Ciné-Musique n°19 : Let it be (1970/2024) de Michael Lindsay-Hogg/The Beatles

661fcbff18b03d5eeb0245a2Si vous êtes en manque d’occupation en ce week-end prolongé, ou si vous cherchez tout simplement à passer un bon moment, on ne saurait que trop vous conseiller de visionner Let it be de Michael Lindsay-Hogg. En 1h20, ce passionnant documentaire donne un aperçu assez saisissant et hypnotique de ce que furent les derniers temps des Beatles, en pleine préparation de leurs deux derniers albums Abbey Road (1969) et Let it be (1970). Le film, sorti en mai 1970 quelques jours après l’album Let it be, est de nouveau disponible sur Disney+ en version restaurée et remixée par Peter Jackson. Le Peter Jackson du Seigneur des Anneaux, mais également le Peter Jackson de The Beatles: Get Back, autre documentaire autour des Beatles sorti en 2021. Deux documentaires qui se complètent et se répondent. Peter Jackson avait puisé dans les dizaines d’heures de rushes vidéos et sonores de Let it be, pour accoucher d’un film fleuve de près de 8 heures en trois parties. Là où Get Back donne à voir un journal quotidien des sessions qui se sont tenues entre le 2 et le 31 janvier 1969, Let it be opte pour un aperçu synthétique et condensé de cette même période.

Que voit-on dans Let it be ? Quatre garçons toujours dans le vent, au sommet de leur créativité. Lorsqu’ils entrent en studio en janvier 1969, nous sommes quelques mois à peine après la sortie de l’Album blanc (1968). Le quatuor vient alors de livrer un chef-d’œuvre, qui réussit à englober de multiples genres et ambiances. Chacun des quatre Beatles prend sa part et occupe sa place sur ce double album incontournable. Sur cette lancée, John Lennon, Paul McCartney, Ringo Starr et George Harrison mettent en chantier de nouveaux titres, avec pour objectif la sortie d’un nouvel opus, mais aussi un retour sur scène après trois années sans concert. Let it be donne à voir ces moments, au travers de trois temps, mais avec une ligne directrice : la musique, rien que la musique. Ce qui frappe dans ce documentaire brut, c’est l’absolue place laissée aux compositions et explorations musicales des Beatles. Aucun commentaire, aucune scène ne vient nous écarter du son du groupe. Tout au plus peut-on relever quelques séquences de discussions. Comme celle un tantinet tendue entre Paul et George (qui quittera d’ailleurs le groupe quelques jours durant ce mois de janvier 1969), ou une autre entre Paul et John qui envisagent le tournage en cours, les concerts, une hypothétique suite.

Tout le reste du documentaire fait la part belle aux quatre musiciens qui construisent les futurs titres de Let it be et d’Abbey Road, tout en s’accordant des moments plus détendus. On entend par exemple naître Don’t let me down, One after 909, Octopus’s garden ou encore Dig a pony. Il est assez fascinant d’entendre naître ces morceaux que l’on adore et qui font aujourd’hui partie de nous. On assiste aussi dans Let it be à des moments de reprises de classiques du rock’n’roll, et à une interprétation débridée et enjouée de Besame mucho. Cette première quasi heure de film laisse voir un groupe certes habité par des tensions, mais qui ne s’empêche jamais de créer. Paul apparaît comme le patron, embarquant ses trois compères dans la création des titres à venir. Un rôle de chef naturel pour McCartney, qui sera d’ailleurs au centre des images de la charnière du documentaire : l’interprétation formelle et intégralement filmée de Let it be et The long and winding road. Deux titres magnifiques, deux pépites absolues. Oui, on enfonce des portes ouvertes, mais Let it be est certainement à classer dans un top 10 des tops 10. C’est magnifique, c’est émouvant, c’est intimiste et embrassant à la fois.

La dernière partie de Let it be est consacrée au concert sur le toit. Cette fameuse dernière prestation publique donnée par les Beatles le 30 janvier 1969 sur le toit du 3 Savile Row, siège des studios Apple Corps du groupe. Le moment est historique et captivant. Entre la prestation musicale, la complicité et le plaisir des Beatles à jouer, et toutes les scènes où l’on voit les passants profiter de ce moment, rien ne manque. Pas même ce monsieur flegmatique au look très anglais, qui monte sur un toit voisin chapeau sur la tête et pipe à la bouche, pour assister à l’évènement. Pas même les policiers qui cherchent à interrompre le spectacle et à faire couper le son. Pas même la quasi totalité des personnes présentes qui se régalent de retrouver le groupe. Comme une preuve que les quatre garçons dans le vent n’ont rien perdu de leur popularité au crépuscule des années 1960.

Sous la caméra de Michael Lindsay-Hogg, Let it be raconte une page de l’histoire de la musique, en donnant précisément toute la place à cette dernière. On est submergé par l’avalanche créative et le génie des Beatles, dans un documentaire qui ne laisse aucun répit au plaisir et à l’émotion. Quand s’ajoutent quelques pas de valse entre John et Yoko Ono, un moment de complicité entre George et Ringo, ou encore le charisme d’un Paul abordant la trentaine, le film touche au sublime. En effet, Let it be raconte aussi la fin de la vingtaine et de ses moments d’insouciance, et une forme de maturité apportée par la trentaine que les quatre musiciens abordent. C’est toute la magie de Let it be : se dire que l’on a sous les yeux un groupe de légende qui a bouleversé la décennie écoulée, qui s’apprête à accoucher de deux albums pépites absolues, avant de se séparer pour continuer individuellement à offrir à nos oreilles des années de musiques elles aussi inoubliables.

Si vous aimez la musique, si vous aimez l’histoire de la musique, si vous aimez le cinéma qui raconte la musique, si vous aimez les Beatles, il est impossible de passer à côté de cette pépite qu’est Let it be. Vous êtes encore là ? Foncez visionner ce magnifique film. Ensuite, comme moi, vous réécouterez sans doute Abbey Road et Let it be pour ce qu’ils sont : deux albums intemporels, éternels, chargés d’émotions et de souvenirs. Des morceaux d’histoire et de l’histoire de nos vies.

Raf Against The Machine