Après avoir écouté du 50 ans d’âge la semaine dernière, réduisons un peu la voilure pour revenir presque 30 ans en arrière. En 1994 plus précisément, pour nous replonger dans l’excellent Ill Communication des Beastie Boys. Pour leur quatrième album, Michael « Mike D » Diamond, feu Adam « MCA » Yauch et Adam « Ad-Rock » Horowitz mélangent hip-hop, punk rock et sonorités jazz. Ce mix aventureux pourrait tourner à la catastrophe. Entre les mains des Beastie Boys, l’ensemble constitue un des meilleurs albums du groupe. D’un titre à l’autre parmi les 20 qui constituent la galette, on navigue entre titres à chiller, ambiance plus vénère et flow hip-hop jazzy. C’est plutôt dans cette dernière case qu’on rangerait Sure Shot, titre inaugural de Ill Communication et pépite énergique et énergisante comme on n’en fait plus.
Exploitant au maximum le sample de Howlin’ for Judy du flûtiste de jazz américain Jeremy Steig, Sure Shot est un titre obsédant. Dans son rythme d’une part, qui se met en route et se tend sans jamais relâcher l’énergie durant ses 3 minutes 20. Dans son flow d’autre part, que se partagent les Beastie Boys, en semblant ne jamais respirer de la première à la dernière note. Les trois rappeurs se passent et repassent le micro dans un morceau qui sonne comme une profession de foi. Titre d’ouverture parfait pour un album, qui envoie sans délai toute l’énergie nécessaire pour se tarter immédiatement après les 19 autres compositions. Sure Shot fut mon titre de rencontre avec les Beastie Boys, et j’y reviens régulièrement. Dont aujourd’hui, avec partage ici-bas, ici même. Avec en prime le clip, qui fleure bon les années 1990.
Se réveiller avec dans la tête un son énorme, qui ne quitte jamais ton esprit. Lose yourself, chanson composée et interprétée par Eminem, fait partie de ce qu’on fait de mieux dans le genre. Sorti en 2002, le titre est tiré de la BO du film 8 Mile. Le long métrage, réalisé par Curtis Hanson, retrace la vie et les débuts de Jimmy « B-Rabbit » Smith Jr. : employé dans une usine automobile à Detroit, le garçon est surtout passionné par la musique et le rap, tout en étant empêtré dans une existence assez pénible et un manque de confiance. Film en partie biographique autour de Mashall Bruce Matters III aka Eminem qui interprète B-Rabbit, c’est une vraie réussite narrative et de réalisation, qui alterne moments d’introspection et battles rap. La BO n’est d’ailleurs pas pour rien dans le succès de 8 Mile.
Faite à la fois de titres rap des années 90 et de compositions originales d’Eminem, on y retrouve des pointures comme le Wu-Tang Clan ou The Notorious B.I.G., et du Eminem pur jus. A commencer par Lose Yourself et son très haut pouvoir énergétique et émotionnel. Le titre condense en quelques minutes les doutes, les espoirs, les craintes, les rêves d’un garçon qui bouillonne de rage intérieure de s’accomplir et d’être pleinement lui-même. Saisir la chance qui se présente en se lâchant totalement, c’est le sens du Lose yourself (Laisse toi emporter), explicité dans le refrain : « You better lose yourself in the music, the moment / You own it, you better never let it go ». Eminem suit le précepte et y met tout son cœur et son énergie. Lose yourself n’est sans doute pas le titre où il déploie au maximum son légendaire flow (qui fait toujours pâlir le copain Sylphe), mais c’est assurément un de ses titres les plus ravageurs et explosifs.
On écoutera donc la version originale (accompagnée d’images du film), avant de passer 18 ans plus tard au même Eminem qui réinterprète Lose yourself lors des Oscars 2020, dans une version un poil plus rock. L’énergie est la même, voire plus intense. La salle est on fire. Le game est plié direct. Le patron est sur scène.
Voici une quinzaine de jours, mon camarade de jeu sur ce blog (aka Sylphe) a publié une review emballée et emballante de La mémoire du feu, dernier album studio en date d’EZ3kiel (à relire par ici). Un bien bel opus qui ouvre 2022 avec énergie, force et créativité. Il tourne beaucoup sur ma platine, et je ne peux que vous encourager à le découvrir. Au milieu de tous ces sons parfaitement travaillés, on retrouve, ça et là, des bribes musicales qui ne sont pas sans rappeler Fauve. Ce collectif artistique (et notamment musical) né en 2010 a livré entre 2013 et 2016 quatre galettes studios (un EP Blizzard, un single Sainte-Anne et un double LP Vieux frères en deux parties), augmentées d’un puissant album live intitulé 150.900. Style cru, textes durs et hyper travaillés portés par une musique à la croisée du rock, du rap et du slam, telle est l’identité musicale de Fauve. Beaucoup de pépites dans tout ça, et peut-être même rien à jeter (ou tout, selon leurs détracteurs). Fauve ne laisse pas indifférent tout en clivant très nettement. On aime ou on déteste.
Perso, je joue dans la première catégorie. L’incandescence tendue de la musique de Fauve m’accompagne depuis maintenant plusieurs années, notamment depuis 2015 et la sortie de Vieux frères – Partie 2. Ce LP a la beauté de se clore sur Les hautes lumières, mais contient également Sous les arcades, un titre bien vénère et plein de colère autant que d’énergie. Pas de malentendu : tout le reste est bon, voire excellent, mais ces deux titres-là sont pour moi les piliers du disque. Disque qui a eu le bon goût de sortir, de manière très opportune, en février 2015. Environ un an plus tard, sort au printemps 2016 150.900, le double album live de Fauve, et même quadruple si on bascule sur le vinyle, dans un très classe coffret. L’enregistrement est parfait, et, live oblige, plus dense et hanté que les enregistrements studios. Parmi tous les morceaux incontournables de Fauve, Sous les arcades ouvre le live, Les hautes lumières le referme, dans deux versions totalement habitées et hors du temps. Ce sont les deux versions proposées à l’écoute ci-dessous. Oui, les deux. La pépite intemporelle du jour, c’est Sous les arcades, mais pourquoi se limiter à un Fauve, quand on peut en écouter deux ? Il y aurait beaucoup à dire sur Les hautes lumières, peut-être y reviendrai-je un de ces jours. Pour le moment, on part se balader Sous les arcades, à la recherche des Hautes lumières.
Retour aux affaires et à la publication de milieu de semaine, histoire de sortir d’un infernal tunnel boulot de septembre (ah, comment donc, on me dit dans l’oreillette qu’on serait déjà en octobre ? Ok, si vous le dites…) avec un son qui sent le souffre, le feu, la colère, mais aussi la lumière et l’espoir. La rage est un titre de 4 minutes seulement mais d’une puissance assez incroyable. Pour qui aime des furieux rageux comme Rage against the machine ou No one is innocent, ce titre est à ajouter à vos playlists. Niché en plein milieu d’Entre ciment et belle étoile, premier album de Keny Arkana, La rage est un brûlot intemporel : 15 ans déjà, et cruellement actuel. Son texte et son adrénaline nous chopent et nous guident sans prévenir. Le mélange d’un méga ras-le-bol de ce monde qui chie dans tous les sens, mais aussi le courage et l’énergie d’arrêter de se taire, et d’aller vers le meilleur, qui reste à venir. Ce titre ne pouvait donc pas trouver meilleure place que dans un album titré Entre ciment et belle étoile. Une quasi-profession de foi de Keny Arkana, et un titre que le copain Sylphe a mis dans mes oreilles voici quelques temps. Merci à toi mon ami.
Nouveau sérieux prétendant pour le titre de meilleur album de l’année 2020 aujourd’hui… Arrêtez de remplir vos attestations numériques pour sortir votre chien pour la cinquième fois de la journée et retrouvez votre canapé qui se façonne depuis 2 semaines pour devenir le moule parfait de votre fessier… Après Pili pili sur un croissant au beurre en 2013, Gaël Faye vient tout juste de sortir son deuxième album Lundi Méchant qui s’impose comme un maëlstrom d’émotions, entre rage des injustices et foi en une humanité qui va enfin se relever. Un véritable hymne à la vie tout simplement. Si vous ne connaissez pas la musique de Gaël Faye, vous avez peut-être eu la chance de lire Petit Pays sorti en 2016, premier roman d’inspiration autobiographique qui s’appuie sur la vie du narrateur au Rwanda avant le génocide et l’exil vers la France. Un premier roman plein d’humanité ne tombant pas dans le pathos qui a mérité amplement le Prix Goncourt des Lycéens.
Pour en revenir à ce Lundi Méchant, je suis particulièrement séduit par la plume acérée de Gaël Faye dont les mots peuvent être extrêmement durs tout en sonnant vraiment justes. Le tableau de notre société occidentale, entre médias et racisme, est sans concession et d’une noirceur étouffante. Cependant, la volonté de se rebeller et de s’appuyer sur les racines d’une Afrique qui aime profondément vivre et danser arrive paradoxalement à nous donner le sourire. On profite de notre dimanche pour parcourir ensemble ce Lundi Méchant et se préparer au réveil difficile de demain…
Le morceau d’ouverture Kerozen apporte une douceur cotonneuse à partir de la thématique dure de l’émigration, le chant n’est pas sans rappeler TERRENOIRE dans sa capacité à nous caresser de sa poésie -« Je t’inventerai des exils/ Des archipels fragiles » du refrain – tout en se montrant plus âpre avec un flow coupé à la serpe du rap « L’existence mord comme un coup de tesson/ Je rêve, je dors, je vis sous pression/La ville dehors est comme sous caisson ». Ce morceau tout en contrastes amène sur un plateau le premier titre marquant Respire qui brille par sa volonté de dénoncer le rythme oppressant de nos vies en insufflant un souffle quasi pop. Le refrain fonctionne à merveille et l’on retrouve une intensité digne de Stromae. Cette dénonciation du rythme de nos vies quotidiennes occidentales se retrouvera dans le titre éponyme Lundi méchant où le flow de Gaël Faye est encore plus percutant, les mots claquant fort et sec.
Passés un Chalouper et ses sonorités caraïbéennes incitant les corps à bouger pour lutter contre nos présents difficiles et un Boomer qui est le titre de l’album me touchant le moins, son rap manquant de finesse et se montrant trop facilement frontal, Only Way Is Up me séduit en particulier grâce à la voix chaude et réconfortante de Jacob Banks. Après Lundi Méchant, le trio suivant touche au sublime: C’est cool entrelace tout d’abord la jeunesse innocente et les médias avec en point d’orgue la cicatrice indélébile du génocide au Rwanda, le pouvoir des images est dénoncé subtilement, de même que l’égoïsme de notre société « Quand le drame est bien trop grand, il se transforme en statistiques/Et Lady Di a plus de poids qu’un million de morts en Afrique/L’ignorance est moins mortelle que l’indifférence aux sanglots/Les hommes sont des hommes pour les hommes et les loups ne sont que des chiots/Alors on agonise en silence dans un cri sans écho ». Les paroles de ce titre sont brillantes et, si vous êtes nés au début des années 80 (Gaël Faye est né en 1982) vous reconnaitrez vous aussi votre enfance « Ma jeunesse s’écoule/Entre un mur qui tombe et deux tours qui s’écroulent ». Vient alors une véritable pépite taillée dans l’émotion la plus pure, un postulant au plus beau titre de 2020 (et plus si affinités), avec Seuls et vaincus. La douceur du piano et les cordes sur la fin, un ascenseur émotionnel qui ne cesse de monter, des paroles écrites par Christiane Taubira (excusez du peu) d’une justesse infinie qui dénoncent les travers de notre société, un flow dépouillé où l’on sent le feu sous la glace, le chant final de Melissa Laveaux, ce morceau vous fera briller les yeux. Je ne résiste pas à la tentation de citer ces mots « Vous finirez seuls et vaincus, grands éructants rudimentaires/Insouciants face à nos errances sur la rude écale de la Terre/Indifférents aux pulsations qui lâchent laisse à l’espérance » ou encore « Vous finirez seuls et vaincus car invincible est notre ardeur/Et si ardent notre présent, incandescent notre avenir/Grâce à la tendresse qui survit à ce passé simple et composé ». Le dernier morceau du trio Lueurs est un cri de moins de 2 minutes sortant des entrailles, ce cri contre les ravages du racisme et de l’esclavagisme est d’une intensité folle et me fait vibrer.
Difficile de se remettre de ces trois derniers titres…Histoire d’amour paraît bien léger ensuite en posant de jolis mots sur la relation amoureuse, NYC nous offre un rap très 90’s à la IAM pour une découverte subtile de New-York, JTIL (Jump in the line) apporte des sonorités plus ensoleillées et rappelle le démon de la danse. Le dernier grand moment de l’album Zanzibar est illuminé par le piano de Guillaume Poncelet et la douce mélancolie des paroles avant que Kwibuka en featuring avec Samuel Kamanzi n’évoque avec poésie et émotion le besoin de se souvenir et de ne pas oublier les victimes du génocide rwandais. Besoin d’humanité et de poésie? Vous savez désormais ce qu’il vous reste à faire, enjoy! Merci Gaël Faye d’exister…
Après The light (2019), Wax Tailor poursuit son teaser au long cours autour d’un prochain album, avec un deuxième single disponible depuis quelques jours. Keep it movin est l’exact opposé de ce que pouvait proposer The light. Nous avions parlé ici (à relire d’un clic) de ce magnifique titre sombre et tendu, reflet sonore d’un monde froid, déshumanisé et apocalyptique à la croisée de Blade Runner, 1984, Black Mirror et Brazil. Bref, un univers qui ne fait pas rêver mais dans lequel, à bien y réfléchir, on vit déjà en partie.
Keep it movin prend le total contrepied de son prédécesseur, avec un son groovy et hybride comme sait si bien le faire Wax Tailor. Ici, ça sonne hip-hop, beats puissants, ligne de basse bien ronde et omniprésente. Tout ceci porté par le flow de D Smoke. Ce dernier, né Daniel Anthony Farris en 1985 à Inglewood, Californie, s’est distingué en 2019 en remportant la première saison de Rythm & Flow sur Netflix. Pas très étonnant, puisqu’on retrouve précisément chez D Smoke rythme et flow qui envoient de la bonne vibration. En résulte un titre qui pétille et ronfle, plein de soleil et de chaleur, et qui tombe à point nommé puisque l’été arrive.
Le parcours musical de Wax Tailor est ponctué de collaborations avec des pointures rap. On pense au collectif A State of Mind (ASM) sur les albums Hope & Sorrow (2007) et In the mood for life (2009), à Mattic sur Dusty rainbow from the dark (2012), ou encore à Ghostface Killah du Wu Tang Clan sur By any beats necessary (2017). A chaque fois, c’est une coloration rap différente, chacun des artistes précités apportant sa touche au panorama sonore de Wax Tailor. Ce Keep it movin et l’association avec D Smoke rappellent l’énergie d’un Say yes (feat. ASM), d’un The sound (feat. Mattic) ou d’un Worlwide (feat. Ghostface Killah), tout en introduisant une nouvelle facette du hip-hop proposé par Wax Tailor.
Titre après titre, album après album, Wax Tailor ne cesse de développer ses horizons musicaux et de nous les proposer. Ce n’est pas ce Keep it movin qui me fera mentir : un bonbon estival bourré d’énergie et de patate qui fait du bien à la tête et au corps. Et qui porte bien son titre : lancez moi ce morceau, montez bien le son et je vous défie de rester de marbre, immobile les mains dans les poches. Une énergie communicative qui fait du bien, et qui donne envie de retrouver très vite le chemin des salles de concerts pour s’inonder la tête du son Wax Tailor.