Et si nous finissions ce week-end en écoutant un son un peu crasseux mais diablement bon ? Soyons raccord avec le mood du dimanche soir, qui n’est pas vraiment mon moment préféré de la semaine. C’est l’heure de clore le repos de fin de semaine et de penser déjà à la reprise du boulot le lundi matin. Voilà un double programme qui vend du rêve. Pour lutter contre cette merveilleuse ambiance, j’ai quelques pistes intéressantes, dont certaines que je garde rien que pour moi. Mais il en est une qui fonctionne très bien et que je peux vous partager : plonger dans mes disques et trouver le son qui fait du bien. Ils sont divers et plusieurs pour tout dire. Au hasard de la playlist, c’est un morceau de 25 ans d’âge que je vous propose ce soir. Low estate est le deuxième album studio de 16 Horsepower, sorti en 1997. A l’époque, le groupe, fondé par l’Américain David Eugene Edwards et les Français Pascal Humbert et Jean-Yves Tola (anciens de chez Passion Fodder) existe depuis 5 ans. Il a déjà livré un EP en 1995, sobrement intitulé 16 Horsepower, puis le très bon Sackcloth ‘n’ Ashes en 1996. Cette première galette studio illustre parfaitement le Denver sound dont la formation se fait immédiatement un porte étendard. Le Denver sound ? Un savant mélange de country, American Gothic, folk, garage rock et gospel, qui donne à 16 Horsepower son identité musicale si caractéristique.
Un an plus tard, Low estate tombe dans les bacs avec une touche plus rock et plus électrique que son prédécesseur. Produit par John Parish, l’album contient de la pépite à ne plus savoir quoi en faire et reste, à ce jour, mon opus préféré. Le groupe déploie une énergie et une musicalité qu’on retrouvera dans les albums ultérieurs, mais c’est sur Low estate qu’il explose de sa classe. Du rock tendu et à fleur de peau qui sent la terre, les grands espaces, la ruée vers l’or, le bourbon et le vent dans les plaines et dans nos cheveux. De quoi s’évader tranquillement un dimanche soir. Et ce n’est pas le titre d’ouverture de Low estate qui me fera mentir. Brimstone rock pose son empreinte sonore comme un cheval foule la terre de ses sabots. Quelques notes de banjo, la voix nasillarde de David Eugene Edwards, puis le déchainement rock-folk pour 4 minutes 20 de pure évasion.
Je vous laisse filer à Brimstone rock, et sur les 15 autres pistes de l’album si le cœur vous en dit. Avec, à l’arrivée et en clôture, une imparable et bouleversante reprise de The Partisan de Leonard Cohen par le groupe, accompagné de Bertrand Cantat, alors chanteur de feu Noir Désir. Listen it and escape.
L’année touche à sa fin, et comme un vieux marronnier, il est de bon ton de regarder un peu dans le rétroviseur. Pas par nostalgie, ni avec des regrets, mais pour voir ce que l’on retient de 2022. Une année du boomerang (voir la petite chronique liée par ici) que je laisse partir tranquillement, pour plonger dans 2023 afin de voir comment 2022 et ses bonnes ondes (oui, il y en a eu) se prolongent. Toutefois, à la porte de cette nouvelle année, partageons une dernière fois ce qui a marqué mon année écoulée sur le plan musical. Une rétrospective forcément subjective : ne hurlez pas s’il n’y a pas votre son de l’année, votre découverte ou le live qui vous a marqué. En revanche, ne vous privez pas de laisser, dans les commentaires, votre top à vous. Five-Minutes, c’est aussi l’envie de partager ainsi quelques minutes de bon son.
Du côté des albums de l’année, une fois n’est pas coutume, j’ai un vrai podium à trois places. Pas quatre comme les années passées où, incapable de choisir, j’avais systématiquement rajouté une marche au podium. Et une fois n’est pas coutume, nous allons remonter les places. Sur la troisième marche, A Light for Attracting Attention, l’album de The Smile. Composé de Thom Yorke (chanteur de Radiohead), Jonny Greenwood (guitariste de Radiohead) et Tom Skinner (batteur chez Sons of Kemet), le groupe a livré au beau milieu de 2022 une galette assez impressionnante de créativité (la chronique est à relire par ici). J’attendais énormément cet album, et j’avoue avoir été très agréablement surpris par la richesse et la variété des compositions, alors que je m’attendais plutôt à un trio rock brut de décoffrage assez basique et uniforme dans les sons.
A la deuxième place, une galette totalement inattendue pour moi : La mémoire du feu du groupe Ez3kiel. Pour tout dire, c’est le copain Sylphe qui a mis ce son dans mes oreilles. Voilà un album concept comme on n’en fait plus. L’histoire d’amour de Diane et Duane qui prend place dans un univers de SF post-apocalyptique. La petite histoire dans la grande, toutes deux narrées au travers de onze titres tour à tour très rock qui décapent ou très doux et intimistes. Des compositions incroyables d’efficacité, surplombées par les voix tout aussi incroyables de Jessica Martin-Maresco et Benjamin Nérot. Un fascinant album que nous avons eu le plaisir de découvrir live. En plus d’un disque impressionnant, Ez3kiel sait aussi conquérir le public sur scène. Une vraie bonne surprise qui a tapé très fort dès janvier 2022.
Mais qui peut bien attraper la plus haute marche du podium ? Aucune surprise pour qui me connaît un minimum ou lit régulièrement ces pages. Sans aucune hésitation, mon album 2022 est Call to Arms & Angels de Archive. Album attendu comme aucun autre de ma part, j’ai plongé dès le jour de la sortie et les premières notes, et chroniqué la bête ici-même. Un peu plus tôt même, puisque j’avais eu la chance de pouvoir écouter l’album quelques jours avant sa sortie, lors d’une soirée-rencontre avec le groupe et quelques fans hardcores tous plus sympathiques les uns que les autres. Call to Arms & Angels est une claque totale et absolue. Un disque qui est pour moi autant une somme de lumières qu’un refuge, un baume autant qu’une pile d’énergie inépuisable. Alors que le groupe venait de fêter ses 25 ans avec la sortie d’un gargantuesque coffret et de Versions, deux albums de remixes, je me demandais (sans en douter) comment le groupe allait pouvoir poursuivre et innover. C’est bien plus que de l’innovation. C’est une réinvention totale pour un groupe qui ne cesse de me bouleverser. Nous aurions dû découvrir tout cela en live en octobre dernier, mais un putain de crabe a attrapé Darius Keeler, reportant d’un an la tournée. Darius va bien (et tant mieux pour lui et ses proches avant tout), Call to Arms & Angels poursuit sa route, et nous retrouverons bientôt Archive sur scène, pour un live qui s’annonce déjà dantesque.
Au-delà de ce top 3 d’albums sortis en 2022, il faut ajouter deux autres galettes, également sorties en 2022 qui ont marqué mon année. On vient de parler d’Archive, un groupe dans lequel officie le génial et sympathique Dave Pen (chant/guitares). Ce dernier a sorti à l’automne The universe is IDK, un EP de sept titres inattendu et assez captivant. J’en ai parlé par ici et vous laisse relire tout le bien que j’en pense. Preuve de la proximité et de l’humilité du garçon ? Suite à cette chronique, j’ai reçu un très gentil mot de remerciements. Autre galette, totalement inattendue elle aussi, Transmissions par le collectif Transmission. Initialement entendue en live au festival HopPopHop en septembre, la prestation m’a scotchée au point de vouloir retrouver ces sensations sur disque. Ce qui tombe bien, puisque ces compositions sont disponibles sur un enregistrement de haute facture qui rend justice à la créativité du collectif (chronique à retrouver ici). Un collectif porté en partie par des membres d’Ez3kiel. On ne se refait pas.
Il me faut encore citer cinq albums, cette fois non sortis en 2022 mais qui ont laissé une trace dans ces douze derniers mois. Sorti en décembre 2021, The Dystopian Thing de Thomas Méreur a littéralement ruisselé et accompagné tout 2022 (la review est à retrouver par ici). Le petit frère de Dyrhólaey (2019) est tout aussi magique, envoûtant, prenant et maîtrisé, pour nous emmener dans des voyages et des évasions intimistes au fond de nous-mêmes. Un magnifique album dont je ne me lasse pas. La réédition de Est-ce que tu sais ? de Gaëtan Roussel a apporté trois nouveaux titres à un album sorti en 2021 et déjà parfait. Pas vraiment un opus de 2022, mais une version définitive qui m’a fait replonger directement dans un des disques qui compte le plus pour moi. Autre réédition, celle de () du groupe islandais Sigur Rós. Pour célébrer les 20 ans de cet album incroyable, le groupe le republie ces jours-ci dans une édition anniversaire. Une excellente occasion de (re)découvrir un des groupes les plus fascinants et les plus créatifs de ces dernières années. Autre groupe fascinant : Noir Désir. Si l’intégrale vinyle est annoncée pour janvier 2023 au prix délirant et stratosphérique de plus de 200 euros, on s’arrêtera plutôt sur Comme elle vient – Live à Evry 2002, captation efficace et émouvante du dernier live du groupe. Clôture de la tournée Des visages, des figures, ce concert enregistré le 14 décembre 2002 restera pour toujours la dernière prestation du groupe, au sommet de sa créativité et de son intelligence musicale. Enfin, puisqu’on parle d’ultime prestation, comment ne pas penser au grand Arno, parti en mai 2022, laissant une carrière qui force le respect par son audace, sa diversité, son énergie. Une des meilleures façons de parcourir l’éventail musical de ce grand rocker sensible, c’est de s’écouter Vivre. Un album piano-voix sorti en 2021 et enregistré avec Sofiane Pamart. Tout est délicatesse, sensibilité, énergie, rage de vivre dans ces reprises intimistes de titres plus ou moins connus d’Arno. Avec une version bouleversante et imparable de Solo gigolo qui résonne comme un testament autant qu’un hymne éternel. Les poils putain putain. Avec Arno à nos côtés pour toujours.
La musique occupe une place essentielle pour moi aussi dans les œuvres où elle pourrait passer pour secondaire. Je m’explique. La musique existe et vit pour elle-même, mais j’y suis aussi particulièrement sensible dans les films et les séries, autant que dans les jeux vidéo.
Côté films/séries, trois BO auront marqué mon 2022. The Batman, sorti sur nos écrans en mars dernier, bénéficie d’une bande originale très efficace composée par Michael Giacchino, qui soutient un des grands films de l’année par sa noirceur autant que par sa compréhension de ce qu’est le Batverse. Ce film a marqué mon année, autant que sa BO. Autre moment à retenir : Cyberpunk Edgerunners, ou l’adaptation par Netflix du jeu CyberPunk 2077 de CD Projekt. La série réalise le mélange de l’animé japonais ultraviolent et de l’univers cyberpunk imaginé par Mike Pondsmith. L’occasion toute rêvée pour redécouvrir ce grand jeu malade à la faveur de sa mise à jour consoles next-gen, et se remettre dans les oreilles la super BO du jeu, que l’on retrouve en partie dans la série aux côtés de quelques titres rock bien sentis. Enfin, toujours côté séries, comment ne pas parler de l’ascenseur émotionnel (et donc du scandale) provoqué par Westworld ? Quelques jours après la sortie/diffusion de la saison 4 cet été, nous apprenions que HBO, chaîne à l’origine de la série comme de bien d’autres chef-d’œuvres du petit écran, ne donnerait pas suite et fin à Westworld, en refusant de financer l’ultime saison 5. Nous resterons donc orphelins de la conclusion d’une des plus grandes séries de notre temps, tout en gardant en tête son incroyable BO faite de compositions originales de Ramin Djawadi et de reprises de grands titres rock.
Coté jeux vidéo, deux OST ont ponctué mon 2022. D’une part, les compositions toujours hors du temps et du réel de Keiichi Okabe pour NieR Replicant et NieR: Automata. Ce dernier jeu est ma référence absolue, le jeu parmi les jeux et la BO de jeu parmi les BO de jeux. J’en suis tellement fan et soufflé que je n’ai toujours pas réussi à vous en faire une chronique par ici, faute de trouver les mots justes qui retranscriront ce que me procure ces musiques et ce jeu. Mais, pour reprendre Jack Kérouac (in Les clochards célestes), « Un jour je trouverai les mots justes, et ils seront simples ». Cette année 2022 est celle où j’ai enfin pris le temps de faire NieR Replicant, jeu grand frère et préquel de Nier: Automata. Si le jeu m’a moins marqué, tout en étant un super moment vidéoludique, sa BO m’a tout autant retourné et j’ai passé de longues heures à réécouter les compositions de Replicant et Automata. D’autre part, 2022 aura aussi été l’année du décès de Ryan Karazija, chanteur du groupe Low Roar dont les morceaux ont été largement mis en avant par Hideo Kojima dans son chef-d’œuvre Death Stranding. Une BO là aussi hors du temps, tout comme le jeu qu’elle accompagne. Et, à la survenue de cette triste nouvelle, relancer Death Stranding et réécouter Low Roar. Dont cet incroyable I’ll keep coming.
Objet inclassable et non classé de 2022 qui mérite pourtant amplement de figurer ici, le coffret PJ HarveyB-sides, Demos and Rarities constitué de 6 galettes vinyles et pas moins de 59 titres. Histoire de parachever la réédition depuis 2020 de l’ensemble de sa discographie, la chanteuse nous a gratifiés à l’automne de cette dantesque rétrospective de sa carrière, au travers de morceaux à découvrir ou redécouvrir. Un coffret dont j’avoue n’avoir pas encore fait le tour, tant il est riche, dense et passionnant. En proposant son contenu dans l’ordre chronologique de la carrière de PJ Harvey, il permet aussi de mesurer l’évolution et la créativité artistiques d’une artiste à nulle autre pareille.
Enfin, comme de petites ritournelles pop-folk-rock, je ne peux pas refermer 2022 sans mentionner Angus & Julia Stone. Leur dernier album studio Snow remonte à 2017, et leur dernière production à 2021 avec la BO du jeu vidéo Life is strange – True colors (que je reconnais ne pas avoir encore fait, il m’est donc impossible de pouvoir légitimement en parler). Pourtant, ces deux là m’accompagnent depuis quelques années, plus précisément depuis un jour de 2010 où j’ai découvert leur album Down the way et leur folk-rock, pour ne plus jamais trop m’en éloigner. L’année 2022 a fait que j’ai plus réécouté Angus & Julia Stone que d’autres années. Comme pour me glisser dans une bulle de sérénité. Comme du son qu’il fait bon partager au cœur de cette bulle.
Un dernier mot sur 2022 : notre Five-Minutes a encore progressé, aussi bien en nombre de vues avec plus de 21 250 (15 231 en 2021) qu’en nombre de visiteurs avec près de 15 100 (10 613 en 2021). Mes presque derniers mots de rétrospective 2022 iront donc à vous, lecteurs réguliers ou plus ponctuels, qui nous faites la gentillesse de venir suivre notre modeste et humble aventure bloguesque, pour quelques minutes de bon son. Merci infiniment à vous.
Last but not least, mon dernier coup de projecteur musical avant de refermer 2022 sera pour mon ami et compère de Five-Minutes. Sylphe, merci pour ta passion musicale, cette aventure Five-Minutes, ton indéfectible soutien en tout temps. Ton amitié.
Prenez soin de vous, bons derniers jours de 2022, et rendez-vous de l’autre côté en 2023 pour une nouvelle année de pépites et découvertes musicales.
En 2002, Noir Désir boucle la tournée de son dernier album Des visages, des figures. Commencé un an plus tôt, ce marathon scénique s’achève à l’Agora d’Evry le 14 décembre 2002 et donne aujourd’hui lieu à un album intitulé Comme elle vient. Vingt ans déjà que le plus grand groupe de rock français s’est tu, autant dire une éternité. Depuis, le monde a poursuivi son évolution, pour le meilleur comme pour le pire. 2002, c’est notamment l’année de l’accession de l’extrême-droite au second tour d’une élection présidentielle en France. La quasi-majorité des Français dit non à ce cauchemar bien réel, et Noir Désir s’en fait une des voix parmi tant d’autres. Pour qui a eu la chance d’assister à un des concerts de l’entre-deux tours, il reste en mémoire l’incandescence de ce refus, et des salles qui reprennent en cœur les Bérurier Noir pour scander que « la jeunesse emmerde le Front National ». C’était il y a vingt ans. Autant dire une éternité.
Comme elle vient sort pile vingt années après cette ultime et mémorable tournée. Ultime, puisque Noir Désir se désagrègera quelques mois plus tard. Mémorable parce qu’elle laisse entrevoir la mue du groupe et ses nouveaux horizons. Lorsque sort Des visages, des figures (le 11 septembre 2001, comme si cette dernière aventure de Noir Désir devait être marquée du sceau des tristes coïncidences), on mesure déjà l’évolution musicale de la formation. L’album offre un son à la fois plus posé mais pas moins tendu. Sous ce faux calme bouillonne toujours Noir Désir. Même si les très énervés et brutaux Tostaky et 666.667 Club sont un peu laissés de côté, des titres comme L’appartement, A l’envers à l’endroit ou Bouquet de nerfs suintent de tensions grinçantes à la limite du malaise. Alternant avec d’autres morceaux plus rock comme Le grand incendie, Son style 1 ou Lost, l’ensemble se révèle diablement excitant en ouvrant totalement les portes à de nouvelles pistes artistiques pour le groupe. Jamais il n’aura été aussi créatif et musical, jamais il n’aura développé autant d’émotions variées. Des visages, des figures se conclut en outre sur le morceau de bravoure qu’est L’Europe : un duo de plus de 23 minutes avec Brigitte Fontaine doublé d’une virée musicale aujourd’hui encore étourdissante d’intelligence.
Nous voilà donc, deux décennies plus tard, avec entre les mains et entre les oreilles ce Comme elle vient, conclusion de la tournée 2022 de Noir Désir. Avertissement important : cet album n’est en rien la réédition du Noir Désir en public sorti en 2005. Ce dernier représentait, en 24 titres, une compilation des meilleures versions enregistrées sur la totalité de la tournée. Les 56 concerts de la tournée avaient été captés, en prévision de ce témoignage somme. Les membres du groupe en ont ensuite tiré la substantifique moelle, pour obtenir un panorama de cette virée live. Comme elle vient épouse une autre logique, en livrant la captation du dernier concert donné à Evry le 14 décembre 2002. Il est donc logique de ne pas y retrouver des titres non joués ce soir-là, et tout aussi logique que la tracklist ne corresponde pas à celle de Noir Désir en public. Dès lors, si l’on possède déjà celui-ci, faut-il craquer pour celui-là qui sort aujourd’hui 28 octobre ?
N’y allons pas par quatre chemins : la réponse est oui. Si vous êtes un inconditionnel et inconsolable fan de Noir Désir, vous vous procurerez Comme elle vient tel un complétiste compulsif. Si vous êtes amateur de rock et de bon son, vous plongerez aussi. Enfin, si vous n’avez que faire de Noir Désir, et/ou que vous voyez là une sombre démarche mercantile éhontée, il est probable que vous ayez déjà arrêté de lire cette chronique. Ou que, tout simplement, vous ne soyez même pas arrivé jusqu’à cette page du blog !
Comme elle vient pose ce que Noir Désir était devenu sur scène en 2002, peut-être plus encore que Noir Désir en public. Après la compilation de moments choisis et réellement fascinants, on accède ici à un soir en live avec le groupe, qui plus est à sa toute fin. Et l’on redécouvre ce mix et ce dosage parfaits entre moments posés et faussement apaisés, et explosions rock comme on ne les espérait plus. D’un côté, l’ouverture avec Si rien ne bouge, puis Septembre en attendant, Le fleuve, ou encore Des armes. De l’autre, Les écorchés, La chaleur ou Tostaky dans une de ses plus belles et furieuses interprétations. Noir Désir manipule l’énergie comme jamais, en nous balançant à la gueule sa fougue, tout en se ressourçant dans des moments finalement tout aussi incandescents. Le résultat est brillant, et se conclut avec le titre éponyme Comme elle vient. Un dernier salut, un baroud d’honneur en forme d’ultime explosion dans lequel la formation jette ses dernières forces.
A écouter l’ensemble, ce sont des paquets d’émotions qui remontent et nous submergent. Des frissons, du feu, et des larmes aussi de (re)vivre les derniers instants de la meilleure formation rock française, et d’un des plus grands groupes de tous les temps. Comme elle vient nous permet de mesurer, une fois de plus, le vide béant laissé par la disparition de Noir Désir. Voilà un enregistrement qui dépasse toutes les catégories et les cases, pour ne plus être simplement du rock et devenir l’expression d’un art. Comme elle vient est une galette absolument indispensable, qui se paye le luxe d’être disponible sur toutes les bonnes plateformes de streaming, mais aussi physiquement en CD et vinyle. Chez Five-Minutes, on est adeptes de toutes ces formes, mais on a grand plaisir à acheter l’objet, surtout quand il est aussi percutant que ce Comme elle vient. Disponible en diverses éditions, dont certaines avec pochettes alternatives et vinyles colorés, l’album bénéficie en outre d’un pressage de haute qualité avec un remastering de très haute tenue qui rend justice au son Noir Désir.
Aussi incontournable que génial, Comme elle vient se doit d’être dans vos oreilles, et plus si affinités, à savoir dans votre discothèque. Pas encore convaincus ? Voici trois titres en écoute pour vous décider. Les 12 autres vous attendent chez votre disquaire préféré.
« J’ai douté des détails / Jamais du don des nues ».
Quittons quelques minutes l’actualité musicale, mais pas nécessairement l’actualité tout court, avec un son qui affiche déjà plus de 12 ans au compteur mais qui tabasse toujours autant. A tout moment la rue vient tout droit du quatrième album studio d’Eiffel, groupe de rock français formé en 1998 autour de Romain Humeau. La formation, toujours en activité, affiche des influences multiples et diverses, de Brel à Sixteen Horsepower en passant par dEUS ou les Stooges, sans oublier bien sûr les Pixies et Noir Désir. Les Pixies pour l’énergie rock, mais aussi parce que le groupe tire son nom d’Alec Eiffel, une des chansons du groupe. Noir Désir, parce que l’influence de feu les Bordelais est évidente jusque dans les intonations de voix de Romain Humeau. A commencer par ce A tout moment la rue qui est possiblement un des titres les plus marqués Noir Désir du répertoire d’Eiffel.
« A chacun de nos souffles / Au moindre murmure des bas-fonds » ouvre cette pépite tendue comme une journée en établissement scolaire sous protocole sanitaire. Si vous trouvez que ça démarre calmement, rassurez-vous, ça ne va pas durer. Ce sont rapidement une basse omniprésente et ronflante, accompagnée par une batterie obsédante, qui vont étirer l’intensité de la chanson jusqu’à une mise en tension extrême. Et la voix de Romain Humeau qui, tout au long des 4 minutes 30, déroule un texte nerveux, puissant, incandescent, sans concession. A tout moment la rue bouscule avec cœur et conviction un système devenu incompréhensible et insupportable. A tout moment la rue est un pavé, un brûlot, une claque rebelle qui remet les choses à leur juste place : « A bien compter le monde est X fois plus nombreux / Que ces 300 familles qui sur la rue ont pignon / A tout moment elle peut aussi dire non ».
Ce titre sent le souffre, la révolte, le ras-le-bol, l’envie de tout envoyer chier et vient côtoyer d’autres pépites comme La rage de Keny Arkana, n’importe quel titre de Rage Against The Machine (disons Calm like a bomb ou Know your enemy), ou encore Le feu de No One Is Innocent. Pépite intemporelle parce qu’elle date de (déjà) 2009, donc pas dans l’actualité musicale directe, mais terriblement actuelle et terriblement d’actualité en ce 13 janvier 2022. Pas grand-chose de plus à ajouter. A tout moment la rue est un titre qui s’écoute et se vit comme une prémonition et comme un espoir. Comme une putain de boule d’énergie rageuse pour traverser un bordel sans nom. Comme un gigantesque coup de pied au cul qu’on se prend pour avancer, et qu’on donne pour dégager les médiocres. « A tout moment la rue peut aussi dire non » : c’est maintenant.
Demain 19 mars tombera dans les bacs une double galette invitant à un saut de 30 ans dans le passé. Uniquement disponible à ce jour dans le coffret CD Noir Désir – Intégrale sorti en décembre 2020, le live Elysée Montmartre – Mai 1991 des Bordelais s’offre une sortie CD, ou double vinyle pour les amateurs (avec, au passage, une chouette édition limitée vinyle rouge à la Fnac). A ce jour, on ne dispose officiellement que de 4 albums live : Dies Iræ (1994) pour la tournée Tostaky et Noir Désir en public (2005) pour la tournée Des visages, des figures, auxquels on peut ajouter Nous n’avons fait que fuir (2004), captation d’une performance poético-musicale de juillet 2002 et Débranché (2020), regroupement de deux prestations acoustiques période 666.667 Club. Nous voilà donc avec un 5e enregistrement live. Pour quoi faire, serait-on tenté de se demander. Y a-t-il encore des choses à découvrir de ce qui est très possiblement le meilleur groupe rock français ? Y a-t-il une bonne raison de plonger dans ce disque ? Pour être honnête, j’en vois même cinq.
Elysée Montmartre – Mai 1991 constitue, à ce jour, le seul témoignage sonore officiel de ce que fût sur scène Noir Désir Période 1. Une Période 1 qui englobe les trois premiers albums Où veux-tu qu’je r’garde ? (1987), Veuillez rendre l’âme (à qui elle appartient) (1989) et Du ciment sous les plaines (1991). Viendra ensuite la Période 2 qui regroupe Tostaky (1992) et 666.667 Club (1996), avant la Période 3 (inachevée) uniquement faite de l’exceptionnel Des visages, des figures (2001). Ce découpage en trois périodes n’a aucun caractère officiel. Il ne sort que de mon regard sur la carrière du groupe. Si le dernier album ouvre des perspectives sonores inattendues et prometteuses, le dyptique Tostaky/666.667 Club déploie du gros son et marque surtout la reconnaissance internationale pour le groupe. Les trois premiers opus sont ceux d’une formation naissante mais terriblement excitante, inscrits dans une tendance très 80’s et un poil dépressive du rock français. Trois mois après la sortie de Du ciment sous les plaines, Noir Désir investit l’Elysée Montmartre pour une série de 9 concerts qui annonceront une mutation musicale.
Côté mutation musicale, l’album Du Ciment sous les plaines amorce déjà bien les choses début 1991. Jusqu’alors, Noir Désir se résume à un 6 titres en 1987 qui fleure bon le rock underground new-wave (il n’y a qu’à voir les looks du groupe à l’époque, savant mélange de Cure et d’un style gothico-romantique qui se cherche), puis à un premier LP dont les radios retiendront surtout Aux sombres héros de l’amer. Alors que cet album contient des pépites brûlantes comme Les écorchés, La chaleur, et surtout le génial et poisseux Le fleuve. Du ciment sous les plaines apporte un son plus épais et plus dense, résolument plus rock et électrique. La tournée qui suit confirme la tendance : en écoutant cet Elysée Montmartre, on devine déjà le gros son à venir de Tostaky, et l’énergie furieuse qui habitera le live Dies Iræ.
Elysée Montmartre est une ode à Du ciment sous les plaines. Parmi les 14 titres de l’album studio, 8 alimentent le live sur un total de 15. Soit une grosse moitié. Du ciment est à la fois l’album le moins connu du groupe, et celui qui a enregistré le moins de ventes. De là à dire que c’est le moins apprécié, il y a un pas que je ne franchirai pas, puisque j’ai précisément une passion pour cet opus. L’énergie de titres comme En route pour la joie, Tout l’or, Le Zen émoi, la tension insoutenable de Si rien ne bouge, No No No, ou encore la dépression rock de Charlie sont autant de facettes musicales d’un rock que j’aime profondément. Pas étonnant de retrouver ces titres sur le live, aux côtés d’autres pépites du même acabit tirées des deux premiers albums : La rage, Les écorchés, La chaleur, Pyromane envoient du très très lourd. Quelqu’un qui ne saurait pas dans le détail de quels albums sont tirés les titres pourrait penser qu’il sortent d’une seule et même galette. En un mot : la capacité d’un groupe à mélanger anciens et nouveaux morceaux, dans un son unique.
Ce son est celui du début des années 1990. Celui d’il y a 30 ans tout rond. Celui d’un monde qui n’est plus, dans lequel nous avons vécu et écouté à sa sortie Du ciment sous les plaines, au milieu de dizaines d’autres albums tout aussi marquants. Ce son est aussi celui qui accompagnait nos existences quotidiennes d’il y a 30 ans. Vous faisiez quoi en 1991 ? Vous étiez où ? J’ai pour ma part un souvenir très précis de ces années et de poignées de moments dans lesquels ont résonné ces titres de Noir Désir. Loin de tomber dans la nostalgie car je suis bien plus heureux aujourd’hui et à mon âge actuel, ce sont plutôt des images mentales de moments passés avec des copains autour d’un demi, de nuits à refaire le monde ou du moins à rêver qu’il change, d’interminables weekends à passer de la guitare à une clope à un verre à un film à des rires à des regards… C’est aussi l’époque d’une fougue et d’une énergie qui sont intactes aujourd’hui, avec un peu de patine, d’expérience et de connaissance de soi. Mais, voilà pourquoi il est bon de replonger dans Elysée Montmartre et 1991 : retrouver des sensations de ce que nous avons été, pour mieux apprécier ce que nous sommes devenus et se préparer à la suite.
Pour tous les fans de Noir Désir, cet album est tout bonnement indispensable. Indispensable dans le son rock et unique qu’il porte, et que l’on ne retrouvera pas dans les futurs lives du groupe. Pas même dans Dies Iræ qui, s’il lui ressemble à la première écoute, est nettement plus marqué gros son épais. Indispensable pour le vide qu’il comble dans la case de disques Noir Désir. Pour les autres, je vous laisse seuls juges. Néanmoins, si vous aimez la musique, si vous aimez le rock (et notamment le rock français), si vous vous intéressez à son histoire et son évolution, il y a de fortes chances que vous craquiez sur cette pièce hautement incandescente. Enfin, peut-être cet Elysée Montmartre vous sera-t-il incontournable juste parce qu’il est la mémoire d’un temps qui fût et qui n’est plus. En l’écoutant, j’ai pensé au magnifique livre Les Années d’Annie Ernaux : cette biographie sociétale collective que l’autrice construit page après page à coups d’images mentales et de petites touches du quotidien de chaque époque. Voilà un album qui a toute sa place dans mes années à moi.
Elysée Montmartre – Mai 1991 de Noir Désir sort officiellement demain 19 mars. Si vous n’avez pas, tel le bon iencli que je suis, déjà précommandé (et reçu, je l’avoue !) la double galette, il ne vous reste plus qu’à foncer demain chez votre disquaire préféré pour pouvoir écouter à fond tout le weekend un album un peu inespéré, qu’on n’attendait plus à l’unité puisqu’il était disponible en coffret, mais terriblement incendiaire et addictif.
Voilà une galette qu’on n’attendait pas et qui tombera dans les bacs dès demain 24 janvier. Annoncé il y a à peine quelques jours, Débranché est l’inespéré live unplugged de Noir Désir. Coup de bol, j’ai reçu l’opus dès ce matin, je m’y suis plongé avec une certaine excitation et une triple interrogation : peut-on encore écouter Noir Désir en 2020 ? Que contient cet album ? Et surtout est-il bon et présente-t-il un quelconque intérêt ?
Peut-on encore écouter Noir Désir aujourd’hui ? Simple question prétexte pour lancer cette review, car je n’en ai en fait pas grand chose à foutre, et parce que je n’ai jamais arrêté d’écouter Noir Désir. C’est le groupe français phare de mes années ados-lycée-fac, et une des formations rock qui a gravé dans le marbre plusieurs souvenirs musicaux (et autres) inaltérables. En 6 albums studios et 2 lives, des prestations scéniques incandescentes et une parole poétique et politique, ces garçons-là m’ont emmené très loin et leurs disques sont rangés chez moi en bonne place et tournent encore régulièrement sur la platine.
Deux lives, qui deviennent trois aujourd’hui (enfin demain ^^) avec ce Débranché. Petit aperçu de l’objet avant la découverte sonore. Première chose qui saute aux yeux : le double vinyle est d’une sobriété absolue. Précisons d’ailleurs que cet album ne sortira que sur ce support et nullement en CD. Sobriété absolue donc, en associant une pochette gatefold blanche bardée de néons blancs et deux galettes noires, sauf à se procurer l’édition limitée vinyle blanc de chez Vinylcollector. Je préfère largement l’édition classique, comme une sorte de ying et yang testamentaire. Aucune illustration, aucune photo d’aucun membre du groupe. Objet sobre et épuré on vous a dit. Un habillage discret et bienvenu, pour se concentrer sur le contenu.
Que contient ce Débranché ? Onze titres, sur deux galettes. La première regroupe 7 titres issus d’une session radio à Milan en 2002, au cœur de la tournée Des visages, des figures. La seconde galette ne contient que 4 titres, et tourne pour l’occasion en 45 tours. Quatre morceaux interprétés en 1997 à Buenos Aires pour l’émission TV Much Electric, cette fois pendant la tournée 666.667 Club. Drôle de paradoxe d’ailleurs que de réarranger des morceaux en acoustique pour une émission qui s’appelle Much Electric ! Si je connaissais (comme beaucoup de fans je pense) la session Buenos Aires, je n’avais en revanche jamais entendu la session milanaise. Alors, c’est bien ou on passe notre chemin ?
Côté Milan 2002, j’avoue que c’est du très lourd. Le groupe revisite 7 titres en couvrant la quasi-totalité de ses opus. Ouverture des hostilités avec Si rien ne bouge, un de mes titres préférés notamment à cause de ces paroles qui comptent énormément pour moi : « Mon petit feu / J’t’embrasse sur les yeux / Je quitte l’enveloppe / J’t’aime plus qu’un peu ». La revisite est intimiste, mais ne tranche pas réellement avec l’original, déjà contenue. Même sensation avec Le vent nous portera, déjà très acoustique au départ. Ces deux premiers titres n’en sont pas moins efficaces. La première grosse relecture vient avec L’homme pressé, qui fut un brûlot chargé de rythmes électros et guitares. Cette version acoustique lui donne une puissance plus âpre et plus sèche, et met en valeur le texte et l’énergie qu’il contient.
On retourne la galette pour une face B incroyable qui s’ouvre avec Des visages des figures, sans doute un autre de mes titres préférés du groupe. Pour sa construction musicale déconstruite, et là encore pour ces mots répétés en boucle : « J’ai douté des détails / Jamais du don des nues ». Putain ce que j’ai pu faire tourner ce morceau jusqu’à l’ivresse. On enchaîne sur Les écorchés, sorte de carte d’identité du groupe reprise dans une version rageuse et débridée, péchue à souhait, avant de se diriger vers la conclusion du set. A l’envers, à l’endroit rapporte un peu de calme, malgré une colère qui reste très à fleur de peau. Fermeture du show avec Song for JLP dans une interprétation des plus désespérée et crépusculaire, mais magnifique, que j’ai pu entendre.
La partie Milan 2002 est éblouissante de maîtrise tout autant qu’émouvante (on y reviendra), et se livre dans une captation sonore de toute beauté. Le son est propre, équilibré et met en valeur les choix acoustiques du groupe. Une qualité sonore qui tranche avec celle du Buenos Aires 1997 : le son est bien plus lointain, moins plein. Il est loin d’exploiter la palette graves-aigus. Pour dire les choses clairement, ça crachote parfois et ça ressemble beaucoup aux enregistrements qu’on connaissait déjà de cette session. Cette seconde galette a plutôt valeur de pièce rare enfin officialisée et de témoignage historique pour le groupe.
En 1997, la tournée 666.667 Club bat son plein, sur la base de l’album éponyme. C’est le 5e du groupe, et aussi le successeur de Tostaky. Deux opus qui font la part belle à l’électricité (à tout les sens du terme), aux guitares en avant, aux sons qui décollent les tympans. Noir Désir est alors la pièce maîtresse et la clé de voûte d’un rock français qui n’hésite pas à faire du gros son. Comme un pied de nez, le groupe réarrange quelques titres en acoustique : on débranche tout et on reprend, histoire de montrer qu’on sait faire aussi plus calme. La captation Buenos Aires regroupe ainsi Un jour en France, Fin de siècle, Song for JLP et Back to you. Même si, on l’a dit, la qualité sonore est moyennement au rendez-vous, cet enregistrement permet de mesurer la capacité musicale du groupe et sa faculté à se revisiter. C’est d’ailleurs quelques mois plus tard que se construira l’inventif album de remix One Trip/One Noise (1998).
Il est temps de répondre à la troisième double question : cet album est-il bon ? Oui. Je ne reviens pas sur la qualité et la revisite des morceaux. Si on excepte la qualité sonore moindre de la partie Buenos Aires, toutes les versions proposées sont de haute qualité musicale pour une double raison : le matériau de base (Noir Désir c’est du putain de son et des textes de ouf) et le talent des musicos qui se réinventent en débranchant le bouzin. J’avoue avoir même eu l’impression d’entendre un inédit en arrivant sur L’homme pressé ou Des visages des figures.
Cet album présente-t-il un quelconque intérêt ? Oh que oui. Au-delà de l’objet que tout fan de Noir Désir et de rock glissera dans sa discothèque, Débranché est une sorte de machine à voyager dans le temps. Bien plus qu’une madeleine de Proust, ce disque (un peu surprise rappelons-le) ramène d’entre les morts un groupe débranché depuis bien longtemps. On notera au passage l’ironie de clore sur Back to you, alors qu’il n’y a aucun retour possible. Débranchéressuscite aussi une époque. Où l’on mélangeait insouciance, engagements politiques et sociétaux, refus des idées nauséabondes, soirées interminables et nuits blanches à refaire le monde en éclusant des bières jusqu’au matin. Où on s’imaginait finir un jour rock star ou poète, ou les deux. Où on se croyait immortels, tout comme les gens qu’on aime, tout comme nos illusions. Où on était capables de tout envoyer chier pour supporter la vie. Tout ça à la fois, et bien plus.
Ce temps-là est révolu. Il a disparu avec Noir Désir et tant d’autres choses fondatrices. Alors retrouver tout ça au détour de 4 faces de vinyles, ça a un côté particulièrement émouvant. De cette époque, on avait bien gardé de doux souvenirs et aussi pas mal d’écorchures, jamais réellement cicatrisées. Réentendre les musicos du groupe dans une configuration inédite, c’est se souvenir. Réentendre cette voix chargée de mille colères et de poésie, cette voix qui était un peu la nôtre, expulser une énergie qui nous a tant nourris, c’est un peu comme tomber par hasard, au coin d’une rue, sur l’autre que l’on sait parti(e) et/ou disparu(e) à jamais. C’est un peu comme la possibilité de réentendre la tienne de voix, au bout du téléphone, pour dire qu’on pourrait, au minimum, prendre le temps de se revoir avant que cette putain de vie ne s’achève. Ça n’arrivera vraisemblablement pas, et pourtant c’est un espoir qui ne s’éteint pas, malgré la conscience et la réalité des choses. C’est un rêve écorché. Une douce illusion. Une sorte d’intense et noir désir. Back to you.