Pépite intemporelle n°132 : All my tears (2013) de Ane Brun

61jt9qehkwL._SL1200_Alors que le ciel reste désespérément gris ce dimanche, voilà un son qui va vous permettre de vous lover avec vous-même, tout en regardant la lumière au bout du tunnel. All my tears de Ane Brun affiche dix années au compteur, et fait pourtant partie de ces morceaux absolument intemporels qui fonctionnent en tout lieu et toute époque. Nous avions déjà rencontré Ane Brun sur ce blog, au travers de sa délicate et émouvante reprise de Big in Japan d’Alphaville (une chronique à relire par ici) : la délicatesse d’une guitare folk surplombée de la voix assez magique de l’artiste norvégienne. Cette dernière, qui a débuté sa carrière en 1998, compte à sa discographie pas moins de 12 albums studios, ainsi qu’une poignée de lives, singles et EP. On retrouve également son nom aux BO de séries comme Breaking Bad (oui, le Breaking Bad, excusez du peu), Bones ou encore Wallander. Notre All my tears du jour est tiré de Rarities, paru en 2013 : un album dans lequel Ane Brun a regroupé diverses chansons jamais retenues pour de précédent albums. Une sorte de compilation de B-sides et inédits pourtant de très haut niveau.

Et ce n’est pas All my tears qui nous contredira. En à peine deux minutes, Ane Brun déroule un titre qui s’insinue directement en nous. Selon la même recette que pour la reprise de Big in Japan, c’est uniquement à la force d’une guitare folk et de sa voix que la chanteuse nous émeut. Un titre qui prépare la disparition et le deuil, du point de vue de celle/celui qui ne sera plus là. Ceux qui restent porteront leur peine, mais pour la/le disparue-e, c’est la paix et la sérénité trouvée, loin de ce monde bousculant et trop souvent foutraque et illogique. « The wounds this world left on my soul / Will all be healed and I’ll be whole » : Les blessures de mon âme en ce monde / Seront guéries et je serai saine et sauve. Il y a du mystique et du religieux à fond dans ce texte, là où Ane Brun parle du Créateur, où encore de Jésus, dont le visage lumineux remplacera le soleil et la lune de ce monde.

On adhère ou pas au propos religieux, mais la sensibilité est bien ailleurs et au-delà de toute croyance. Le refrain, notamment, dont le texte et son interprétation, tout en délicatesse, sont bouleversants : « It don’t matter where you bury me / I’ll be home and I’ll be free / It don’t matter anywhere I lay / All my tears be washed away » (Peu importe où tu m’enterres / Je serai chez moi et je serai libre / Peu importe où je repose / Toutes mes larmes seront séchées). Loin d’être une chanson déprimante et noire, All my tears est un putain de baume, un titre lumineux et apaisant comme on en fait rarement, une douceur absolue qui pose des choses et repose l’esprit. Un peu comme l’est Maybe you are de Asaf Avidan (dont nous avions parlé jadis dans une autre chronique à relire par là), et que je vous remets en écoute juste après All my tears. Voilà deux chansons qui abordent des sujets profonds et sensibles, tout en les sublimant et en réussissant à nous en dire des choses simples et très touchantes, à travers simplement une guitare et une voix (et quelle double voix). Sans plus attendre, place à la douceur et à la sensibilité.

Raf Against The Machine

Pépite du moment n°118: The Last One de Daniel Rossen (2022)

Si vous avez envie de douceur ce matin, j’ai ce qu’il vous faut avec de la folk soyeuse à souhait.Daniel Rossen - You Belong There Vous connaissez probablement de nom Daniel Rossen qui est un des chanteurs principaux de Grizzly Bear, groupe de folk originaire de Brooklyn qui a sorti 5 très beaux albums (avec une mention spéciale pour Veckatimest en 2009 et Shields en 2012). Sur les dix dernières années, les Américains ont seulement sorti Painted Ruins en 2017 et ce n’est pas une surprise de voir Daniel Rossen se lancer dans un projet solo. Le 8 avril dernier est donc sorti You Belong There, qui sonne de manière évidente comme du Grizzly Bear et confirme le talent de songwriting incontestable de son leader vocal. Le titre du jour The Last One, avant-dernier morceau de l’album, s’appuie sur une guitare sèche digne de Ray Lamontagne et une batterie qui gagne en intensité tout au long. L’amour est abordé avec pudeur, à l’image de la voix de Daniel Rossen toujours dans la retenue et la justesse. Un titre à savourer au coin de la cheminée, tout en pensant à faire des économies énergétiques… enjoy !

 

Sylphe

Son estival du jour n°74 : Rough and rowdy ways (2020) de Bob Dylan

Bob-Dylan-Rough-and-Rowdy-WaysUne fois n’est pas coutume : le son estival du jour sera fait d’un album entier. Soixante dix minutes de musique à se caler entre les oreilles, pour ce qui est sans doute un des plus beaux disques de ces dernières années. Rough and rowdy ways est le trente-neuvième (et dernier en date) album studio de Bob Dylan. Sortie en 2020, la galette renoue avec ce que le poète et prix Nobel de littérature a fait de mieux. Dans un savant mix de blues et folk à la fois crépusculaire et intimiste, Dylan apporte la preuve que, à presque quatre-vingt ans alors (il en a quatre-vingt-un aujourd’hui), il est encore largement capable de nous surprendre. Sa voix, horripilante pour certains mais magique pour moi et bien d’autres, n’a pas été aussi magnétique depuis des années. Elle se pose sur des balades dépouillées, ou encore sur du rythm and blues plus marqué.

Rough and rowdy ways oscille constamment entre ces deux ambiances. D’un côté False prophet, Goodbye Jimmy Reed ou encore Crossing the Rubicon. De l’autre, My own version of you, Black rider ou Key West (Philosopher pirate). Au milieu, somme de ces deux facettes, un album diablement envoûtant qui peut s’écouter le matin avec le café du réveil, en journée dans la torpeur estivale, ou le soir au soleil couchant avec une bière fraîche. Cerise sur le gâteau déjà délicieux : Rough and rowdy ways est construit comme jadis Highway 61 revisited (1965) ou Blonde on blonde (1966), à savoir une flopée de titres tous plus réussis les uns que les autres, avant de se conclure sur un long morceau de plus de dix minutes. Le génial Desolation row sur Highway 61 revisited, le bouleversant Sad-eyed lady of the lowlands pour Blonde on blonde, et ici Murder most foul, long poème musical de dix-sept minutes faisant référence à l’assassinat du président Kennedy.

Chaque titre de Rough and rowdy ways peut s’apprécier isolément, comme autant de sons estivaux du jour. C’est pourtant en écoutant l’intégralité de l’album qu’on apprécie le mieux les dix pépites livrées par Dylan. Histoire de vous mettre un peu l’eau à la bouche, on écoute le très bluesy False prophet, suivi de Key West (Philosopher pirate), avant de revenir au rythm and blues de Goodbye Jimmy Reed, un titre qui rappelle les plus belles heures de Blonde on blonde, et notamment Leopard-skin pill-box hat. C’est juste ci-dessous. Montez le son et profitez. Vous êtes sur Five-Minutes (et merci une nouvelle fois de venir nous visiter et nous lire).

Raf Against The Machine

Son estival du jour n°73 : Heart beats slow (2014) de Angus & Julia Stone

513AEbMaYALIl arrive toujours un moment où l’on réécoute Angus & Julia Stone. Notamment l’été, saison qui se prête plutôt bien aux sonorités folk-rock du duo. Si vous fréquentez régulièrement ces pages, ce son estival n’est pas vraiment une surprise. A plusieurs reprises, nous avons mis sur la platine un titre du binôme Stone. Rebelote ce 10 août, avec Heart beats slow, tiré du troisième album d’Angus & Julia Stone sobrement titré Angus & Julia Stone. Coincé entre un Down the way (2010) bourré de pépites telles que Big jet plane, Yellow brick road ou encore And the boys, et Snow (2017) qui contient notamment la merveille Baudelaire, Angus & Julia Stone est lui aussi  un bien bel album.

Enregistré alors que le duo ne jouait plus ensemble, Angus & Julia Stone est l’album des retrouvailles entre le frère et la sœur Stone, poussés par le producteur Rick Rubin. Il en résulte un opus un poil plus électrique que les deux précédents, mais qui conserve toutefois la Stone touch avec une toile de fond folk. Le public ne s’y trompera pas, en faisant d’Angus & Julia Stone le plus gros succès du groupe. Histoire de se donner un aperçu de la galette, on écoute Heart beats slow, balade faussement sereine mais qui fait un bien fou. Puisqu’on ne sait pas trop se limiter sur ce blog, ajoutons My word for it, ainsi que le très joli Get home. Comme toujours, rien ne vous empêche ensuite d’aller écouter tout l’album, voire toute la discographie d’un des duos les plus réjouissants et émouvants de ces dernières années.

Raf Against The Machine

Son estival du jour n°69 : Motel (2007) de Moriarty

516UsSDL8bL._SY355_En écho à Muddy Waters et aux Rolling Stones (voici quelques jours, à retrouver par ici), continuons notre déambulation au pays du blues avec Moriarty. Ce quintet né à Paris, mais mélangeant les nationalités et origines, se promène depuis ses débuts en 1995 entre blues, country et rock. Le groupe prend sa forme définitive en 1999, et surtout sa voix hors pair, avec l’arrivée au chant de Rosemary Standley. Cette dernière, immédiatement reconnaissable à son timbre de voix très particulier, donne à Moriarty une coloration qui soit agace au plus haut point, soit séduit immédiatement. Je fais partie de la seconde équipe, et ce depuis Gee whiz but this is a lonesome town, premier opus sorti en 2007. Suivront plusieurs autres albums studio, dont l’excellent Fugitives en 2013 : une série de reprises de standards blues et folk de la première moitié du vingtième siècle. Ou comment faire le lien avec le nom même du groupe. Moriarty ne fait en effet aucunement référence à l’ennemi juré et nemesis de Sherlock Holmes, mais à Dean Moriarty, l’un des protagonistes du roman Sur la route de Jack Kerouac (chef-d’œuvre à lire d’urgence si ce n’est pas déjà fait).

De bien belles choses à écouter, en lisant Kerouac au long de cet été, et en se laissant porter par le temps qui passe. En témoigne Gee whiz but this is a lonesome town, album séminal et originel de l’aventure Moriarty. Album dans lequel on retrouve Jimmy, le single qui a lancé la galette et le groupe. Un titre que l’on ne se privera pas de réécouter, après avoir emmené nos oreilles du côté de Motel, un morceau nettement marqué du sceau blues-folk qui sent bon la moiteur du bayou. Moriarty enregistre aussi une inattendue mais captivante reprise de Enjoy the silence de Depeche Mode, également disponible sur Gee whiz but this is a lonesome town.

Vous aurez compris le tiercé du jour : Motel, Jimmy, puis Enjoy the silence. Ecoutez Moriarty, plongez vous aussi dans le triple vinyle live Echoes from the borderline (2017) qui est une petite perle d’intimisme. Ensuite, faites ce que vous voulez. Mais écoutez Moriarty.

Raf Against The Machine

Review n°91: Fever Dreams de Villagers (2021)

Pour cette première review de 2022, je vais me permettre de revenir vers un album sorti fin aoûtVillagers Fever Dreams qui a illuminé mon automne et aurait vraisemblablement mérité de figurer dans mes tops de fin d’année. Il faut cependant se rendre à l’évidence qu’il est impossible de fixer dans le marbre un top tant il est en perpétuelle évolution. Rendons donc hommage au cinquième album studio de Villagers (en français, ça perd pas mal de son charme d’aimer un groupe qui s’intitule Villageois non?) qui confirme que Conor O’Brien et toute sa clique irlandaise ont encore beaucoup à nous offrir, 10 ans après leur premier opus Becoming a Jackal. Sans être fondamentalement un fan de la première heure -manière subtile ou non pour dire que je ne connais pas les premiers albums -, je reste sur de très bonnes impressions avec l’excellent The Art Of Pretending To Swim (2018) qui démontrait une volonté de faire évoluer la folk intimiste des débuts. Pour cet album de nouveau signé sur leur label de toujours Domino Records, Villagers a eu le nez fin avec le choix de David French au mixage de l’album, lui qui a déjà oeuvré pour The XX, Caribou ou encore Arlo Parks dernièrement. La pochette de l’album donne elle aussi envie de voyager sous le regard bienveillant de la Grande Ourse mais cette introduction commence à se faire trop longue et il est temps d’aller se laisser bercer par ces rêves enfiévrés…

Après la douce introduction Something Bigger et ses 47 secondes intimistes, The First Day révèle d’emblée tout ce que j’aime chez Villagers avec son refrain lumineux sublimé par les cuivres qui contraste à merveille avec un chant dans la retenue et la pudeur. Tous les sons fragiles en fond m’évoquent l’univers féérique d’Eels. Néanmoins, la douceur feutrée de la folk reste centrale dans ce nouvel opus avec Song In Seven qui retranscrit avec grâce une vision apparue au bord de la chaude (!) Mer du Nord. Cet univers faisant la part belle aux cordes se retrouve dans Momentarily, hymne pudique à l’amour qui a ce pouvoir de contrebalancer les douleurs liées au quotidien. Quand les cordes cèdent leur place au piano, c’est le fantôme de Sufjan Stevens qui vient s’inviter. Ainsi la thématique religieuse de Full Faith In Providence accentue-t-elle aisément le parallèle avec notre natif du Michigan alors que le morceau final Deep In My Heart paraît tout droit sorti d’Illinois.

Ce Fever Dreams n’est pas aussi monolithique qu’il peut peut-être paraître sur les premières écoutes. So Simpatico offre ainsi un bel instant mélancolique sublimé par un clip plein de poésie qui redonne foi en l’humanité, Circles In The Firing Line surprend par son univers plus pop-rock, son refrain addictif et son explosion électrique finale alors que Restless Endeavour, longue incantation, est plutôt attiré par le free-jazz extatique. Pour finir, je vous mets au défi de ne pas penser à la pop faussement bancale de MGMT en écoutant le brillant Fever Dreams.

Si vous avez envie de douceur au coin du feu ce soir, ce Fever Dreams de Villagers satisfaira tous vos moindres désirs, enjoy !

Morceaux préférés (pour les plus pressés) : 2. The First Day – 6. Circles In The Firing Line – 4. So Simpatico – 9. Fever Dreams

 

 

Sylphe

Pépite du moment n°95: Back To Oz de Sufjan Stevens et Angelo De Augustine (2021)

La discographie de Sufjan Stevens ne cesse de s’enrichir à un rythme effréné ces dernières années et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’est pas toujours simple de suivre le bougre… Après un onzième opus aussi gargantuesque que brillant (à lire ou relire par ici), Sufjan Stevens se lance dans l’aventure en duo avec Angelo De Augustine, un artiste folk signé sur le label Asthmatic Kitty que je connais très peu et qui a déjà eu la chance de figurer en première partie de Sufjan. Les 14 titres de A Beginner’s Mind déroulent une folk soignée faisant la part belle à l’émotion et les deux voix d’une grande douceur se marient à merveille. Cependant, je dois reconnaître que l’extravagance quasi baroque me manque et je trouve que cet album est finalement trop lisse à mon goût. En même temps, la folk épurée ne trône pas forcément au centre de mes genres musicaux de prédilection… Néanmoins, un album de Sufjan Stevens a toujours le mérite de regorger d’instants de grâce et de bijoux auditifs, le morceau Back To Oz ne déroge ainsi pas à la règle. Inspiré par le Disney Oz, un monde extraordinaire (Return to Oz en anglais), on retrouve une subtile association entre la grâce folk et la luxuriance de l’imaginaire. On suit avec délices le périple de Dorothy pour un résultat dont les arrangements sont brillants, le tout illustré par un clip savoureux. Un petit solo de guitare électrique sur la fin nous désarme et imprime un sourire définitif, il faut se rendre à l’évidence que nous nous sommes de nouveau fait cueillir, enjoy !

 

Sylphe

Pépite intemporelle n°80 : The sound(s) of silence (1964/1965) de Simon and Garfunkel

Qu’est-ce qu’une pépite intemporelle ? Il serait temps que nous nous posions la question sur Five Minutes, alors que nous atteignons aujourd’hui la 80e pépite intemporelle (et même bien plus, si toutefois vous avez suivi nos aventures dans la version 1 du blog). Une pépite intemporelle traverse le temps et les époques, et reste efficace comme au premier jour, malgré le nombre d’écoute parfois vertigineux. C’est aussi un titre qui parle aux différentes générations, et peut se voir utilisé ou injecté dans différents univers : il fonctionne à chaque fois. Cette définition par petites touches pourrait bien durer des paragraphes entiers… Aussi est-il plus raisonnable de continuer à égrener nos pépites intemporelles, en relevant pour chacune ce qui, à nos yeux, la classe dans cette catégorie.

The sound of silence entre sans hésitation dans cette rubrique. A bientôt 60 ans d’âge, cette chanson du duo folk-rock Simon and Garfunkel n’en finit plus de hanter nos oreilles, nos mémoires, et l’inconscient collectif. Sorti en 1964 dans une version acoustique et avec un S à Sounds, ce titre est en fait né quelques mois plus tôt. Paul Simon en débute l’écriture peu après l’assassinat de Kennedy (donc fin 1963). Intégré au premier album du duo Wednesday Morning, 3 A.M., l’ensemble passe plutôt inaperçu et les deux musiciens se séparent. En 1965, Tom Wilson, producteur de l’album, sent venir la vague folk-rock et décide de réenregistrer une version électrique de The sounds of silence, sans l’autorisation du duo. Le single fonctionne, le duo se reforme, sort un second album Sounds of silence, qui s’ouvre précisément sur notre pépite.

Disons le franchement : la version acoustique a ma préférence, et de très loin. D’une part, parce qu’elle est le reflet artistique du duo Simon and Garfunkel, tel qu’ils ont souhaité leur chanson. D’autre part, parce que la version électrique amenuise la magie et l’émotion initialement souhaitée. Ce titre, qui raconte les dangers de l’indifférence et la nécessité de dire les choses et d’exprimer ses émotions/idées/pensées/intentions, n’atteint jamais aussi bien son but que lové dans un écrin acoustique et intimiste. Le simple accompagnement de guitare pose une ambiance aérienne et poétique, tout en mettant en avant les voix ô combien travaillées, et le texte. La version électrique est celle qui a popularisé le morceau, mais elle perd un peu en fragilité émotionnelle.

Dans les décennies suivantes, on retrouvera The sound of silence repris à toutes les sauces, dans différentes langues et styles : par exemple… Richard Anthony et Marie Laforêt avec La voix du silence, The Dickies pour une version punk rock, Nevermore pour une version heavy metal, Anni-Frid Lyngstad pour une version suédoise, ou encore samplé par Eminem dans Darkness. Le cinéma s’en emparera : par exemple en 1967 dans Le Lauréat (ou l’on entendra également Mrs. Robinson des mêmes Simon and Garfunkel), mais aussi dans Watchmen (2009), pour accompagner la scène des obsèques du Comédien.

Côté histoire musicale, The sound of silence pointe en 2001 à la 79e place du classement des chansons du XXe siècle de la RIAA (Recording Industry Association of America), et en 2010 à la 157e place du classement Rolling Stone des 500 plus grandes chansons de tous les temps. Côté histoire tout court, Paul Simon en fera une interprétation acoustique solo le 11 septembre 2011 lors de la cérémonie commémorative des attentats du 11 septembre 2001 à New-York. Enfin, en mars 2013, The sound of silence est retenue pour intégrer le registre national des enregistrements, conservé à la Bibliothèque du Congrès aux Etats-Unis.

Un sacré pedigree pour une seule petite (mais grande) chanson de 3 minutes. Pourtant, au-delà de ces multiples reprises, utilisations, mises à l’honneur, ce qui fait de The sound of silence une pépite intemporelle est peut-être bien plus simple que ça. Et se trouve en chacun de nous. Réécouter The sound of silence, c’est convoquer des souvenirs. Des images mentales. D’un disque qui tournait sur la chaine hi-fi parentale (qu’on avait interdiction de toucher), dans le salon au papier peint fleuri et orange. De soirées avec du monde dans la maison, ou au contraire de journées familiales et silencieuses. De la pochette du Concert in Central Park, un des rares disques de la maison, précieusement rangé sous ladite chaîne. D’un temps passé mais ancré en nous.

Ecouter The sound of silence, c’est frissonner de la sérénité que ces 3 minutes nous apportent après une journée dense et chargée. C’est aussi te remercier. D’avoir choisi ce son, pour se retrouver et pour se poser ensemble un moment. Et d’avoir fait germer cette chronique.

Version acoustique (1964)
Version électrique (1965)

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°79 : Snow (2017) de Angus & Julia Stone

SnowSi vous parcourez régulièrement, ou même de temps en temps, nos pages sur Five Minutes, il y a fort à parier que vous connaissez notre goût pour la famille Stone : mon ami Sylphe avait récemment chroniqué Sixty Summers (2021), le nouvel album solo de Julia Stone. De mon côté, j’ai déjà mis en avant des titres comme Baudelaire (2017) ou And the boys (2010), tout en me référant parfois au travail d’Angus & Julia Stone au cours d’une chronique. Leurs albums en solo sont plutôt bons, notamment The Memory Machine (2010) de Julia Stone, mais j’avoue un plaisir particulier à plonger dans la folk-rock du duo. Le savant dosage de guitares folk (et parfois électriques) dont ils ont le secret me transporte à chaque fois dans des images mentales de leurs grands espaces australiens. Rajoutons à cela le mélange de leurs deux voix, et s’installe alors une tranquillité à profiter de chacun de leur titre.

Snow, notre pépite du jour tout en étant intemporelle, n’échappe pas à cette règle. Pour restituer l’action, nous sommes en 2017, en ouverture de Snow, album éponyme et quatrième disque d’Angus & Julia Stone. Leur dernier en date à ce jour. Le plus connu étant Down the way (2010), notamment pour son single Big jet plane, sans oublier qu’il contient des petites merveilles comme For you, Yellow brick road ou encore And the Boys. Si vous aimez ce son Stonien, n’hésitez pas à découvrir (si ce n’est déjà fait) A book like this (2007) et Angus & Julia Stone (2014), deux excellents albums eux aussi.

L’album Snow est dans la droite ligne de ces trois premières productions. De ces disques qui peuvent tourner en boucle chez moi, ou simplement dans ma tête pour accompagner tel ou tel moment de la journée. Bourré de titres tous meilleurs les uns que les autres, il se clôt sur l’intimiste Sylvester Stallone, précédé de la pépite absolue Baudelaire, chef-d’œuvre total de composition et d’émotions. Deux pépites finales qui font écho à l’ouverture de l’album par Snow (le titre).

Tout est parfait dans Snow. L’ouverture, sur quelques notes presque comme un accordage d’instrument, puis la musique qui se met en place, très vite accompagnée des « la la la la la » de Julia Stone, avant les premières paroles qu’elle et son frère vont se partager, une phrase sur deux. Deux voix qui se posent, s’écoutent, se répondent. La douceur qu’elles apportent est contrebalancée et soutenue par l’intensité grandissante de la plage instrumentale. Que ce soit Julia ou Angus, ils jouent de leur voix comme de vrais instruments, et exploitent toute une gamme d’émotions en contact permanent avec les instruments mis plus ou moins en avant. Quatre minutes de magie musicale, qui se terminent presque comme un murmure minimaliste chargé de la richesse du moment passé.

Ecouter Snow, c’est choisir d’entrer de la meilleure des façons dans un album plein de promesses et de jolis moments. C’est aussi se plonger dans une bulle de douceur et de sérénité très vivifiante où il fait bon être. Ce titre apporte du calme, de la lumière, du soleil. Et des images mentales de décor qui vont avec : un coin de nature verdoyant, un bord d’océan breton, une terrasse au soleil pas trop bondée et, de préférence, partagée… Les possibilités sont nombreuses, et les occasions d’écouter Snow aussi. Je ne m’en prive jamais… mais merci de me l’avoir glissé aux oreilles voici quelques jours, et d’avoir, du même coup, fait naître cette chronique.

Raf Against The Machine

Five reasons n°29 : The Rolling Thunder Revue (1975/2002/2019) de Bob Dylan

127456196Le voilà ce fameux live teasé depuis deux jeudis consécutifs : après avoir écouté la semaine dernière les brillantes prestations live d’Amy Winehouse tout juste tombées dans les bacs, quittons un moment l’immédiate actualité discographique pour revenir en 2002. Cette année-là sort The Rolling Thunder Revue de Bob Dylan, dans la collection des Bootleg Series. Il s’agit d’enregistrements live, inédits, rares, alternatifs mais néanmoins officiels, constituant un complément plutôt riche et instructif pour qui apprécie un minimum la carrière de Dylan. Estampillé numéro 5 de ces Bootleg Series (rien à voir avec le parfum du même nom), The Rolling Thunder Revue offre un panorama de ce que fût la tournée 1975-1976 de Dylan, en se concentrant toutefois sur la première moitié de la tournée en 1975. D’où son sous-titre Live 1975. En quoi ce live serait-il plus intéressant que celui de 1966 au Royal Albert Hall, ou celui de 1964 au Philarmonic Hall ? Il n’est pas plus intéressant. Il est une des facettes de Dylan, artiste aux multiples visages et aux influences diverses, comme le montre l’excellent film I’m not there (2007) de Todd Haynes, dans lequel Dylan est interprété par cinq acteurs et une actrice différents, chacun incarnant un personnage (et donc un visage) différent du chanteur. The Rolling Thunder Revue est aussi un témoignage de la forme que peut prendre la création artistique, tout en étant bourré de moments incroyables. Préparez-vous au grand huit émotionnel, en cinq raisons chrono.

  1. The Rolling Thunder Revue marque le vrai grand retour de Bob Dylan sur scène, après une période plus discrète. En dehors de sa participation au concert caritatif pour le Bangladesh organisé par George Harrison en 1971, Dylan n’est plus réapparu en concert depuis 1966. Année au cours de laquelle, après sept albums studio exceptionnels, sa carrière connaît un brutal arrêt suite à un accident de moto. Durant ces presque dix années, sortiront plusieurs albums et on verra Dylan au cinéma dans Pat Garrett et Billy le Kid (1973). Il en écrit également la BO, dont le désormais classique Knockin’ on heaven’s door. Mais, point de scène, aucun concert. Il faut attendre 1974 et la tournée Before the flood pour retrouver l’artiste on stage après la sortie de Planet Waves. Dylan sort de dépression, joue et chante de façon tourmentée et sauvage. Sa vraie renaissance scénique intervient lors de cette Rolling Thunder Revue, qui prend naissance à l’automne 1975 pour une première phase, avant de se poursuivre en 1976 comme prolongement de la sortie de l’album Desire.
  2. Avec The Rolling Thunder Revue, Dylan propose une tournée hors normes. D’une part, en choisissant de se produire exclusivement dans des salles à taille humaine, parfois dans de petites villes, au grand dam du producteur qui pensait capitaliser sur le retour scénique de Dylan en remplissant des stades. D’autre part, en réunissant autour de lui toute une bande de vieux amis et de personnages hauts en couleurs, au premier rang desquels Joan Baez, mais aussi Mick Ronson ou Roger McGuinn. Se joignent également à cette épopée Allen Ginsberg (poète américain fondateur de la Beat Generation) et Sam Shepard. Ce dernier publiera en 1977 (en 2005 pour l’édition française) Rolling Thunder Logbook, copieux journal de tournée illustré de photos de Ken Regan. S’ajouteront, au fil des dates et parfois temporairement, des artistes croisés sur la route comme Joni Mitchell. Cette troupe, là encore multi-facettes, confère à la tournée un côté épique et bohème, avec une forte coloration hippie déjà passée de mode en 1975. Peu importe, c’est l’ambiance dans laquelle Dylan va se ressourcer et proposer des moments live inattendus, hors du temps et d’une intensité imparable.
  3. Il n’y a rien à jeter dans les 22 titres qui composent The Rolling Thunder Revue. Cet enregistrement est constitué de prises à différentes dates du premier segment de la tournée. Pas de prestation intégrale d’un seul trait, mais le choix ô combien pertinent de retenir les meilleures versions de ces titres proposés au long des soirées de la tournée. La playlist alterne titres récents et plus anciens. Parmi les premiers, Simple twist of fate et Tangle up in blue (issus de l’album Blood on the tracks), mais aussi Isis, One more cup of coffee ou Hurricane, de l’album à venir Desire. Dylan est dans son temps et synchronise ses prestations publiques à son actualité, comme une façon de reprendre pied après une période chahutée. Il n’oublie pas d’intégrer, dans un savant dosage, des morceaux plus anciens entendus dans ses albums sortis entre 1962 et 1966. Un choix qui donne lieu à des réinterprétations incroyables. Dylan est un spécialiste de la revisite de ses titres, dans des versions souvent méconnaissables, et parfois un peu scabreuses. Ici, tout fonctionne comme par magie. Il suffit d’écouter The lonesome death of Hattie Carroll (une pépite déjà chroniquée ici), Mr. Tambourine Man, It ain’t me, babe ou encore Just like a woman pour mesurer le potentiel créatif et émotionnel du bonhomme. Dylan déroule ses chansons et n’a jamais semblé aussi à l’aise dans ce subtil mélange de rock-folk-country éclairé de sa voix unique, que l’on n’a jamais entendue s’exprimer avec tant d’aisance, entre intimisme et énergie communicative d’un poète écorché.
  4. Se plonger dans The Rolling Thunder Revue, c’est aussi la possibilité de (re)découvrir Rolling Thunder Revue – A Bob Dylan Story (2019), le documentaire de Martin Scorsese, disponible sur Netflix. Le réalisateur avait déjà proposé l’excellent No direction home en 2005, concernant la période 1961-1966 de Dylan. Avec ce nouveau film, Scorsese explose les frontières et les règles du documentaire. Il mélange images de coulisses, captations live, interviews d’aujourd’hui et images tournées à l’époque pour une fiction, et donne ainsi à voir la dimension hors normes de cette tournée. Entre mythe et réalité, magie et moments du quotidien, Rolling Thunder Revue – A Bob Dylan Story accentue le côté irréel et hors du temps (et parfois de la réalité) de cette incroyable tournée. Chaque image est hypnotique et nous envahit, faisant passer les presque 2h30 de film comme un seul moment sans aucun temps mort et sans jamais regarder la montre. S’il fallait retenir trois séquences en particulier ? Premièrement, les captations scéniques dans lesquelles Dylan est magnétique, présent comme jamais, insaisissable et fascinant sous son maquillage blanc et ses yeux cernés de noir. Deuxièmement, ce court moment lors d’une fin de concert où l’on voit une jeune femme du public, presque hébétée et totalement sonnée émotionnellement de ce qu’elle vient de vivre. Troisièmement, un échange entre Joan Baez et Bob Dylan qui, en quelques phrases et regards, raconte tout le respect et l’amour intemporel qu’il y a entre ces deux-là. C’est à la fois réservé, retenu, et d’une puissance émotionnelle incroyable.
  5. The Rolling Thunder Revue est possiblement le live le plus riche et captivant de Bob Dylan. Il reste bien d’autres raisons pour soutenir cette idée, mais la dernière que je retiens est la possibilité d’augmenter sa collection de vinyles avec le bel objet qui contient ces enregistrements. Au-delà du double CD sorti en 2002, les plus complétistes et acharnés se tourneront vers le coffret 14 CD sorti en 2019 et contenant 5 shows intégralement captés, plus 3 disques de répétitions et un de raretés. L’exhaustivité pour un prix relativement raisonnable (autour de 60 euros). Pourtant, à quelques euros près, est également disponible un coffret 3 vinyles (également sorti en 2019), celui-là même sur lequel repose cette chronique. Pourquoi préférer prioritairement le vinyle ? Pour le choix des meilleurs enregistrements, comme déjà évoqué plus haut. Pour la qualité du mastering son mais surtout du pressage, qui fait enfin oublier le calamiteux Hard Rain sorti en 1976 et qui donnait un aperçu de cette même tournée. Pour le livret 64 pages grand format qui met en valeur bon nombre de photos d’époque. Enfin, pour profiter pleinement de la photo de pochette : un magnifique portrait noir et blanc de Bob Dylan, qui dit autant le côté fantasque et magnétique que les tourments et l’humanité qui habitent ce grand poète de notre temps.

The Rolling Thunder Revue est une pièce maîtresse pour tout amateur de bon son, mais aussi de la carrière de Bob Dylan. Si les cinq raisons évoquées ne suffisent pas, ou s’il en fallait une sixième qui chapeaute et rassemble toutes les autres, il y a simplement à se dire que The Rolling Thunder Revue, c’est du Dylan. Un artiste au parcours unique, prix Nobel de littérature en 2016 (faut-il le rappeler), qui a traversé les époques pour devenir une figure intemporelle, pourtant bien vivante, qui fêtera le 24 mai prochain ses 80 ans. Quelle plus belle occasion pour (re)plonger dans The Rolling Thunder Revue ? Aucune. Foncez.

Raf Against The Machine