groupe arrête de faire de la musique rock, pour basculer dans la musique totale. Il prend définitivement une autre dimension, qu’aucun album suivant ne dépassera, même si toutes les galettes suivantes sont, elles aussi, exceptionnelles. Kid A/mnesiac pour Radiohead, c’est un peu le triptyque Atom heart mother/Meddle/Dark side of the Moon de Pink Floyd, ou le Controlling Crowds d’Archive. La charnière où un groupe atteint un climax artistique et assoit définitivement son nom. Rien de perturbant, donc, à ce que Kid A/mnesiac revienne vingt ans plus tard.

3. Le diptyque revient, mais pas sous sa forme originelle, simplement estampillée d’une jolie étiquette commerciale du genre « Remastered from the analogic original tapes ». En 2021, Kid A/mnesiac devient KID A MNESIA et propose, outre Kid A et Amnesiac dans une seule pochette, un troisième disque Kid Amnesiae rempli de matériel inédit provenant des sessions studios de l’époque. Voilà donc l’occasion, en un seul objet, de retrouver un diptyque majeur de l’histoire de la musique. Il n’y a rien à jeter du début à la fin de Kid A : des toutes premières notes de Everything in its right place aux derniers souffles de Motion Picture Soundtrack (d’ailleurs conclu par un Untitled), le voyage est époustouflant. L’ambiance est tout à tour androïdesque (Kid A), planante (How to disappear completely ou Treefingers), tendue et nerveuse (Optimistic ou Idioteque). Même combat dans Amnesiac, qui enchaine les morceaux de bravoure musicale : l’envoûtant Pyramid song, le mystérieux Pulk / Pull Revolving Doors, le vénère I might be wrong, le désespéré et bouleversant Like spinning plates, avant de fermer sur le jazzy underground berlinois Life in a glasshouse (qui, précisément, rappelle le Berlin de Lou Reed). D’un bout à l’autre de ces deux disques, le voyage est fascinant, émotionnellement puissant. Dire que c’est pur plaisir de replonger là-dedans est un doux euphémisme.

Pyramid Song sur Amnesiac (2001)

4. La cerise ? Kid Amnesiae, cette troisième galette qui recèle de la pépite à n’en plus finir. On pensait avoir parcouru tout le potentiel de cette œuvre majeure qu’est Kid A/mnesiac, et voilà que Radiohead nous balance onze titres tous plus captivants les uns que les autres. A commencer par la version piano-voix-scratches de Like spinning plates, qui ouvre le bal. On connaissait déjà cette relecture, présente sur l’album live I might be wrong (2001), mais la retrouver là en enregistrement studio nous raconte que le titre a été envisagé sous cet arrangement dès l’album, et pas seulement pour les concerts. Plusieurs Untitled et des versions alternatives de titres déjà connus parsèment la galette, et accompagnent If you say the word, un inédit total planant et onirique. D’aucuns diront que ce troisième disque est dispensable, ou à réserver aux fans hardcore de Radiohead. C’est sans doute vrai, mais pour qui s’intéresse un minimum au groupe, ou à la création musicale en général, ces onze pépites complètent parfaitement ce que l’on connaissait déjà de Kid A et Amnesiac, tout en révélant, si besoin en était, la bouillonnante créativité de Thom Yorke et de ses petits copains de jeu.

Like Spinning Plates (‘Why us ?’ Version) sur KID A MNESIA (2021)

5. La double cerise ? L’exposition virtuelle proposée par le groupe, en accompagnement de KID A MNESIA, sobrement intitulée KID A MNESIA EXHIBITION. Initialement, le groupe pensait à une exposition physique (en présentiel comme on dit désormais) qui aurait voyagé dans le monde. L’épidémie de Covid-19 en a décidé autrement, et les artistes se sont rabattus sur l’idée d’une exposition virtuelle. Cette dernière mélange la musique de Radiohead et les créations visuelles et graphiques de Stanley Donwood datant de l’époque Kid A/mnesia. Disponible gratuitement au téléchargement sur PC, Mac et PS5, l’exposition est à récupérer via ce lien https://kida-mnesia.com pour ensuite se balader librement dans un vrai objet artistique aussi déroutant qu’envoûtant. Une expérience visuelle, sonore et sensorielle qu’il est difficile de décrire, mais que je vous conseille absolument sans réserves. A vivre de préférence sur un écran de bonne taille, et surtout casque vissé sur les oreilles. On se balade en vue à la première personne dans un dédale de salles et d’espaces où l’on est littéralement au cœur des sons de Radiohead, tout autant que l’on est happés par des dizaines de visuels et d’animations. Une plongée hallucinée, mystérieuse, intrigante et jouissive dans un format créatif qui, finalement, est peut-être le plus adapté.

Trailer officiel de la KID A MNESIA EXHIBITION (2021)

Retour à la réalité et aux interrogations de départ : faut-il se réjouir de KID A MNESIA, et y plonger ? Evidemment oui. Je n’aurais pas été aussi bavard si le jeu n’en valait pas la chandelle. Et encore, les mots me manquent pour dire tout l’enthousiasme et le plaisir sans bornes que j’ai à retrouver cet univers qui ne m’avait pourtant jamais vraiment quitté depuis vingt ans. Sorti sous de multiples formats et dans différentes éditions, KID A MNESIA place définitivement Radiohead et le diptyque originel Kid A/mnesia au panthéon artistique. Voilà sans aucun doute un chef d’œuvre total et absolu, offert au monde par des artistes en constante évolution, sans aucune barrière créative et ayant une fois pour toute fait voler en éclat tous les cloisonnements pour s’imposer comme de l’Art. Tout simplement.

If you say the word sur KID A MNESIA (2021)

Raf Against The Machine

Review n°67: Better Way de Casper Clausen (2021)

Cette première chronique d’un album de 2021 nous emmènera a travers les contrées nordiques duCasper Clausen Danemark, la météo actuelle nous aidant assez aisément à partir vers ces bandes de terre balayées par un air glacial. Musicalement le Danemark m’évoque des artistes aux univers sombres et esthétiques comme Agnes Obel, le rock de The Raveonettes, l’électro cinétique de Trentemøller ou encore l’électro aérienne d’ Efterklang. Autant dire que ces représentants donnent un bien bel avant-goût de la musique au Danemark… L’album du jour a un lien évident avec Efterklang (« souvenir » en danois) car Casper Clausen en est le chanteur et ce Better Way est le premier album de sa carrière solo. Si vous ne connaissez pas Efterklang, je vous invite fortement à aller écouter un album qui m’avait beaucoup marqué à l’époque et qui a particulièrement bien subi la patine du temps, à savoir Magic Chairs (2010). Cet opus -le troisième de leur discographie – était leur premier sur le label 4AD et s’avérait véritablement magnifié par la production de Gareth Jones (producteur célèbre pour Erasure et Depeche Mode entre autres). Si vous voulez percevoir toute la richesse électronique des Danois, vous pouvez foncer sur ce bijou ou vous contentez d’écouter le dernier album Altid Sammen (2019) qui reste très consistant. Profitant de son cadre de vie idyllique au Portugal, Casper Clausen avait déjà sorti un album concept en 2016 avec Gaspar Claus mais je dois reconnaître que le son très âpre m’avait assez peu séduit… Pour en revenir à ce Better Way, je pars avec des a priori forcément très positifs, d’autant plus que c’est Peter Kember alias Sonic Boom du groupe Spacemen 3 qui est à la production. Quand on sait que ce dernier a oeuvré pour Panda Bear ou MGMT, on se retrouve dans une véritable zone de confort.

La vaste odyssée électronique du début, Used to Think et ses plus de 8 minutes, va d’emblée poser les bases du son de l’album. Les synthés sont au centre, agrémentés peu à peu de sons plus bucoliques donnant une inattendue saveur pop tant l’introduction se veut plus conceptuelle. Après 3 minutes 30 la voix très claire de Casper Clausen – qui par certains accents n’est pas sans rappeler le timbre de Bono – apporte toute sa fraicheur. Les boucles de paroles donnent un aspect quasi incantatoire à ce titre qui prend rendez-vous en ce 17 janvier avec le top titres 2021… Le traitement de la voix dans Feel It Coming est ensuite très différent avec la volonté à travers la réverb de la rendre quasi fantomatique. A travers des distorsions sonores oppressantes, une batterie finale intéressante et cette voix qui peine à prendre forme, c’est tout le travail sur la voix de Radiohead qui est ici véritablement mis à l’honneur, pour notre plus grand bonheur. Dark Heart et son titre prémonitoire ralentit alors le rythme cardiaque avec des sonorités dubstep, le rythme devient lancinant et la voix saturée au vocoder continue l’exploration du traitement de la voix. Le titre donne l’impression de stagner avec douceur dans les eaux profondes régulièrement explorées par James Blake.

Snow White et son électro tout en boucles se veut ensuite plus conceptuelle et presque décharnée, comme si l’on croisait le génie d’un Radiohead avec le psychédélisme électronique d’un Animal Collective. Je retrouve cette impression de  me trouver sur un fil, tiraillé entre angoisse latente et profonde humanité, et cette dichotomie est centrale dans l’album. Falling Apart Like You continue l’exploration avec une folk atmosphérique portée par une guitare surprenante, la voix est d’une limpidité évidente et rappelle l’univers chaleureux des trop rares Grizzly Bear. Après ce qui ressemblerait presque à une incartade folk, Little Words prolonge le plaisir dans une atmosphère plus éthérée avec cette voix à la grâce fragile. L’album se clot sur deux titres pleins de caractère: d’un côté la rythmique aux confins du rock de 8 Bit Human croisée avec une expérimentation électronique prédominante et de l’autre le tableau sombre d’Ocean Wave qui révèle les pouvoirs illimités de la musique électronique dans sa capacité à dépeindre des tableaux sonores d’un esthétisme désarmant. Il y a incontestablement une meilleure façon d’aborder le monde qui nous entoure et Casper Clausen nous le démontre avec grâce et fragilité. Si l’année musicale 2021 est à l’image de ce Better Way, nous sommes parés pour faire face à tout le reste….Enjoy!

 

Sylphe