Grand Corps Malade reste sur deux albums de très haut vol, son Mesdames qui ouvre sa collaboration étroite avec le DJ Mosimann (album chroniqué par ici) et son projet avec Ben Mazué et Gaël Faye qui a abouti au petit bijou qu’est Ephémère (article dithyrambique par ici)… J’aborde donc avec sérénité le moment de lancer ce huitième album Reflets, d’autant plus rassuré que Mosimann et Guillaume Poncelet entourent toujours la force des textes de Grand Corps Malade.
Pas de place à un suspense artificiel, nous tenons de nouveau là un bijou d’écriture et le Père Noël s’est déjà empressé de m’offrir le vinyle. La recette est imparable: des textes finement ciselés (si vous n’êtes pas convaincus après une première écoute superficielle, je vous invite à lire le texte d’Autoreflet…), une instrumentation entre douceur du piano et des cordes, tentation jazzy des cuivres et attirance pop des synthés. L’impression de percevoir toutes les facettes de Grand Corps Malade en 41 minutes, son amour pour ses proches, sa reconnaissance pour tout ce que lui a apporté le slam, ses combats et ses engagements, son autodérision qui masque quelquefois ses angoisses. Finalement, comme l’affirme son titre Reflets par les mots suivants « Je me suis servi de vous et c’est peut-être ça notre lien/ Mais sans vous demander votre avis/ Car dans toutes mes paroles si vous regardez bien/ J’ai mis le reflet de vos vies », ce Grand Corps Malade me touche car ses paroles font résonance en moi…
J’ai vu de la lumière ouvre avec intensité l’album sur la découverte du slam, de l’amour et de la confiance. On retrouve le contraste entre le slam des couplets et les explosions des refrains portés par des choeurs féminins. Ca sonne et ça frappe juste d’emblée. Reflets rappelle ensuite dans une atmosphère riche en cuivres presque jazzy le lien ténu entre l’artiste et son public depuis 20 ans, nous sommes son inspiration de même qu’il nous aide à mieux nous percevoir. Le sommet d’émotions de l’album demeure incontestablement Retiens les rêves qui me touche à chaque fois, le piano et les cordes apportent un lyrisme poignant, les synthés donnent de l’intensité, Grand Corps Malade se permet de chanter sur les refrains (une première qui n’est pas sans saveur) et les paroles font écho au plus profond du papa que je suis…. La nécessité de savourer les instants fugaces passés avec nos enfants, une idéalisation de l’enfance séduisante.
Le jour d’après revient ensuite sur une instrumentation plus sobre s’appuyant sur une mélodie au piano en fond. Trois très beaux portraits en hommage « à tous les usés, les accidentés de parcours/ Les fragilisés, les malchanceux d’un jour/ Ceux qui n’ont pas le choix, les guerriers imposés/Ceux qui portent leur croix, les héros obligés ». Autoreflet rappelle alors toute la puissance du slam, le texte est brillantissime et au centre du morceau même si on pourra savourer l’instrumentation un brin épique à la Woodkid. Amis de la métaphore filée, des allitérations et des assonances, ce titre est pour vous ! Je serai là joue la carte de la douceur avec une véritable déclaration d’amour pleine de pudeur, Deauville en sera par la suite son écho plus pop et marqué par l’autodérision.
Rue La Fayette est un exercice de style qui illustre parfaitement le contenu de Reflets. A partir de l’observation d’un couple se disputant à une terrasse de café, Grand Corps Malade se laisse porter par son imagination débridée en imaginant une rupture définitive. Quand l’observation du monde qui nous entoure s’avère la source principale de la création littéraire/musicale. C’est aujourd’hui que ça se passe va ensuite jouer la carte d’une pop uptempo plus débridée pour passer le message de la nécessité d’agir dès maintenant. On sent pointer les angoisses de Grand Corps Malade, ce que 2083 va confirmer avec la thématique de l’environnement. Le texte est sombre, le choeur Orenda et l’instrumentation donnent une tonalité tragique à l’ensemble et ce morceau me ramène vers les productions de Gaël Faye. Un titre sans concession pour souligner la nécessité d’agir pour sauver la Terre.
Grand Corps Malade sait s’engager mais sait aussi jouer la carte de l’autodérision pour des morceaux plus légers. La Sagesse évoque la thématique du vieillissement avec beaucoup d’humour, on est tiraillés entre sourire et nostalgie. Certaines paroles paraissent d’une grande évidence mais font particulièrement mouche, « Le problème des jeunes, c’est pas qu’ils s’amusent pas/ Le vrai problème de la jeunesse c’est qu’elle s’amuse sans moi. » L’album se clot sur Paroles et musique, un exercice de style assez jouissif et plein d’humour sur la création d’un morceau. Il nous en dit long sur le lien entre la musique et les textes, la musique servant juste à souligner davantage la force des paroles sans jamais prendre le pouvoir.
Voici un huitième opus de grande qualité qui donne ses lettres de noblesse à l’introspection et confirme la profonde humanité de Grand Corps Malade. Idéal pour bien démarrer 2024, enjoy !
Morceaux préférés (pour les plus pressés) : 3. Retiens tes rêves – 5. Autoreflet – 9. 2083 – 8. C’est aujourd’hui que ça se passe