Pépite intemporelle n°110 : The Letter (1970) par Joe Cocker

76255507Nous nous faisons un peu rares ces derniers jours sur Five-Minutes. Rien à lire et/ou écouter depuis la chouette review du dernier Phoenix publiée voici dix jours par le copain Sylphe. La faute à des journées sans fin, donc sans commencement, sans fond. Une sorte de tunnel de boulot et de préoccupations qui restreint le temps disponible pour se plonger pleinement dans du bon son avec l’objectif de vous le partager et de vous en dire sérieusement quelques mots. Ici, on s’est toujours donné pour objectif avec mon ami Sylphe de faire les choses bien, ou de ne pas les faire. Cela explique parfois de petites périodes de silence. Toutefois, silence ne veut pas dire qu’on ne met rien dans nos oreilles. L’un comme l’autre, on est musico-dépendants. Il pourrait bien ne plus rien rester en ce monde qu’on aurait encore toutes les minutes cinq minutes de bon son  en tête. Tout ça pour vous dire qu’on est toujours là, toujours vivants, toujours debouts. Et qu’on le sera encore en 2023.

En attendant les traditionnels tops de fin d’année, et le passage à 2023 qu’on espère moins craignos que 2022 (rappelez-vous, ça fait quelques années qu’on dit ça ^^), un son sorti tout droit de la toute fin des années 1960. The Letter est initialement un titre du groupe The Box Tops sorti en août 1967. Tout le monde connaît cette petite merveille pop, mais tout le monde connaît aussi la relecture qu’en fera Joe Cocker quelques années plus tard. En 1970, le bouillonnant chanteur sort en single une reprise blues/soul qui déchire le bouzin (#commediraitSylphe), mais on lui préfèrera encore la version live disponible sur Mad Dogs & Englishmen. Cet enregistrement live capté les 27 et 28 mars 1970 au Fillmore East de New York constitue un témoignage majeur de l’énergie et de la folie scéniques de Joe Cocker. On trouve aussi sur cette galette d’anthologie des versions dingues de Honky Tonk Women et Cry me a river, tout en passant d’une merveille à l’autre.

Ce triple LP live reste fascinant plus de 50 ans après sa parution. Puissance live et émotions intactes, en voici un aperçu avec The Letter par Joe Cocker. Version après laquelle vous trouverez l’originale, histoire de comparer. Si toutefois l’original soutient la comparaison avec la reprise. Phrase rhétorique : vous avez déjà compris le verdict.

Raf Against The Machine

Son estival du jour n°68: DLZ de TV on the Radio (2008)

Aujourd’hui, je vous propose de découvrir ou réécouter un de mes albums rock préférés de tous lesTV on the Radio Dear Science temps, Dear Science de TV on the Radio. Après trois albums pleins de belles promesses – OK Calculator en 2002, Desperate Youth, Blood Thirsty Babes en 2004 et Return to Cookie Mountain en 2006 – les Américains de TV on the Radio (nom de groupe en référence à l’animateur de radio britannique Tommy Vance, qui se présentait sur les ondes par la formule suivante : « This is T.V. on the radio » ) frappent fort avec leur Dear Science qui est un alliage subtil d’influences rock, soul et trip-hop. Album d’une homogénéité folle, porté par des titres puissants comme Stork & Owl, Family Tree ou Love Dog, il est un écrin de choix pour la pépite du jour, DLZ. Basse addictive, ambiance brumeuse et sombre sublimée par la voix de Tunde Adebimpe (dont le flow rappelle un certain Kele Okereke), tension palpable et montée irrépressible qui arrive à exploser en possédant une retenue assez paradoxale, le morceau est un bijou de rage introvertie qui me file des frissons à chaque écoute. Un grand titre qui a croisé une grandissime série Breaking Bad, comme si l’alignement des planètes était parfait… Morceau final dans l’épisode 10 de la saison 2, il souligne la volonté de Walter White et Jesse Pinkman d’étendre leur réseau de distribution, porté par les seules paroles de Walter « Stay out of my territory ». DLZ pour dawn of a loser semble un titre écrit pour Walter White…. Si après cela, vous n’avez pas envie d’écouter Dear Science, je ne peux plus rien pour vous, enjoy !

 

Sylphe

Review n°98: If Words Were Flowers de Curtis Harding (2021)

Au lendemain d’une soirée électorale quelque peu difficile qui confirme l’inéluctable montée enCurtis Harding If Words Were Flowers puissance des extrêmes et de ce spectre de la peur qui alimente le racisme, le besoin de la musique-refuge se fait profondément ressentir… Cela fait plusieurs mois que je suis obsédé par un titre rencontré au gré du hasard des playlists, Can’t Hide It pour ne pas le citer, single de power-pop imparable mâtinée de soul qui me file une sacrée patate digne de l’explosion positive qui m’anime à écouter un Crazy de Gnarls Barkley. Je ne connais pas du tout son interprète originaire d’Atlanta, Curtis Harding, un ancien choriste de CeeLo Green, qui a déjà sorti deux albums, Soul Power en 2014 et Face Your Fear en 2017. La soul n’est pas mon domaine d’écoute et encore moins d’écriture (si tant est que je possèderai vraiment un domaine d’écriture) mais je ne peux pas laisser passer ce troisième opus sorti en novembre dernier If Words Were Flowers tant il me fait chaud au coeur, et la chaleur humaine fait clairement défaut quand on voit les résultats de l’extrême-droite… Oublions cette politique pour le moins nauséabonde et saisissons la main tendue pleine d’espoir de Curtis Harding qui continue à donner toutes ses lettres de noblesses à la soul-music en 2022.

Le morceau d’ouverture If Words Were Flowers met d’emblée en avant les cuivres qui se verront utilisés toujours à juste titre dans l’album. La mélodie de la trompette, la rythmique soul et les choeurs dignes d’Harlem nous offrent un premier instant de poésie apaisée, pour le seul morceau de l’opus où Curtis Harding ne chante pas. Hopeful nous ramène alors davantage sur les traces de la Motown avec son chant engagé à la Curtis Mayfield, les choeurs ne cessant de nous inviter à l’optimisme et les cordes qui viennent s’inviter avec justesse avant la guitare électrique finale. Ce morceau réussit le tour de passe-passe de reprendre les codes de la soul-music des années 60/70 tout en restant résolument moderne. Passée l’incandescente déclaration d’amour Can’t Hide It qui mérite de trôner dans toutes les meilleures playlists, With You nous ramène vers la douceur downtempo avec une véritable ode à la sensualité sublimée par la voix de Sasami Ashworth.

Explore démontre l’amplitude vocale hallucinante de Curtis Harding et lance une deuxième partie d’album très puissante. Entre le phrasé plus hip-hop de Where’s The Love qui contraste à merveille avec le refrain cuivré, la sensualité soul de The One qui semble ressusciter le Curtis qu’on ne présente plus et le bijou So low qui sublime le topos du chagrin d’amour en se permettant d’utiliser avec brio l’auto-tune, je ne sais plus à quel saint me vouer et j’ai envie de me réécouter en boucle la BO de Shaft et d’enfiler un cuir de justicier. La soul mid-tempo de Forever More qui montre la facilité de Curtis Harding à tutoyer les sommets vocaux et l’intemporel  It’s A Wonder qui donne l’impression que Balthazar a momentanément déposé les guitares électriques nous amènent vers le brillant morceau final I Won’t Let You Down, ode célèbrant la puissance de l’amour tout en dessinant les contours de la soul du XXIème siècle. Curtis Harding vient de faire une entrée tonitruante dans mon ADN musical avec ce sublime If Words Were Flowers, j’aurais bien été égoïste de garder cela pour moi, enjoy !

 

Morceaux préférés (pour les plus pressés): 3. Can’t Hide It – 8. So Low – 11. I Won’t Let You Down – 4. With You

 

Sylphe

Pépite du moment n°112 : May the funk be with you (2022) de Ezra Collective

artworks-utmkk3aTViij-0-t500x500Internet, les réseaux sociaux et Twitter peuvent être le déversoir d’une immonde bêtise et de moult stupidités. Néanmoins, si l’on prend le temps de trier et de bien chercher, c’est aussi l’endroit où l’on peut croiser des gens très bien, des personnes normalement constituées qui proposent des contenus au minimum intéressants, quand ils ne sont pas passionnants. Des lectures, des films, des jeux, ou encore des sons, dont celui d’aujourd’hui découvert au détour d’une passionnante discussion virtuelle. May the funk be with you est le dernier titre en date de Ezra Collective. Ce quintet londonien officie depuis maintenant quelques années dans le domaine du jazz, et se donne régulièrement en live (ils seront d’ailleurs au Hasard Ludique à Paris demain 25 mars, mais ne cherchez pas de place, c’est complet). Constitué autour de Femi Koleoso à la batterie, il regroupe TJ Koleoso à la basse, Joe Armon-Jones aux claviers, Ife Ogunjobi à la trompette et James Mollison au sax ténor. Un quintet tout ce qu’il y a de plus classique dans sa composition, mais qui a le bon goût de mélanger allègrement les genres. Loin de se cantonner à un jazz standard, Ezra Collective envoie une dose d’afro-beat, une louche de hip-hop, une pincée de soul et de musique latines et une cuillerée de funk pour des sons qui groovent et balancent bien comme il faut.

Ezra Collective brille ainsi sur ce que l’on appelle la nouvelle scène jazz britannique, mais il ne s’agit là que de mots et de tiroirs pour tenter de ranger et de classer les choses. Or, la musique n’est jamais plus belle que lorsqu’elle s’affranchit des catégories, dépasse les styles pour mieux les mixer et se réinventer, à l’instar de ce que peut proposer A State of Mind, formation très efficace dont on pourrait parler des heures. Le groupe de Femi Koleoso n’invente rien en soi, mais les ingrédients et influences sont subtilement dosés pour obtenir une musique qui fonctionne. En fin de compte, est-ce du jazz, du funk, de la soul ? J’avoue que je n’en ai vraiment rien à faire. Toute cela n’a aucune espèce d’importance, tant que j’ai dans les oreilles de la musique qui me fait de l’effet. Et ce May the funk be with you joue parfaitement son rôle sur moi. Doté d’un titre dont la référence StarWarsienne ne peut pas m’échapper, ce son fonctionne dès les premières secondes. Que le groupe soit bâti autour de sa section rythmique ne fait aucun doute, tant le groove est présent d’entrée de jeu, confirmé par l’arrivée trompette/sax à la 20e seconde. Exposition du thème, avant de passer au chorus de trompette, pour retomber sur le thème principal. Structure jazz pur jus, mais interprétation sincère et chaleureuse qui fonctionne toujours.

May the funk be with you est un savoureux bonbon jazzy qui se déguste sans réserve, et qui est une chouette porte d’entrée aux deux albums d’Ezra Collective Juan Pablo: The Philosopher (2017) et You can’t steal my joy (2019), que je découvre à peine mais que je vous conseille déjà fortement. May the funk be with you est le son smooth et sucré dont on a besoin par ces temps troubles et incertains. Entre un conflit mondial larvé, une planète au bord de l’asphyxie, et quelques autres joyeusetés sinistres, on peut se laisser complètement submerger et sombrer. On peut aussi chercher de la lumière, de l’énergie, du cœur, de l’apaisement et de la vie qui palpite. Suis-je en train de finir l’écriture de cette chronique au soleil en terrasse, avec un grand café fumant et une poignée de M&M’s ? Vous n’avez aucune preuve.

Rendons à César… Evidemment, un grand merci à toi avec qui j’ai discuté musique autour notamment d’Archive, Pink Floyd ou encore John Coltrane (trio de maîtres), et qui m’a fait découvrir Ezra Collective et quelques autres chouettes sons. Tu te reconnaitras aisément. Cette chronique est, de fait, un peu la tienne.

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°9 : Who did that to you ? (2012) de John Legend

Django_Unchained_Bande_OriginaleSi la pépite intemporelle du jour vous dit quelque chose, c’est très possiblement pour l’avoir entendue en accompagnement musical d’un des plus grands films de ces dernières années. Nous y reviendrons très vite. Who did that to you ? a été composée précisément pour ce film, par un John Legend totalement inspiré. Musicien en activité depuis plus de vingt ans, il s’illustre dans les registres mêlés de la soul et du R’n’B, ce qui a donné lieu à des collaborations avec des Lauryn Hill, Jay-Z, ou encore Alicia Keys, excusez du peu. Le garçon est également à la tête d’une flopée de singles et d’albums sous son propre nom. Multi-récompensé notamment aux Grammy Awards, Golden Globes et Oscar, on tient là un artiste productif et qui ne manque pas de prestance.

En témoigne la pépite du jour. Who did that to you ? est un savant mélange de soul et de blues, teinté de gospel. Rien d’étonnant à cela, vu que John Legend a été plongé dès son plus jeune âge dans la musique par ses parents, chrétiens pratiquants. Ses premiers contacts musicaux ont été les chansons chrétiennes et le gospel. Who did that to you ? respire ces influences, tant dans la composition que le texte. Côté partition, ça groove et c’est mené comme les meilleurs morceaux soul de l’histoire, avec un vrai frisson. L’utilisation en intro d’un sample du viscéral et vénéneux The right to love you (1966) du groupe soul/funk The Mighty Hannibal ne fait que renforcer la puissance musicale du titre de John Legend.

Une force et une rage contenue à fleur de peau qui se décline aussi dans les paroles de Who did that to you ? Il est ici question de colère, de Dieu, et de la promesse d’une vengeance à la hauteur du mal fait à l’aimée. Composée spécialement pour Django Unchained (2012), septième film de Quentin Tarantino, cette chanson est sans doute un des morceaux qui colle le plus au propos film. Comme toujours chez Tarantino, il est question de revanche, et même ici de revanche multiple : racisme, esclavagisme, discrimination sociale, sexisme. Et la recherche de la liberté absolue, tant pour ses personnages que pour son propre cinéma. Tarantino développe tout ça avec brio dans l’univers du western, pour un résultat marquant et, sans doute, un de ses meilleurs films. Intéressant par ailleurs de voir que Django Unchained s’inspire et fait référence à Django (1966) de Sergio Corbucci, et qu’un des titres les plus efficaces de sa BO sample et s’inspire d’un autre titre, lui aussi de 1966.

Il ne reste plus qu’à (re)voir Django Unchained pour (re)visionner la scène qu’accompagne notre pépite musicale, et notamment le regard en gros plan qui dit tout à 2h31 pile. La boucle est bouclée. Et jamais n’aura été aussi présente l’idée que Tarantino fait coïncider images et musiques percutantes. Du grand son, du grand ciné : Who did that to you ? au cœur de Django Unchained, pour un moment d’anthologie, et l’introduction des parfaites quinze dernières minutes d’un film parfait. Intense et jouissif.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°86 : Leave the door open (2021) de Silk Sonic aka Bruno Mars & Anderson .Paak

1200x1200bf-60Après Bob Dylan la semaine dernière et la toujours excellente Julia Stone par mon ami Sylphe, changement total de décor. Trois salles, trois ambiances serait-on tenté d’écrire. Et quelle ambiance avec la pépite du moment que nous allons écouter ensemble. Leave the door open fait partie de ces titres qui font du nouveau avec de l’ancien, de ces morceaux que l’on pense avoir déjà entendu des dizaines de fois mais qui brillent d’un je-ne-sais-quoi de suffisamment nouveau pour nous embarquer et fonctionner comme si on découvrait le bon son pour la première fois. Côté découverte, je n’ai d’ailleurs aucun mérite à présenter cette chanson. Je n’ai pas passé des heures les pieds dans l’eau, agenouillé dans la rivière et tamis en mains, à la recherche du petit caillou brillant qui illuminera la semaine. Leave the door open est arrivé à moi comme par magie. Il m’est surtout arrivé en discutant musiques avec toi qui écoutes de bien belles choses. Merci infiniment pour ces moments de partage, pour cette trouvaille dont tu m’as fait profiter et pour ces 4 minutes de bon son dans lesquelles nous allons plonger sans tarder.

Leave the door open est le premier single de Silk Sonic, un nouveau groupe formé autour du duo Bruno Mars & Anderson .Paak. On ne présente plus le premier, artiste musical et multiforme touche-à-tout et à tous les genres musicaux : voilà maintenant 17 ans que ce petit génie inonde la planète de ses mélanges de rock, pop, r’n’b, soul, hip-hop. Pour un aperçu des talents du garçon, on écoutera par exemple Unorthodox Jukebox (2012), son deuxième album studio, ou encore l’explosif Uptown Funk avec Mark Ronson. En revanche, je reconnais humblement découvrir Anderson .Paak avec ce titre. Du haut de ses 35 ans, voilà pourtant un moment qu’il sévit sur la planète r’n’b/soul, fort de sept albums studio, dont certains sous le nom de Breezy Lovejoy. Faut-il en dire plus ? Oui : il est signé sur Aftermath Entertainement, le label de Dr. Dre. On a connu pire référence. A jeter un œil sur le parcours de chacun, rien d’étonnant à ce qu’ils aient annoncé en février dernier la naissance de ce projet commun Silk Sonic. Avec, en ligne de mire, un album à venir intitulé An evening with Silk Sonic qui mettra en vedette Bootsy Collins. Autant dire que ces trois là réunis devraient proposer du très bon son.

La qualité est déjà largement au rendez-vous avec ce premier single Leave the door open. Le titre est clairement orienté soul langoureuse, façon Motown séductrice. Ici, point d’envolée rythmique ou de groove tapageur. Silk Sonic envoie du charme, de la douceur, du sucre et du tissu qui frissonne sous la caresse sonore de la mélodie susurrée. Pour un groupe qui s’appelle Silk Sonic (littéralement Soie Sonique), on ne pouvait rêver meilleure carte de visite. Leave the door open aurait tout à fait sa place sur la BO de Jackie Brown aux côtés d’un Didn’t I blow your mind this time ? des Delfonics. Si l’on n’y faisait pas attention, cette pépite pourrait passer pour un enregistrement soul d’il y a 40 ans. Pourtant, comme dans bien de ses compositions précédentes, Bruno Mars réussit (une fois encore) le coup de nous vendre du rêve musical avec une recette entendue cent fois, mais remise au goût du jour pour la faire sonner à sa façon. Est-ce du Marvin Gaye, du Michael Jackson, du Stevie Wonder ? C’est tout ça à la fois, tout en étant du Silk Sonic.

Alors oui, laissons la porte ouverte. Parce que, peut-être, ce fucking Covid aura l’idée de partir et de nous laisser en paix. Parce que l’air devient plus doux et qu’on a bien envie de profiter de cette petite brise qui passe. Parce que le son de cette pépite pourra s’envoler à l’extérieur, et qu’un maximum de personnes en profitera. Parce que les portes fermées, c’est comme les esprits fermés et les murs : nous n’avons rien à y gagner et, après 15 mois d’isolement, il est temps de s’aérer et de retrouver du lien pour ne pas être frappé un de ces jours par le virus brun de l’intolérance abjecte. Parce que ça permet d’aller et venir au soleil pour y partager un café et des sourires, en regardant le temps s’écouler. Parce que c’est un bon moyen d’entendre l’océan qui caresse la Terre. Parce qu’une porte ouverte, c’est l’univers des possibles qui s’étend : dans un monde et une vie où le meilleur est à venir, pas question de s’arrêter de rêver et d’espérer. Hope.

Raf Against The Machine

Five Reasons n°28 : At the BBC (2021) de Amy Winehouse

At-The-BBCLa semaine dernière, j’ai joué du teasing et vous ai (peut-être) mis en appétit avec un live incroyable dont la chronique arriverait plus tard. Ce devait être ce jeudi, mais le combo agenda chargé/actualité brûlante a eu raison, cette semaine encore, de mes intentions. Nous écouterons et parlerons de tout cela prochainement (#teasingsemaine2). Aujourd’hui donc, focus sur At the BBC de Amy Winehouse, une compilation de captations live datant de 2003 à 2009. Soit la période qui englobe ses deux albums studio Frank (2003) et Back to black (2006) et sa période la plus prolifique et riche sur le plan musical, avant, malheureusement, une lente descente aux enfers de la célébrité et ses conséquences négatives sur sa créativité artistique. Alors que nous commémorerons le 23 juillet prochain les 10 ans de sa disparition (oui, 10 ans déjà), y a-t-il un intérêt à se jeter demain 7 mai, date de sa sortie officielle, sur ce disque ? Oui, et nous allons même voir cela en 5 raisons chrono, histoire de vérifier que l’on n’a pas perdu au change. Loin de là.

  1. At the BBC couvre la meilleure période musicale d’Amy Winehouse. Les premiers enregistrements remontent à 2003, année de la sortie de Frank. A réécouter ce premier album déjà prometteur, on mesure le potentiel de l’artiste au fil de ces titres très jazzy. C’est d’ailleurs l’ambiance que l’on retrouve sur les captations les plus anciennes de ce At the BBC : Stronger than me ou Take the box sont très représentatifs de cette ambiance avec, déjà, une voix incroyable. Pourtant, ces prestations les plus anciennes tranchent avec l’ambiance un peu plate et très pop/jazz de Frank. Amy Winehouse déclarait elle-même, à la sortie de l’album, ne pas pouvoir l’écouter, avant une réconciliation avec des morceaux qu’elle aimait jouer live plutôt que de les réentendre en version studio. At the BBC lui donne entièrement raison : tous les titres les plus anciens issus de Frank prennent une couleur beaucoup plus chaude, en basculant dans un univers jazz/soul que n’aurait pas renié Sarah Vaughan. La majorité des captations de At the BBC date de 2006-2007, autrement dit les années de Back to black, l’exceptionnel second album studio d’Amy Winehouse produit avec talent par Mark Ronson. Un son définitivement plus soul et blues. Outre son célèbre Rehab, on retrouve des pépites comme Love is a losing game ou You know I’m no good dans des versions frissonnantes et sorties d’un autre monde.
  2. At the BBC est à ce jour la meilleure façon officielle de découvrir ou d’entendre Amy Winehouse live. De son vivant, et si l’on excepte deux DVD, aucun disque live n’a vu le jour pour attester de la puissance et de l’énergie scénique de ce petit bout de femme. Depuis 2011, les seuls témoignages scéniques consistaient en une première édition très partielle At the BBC (2012) sous forme d’une quinzaine de titres et d’un coffret DVD, puis du très bon Live in London – From Shepherd’s Bush Empire 2007 uniquement disponible dans le coffret vinyle de l’intégrale Amy Winehouse sorti en 2015. Autant dire qu’avec cette nouvelle édition bien plus complète et plus exhaustive, on dispose là d’un panorama de gourmand pour qui veut comprendre ce qu’était la musique d’Amy Winehouse : un mélange de rock attitude et d’amour immodéré pour la soul et le blues, porté par une voix incroyable sortie de nulle part qui percute et émeut tout autant qu’elle crie ses fragilités. Intense émotion sur un Back to black ou Me & Mr. Jones.
  3. Intense émotion aussi lorsqu’Amy Winehouse se lance dans une reprise d’un titre que j’adore. I heard it through the grapevine, composé en 1966 et popularisé par Marvin Gaye, est typiquement le genre de morceau qui me file des frissons et me fait danser tout seul dans ma tête dans un coin de chez moi. C’est un titre légendaire et porteur d’une sensualité incroyable qu’Amy Winehouse reprend de la plus belle des façons. Cette version débute un peu différemment de l’original, mais quelque chose se déclenche immédiatement dans l’inconscient, du genre « Je connais, ça me dit quelque chose… » Bien sûr qu’on connaît. Et que l’on comprend très vite à quel monument musical elle s’attaque là. Mais, qui mieux qu’Amy Winehouse pouvait revisiter ce standard de la soul ? Peut-être Amy Winehouse, Paul Weller et Jools Holland ? Ça tombe bien, c’est justement flanquée de ces deux musiciens qu’elle déroule les 4 minutes incroyables qui arrivent. Du groove, de l’énergie, des cuivres et des voix de feu : voilà ce qu’est la reprise de I heard it through the grapevine par Amy Winehouse sur ce At the BBC.
  4. Des pépites comme celle-là, vous en trouverez 38 sur ce triple disque. Les esprits chagrins pourront faire remarquer que ce n’est pas tout à fait 38 titres, puisque reviennent plusieurs versions de Rehab, Valerie, You know I’m no good, Monkey man, Love is a losing game ou encore Know you now. C’est justement là que réside l’intérêt des captations live : pouvoir comparer les différentes interprétations d’un Rehab ultra connu, mais que l’on redécouvre tour à tour plus intimiste, plus rythmé, plus feutré au gré des arrangements et des placements de voix. Nul besoin d’être grand mélomane ou connaisseur technique pour apprécier : une simple écoute attentive permet de saisir sans grand effort la richesse musicale de ces enregistrements. C’est même doublement intéressant dans le cas d’Amy Winehouse, artiste jazz dans l’esprit, qui n’hésitait pas à revisiter ses morceaux avec à chaque fois d’infimes variations pour en dévoiler, écoute après écoute, toutes les facettes qui nous auraient échappées. Au-delà de l’énergie contenue dans At the BBC, il est également très émouvant de parcourir le potentiel d’une immense artiste partie bien trop tôt.
  5. Cerise sur le gâteau : cette ultime version de At the BBC est d’une qualité technique absolue. Tous les enregistrements sortis des cartons de la BBC sont généralement de très bonne qualité. Pensons un instant aux lives de Pink Floyd, de Bowie, des Beatles ou de Deep Purple. Ici, le matériau de base est excellent, et brillamment capté. Plus encore, le mixage est tout simplement incroyable, et rend hommage à l’ensemble des instruments, notamment les lignes de basse, mais aussi au grain des voix à commencer par celle d’Amy Winehouse. En entrant dans At the BBC, vous tenez là sans doute un des plus beaux enregistrements de sessions live, et sans doute aussi la meilleure façon de redécouvrir le travail d’Amy Winehouse. L’ensemble est disponible en triple CD mais aussi en triple vinyle. Je ne saurais que trop vous conseiller cette dernière édition. L’objet est magnifique : pochette très stylée à double rabat couverte de photos géniales, contenant trois galettes 180 grammes dans un pressage de haute qualité. Les collectionneurs comme les amateurs de bon son se régaleront de craquer sur cette édition, disponible qui plus est à un prix tout à fait raisonnable (autour de 30 euros selon votre disquaire, autant dire que c’est donné).

At the BBC est de ces disques dont on se demande initialement si on va l’acheter : est-il bien nécessaire de craquer sur des enregistrements de titres déjà entendus des centaines de fois ? Puis, on craque. On pose sur la platine. On écoute. Et on sait. Que l’on a fait un bien bel achat, qui va nous apporter des heures de réécoute et de plaisir. At the BBC est donc nécessaire. Il est également indispensable. Et totalement beau. Typiquement le genre d’album à écouter à deux, dans la douceur d’une soirée accompagnée d’un verre de vin. Une certaine idée d’un moment-bulle de sérénité.

Raf Against The Machine