Pépite intemporelle n°115 : Whole lotta love (1969) de Led Zeppelin

Vinyles-Led-Zeppelin-Vinyle-Led-Zeppelin---Led-Zeppelin-II--Remastered--lAprès 2022, ses 12 mois et tous ses bons sons partagés ici, il est grand temps de basculer en 2023 (comment ça on est déjà le 13 janvier ?). En commençant par souhaiter à tous nos lecteurs une excellente nouvelle année, pleine de bonnes choses, de santé et d’amour. Et puisqu’on parle d’amour, pourquoi ne pas fêter cette première chronique de 2023 avec un titre plein de love ? Avec élégance et distinction, comme toujours sur Five-Minutes. Whole lotta love (littéralement « Tout plein d’amour ») est sans doute ce qu’on fait de plus éloigné de toutes les bluettes et déclarations d’amour guimauves. On est là face à presque 5 minutes de pure énergie en tout genre, incandescentes et fortement sexualisées. La chanson ouvre Led Zeppelin II, deuxième album du groupe Led Zeppelin emmené par Robert Plant (chant) et Jimmy Page (guitare). Un album qui contient d’autres pépites comme The lemon song, Heartbreaker ou encore Moby Dick et son incroyable solo de batterie par John Bonham. Pourtant, c’est bien Whole lotta love qui met une baffe monumentale en ouvrant la galette et semble irriguer de toute son insolence le reste de l’album.

Whole lotta love est une adaptation de You need love du bluesman Willie Dixon, titre auquel Robert Plant ajoute quelques passages. Mis à part son titre somme toute assez sage (qui ne voudrait pas « Tout plein d’amour » ?), c’est plutôt ce qu’on trouve en fouillant un peu qui érotise l’ensemble. L’original de Willie Dixon contient déjà des paroles sans équivoque avec le « way down inside » (« tout au fond de toi »). Led Zeppelin va un peu plus loin en ajoutant au beau milieu du titre des cris vocaux d’orgasme se mêlant à d’autres moins évidents (mais tout aussi explicites) joués au thérémine par Jimmy Page pendant la montée psychédélique, sonore et jouissive du pont de milieu de la chanson. Comme s’il en fallait encore, les dernières paroles sont tout aussi électriques et font référence au Back Door Man (autre titre blues de Willie Dixon, repris cette fois par les Doors en 1967 pour une version tout aussi sexuelle que Whole lotta love) : « Shake for me girl, I wanna be your back door man » (Secoue-toi pour moi, je veux être ton homme de la porte de derrière). Tout un programme.

L’ensemble deviendra rapidement un standard absolu du groupe, autant pour son énergie et ses qualités musicales rock que pour le parfum vénéneux que le morceau dégage. Joué durant des années dans à peu près toutes les prestations du groupe, parfois dans d’interminables versions longues comme un orgasme qu’on retarde pour mieux le laisser venir, Whole lotta love est un titre chaud comme la braise, dévastateur, profondément connoté. Le genre de morceaux entré dans les annales depuis des années et jusqu’à la nuit des temps. Tant que les hommes et les femmes aimeront le rock, l’amour et le sexe, ils écouteront Whole lotta love.

Cerise sur le gâteau ? Whole lotta love est sorti en 1969, année érotique. Quant à la pochette du disque, regardez bien. On en le voit pas au premier coup d’œil mais il y a bien un gros Zeppelin gonflé qui flotte sur l’album. Il vous faut encore des explications après ça ? Si non, passons à l’écoute et à la démonstration, son à l’appui. Si oui.. et bien passons à la dernière preuve que seront l’écoute et la démonstration, son à l’appui. Whole lotta love !

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°73 : When the levee breaks (1971) de Led Zeppelin

LEDCD004Nous sommes fin 1971, le 8 novembre très exactement. Tombe dans les bacs le quatrième album de Led Zeppelin, généralement nommé Led Zeppelin IV, en continuité des 3 précédents, bien que la pochette de ce nouvel opus soit totalement dénuée de toute inscription. Le groupe britannique, emmené par Jimmy Page à la guitare, Robert Plant au chant, John Paul Jones à la basse et John Bonham à la batterie, vient de pondre 3 albums incroyables entre 1969 et 1970 : Led Zeppelin (1969), Led Zeppelin II (1969) et Led Zeppelin III (1970). Trois galettes qui posent les bases d’un son nouveau en explorant des choses bien connues : le blues, le rock, le folk, mais tout ceci à la sauce Led Zeppelin. Autrement dit, un son fait d’une voix assez incroyables, de riffs et de solos de guitares ravageurs et démentiels, et d’une section rythmique apportant un groove assez inattendu, pour ce qui deviendra les origines du hard rock. La grande question avant de se plonger dans ce Led Zeppelin IV, c’est de savoir ce que le groupe peut apporter de plus et de mieux après 3 disques où il n’y a pas une seconde à jeter. La réponse ? Un quatrième album de nouveau parfait, une sorte de condensé de tout ce que le quatuor sait faire.

Led Zeppelin IV est construit autour de 8 titres, chacun plus efficace que le précédent et que le suivant. C’est bien simple : quelle que soit la porte d’entrée sur cet album, ça fonctionne. Que l’on commence avec les très rock Black dog ou Rock and roll, que l’on poursuive avec le folk celtique The battle of evermore ou que l’on plonge dans l’incontournable Stairway to heaven, la première face de l’ascension est ponctuée de frissons et d’une pêche assez folle. Seulement voilà, il reste l’autre face de l’aventure. Un second temps qui s’ouvre sur le groovy Misty mountain hop, pour enchaîner sur l’excellent blues folk incandescent Four sticks. En 7e position, Going to California la joue balade folk intimiste. Ne reste qu’un morceau pour boucler cet incroyable galette. Un dernier morceau de 7 minutes qui nous prend par surprise, tant on pensait finir en douceur.

When the levee breaks ne pardonne pas. Nos oreilles et nos corps sont arrivés exsangues et ravis à la fin de Going to California. Ravis de cette virée musicale multi-influences et pensant avoir tout entendu. Ce n’est évidemment pas le cas, avec cette reprise d’un vieux titre blues écrit en 1927 par Kansas Joe McCoy et Memphis Minnie. Le morceau, dont le titre signifie « Quand la digue se rompt », fait référence à la grande crue du Mississippi de 1927 qui ravagea l’Etat éponyme et les régions voisines. De nombreuses habitations furent détruites, tout comme l’économie agricole locale. Ces lourdes conséquences poussèrent des familles entières à partir chercher du travail dans les villes industrielles du Midwest, et contribuèrent à la grande migration des Afro-Américains en ce début de XXe siècle. Voilà pour l’acte de naissance, et voilà également, en pépite bis, la version originale.

Evidemment, la revisite de Led Zeppelin ne va pas laisser ce titre au rang de sympathique et tranquille blues acoustique. Le groupe retouchera les paroles, mais défenestrera surtout la partie musicale : une ouverture de bucheron à la batterie, vite rejointe par un chant d’harmonica vibrant et saturé, et une guitare entêtante. Pour une introduction démentielle de presque 1 minutes 30, avant que Robert Plant ne vienne planter sa voix stratosphérique au milieu de cette jungle bluesy. S’ensuit alors une virée hypnotique et vénéneuse dans laquelle sont injectés des sons à l’envers (harmonica et écho), du phasing (technique consistant à répéter un court motif musical en le décalant, tout en augmentant et diminuant ce décalage) et du flanging (effet sonore obtenu en ajoutant au signal d’origine ce même signal, légèrement retardé). When the levee breaks par Led Zeppelin, c’est tout autant une affaire d’interprétation que de techniques sonores nouvelles que le groupe explore pour notre plus grand bonheur.

Il en résulte un titre poisseux directement sorti du bayou, terriblement obsédant et sensuel et d’une efficacité assez rare, surtout lorsqu’il s’agit de refermer un album. Là où certains artistes négligent les fins de disques (et notamment à l’époque du tout vinyle où la face B pouvait se voir sacrifiée en contenant des B-sides et morceaux secondaires), Led Zeppelin soigne sa sortie. Comme pour récompenser les fans et les courageux qui se sont aventurés jusque là. Mais aussi pour montrer que, de la première à la dernière note, ce groupe de légende ne vole ni sa réputation ni son talent. When the levee breaks met un point final à quatre albums, eux aussi de légende. Led Zeppelin poursuivra ensuite sa carrière tout au long des années 70, avec encore de bien belles choses à venir. Pourtant, aucun album futur n’égalera ces quatre premiers. Et aucune fin d’aucun album de Led Zeppelin ne possède cette intensité et cette puissance qu’apporte When the levee breaks.

Raf Against The Machine

Five reasons n°4 : Anthem of the peaceful army (2018) de Greta Van Fleet

Faut-il préférer la copie à l’original ? Voilà bien une éternelle question, qui ne trouvera sans doute jamais une réponse unique, tant elle dépend d’un facteur absolument pas évoqué dans cette formulation : tout dépend de la qualité de la copie et du plaisir qu’on y prend par rapport à l’original. Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, ma réponse est claire : le son de Greta Van Fleet, s’il ne m’est pas aussi jouissif que celui de Led Zeppelin, me file tout de même quelques sacrées bonnes vibrations dans le soubassement. Pourquoi écouter Greta Van Fleet alors qu’on peut s’enfiler du Led Zeppelin ? Réponse en 5 actes.

  1. Greta Van Fleet, contrairement à ce qu’on pourrait penser, n’est pas une chanteuse mais un quatuor de loustics rocks sortis tout droit du Michigan : les trois frangins Kiszka, accompagnés de Danny Wagner. Quatre garçons dans le vent qui s’organisent exactement comme le quatuor Led Zep, à savoir chant/guitare/basse/batterie. Outre le fait de retrouver la composition exacte de son modèle, Greta Van Fleet a pigé que, pour faire du bon son rock-blues, c’est une des formations idéales, avec une section rythmique de bucheron pour porter une six cordes en avant. Et une putain de voix.
  2. La voix justement : celle de Josh Kiszka. Haut perchée, puissante, légèrement rocailleuse, qui, sans égaler celle d’un certain Robert Plant, ferait tout de même bander un Whole lotta love sur Lover, Leaver, ou nous baladerait un Your time is gonna come sur You’re the one. Cerise sur le gâteau, le garçon reprend parfois le phrasé exact de son modèle, à tel point que j’ai pu avoir l’impression d’écouter des inédits du Zeppelin.
  3. D’aucuns me diront que le guitariste n’atteint en revanche pas le génie de Jimmy Page. C’est pas faux mon cher Perceval, mais Jake Kiszka gère quand même pas trop mal son manche, entre bonnes rythmiques qui groovent et quelques solos bien lâchés. Côté batterie, le Danny Wagner tabasse ses fûts comme un sourd furieux. Que cela soit réellement dû à ses petits bras musclés ou aux facilités d’un mixage avantageux, j’avoue que je m’en moque un peu : ça bûcheronne à l’arrière, comme ça bûcheronnait du temps de John Bonham.
  4. On pourra faire toutes les analyses techniques possibles et imaginables, la musique est avant tout une affaire de sensations. Le son de Greta Van Fleet me file cent fois plus de frissons que d’innombrables daubes. Ça ne s’explique pas : on y est ou on y est pas. Ici, pas de vocodeur ou de boucles sans âme. Le quatuor a certainement beaucoup écouté Led Zep, mais aussi tout ce qui s’est fait de meilleur en rock et folk entre 1965 et 1975. Beaucoup écouté mais surtout assimilé et digéré, pour pondre un son qui finalement leur est propre, alors qu’on pourrait penser qu’ils n’ont rien inventé.
  5. Le dernier argument, et peut-être le plus imparable, vient directement de Robert Plant (excusez du peu) qui déclarait voici quelques mois : « Il y a un groupe à Detroit qui s’appelle Greta Van Fleet : ils sont les Led Zeppelin I ». C’est pas la classe ça, d’être adoubé par son inspirateur direct ? Et en effet, l’écoute de Anthem of the Peaceful Army revient à parcourir la diversité que la bande à Plant/Page exposait dès son Led Zeppelin I (1969).

On pourrait terminer en se disant que le titre de l’album est une 6e raison de plonger dans cette galette. Anthem of the Peaceful Army se traduirait littéralement par Hymne de l’Armée Pacifique. Perso, je trouve que ça fait pas de mal de faire un petit pied de nez à un monde qui pue les envies de violences et de conflits guerriers en tout genre.

Raf Against The Machine