Pépite du moment n°129 : L’homme à tête de chou in Uruguay (2022) de Daniel Zimmermann

c_3521383476383-3521383476383_1Comme cela nous arrive parfois sur Five-Minutes, petite incursion dans le jazz pour découvrir un album sorti voici déjà quelques semaines. L’homme à tête de chou in Uruguay : variations sur la musique de Serge Gainsbourg est une bien belle galette proposée par Daniel Zimmermann. Tromboniste talentueux, le garçon s’est construit un petit parcours/CV dans le monde musical. A 49 ans, il peut se targuer d’avoir accompagné les plus grands (Claude Nougaro ou encore Manu Dibango), mais aussi d’avoir participé à plusieurs projets divers et variés, entre jazz et rock. On peut aussi citer ses collaborations avec le Sacre du Tympan de Fred Pallem, ou encore l’Orchestre National de Jazz. C’est à la tête d’un quartet jazz que Daniel Zimmermann a signé en novembre 2022 L’homme à tête de chou in Uruguay : 9 titres de Serge Gainsbourg revisités jazz. Non pas arrangés en version jazz, mais plutôt servant de support à une réinterprétation/réécriture et à de bien beaux chorus. Pour mener à bien ce projet, Daniel Zimmermann s’est entouré de Pierre Durand (guitare), Jérôme Regard (basse) et Julien Charlet (batterie). Un groupe déjà entendu sur Montagnes russes (2016).

Le quartet revisite en 51 minutes des titres plus ou moins connus de Serge Gainsbourg, dans un style très cool jazz qui n’oublie pas de groover. Si vous aimez les petites formations jazz qui déroulent du son pour chiller, cet album est fait pour vous. De la première à la dernière note, on se laisse porter par les thèmes musicaux qu’il ne faut surtout pas chercher à reconnaître. L’intelligence de ces revisites, c’est justement de nous ramener petit à petit sur l’original, pour toujours mieux s’en éloigner. Le parfait hommage. A commencer par le titre de l’album, qui est une contraction de deux chansons de Serge Gainsbourg : L’homme à tête de chou et S.S. in Uruguay. Une contraction que l’on retrouve d’ailleurs musicalement, puisque l’album s’ouvre sur S.S. in Uruguay, relecture décrite par Daniel Zimmermann comme « une espèce de mashup considérablement retravaillé de deux chansons de Gainsbourg, L’Homme à la tête de chou pour les harmonies et S.S. in Uruguay pour la mélodie. » (propos issus d’une interview donnée à France Info, lien en fin d’article).

Viennent ensuite 8 autres re-créations. Toutes sont de haute qualité, mais j’ai envie de retenir New-York U.S.A. pour son groove, Comic Strip pour son ambiance et ses cassures rythmiques, et Bonnie and Clyde pour sa tension tout en finesse. Une tension accrue par un cinquième musicien invité, et que l’on retrouve aussi sur Ballade de Melody Nelson et La noyée. Daniel Zimmermann a convié Eric Truffaz à venir éclairer de son jeu de trompette ses relectures de Gainsbourg. Si le quartet assure grandement et largement la performance, Eric Truffaz apporte une touche assez incomparable, qui enrichit considérablement l’ensemble.

Vous l’aurez compris : L’homme à tête de chou in Uruguay est une pépite qui vous baladera au pays de Gainsbourg, mais plus largement dans un jazz intelligent, accessible, savoureux et efficace. Daniel Zimmermann signe là un bien bel album, à côté duquel j’avoue être passé à sa sortie. Il était largement temps de le découvrir et de vous le partager, pour rendre honneur à cette virée musicale de haute volée. Un album que, a posteriori, j’intègre sans hésitation dans ma rétrospective 2022. Mieux vaut tard que jamais.

(Cette chronique a été rédigée en puisant des informations dans l’interview donnée par Daniel Zimmermann à France Info le 17 février 2023, passionnante et à retoruver en intégralité ici : https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/jazz/daniel-zimmermann-tromboniste-de-jazz-revisite-serge-gainsbourg-dans-un-album-instrumental-j-ai-tout-fait-pour-me-demarquer-de-gainsbourg-en-le-respectant_5647502.html)

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Pépite intemporelle n°100 : Olé (1961) de John Coltrane

100878705_oPour fêter la 100e pépite intemporelle de Five-Minutes, il nous fallait bien un titre d’anthologie. C’est le cas avec Olé de John Coltrane, sorti en 1961 sur l’album éponyme. D’une durée de plus de dix-huit minutes, ce morceau incroyable à bien des égards est, possiblement, ma composition préférée de Coltrane. Pas ma première porte d’entrée dans le monde de ce jazzman hors normes, mais le son qui m’a empêché de dormir des nuits entières, et qui m’a donné envie d’attraper un jour un saxophone pour essayer d’en faire quelque chose. Peine perdue, et pourtant Olé reste un incontournable absolu dans ma discothèque, et une des compositions de jazz vers laquelle je reviens plus que régulièrement.

Le début des années 1960 est une charnière dans la carrière de John Coltrane. Bien qu’il joue dès 1945, sa carrière discographique, courte mais intense et dense, se déroule de 1955 à sa mort en 1967. Douze années pendant lesquelles il va révolutionner et réinventer le jazz. Après des collaborations multiples, dont celle au sein du quintet, puis du sextet de Miles Davis (on entend notamment Coltrane sur Milestones en 1958 et Kind of blue en 1959), Coltrane monte ses propres formations et offre, sous le label Atlantic, quelques unes des partitions de jazz les plus vertigineuses. Olé se situe à la toute fin de cette période, en étant le dernier album chez Atlantic, avant le passage chez Impulse! pour un jazz toujours plus inventif, toujours plus moderne, toujours plus free.

Album de clôture des années Atlantic, tout autant que clin d’œil/réponse au Sketches of Spain (1960) de Miles Davis, Olé s’ouvre sur dix-huit minutes fiévreuses, envoûtantes, hypnotiques, vénéneuses. Construit sur une rythmique piano/basse en syncope permanente, le morceau propose un thème sorti de nulle part, interprété au saxophone soprano que Coltrane a découvert quelques mois plus tôt. Ensuite… ensuite, on va enchaîner les chorus de folie. D’abord à la flûte avec Eric Dolphy, puis à la trumpette avec Freddie Hubbard, avant de laisser la place à McCoy Tyner au piano, et enfin la contrebasse d’Art Davis. Chacun a la parole durant les deux tiers du morceau. Le dernier tiers est une folie absolue, un délire musical qui explose toutes les frontières. Plus rien ne compte, si ce n’est la musique et la transe.

On ne tient pas encore ici le futur classic quartet de Coltrane, qui verra l’année suivante Jimmy Garrison s’emparer de la basse et Elvin Jones de la batterie. Toutefois, Olé est un incontournable de la discographie de Coltrane, et pour tout amateur de jazz. Viendront ensuite les années Impulse! avec des albums comme Ballads (1962), Impressions (1963) et surtout A love supreme (1964), considéré à la fois comme un chef-d’œuvre total et album majeur du jazz, mais aussi comme un des disques de Coltrane les plus accessibles. Mais ça, c’est une autre histoire. Pour le moment, Olé de Coltrane, suite à quoi vous pouvez écouter la suite de l’album pour découvrir les autres pépites qui le composent, à commencer par Dahomey Dance et Aisha.

PS : puisqu’on parle jazz… le VeryDub, formation electro-jazz dont nous avions parlé en rubrique Live il y a quelques semaines, lance un crowdfunding pour soutenir la sortie de l’album à l’automne prochain. Un chouette projet musical ! Si le cœur vous en dit, ça se passe par ici : https://www.helloasso.com/associations/serres%20chaudes/collectes/verydub-le-disque-2

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Live n°2 : VeryDub – 26 mars 2022

IMG_5590La musique sur disques, c’est bien. La musique en live dans une salle de concert, c’est encore mieux. Disons même que ça n’a rien à voir. Deux salles, deux ambiances. Deux expériences différentes et complémentaires, foi de musico-dépendant. C’est dans cet esprit que nous avions ouvert la rubrique Live sur Five-Minutes, afin de faire partager des moments scéniques et, si possibles, orgasmiques. Seulement voilà : un bref retour dans les archives vous rappellera que la rubrique a vu le jour en 2019, pour une mémorable soirée en direct du Printemps de Bourges. A peine un an plus tard, nous avons été rattrapés (et les artistes les premiers) par un covido-chômage technique d’une tristesse sans nom. Aujourd’hui que les masques tombent et que les salles de concert retrouvent leur ambiance du monde d’avant, il est grand temps de redonner du souffle à nos chroniques Live. Et quelle meilleure occasion pour se relancer de dire quelques mots de l’excellent concert du VeryDub ce samedi 26 mars 2022 ? Nous y étions, à Saran (Orléans) précisément. Si vous avez préféré une niaiserie télévisuelle, voire un Columbo (non niais en revanche, et toujours efficace), libre à vous, mais vous êtes passés à côté d’une grosse prestation electro-jazz.

VeryDub est un quintet constitué autour de Baptiste Dubreuil. Ce dernier est loin d’être un inconnu sur la scène jazz. Fin connaisseur et interprète de Keith Jarrett, à peu près aussi à l’aise au piano que derrière ses synthés et capable de brillantes compositions, le garçon s’était également fait remarquer en 2011 avec Nicolas Larmignat et Benoît Lavollée. Le trio avait enregistré Le symptôme, un huit titres marqué par des ambiances oniriques tirées au cordeau. Le VeryDub, c’est la même veine mais en version démultipliée et explosive. Baptiste Dubreuil s’est entouré de Nicolas Larmignat à la batterie, Stéphane Decolly à la basse, David Sevestre aux saxophones et DJ Need aux platines. Ce dernier nom vous parle ? Normal, et en plus vous avez bon goût. DJ Need est une des quatre paires de mains de feu Birdy Nam Nam, quatuor de DJ à la créativité et l’énergie débordantes.

Et de l’énergie débordante, on en a eu lors de ce concert. Au fil des titres, chacun y va de sa présence dans une musique enracinée dans l’electro-jazz, mais qui se plaît à faire voler en éclat les barrières et catégories. Les compositions sont fournies et variées, enchaînant plusieurs thèmes dans un seul morceau. Ce qui pourrait passer pour un bordel désorganisé est en réalité soigneusement élaboré, rappelant ainsi les logiques créatives d’un Pharaoh’s dance de Miles Davis (album Bitches Brew), ou même du Echoes de Pink Floyd (album Meddle). Au cœur du dispositif, Baptiste Dubreuil installé derrière ses machines, et à l’origine de toutes les compositions. Un Fender Rhodes, un Moog, un Prophet et des boîtes à sons partout : en d’autres termes, un créateur d’ambiances incroyables, appuyées par le jeu généreux et habité de Nicolas Larmignat, lui-même soutenu en section rythmique par les lignes de basse denses de Stéphane Decolly. Posées sur cette base, les lignes saxophoniques de David Sevestre, et les platines de DJ Need. La musique du VeryDub est avant tout hautement cinématographique. Combien de fois pendant ce concert ai-je vu des scènes de films ? Combien d’images mentales se sont créées, notamment pendant La fin du monde ? Peut-être le titre le plus marquant parmi les six interprétés, avec également Kind of punaise. De bidouillages sonores en explosions de rythmes entrecroisés, VeryDub nous emmène dans des mondes post-apocalyptiques, dans des polars, ou encore dans l’agitation de nos cerveaux bousculés par un monde incertain. Plus d’une fois, j’ai eu cette sensation d’entendre se matérialiser ce qui se joue parfois au fond de moi-même lorsque je suis tiraillé entre des moments paisibles, en suspension, et de violents rappels à la réalité.

J’ai souvent dit ici que les meilleures bandes originales de films/jeux vidéo sont celles qui existent par elles-mêmes, et que l’on peut écouter sans images. Avec le VeryDub, on prend la question dans l’autre sens : les compositions de Baptiste Dubreuil ne sont pas des BO, mais elles font émerger des images qui n’existent nulle part sur un écran. Tout cela se passe au creux de nos cerveaux, et aussi au fin fond de nos corps : le son du VeryDub est éminemment organique, viscéral, physique. Une musique qui prend aux tripes, qui parle à la chair, qui fait vibrer, qui tabasse dans tout le corps et grâce à laquelle on se sent en vie. Pleinement. Une musique forte, dotée d’une vraie identité, d’une personnalité pleine et entière, loin de toute mièvrerie ou soupe à la guimauve. Le VeryDub ne laisse pas indemne, mais c’est pour notre plus grand bien. Une musique qui secoue, qui émeut, qui transporte, qui bouscule, qui réveille et qui donne une putain d’énergie et d’envie de se lever. Un mélange de sourires et de larmes d’émotions, une combinaison subtile entre tensions et frissons. Quand un musicien ou un groupe atteint cette double sensation, il peut se dire qu’il a réussi son coup, et avec brio : nous sortir un temps des affres du quotidien pour nous balader très loin en traversant une foultitude de sensations toujours solidement accrochées plusieurs heures après le concert. Quand on connaît une pareille expérience, on se dit qu’on a bien fait de délaisser toute niaiserie télévisuelle, et même un bon Columbo, pour venir vivre le VeryDub en live. Une seule hâte : reprendre très vite une dose de cette bonne came de très haute volée.

Un plaisir en annonce un autre : le groupe, via Baptiste Dubreuil himself, précise qu’un disque est en construction pour une sortie en septembre 2022. On surveille ça et on en reparle au plus vite. Le VeryDub sur scène ET sur disque. La boucle de cette chronique est bouclée.

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Pépite du moment n°112 : May the funk be with you (2022) de Ezra Collective

artworks-utmkk3aTViij-0-t500x500Internet, les réseaux sociaux et Twitter peuvent être le déversoir d’une immonde bêtise et de moult stupidités. Néanmoins, si l’on prend le temps de trier et de bien chercher, c’est aussi l’endroit où l’on peut croiser des gens très bien, des personnes normalement constituées qui proposent des contenus au minimum intéressants, quand ils ne sont pas passionnants. Des lectures, des films, des jeux, ou encore des sons, dont celui d’aujourd’hui découvert au détour d’une passionnante discussion virtuelle. May the funk be with you est le dernier titre en date de Ezra Collective. Ce quintet londonien officie depuis maintenant quelques années dans le domaine du jazz, et se donne régulièrement en live (ils seront d’ailleurs au Hasard Ludique à Paris demain 25 mars, mais ne cherchez pas de place, c’est complet). Constitué autour de Femi Koleoso à la batterie, il regroupe TJ Koleoso à la basse, Joe Armon-Jones aux claviers, Ife Ogunjobi à la trompette et James Mollison au sax ténor. Un quintet tout ce qu’il y a de plus classique dans sa composition, mais qui a le bon goût de mélanger allègrement les genres. Loin de se cantonner à un jazz standard, Ezra Collective envoie une dose d’afro-beat, une louche de hip-hop, une pincée de soul et de musique latines et une cuillerée de funk pour des sons qui groovent et balancent bien comme il faut.

Ezra Collective brille ainsi sur ce que l’on appelle la nouvelle scène jazz britannique, mais il ne s’agit là que de mots et de tiroirs pour tenter de ranger et de classer les choses. Or, la musique n’est jamais plus belle que lorsqu’elle s’affranchit des catégories, dépasse les styles pour mieux les mixer et se réinventer, à l’instar de ce que peut proposer A State of Mind, formation très efficace dont on pourrait parler des heures. Le groupe de Femi Koleoso n’invente rien en soi, mais les ingrédients et influences sont subtilement dosés pour obtenir une musique qui fonctionne. En fin de compte, est-ce du jazz, du funk, de la soul ? J’avoue que je n’en ai vraiment rien à faire. Toute cela n’a aucune espèce d’importance, tant que j’ai dans les oreilles de la musique qui me fait de l’effet. Et ce May the funk be with you joue parfaitement son rôle sur moi. Doté d’un titre dont la référence StarWarsienne ne peut pas m’échapper, ce son fonctionne dès les premières secondes. Que le groupe soit bâti autour de sa section rythmique ne fait aucun doute, tant le groove est présent d’entrée de jeu, confirmé par l’arrivée trompette/sax à la 20e seconde. Exposition du thème, avant de passer au chorus de trompette, pour retomber sur le thème principal. Structure jazz pur jus, mais interprétation sincère et chaleureuse qui fonctionne toujours.

May the funk be with you est un savoureux bonbon jazzy qui se déguste sans réserve, et qui est une chouette porte d’entrée aux deux albums d’Ezra Collective Juan Pablo: The Philosopher (2017) et You can’t steal my joy (2019), que je découvre à peine mais que je vous conseille déjà fortement. May the funk be with you est le son smooth et sucré dont on a besoin par ces temps troubles et incertains. Entre un conflit mondial larvé, une planète au bord de l’asphyxie, et quelques autres joyeusetés sinistres, on peut se laisser complètement submerger et sombrer. On peut aussi chercher de la lumière, de l’énergie, du cœur, de l’apaisement et de la vie qui palpite. Suis-je en train de finir l’écriture de cette chronique au soleil en terrasse, avec un grand café fumant et une poignée de M&M’s ? Vous n’avez aucune preuve.

Rendons à César… Evidemment, un grand merci à toi avec qui j’ai discuté musique autour notamment d’Archive, Pink Floyd ou encore John Coltrane (trio de maîtres), et qui m’a fait découvrir Ezra Collective et quelques autres chouettes sons. Tu te reconnaitras aisément. Cette chronique est, de fait, un peu la tienne.

Raf Against The Machine

Ciné-Musique n°6 : Assume the position (2013/2017) de Lafayette Gilchrist (in The Deuce)

Au 3e jour de confinement, inutile de préciser que, comme toujours, la musique m’est d’un grand secours. Pas pour supporter l’enfermement, mais plus largement pour continuer à respirer, comme c’est le cas depuis maintenant des poignées d’années. C’est pourtant par un biais un peu détourné que je suis retombé sur notre bon son du jour, puisque cette étrange période aura au moins le mérite de me permettre de replonger dans des séries TV laissées de côté.

Après avoir binge-watché l’excellente 5e saison de Peaky Blinders, je viens d’attaquer la saison 3 de The Deuce. Petit tour d’horizon : en 3 saisons, l’essor et la légalisation de l’univers et l’industrie du cinéma porno à New-York et ses liens avec le monde de la prostitution, depuis le début des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980. Tout ceci sur fond de trafic de drogues, explosion de l’immobilier, épidémie de SIDA et vie nocturne sur The Deuce, surnom de la 42e rue de Manhattan, entre Broadway et la 8e avenue. Vendu comme ça, on comprendra que ça n’est pas pour tout le monde. La série est déconseillée au moins de 16 ans, montre crument de la drogue, du sexe et parfois des moments particulièrement glauques.

Mais (car il y a un mais), The Deuce est également passionnante, dans sa formidable reconstitution de l’époque et dans l’attachement que l’on va rapidement avoir pour l’ensemble des personnages : aucun manichéisme, tous ont de bonnes raisons de faire ce qu’ils font, tout comme ils auraient de bonnes raisons de ne pas le faire. La galerie d’acteurs est démentielle, à commencer par Maggie Gyllenhaal et James Franco. Les qualités de la série n’ont rien d’étonnant, lorsqu’on sait que David Simon est aux commandes de The Deuce. David Simon, c’est The Wire (Sur écoute en français), Treme, Show me a hero ou encore très récemment la mini-série America’s Plot, adaptation du roman de Philippe Roth. Le premier épisode, disponible depuis quelques jours, est excellent et laisse augurer, une fois encore, un brillant moment de télévision.

Une autre des qualités de The Deuce, et pas des moindres, c’est sa bande-son. Assez imparable au long des 3 saisons, du fait de l’ambiance de l’histoire et de l’époque traversée qui permet d’entendre plein de très bonnes choses (dont beaucoup que je ne connaissais pas). C’est très varié, depuis le funk et le glam-rock des années 70 au disco du tournant 70’s-80’s, en passant par le rock synthétique et les boîtes à rythmes du milieu des 80’s. Au total, autour de 200 titres différents répertoriés au long de 25 épisodes.

Il y a toutefois un titre inamovible et inaltérable qui résonne en fin de chaque épisode, totalement anachronique par rapport à la série puisque datant de 2013 : Assume the position, composé et interprété par Lafayette Gilchrist. Qui donc ? Lafayette Gilchrist, pianiste et compositeur de jazz né en 1967 aux Etats-Unis. Le garçon est alternativement à la tête d’un octet/nonet appelé les New Volcanoes, et du trio Inside Out. Artiste pluri-formations pour une musique pluri-influences, qui déclarait en 2005 au Baltimore Sun : « I come from hip-hop culture, […] I’m not a rapper. I’m not a DJ. I’m not a dancer. But I feed off of all that. » Assume the position apparaît une première fois sur l’album piano solo The view from here (2013) et révèle effectivement un univers riche et varié.

A la fin de chaque épisode de The Deuce, c’est pourtant une relecture de 2017 de Assume the position que l’on entend. Relecture par les New Volcanoes, disponible sur l’album Compendium (2017). Une interprétation radicalement différente de celle de 2013, qui fait la part belle à la rythmique, aux cuivres et aux chorus. On ne va pas se mentir, ça sent très très fort l’ambiance New Orleans qui était déjà présente dans Treme, autre grande série de David Simon où le bon son débordait à chaque coin d’épisode. Assume the position respire le club de jazz bon enfant, le festoche tranquille où on retournera bientôt entre potes écouter du bon son et boire des pintes, en toute décontraction et sérénité.

En attendant, bon kif sur ce Assume the position et d’autres titres de Lafayette Gilchrist. Je vous laisse, y a The Deuce qui m’attend.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°30: Heard Somebody Whistle de Jay-Jay Johanson (2019)

Jay-Jay Johanson trace son chemin depuis Whiskey en 1997 et construit une oeuvre Jay-Jay Johansonmonumentale avec pas moins de douze opus, sans compter les EP. Auteur très prolixe, le suédois me séduit depuis ses débuts par la grâce du spleen qu’il nous retranscrit dans une sobriété instrumentale entre jazz et trip hop. Avec la sortie de Kings Cross vendredi dernier, Jay-Jay Johanson poursuit sa sublime introspection et j’ai choisi de vous parler du single Heard Somebody Whistle qui séduit par son originalité. Ce titre qui fait partie de la BO du film Eld & Lågor surprend en effet par ses sonorités plus pop et cette ritournelle sifflotée entêtante qui se marie avec merveille à une ambiance jazzy qui m’évoque les bons albums de Saint Germain. Voilà de quoi démarrer avec grâce ce dimanche avant d’aller assister à la messe dominicale. Enjoy!

Sylphe