Five-Titles n°28: Source de Canine (2022)

Il est écrit là-haut qu’en septembre il est de bon ton de chroniquer le dernier album de CanineCanine Source sorti au printemps. Le premier opus Dune (chroniqué par ici) s’était imposé comme une franche réussite de 2019 au point de figurer dans mon top de fin d’année en sixième position. La voix androgyne de Magali Cotta, les influences trip-hop, le souffle épique à la Woodkid, les textes jonglant avec fluidité entre l’anglais et le français étaient de véritables forces pour un premier LP. Trois ans plus tard, Source est sorti le 13 mai dernier riche de 16 titres (dont 3 interludes) qui confirment le talent certain de Canine. Nous retrouvons ce perpétuel jeu de va-et-vient entre l’anglais et le français mais la voix (qui me paraît moins androgyne dans les arrangements) est davantage au centre des morceaux. Du coup, nous avons l’impression d’un album plus intimiste tourné vers l’introspection et la célébration de la nature -le soleil et la mer très présente, ce qui n’a rien de surprenant pour une Niçoise d’origine – qui propose moins d’envolées épiques à la Woodkid. A l’écoute de cet album, c’est finalement la référence de Mesparrow qui est revenue le plus souvent, confirmant la mue vers un son plus posé et moins aventurier. Je vous propose 5 tableaux impressionnistes qui vous donneront un aperçu de ce Source séduisant :

  1. Le morceau d’ouverture Sun est un bien bel hymne au… soleil (oui, oui, ce n’était pas évident…) et sa puissance régénératrice. Refrain lumineux et pop, rythmique trip-hop, le morceau ouvre brillamment l’album.
  2. Le titre suivant F.O.R.C.E nage dans les eaux profondes de l’introspection et de la mélancolie. Sublimé par ses arpèges sensibles, il séduira sans hésitation les fans de Mesparrow.
  3. Novembre reste dans la même lignée que F.O.R.C.E en abordant avec subtilité et justesse le deuil de l’amour. Pop soyeuse, ce titre n’est pas sans rappeler Sébastien Schuller dont j’ai parlé il y a peu.
  4. Hunters surprend, quant à lui, avec une rythmique électro-pop plus affirmée qui rappelle davantage le premier album.
  5. Galaxies demeure enfin ma plus belle bulle de douceur, donnant ses lettres de noblesse à une pop intimiste, feutrée et sensible, digne d’Aimée Mann.

 

Sylphe

Review n°68: Monde sensible de Mesparrow (2021)

Comme annoncé ce mardi, nous délaissons le vent chaud et aride de l’Australie pour notre belleMesparrow patrie du vaccin (…), la France. Nous tenons ici, avec ce troisième opus Monde sensible de Marion Gaume alias Mesparrow, le premier album francophone marquant de cette année 2021 qui part sur d’excellentes bases, musicalement parlant bien sûr. Après un premier album Keep this moment alive en 2013 passé sous mon radar, j’avais été séduit en 2016 par Jungle contemporaine et son croisement subtil entre sonorités électroniques et chant en français d’une grande justesse. Ce Monde sensible confirme avec brio les belles promesses, d’un côté un chant entre pudeur réelle et volonté d’exprimer l’indicible qui n’est pas sans se situer à la croisée d’une Camille et d’une Grande Sophie et de l’autre cette pop électronique oscillant perpétuellement entre mélancolie et échappatoire à ce monde âpre. En 11 titres et 35 minutes, Mesparrow nous embarque instantanément dans son monde sensible à souhait.

Saudade est fidèle à son titre et ouvre avec mélancolie l’album même si l’univers électro est paradoxalement d’une grande chaleur qui enveloppe et prend sous son aile la fragilité de Mesparrow pour un résultat séduisant. Il contraste fortement avec Différente, portrait aux saveurs pop où sous un regard un brin amusé Mesparrow souligne sa complexité et sa singularité, « Je suis trop, pas assez, mais toujours différente ». Après ce constat, on retrouve la puissance de l’art qui aide à confronter sa sensibilité au monde: Danse est un hymne particulièrement entraînant (à la danse hein…) qui m’évoque La Grande Sophie et Le Chant, sur des sonorités électros plus acérées dignes de Canine, démontre le besoin viscéral de l’artiste d’exprimer ses émotions.

Les titres s’enchaînent avec fluidité avec le tempo lent et le spleen de L’humeur chocolat, version introvertie d’un Non, non, non (écouter Barbara) de Camelia Jordana (oui, oui, j’assume la comparaison quelque peu surprenante) ou la pop mélancolique de Tu n’es pas seul qui ne cesse de s’enrichir au fil des écoutes. Le spectre de Canine vient de nouveau poser ses ailes sur Force sensible qui me séduit amplement par sa capacité à surprendre. Après un début downtempo, la rupture électro est soudaine et donne une tension excitante au morceau. Et que dire de Twist, écho dansant de Danse ? Incontestablement on est là pour bouger notre corps seuls dans notre salon qu’on connaît dans ses moindres recoins, j’adore ce titre au plaisir évident instantané.

Après un Reviens-moi vite dont les gimmicks sonores me freinent, Larmes de coton s’impose comme le plus beau titre mélancolique de l’album. Tension électronique sous-jacente, puissance du texte, richesse de la voix, il résume assez brillamment toutes les influences de Mesparrow sur ce Monde sensible. 2021 confirmerait-il mon intérêt de plus en plus grand pour la langue française? Je suis définitivement en droit de me le demande à l’écoute de ce bijou, enjoy!

 

Sylphe

Five Titles n°10: Monolithe d’Octave Noire (2020)

Finir les vacances dans un feu d’artifice musical tout en évoquant une certaineOctave Noire mélancolie lancinante à reprendre le chemin du travail dès demain, tel était mon objectif du jour et c’est Octave Noire qui va me permettre de remplir amplement cette mission. Vous avez peut-être la chance de déjà connaître Patrick Moriceau (et là j’avoue que je vous envie du plus profond de mon âme) sous son premier alias Aliplays pour deux albums d’indie électro Todotesorosiland (2004) et Happy Ours (2010) ou pour son premier album sous le nom d’Octave Noire, Neon en 2017. Vous vous doutez dès lors que nous allons passer un excellentissime moment avec ce deuxième opus Monolithe, taillé dans la roche noire du talent. Dans le cas contraire, je vous invite à découvrir cet artiste qui devrait désormais vous hanter dans les années à venir, tant cet album est d’une intensité folle. Pour esquisser le son de ce Monolithe, imaginez une voix noire comme l’encre qui flirte régulièrement avec le spoken word et évoque des artistes comme Arman Méliès ou Marvin Jouno, des ambiances sombres où les synthés naviguent entre électro et tentation post-rock alors que les cordes apportent une douceur inespérée, des textes percutants et désenchantés, et des invités perçus comme une vraie valeur ajoutée (Dominique A toujours dans les bons coups, ARM, Mesparrow)… Cet album de 48 minutes est un véritable bijou sonore, empreint d’une émotion indiscutable, que je vous propose humblement de découvrir à travers cinq titres qui me touchent au plus profond…

1. Après une Intro anxyogène à souhait, Los Angeles nous apporte ses synthés sortis tout droit de Jean-Michel Jarre, en espèce de rencontre du troisième type du XXIème siècle, avant que le spoken word ne s’impose. La voix est sombre et mélancolique, l’univers musical avec la batterie accentuant la rythmique et les cordes  m’évoque Air époque Virgin Suicides. Le morceau dont la mélodie du refrain s’imprime immédiatement en nous aurait mérité de figurer sur la BO de Mulholland Drive tout simplement…

2. Le titre J’ai choisi fait appel à Dominique A dont la voix nous charme inlassablement par son émotivité poignante. Le morceau plus rythmé et oserais-je dire plus pop dans l’approche brille par sa montée toute en tension (#addictedauxmonteesenpuissance) qui donne une intensité folle à l’ensemble.

3. Monolithe humain est plus âpre musicalement, un monolithe aux rebords acérés qui tend vers le post-rock avec les voix d’Octave Noire et du rappeur ARM. L’intensité est prenante, le morceau ne cesse de monter avec ses cordes lancinantes en fond. A écouter bien fort, pour éclairer toutes les dystopies à base de coronavirus (ah mince on me dit dans l’oreillette que c’est bien notre présent…)

4. Retiens cette image, titre qui fait allusion à la disparition du père, s’appuie sur des échos féminins tout en rupture qui m’évoquent l’inventivité d’une Camille. Les synthés lumineux et la rythmique aux frontières d’un dub désincarné nous donnent une belle leçon de mélancolie.

5. Les 7 minutes du titre final Blister me touchent par leur capacité à faire cohabiter un son électro dansant qui évoque sans hésitation possible le son Ed Banger et en particulier Justice avec une litanie désespérée et volontiers pessimiste. Il serait temps de déchirer ce blister…

5 titres, c’est finalement bien peu et j’aurais pu très bien partager avec vous le dialogue impossible de Parce que je suis avec Mesparrow ou encore la reprise en français d’un titre d’Aliplays Inland Sea qui évoque sur les premiers instants la douceur d’un Yann Tiersen au piano… Je pense que vous savez désormais ce qu’il vous reste à faire, enjoy!

Sylphe