Que s’est-il passé hier vendredi 5 août 2022 ? Sans doute plein de choses passionnantes un peu partout en France et sur toute la planète, mais nous nous arrêterons quelques instants sur une fête qui compte : hier vendredi 5 août 2022, c’était la Journée internationale de la bière. Créée en 2007 par une bande d’amis californiens, et à l’origine locale, cette célébration du houblon a eu lieu pour la toute première fois le 5 août 2008, puis s’est développée dans le monde entier à compter de l’année 2011. Notez une subtilité : cette Journée internationale n’a pas systématiquement lieu le 5 août, mais très précisément le premier vendredi du mois d’août. Hier, nous y étions, et avons donc célébré la date comme il se doit. Avec modération, doit-on le rappeler.
Cette modération ne nous a pas empêché de déguster quelques verres particulièrement savoureux, tout en écoutant une pile de bons disques. Dont ce titre de Miossec. Les bières aujourd’hui s’ouvrent manuellement figure en quatrième position sur l’album A prendre (1998), troisième galette studio du chanteur. Cet opus n’est pas dans les meilleurs, bien qu’il reste de haute tenue. Coincé entre le brillant diptyque Boire/Baiser (1995/1997), précédant le très bon Brûle (2001) et surtout l’excellent 1964 (2004), A prendre contient tout de même Retour à l’hôtel, L’assistant parlementaire et le très noir mais saisissant Au haut du mât. Des onze titres de l’album, il ne reste plus grand-chose dans le répertoire live de Miossec, qui se concentre sur d’autres albums.
Toutefois, Les bières aujourd’hui s’ouvrent manuellement occupe une place à part, puisque cette chanson, qui traite des relations de couple difficiles et de l’usure de la relation, est régulièrement revisitée sur scène par Miossec. On écoutera donc la version originale, suivie d’une revisite acoustique live en duo avec Gaëtan Roussel, à l’occasion d’un numéro de l’excellente émission Abers Road proposée par France 3 Bretagne. Retour aux sources rock avec, en bonus, la reprise très vénère de Deportivo, datant de 2007 sur l’album éponyme. Contrairement aux bières, vous pouvez écouter ce titre (et plus largement Miossec) sans aucune modération. Au fait, pour tout vous dire : hier soir, on a tout de même eu besoin d’un décapsuleur.
Le 21 avril est une date marquante à double titre. En l’an 2002, ce funeste jour a vu, pour la première fois, l’accès de l’extrême droite au second tour d’une élection présidentielle française. Choc politique, et choc tout court, la déflagration se fait encore ressentir aujourd’hui à gauche, avec la disparition totale de toute vision fédératrice. Personne à ce jour n’a réussi à reconstruire un mouvement autour d’un pack d’idées qui fait envie et qui regroupe. Le deuxième tour Chirac-Le Pen (père) avait mis à peu près tout le monde dans la rue pour dire non à l’extrémisme, et encore plus tout le monde dans les bureaux de vote pour un puissant 82% versus 18%. Une double réaction qui laisse songeur quand on voit où on en est vingt ans plus tard. Grosse digression (quoique…) totalement hors musique, pour mieux revenir à l’autre 21 avril. En 1997 celui-là, avec la sortie de Baiser, deuxième album studio de Miossec. Précision : selon les diverses infos récoltées, la sortie de la galette est datée soit au 17 avril, soit au 21. N’ayant pas la réponse exacte et la mémoire défaillante, et par facilité pour servir cette chronique, on gardera le 21 avril : je vous mets le tout au même prix, c’est offert par la maison, pour célébrer quoiqu’il en soit les 25 ans de cet opus.
Baiser arrive presque tout pile deux ans après Boire (sorti lui le 10 avril 1995). A la sécheresse du rock acoustique de ce premier opus, succède un album beaucoup plus électrique. A l’image d’un Dylan qui branche sa guitare au milieu des années 1960, perd-on au change, et Miossec perd-il de son efficacité ? Non non non non (#référencefacile). Boire parcourait les errances alcoolisées, nocturnes et (déjà un peu) amoureuses. Baiser est clairement plus tourné sur la relation de couple, l’amour qui dure (ou pas), l’usure des sentiments et de la passion. Faut-il souffler sur les braises éternellement, ou allumer des feux à plusieurs endroits ? L’album est organisé autour de deux titres placés en miroir : La fidélité ouvre la galette, L’infidélité nous tombe dessus à mi-parcours. D’un côté, la quasi-rage à peine contenue (soutenue par une guitare vénère et pleine de tension) de ne pouvoir assouvir un désir amoureux et physique par fidélité. Fidélité à celui/celle qui partage notre vie du moment, mais fidélité aussi de l’objet du désir à celle/celui qui partage sa vie. Et une réflexion sur la possibilité d’une infidélité. Qui trouvera sa réponse plus loin avec le titre miroir. Maintenant que c’est fait, « tu ne crois pas qu’il faudrait quand même passer l’éponge ? ». Et un refrain qui est peut-être pire que toute recherche d’excuses et de réparation de la casse : « Elle n’était même pas belle, elle était même un peu conne / Et d’ailleurs je n’ai plus le moindre souvenir de sa personne / Elle n’était même pas belle, elle n’était même pas bonne / Et d’ailleurs je n’ai plus la moindre idée de sa personne ».
Autour de ces deux piliers de l’album, gravitent bien d’autres pistes sur l’humain, ses tentations, ses errances, ses remords, ses regrets, ses erreurs. Ça sent le brûlé et Je plaisante s’enchaînent pour décortiquer la fin des sentiments. La routine qui s’insinue partout dans la première chanson, puis quand l’un n’aime plus, et que l’autre s’imagine que c’est encore rattrapable dans la seconde. Un titre qui mélange d’ailleurs une grande tendresse et un cynisme absolu avec ce « Même si tu ne vois plus / Ce qui te fait rester chez moi / C’est peut-être le cul / Je plaisante mais j’y crois pas ». Un peu plus loin, et dans la même veine, Le mors aux dents et Juste après qu’il ait plu enfoncent le clou. Le « Je t’aime bien, mais je ne t’aime plus » qui ouvre cette dernière est absolument fatal en quelques mots seulement.
Si La fidélité et L’infidélité sont posées en miroir dans cet album, ce sont aussi deux groupes de titres qui se font face. D’un côté ceux évoqués dans les lignes précédentes, qui balaient l’usure des sentiments, du désir et de la passion. De l’autre, les morceaux qui se rapprochent le plus du titre de l’album et d’une certain frénésie de sexe. Le célibat en tête avec son « N’être là que pour la baise, et surtout pas pour les mots tendres », ou encore Tant d’hommes (et quelques femmes au fond de moi) avec son « J’aimerais bien me baiser moi-même / Me dire des cochonneries tout bas ». Ce qui pourrait passer pour une solution n’en est pas une, et c’est même posé dès Une bonne carcasse : « Et l’on nage et l’on nage, et l’on hèle des navires / Et l’on rage, et l’on rage, et on en pousse des soupirs ». Pas une solution parce que « Aujourd’hui se dire, je me retrouve chez une sombre connasse / Toi au moins tu me faisais rire, c’est ça qui me tracasse ». Une idée que l’on retrouvera, quelques albums plus tard, dans l’excellente Chanson pour un homme couvert de femmes (2011).
On peut baiser et se faire baiser dans bien des positions, mais aussi de bien des façons. La guerre que l’on n’a pas choisie est un dramatique théâtre qui baise toutes celles et ceux qui y sont pris, et qui y perdent toute perspective de baiser(s). La politique est un beau terrain de chasse aussi pour se faire baiser. On était tellement de gauche, et aujourd’hui, on est devenus quoi ? (vous voyez que je ne digressais pas tant que ça dans mon introduction). Le panorama est quasiment complet. Dès lors, Baiser ne pouvait pas se terminer autrement que sur la géniale reprise de Salut les amoureux, sorte de comptine aigre-douce enregistrée initialement en anglais par Steve Goodman et popularisée en français par Joe Dassin. Miossec y apporte sa voix grave et éraillée et son phrasé désabusé, pour une reprise d’anthologie.
Reste tout de même une question : cet album fait-il le constat en boucle de l’usure des sentiments et de l’impossibilité d’entretenir la passion versus l’insatisfaction sentimentale et humaine à ne se contenter que du plaisir physique ? A première approche oui, mais ce serait oublier un point fondamental. Le critérium contient une première clé de réponse : « Remporter le critérium, c’est pas rien crois moi / Mais t’embrasser sur le podium, là c’est tout pour moi ». Le titre de la galette est la seconde clé, avec son double sens. Faisant suite à Boire, et précédant A prendre (1998), on a trop souvent lu Baiser comme un verbe, formant ainsi une trilogie. Verbe qui, dans un sens familier, revient à avoir des relations sexuelles. Verbe qui veut aussi dire donner un baiser, et qui amène pour le coup au nom commun. Une piste à explorer sans doute, celle de baiser en n’oubliant pas les baisers.
En deux albums dans la deuxième moitié des années 1990, Miossec s’implante durablement dans le rock et la chanson française. Bien d’autres albums suivront Boire et Baiser, mais ces deux-là reviennent souvent sur la platine. Baiser notamment, pour toutes les raisons dont on vient de parler, pour son intemporalité, et pour son énergie. Histoire de se retrousser les manches et de reprendre la main, pour baiser ou déposer des baisers (l’un n’excluant pas l’autre), et surtout ne plus jamais se faire baiser. « A essayer de vivre comme si de rien n’était / On se fait un beau jour rattraper par la marée ».
Il fallait bien ça pour fêter dignement (non non non non) la date du jour : ressortir du rétroviseur un titre qui affiche déjà ses 27 ans au compteur, et se rappeler au passage combien Boire fût en 1995 un ovni et un choc musical. Miossec débarque avec treize titres (et même quatorze en comptant la pépite cachée à la fin) et autant de chansons rock acoustique grattées à l’os. Pas une once de gras là-dedans. Un dépouillement minimaliste et sec qui contraste avec l’abondance d’émotions et de sentiments qui transpirent, et qu’on ne sait pas dire, ou qu’on a pas su dire autrement qu’en renversant les tables et en foutant le bordel. Album majeur, originel et séminal, Boire ne laisse aucun répit, mettant une bonne baffe à chaque chanson, chaque parole, chaque intro, chaque instant. Cet album d’écorché vif qui parle à tous les écorchés préfigure aussi le grand et humble bonhomme de la chanson française que Miossec est devenu au fil des années.
Les hostilités sentimentales débutent dès les premières minutes de Boire avec Non non non non (je ne suis plus saoûl), la pépite intemporelle du jour qui reste d’une efficacité incroyable. En rajouter, particulièrement aujourd’hui 14 février, ne serait que parlotte inutile. Je vous laisse donc apprécier le son du jour et son clin d’œil calendaire, avec une pensée particulière pour tous ceux, écorchés ou non qui, même s’ils ne sont plus saoûls, ont toujours la sensation d’Evoluer en 3e division.
Note : au moment de publier ce post, je prends soin de vérifier le passé du blog… et découvre que voici deux ans, quasi jour pour jour, je faisais déjà la même blague avec cette même pépite intemporelle. Qui était alors la n°46, à retrouver par ici, et que, promis de chez promis, je n’ai pas relue avant d’écrire celle-ci. C’était juste avant le début de la longue lose covidesque, en quelque sorte un petit bout du monde d’avant, aujourd’hui lu depuis le monde d’après. La comparaison des deux posts révèle une similarité et une constance, totalement assumée. Jusqu’à la chute sur Evoluer en 3e division, un autre titre de Miossec. Après une mini-conférence de rédaction avec moi-même, j’ai choisi de garder cette version 2022 de pépite intemporelle, tout en ajoutant ce paragraphe méta. En notant que, si aujourd’hui en 2022 je me montre peu loquace sous couvert de parlotte inutile, la version 2020 était bien plus bavarde. Même pépite, même ambiance, mais deux salles et deux façons de l’aborder.
Le doublé Miossec de la dernière fois m’a (presque naturellement) amené à réécouter l’album Les retrouvailles (2005) de Yann Tiersen. Oui, on a déjà écouté ce dernier il y a quelques jours en version piano solo, mais avec Le jour de l’ouverture, niché en plein milieu du disque, on aborde une autre facette de sa musique : polyinstrumentale, accompagnée de texte et à plusieurs voix. Yann Tiersen convoque les copains, et pas n’importe lesquels : Dominique A et Miossec. Ces trois là réunis, c’est de la poésie à l’état pur, autant vocale et textuelle que musicale. Ce que la chanson raconte, comment elle le raconte, sa construction musicale : pas une seconde à jeter dans ce titre qui a toujours le même effet sur moi, malgré des centaines d’écoute. C’est beau à en crever. Les frissons, les poils, la poussière dans l’œil, la chialade, la sérénité, l’évasion, la lumière aussi. Place au bon son et à la poésie.
Deux sons pour le prix d’un aujourd’hui, avec un doublé de Miossec issu de son album Ici-bas, ici même (2014). Notez que le son estival pourrait être tout l’album, tant il est brillant, bouleversant et parfait. A l’image de 1964 (2004) et de Boire (1995), ces trois albums formant à mes yeux un triptyque évident. Mais c’est une autre histoire, dont on parlera peut-être un jour ici-bas ici même.
Pour le moment, attardons-nous sur Le cœur et Samedi soir au Vauban. Ces deux chansons se succèdent en presque ouverture de la galette, mais surtout elles se répondent d’une façon assez évidente. Si Le cœur constitue l’instantané d’une post-séparation, avec les questionnements liés, Samedi soir au Vauban interroge l’après. Dans le premier titre, on se demande, le cœur lourd et abîmé, ce qu’il restera de l’histoire aujourd’hui finie : « Car il voudrait tant / Que tu ne l’oublies pas ». Dans le second titre, c’est l’après qui est regardé, avec les inquiétudes de plaire encore, de savoir s’il y aura un après : « Si nous portons ainsi notre visage / C’est pour qu’il soit un jour aimé / Ce serait quand même bien dommage / Qu’il ne soit plus jamais caressé ». Avec une référence avouée à Paul Eluard et son recueil de poèmes J’ai un visage pour être aimé.
Samedi soir au Vauban amène, de surcroît, vers le titre suivant Qui nous aime, et vers la suite du disque. Quand je vous disais que, finalement, le son estival du jour pourrait être la totalité de l’album.
Souvenez-vous d’il y a 25 ans, d’un temps que, forcément, les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Au beau milieu de ces années 90 déjà chargées en pépites, de Radiohead à Pearl Jam en passant par Jeff Buckley ou Nirvana, débarque une sorte d’ovni dans la chanson française. L’album Boire de Miossec nous est tombé dessus en avril 1995. Sec comme un coup de trique et joué à l’os, voilà bien une galette qui prouve qu’on peut faire de la chanson française rock et décharnée en mode acoustique et avec du texte intelligent inspiré par les écueils de la vie. Thiéfaine chantait Errer humanum est en 1986, Miossec relance le constat à peine dix ans plus tard avec un album matriciel et séminal. Album d’ailleurs réédité le 18 septembre dernier, avec un nouveau mastering pour (re)découvrir ce grand disque.
Ce même 18 septembre, et presque comme un pied de nez à la vie, Miossec est de retour avec la sortie parallèle d’un EP sobrement intitulé Falaises ! Composé, enregistré et interprété avec sa compagne Mirabelle Gilis, ce maxi 45 tours (pensez à régler votre platine à l’écoute ;)) lâche 4 titres fabriqués pendant le confinement du printemps dernier. Les deux artistes ont passé ces longues semaines au bout de la Bretagne, dans une cabane en bois avec vue sur mer. Dans la double idée de faire quelque chose de cette étrange période, mais aussi d’ouvrir de nouvelles perspectives de travail, Falaises ! développe la collaboration Gilis/Miossec. Collaboration déjà aperçue puisque la violoniste avait rejoint Miossec en 2016 pour l’album Mammifères, puis sur la tournée (assez géniale d’ailleurs) qui avait suivi. Toutefois, on découvre ici un réel duo avec une co-écriture, un mélange des voix et des compositions à quatre mains. Tour du proprio en 4 morceaux.
En ouvre le mini-album, après être déjà sorti en single quelques semaines plus tôt. Le texte, construit comme un immense jeu de mots autour du En, raconte une histoire d’amour, tout du moins les différentes facettes d’une relation. Sans en éluder aucun aspect, en intégrant les hauts et les bas de la vie avec un(e) autre, ce titre s’inscrit dans la pure veine Miossec par sa thématique. On parlait de Boire plus haut, album dans lequel il y avait déjà ces questionnements et constats, que l’artiste n’a de cesse de développer depuis ses premiers titres. La nouveauté vient de la composition, avec une première partie très portée par des sons synthétiques et presque mécaniques déjà entendus sur l’album Les rescapés (2018). Puis, sans prévenir dans la dernière minute du titre, le violon de Mirabelle Gilis t’éclaire et te réchauffe tout ça en t’attrapant la gueule pour te réveiller et te dire que oui, il faut se focaliser sur le beau et le lumineux. Fatal et imparable.
Elle a pourrait passer pour beaucoup plus pop et léger que le précédent morceau. Il n’en est rien. Sur une partition qui rappellera Le roi (album Mammifères) tant par ses sonorités que ses arrangements, Gilis et Miossec posent là le portrait d’une femme en errance et en recherche d’elle-même. « Elle a tout pour elle / Mais elle ne le voit pas » : comment ne pas y voir, là encore, une préoccupation récurrente du chanteur, déjà ancrée dans Combien t’es beau, combien t’es belle (album Boire), Pentecôte (album 1964 en 2004) ou Le cœur (album Ici-bas, ici-même en 2014) ? La recherche de soi, c’est à la fois accepter une forme d’errance, mais aussi savoir à un moment voir qui l’on est et en accepter les aspects.
Tout ira bien est un titre de l’après. Après le merdier, après le confinement, après les baffes de la vie, après les sorties risquées et incertaines en mer, après les cauchemars, après le monde qui s’effondre et dégueule de s’être trop mangé lui-même, après les souffrances. Pris dans la tourmente, la solitude, les peines et la nuit, difficile parfois de se dire que le mieux arrivera. Ce sont trois mots simples, une phrase à la con, un truc qu’on peut (se) dire comme une expression toute faite ou auquel on peut se raccrocher comme la plume de Dumbo. Sous la plume et dans les voix de Gilis et Miossec, c’est surtout un morceau incroyablement serein et réconfortant, qui étale du baume sur nos plaies et nous enveloppe dans ses bras pour remplacer ceux de l’autre qui n’est pas et nous manque. Tout ira bien est un titre simple mais pas simpliste, en fait plus complexe et riche qu’il n’y paraît à la première écoute.
Presque naturellement après ce mini-parcours, Trop d’amour vient clore le EP. A la fois comme une conclusion au disque et comme un écho à Elle a, ce dernier titre dessine le portait d’un homme qui déborde et dégouline d’amour. Pas d’amour con et niais tout fabriqué. Non, de cet amour généreux et profond que l’on trouve chez les belles personnes. De celui qui nourrit les jolies rencontres et les belles relations. Seulement voilà, dans l’histoire, il n’y a personne pour accueillir ou recueillir cet amour là : « Tu as beaucoup trop d’amour / En toi / Et ça déborde, ça coule / Entre tes doigts / Comme un torrent / Que l’on n’arrête pas / Jour après jour dedans / Tu te noies ». Comment, en à peine 3 minutes, dresser le portrait et les errances (là encore) des gentils. Ceux qui font attention aux autres (parfois plus qu’à eux-mêmes) mais qui, parfois, faute d’autre à qui offrir cet amour, se retrouvent eux-mêmes submergés par ce trop-plein. Ceux qui ne comprennent pas toujours ce monde et ne s’en accommodent pas. Ce qui tombe bien (ou pas), car souvent le monde ne les comprend pas non plus.
Falaises ! ne dure que 13 minutes, mais il est d’une puissance et d’une richesse qui confirment que la qualité vaut mieux que la quantité. Reste à se pencher sur le titre du EP, à la lumière de cette écoute attentive. Faut-il y voir un avertissement de la proximité de la falaise, pour éviter d’en chuter violemment ? Ou au contraire, étant en pleine navigation errante et erratique, un signe de l’aperçu de falaises au loin, synonymes de terres ferme où se reposer enfin ? Double question rhétorique, tant la réponse semble être double. Voilà quatre titres beaux et efficaces qui posent, une fois encore avec Miossec, que la vie pourrait bien n’être que ça : une déambulation sur le fil du rasoir et sur le bord de la corniche, avec des chutes mais aussi des avancées, et, lorsque l’existence nous gâte un peu, un(e) autre pour nous tenir la main et à qui on le rend bien. Lorsque c’est composé, écrit et interprété avec tant de talent et d’émotions, on a juste envie de dire merci au duo Gilis/Miossec. Tout simplement.
La magie du monde moderne, c’est par exemple la possibilité de regarder sans attendre la semaine suivante une saison complète de ta série préférée en replay ou sur Netfloux. C’est aussi la joie et le bonheur d’avoir toujours à portée de main un smartphone qui permet de faire tout plein de trucs auxquels tu n’avais pas pensé, et que d’ailleurs tu n’as pas envie de faire. Mais comme grâce à ton smartphone tu peux les faire… bin tu les fais.
La magie du smartphone, c’est aussi les notifications qui poppent quand tu t’y attends le moins, à n’importe quel moment de la journée. Pour une info cruciale, un tweet urgent, ou un rappel de calendrier. Et justement, cet après-midi, mon smartphone à moi m’a balancé un rappel de date, que je n’ai jamais programmé mais qui, par la magie des calendriers synchronisés et pré-enregistrés, m’a sauté au visage. Qu’ai-je donc vu s’afficher ? L’incontournable et essentielle information que demain, chers lecteurs, c’est le 14 février et la Saint-Valentin.
Peut-être la date de l’année dont je n’ai absolument rien à foutre parmi toutes celles dont je n’ai rien à cirer. Mais puisque c’est mon jour de publication sur Five-Minutes, autant en profiter et, pour une fois, célébrer comme il se doit ce jour béni pour les amoureux et amoureuses. Surtout un jour béni pour le commerce, des fois qu’on aurait pas tout claqué pour Noël, après avoir déjà défoncé son compte en banque pour le Black Friday.
La meilleure façon de fêter, avec quelques heures d’avance, la Saint-Valentin, c’est de revenir sur une pépite de 1995 avec le titre d’ouverture du premier album de Miossec. Pourquoi donc ? Si vous connaissez le texte, vous savez déjà. Si vous ne l’avez pas/plus en tête, je vous laisse apprécier “comme un crabe déjà mort“. Une sorte de cynisme absolu pétrie de classe totale, qui ouvrait alors un album fulgurant et râpeux comme on n’en avait pas entendu depuis longtemps. Le minimalisme de deux guitares et d’une basse pour porter les textes dépouillés de Miossec. Cette première galette est un grand album, et depuis, notre Brestois préféré a bien bourlingué en nous en a livré quelques autres tout aussi grandioses.
N’empêche que. Ce Non non non non est mon point de rencontre avec ce grand bonhomme de la chanson. Ce qui en fait un titre très cher à mon cœur. D’où la pertinence de célébrer la Saint-Valentin en l’écoutant. Saint-Valentin que, telle une ultime provocation, je passerai en tête-à-tête avec moi-même, alors que je ne m’aime pas. Un comble.
Et puisqu’à la Saint-Valentin, la société nous commande d’aller par deux, voici donc un second titre tiré du même album. Evoluer en 3e division, ou comment enfoncer le clou et rester dans l’ambiance.
Petit retour quelques mois en arrière pour profiter encore un peu de 2018, avec un des albums majeurs de l’année écoulée. On avait laissé Miossec en 2016 avec Mammifères, un bien bel album qui sonnait (re)nouveau, tant par sa couleur musicale que par les paroles. Après l’intimiste et bouleversant Ici-bas, ici même (2014), notre brestois préféré avait réuni autour de lui un drôle de trio de saltimbanques pour un opus hautement chaleureux et lumineux. Violon, accordéon et guitare acoustique portaient alors des titres poétiques que Miossec et sa bande avaient sublimés dans une tournée acoustique des plus émouvantes.
Album après album, la qualité première de Miossec est de nous attendre là où on ne l’attend pas. Les rescapés ne déroge pas à la règle : à la tiédeur cosy de Mammifères succède une galette bâtie sur des sonorités synthétiques et électriques. Une suite de partitions qui semblent aller fouiller au plus profond de nous-mêmes pour des compositions organiques, tendues, très dépouillées aussi. Le minimalisme musical règne en maître, sans toutefois céder à la simplicité ou la facilité. On trouvera même au cœur des Rescapés des sons quasi Blade-Runneriens, comme en ouverture des Infidèles ou de La mer. Par touches inattendues, le violon de Mirabelle Gilis fait de véritables miracles de douceur pour répondre à des textes toujours finement ciselés.
Parce que oui, le grand pouvoir de cette cuvée 2018 de Miossec, c’est d’avoir fait le choix musical le plus pertinent qui soit pour mettre en avant et en valeur les textes. Les différentes pistes musicales ne se font pas oublier et ne s’oublient pas, loin de là. Pourtant, elles ne font que servir d’écrins aux mots. Ce qui m’a obsédé pendant des semaines, c’est bien plus des phrases et des propos que les compositions en elles-mêmes. Miossec explore une nouvelle fois des sujets intemporels et ses obsessions. Et ça fonctionne plus que jamais, parce que ça a toujours fonctionné et parce que, une nouvelle fois, le poète a trouvé comment trousser 11 titres de la plus belle des manières pour nous embarquer et nous faire cogiter sans en avoir l’air.
Nous sommes : pas éternellement, comme nous le rappellera le On meurt deux pistes plus loin. Mais Nous sommes, malgré tout. « Nous sommes de ceux qui ne sont pas passés de loin à côté », ou comment faire écho, dans un sentiment d’urgence, au On y va de l’album précédent. Pour ne pas oublier non plus qu’on est tous des rescapés de quelque chose. Nous sommes, avant de partir un jour puisqu’On meurt. « On meurt du pire, on meurt d’un rien / On meurt n’importe comment ou de façon extraordinaire / On meurt dans le vide, on meurt trop plein / On meurt en voulant s’envoyer en l’air ».
Tout le reste de l’album va ensuite remettre sur le métier les préoccupations miosseciennes et humaines qui me travaillent tant. Les infidèles questionne les failles humaines et les tentations de la vie : qu’est-ce qui fait qu’un.e infidèle l’est un jour, puis ne l’est plus ? L’aventure énumère, par petits moments et par touches, ce qui forme cette grande aventure qu’est la vie. Pour fait plus loin écho en listant, dans une urgence rock, ce qui fait qu’il est bon d’être là malgré tout, ce qui fait que cette putain de vie mérite d’être vécue. Et La ville blanche clôturera l’opus par une nouvelle variation sur la vie qui passe et ses aléas : d’où on vient, où on va, pourquoi, comment, avec qui parfois… de quoi est-on faits, qu’est-ce qui importe et qu’est-ce qui nous fonde.
Mais avant cela, on aura aussi replongé dans le pourquoi/comment des relations humaines/sexuelles avec Les gens (quand ils sont les uns dans les autres) : qu’est-ce qui fait que ça matche ? Il se passe quoi dans ces moments-là ? Et après ? Un titre qui nous rappelle tant d’autres, comme Quand je fais la chose, Tant d’hommes, Des moments de plaisir… La vie sentimentale se demande quelle place on lui accorde dans nos existences, et comment ça peut prendre une place parfois démesurée, aux dépens même de tout le reste. Que choisit-on d’en faire, et par rebonds, que choisit-on de faire de sa vie ? Un gouffre à sentiments qui nous rongeront, ou un subtil dosage pour une vie dont on aura profité sans regrets d’être passé à côté ? Imparable Son homme, où comment regarder l’avant pour parler du présent et de ce qui n’est plus. Miossec revisite cette thématique du temps qui passe, des sentiments et relations qui évoluent, parfois se distendent et se dégradent, voire s’éteignent. L’impensable, à un moment du passé, peut pourtant arriver : comment ça peut finir par s’éteindre un putain de feu ? C’est Je plaisante, c’est Au haut du mât. Ce sont les rencontres et les fantômes du passé qui nous hantent, nous construisent aussi et nous accompagnent à vie, quoiqu’il arrive, sans qu’on ne les oublient jamais. Gravés dans des recoins de nous. A en chialer quand on y repense, et parfois sans y penser.
Les rescapés, c’est aussi La mer quand elle mord c’est méchant : sous un faux air de « Le feu ça brûle et l’eau ça mouille », on a ici un titre à la fois pesant et imposant, brut de décoffrage et absolument imparable. Enfin (et dans le désordre depuis le début de cette review), Les rescapés c’est aussi Je suis devenu. Un titre en forme de bilan, sur un air presque pop qui pourrait surprendre au milieu de cet opus résolument rock et rude. Un bilan serein, lucide et limpide, fait de réussites, d’échecs et de failles aussi. Un bilan profondément réaliste et humain, que je ne peux que partager et auquel je ne peux que souscrire et m’identifier : « Je suis devenu ce que j’ai récolté / Ce qui m’est tombé dessus / Et ce que j’ai bien pu ramasser / Je suis devenu ce que je redoutais / Mais je ne m’en suis aperçu qu’une fois le mal déjà fait ».
Respect total pour ce grand album. Immense merci à Miossec.