Pépite du moment n°133 : New Gold (2022) de Gorillaz feat. Tame Impala & Bootie Brown

500x500De la plage à l’île, il n’y a qu’un pas. Sorti le 24 février 2023, soit presque 13 ans jour pour jour après Plastic Beach, le nouvel album de Gorillaz nous balade sur Cracker Island. Dix titres de haute volée, comme toujours chez Gorillaz, pour une galette qui s’ouvre sur le titre éponyme Cracker Island et se refermer une quarantaine de minutes plus tard avec l’ivresse d’un voyage musical d’une efficacité redoutable. Rappelons que Gorillaz est avant tout Damon Albarn, leader et chanteur de Blur. Ce groupe de pop anglaise a fait les beaux jours des 90’s essentiellement, en étant actif de 1989 à 2003, avant d’être réactivé en 2009. Un nouvel album est d’ailleurs prévu pour le 21 juillet prochain. Durant les années Blur, mais aussi les années de pause, Damon Albarn s’est offert quelques projets alternatifs. Si l’on peut penser à The Good, the Bad and the Queen, supergroupe rock fondé en 2006 et composé de musiciens venus notamment des Clash et de The Verve, Gorillaz est la formation qui nous vient plus immédiatement en tête. Grâce, peut-être, au premier album sorti en 2001 avec ses incroyables 5/4, Clint Eastwood ou Latine Simone. Un premier opus régulièrement suivi d’une production aussi pléthorique que passionnante à découvrir à chaque fois.

Cette année 2023 est celle de Cracker Island, huitième album studio du groupe virtuel. Oui, virtuel car, rappelons-le, Gorillaz c’est avant tout Damon Albarn, accompagné de musiciens virtuels et totalement inventés avec son compère Jamie Hewlett. Néanmoins, pas si virtuel que ça, puisque Gorillaz s’adjoint régulièrement les services d’autres musiciens en chair et en os. Les fameux featuring, qui permettent à la formation de ne jamais s’enfermer dans un genre précis, pour multiplier les ambiances et styles musicaux. Le New Gold qui nous intéresse aujourd’hui est typique de cette recherche artistique. Sorti initialement en single le 31 août 2022, le morceau invite Tame Impala et Bootie Brown. D’un côté, une sorte de jumeau artistique de Gorillaz, puisque Tame Impala est un groupe/projet musical de pop-rock psychédélique initié par le musicien multi-instrumentiste australien Kevin Parker. Ce dernier compose et enregistre la totalité de ses créations seul, même s’il retrouve des musiciens sur scène lors des tournées. De l’autre, Bootie Brown, rappeur américain et membre fondateur de The Pharcyde. Pur produit du son hip-hop West Coast, Bootie Brown apporte son flow efficace et généreux.

Il résulte de ce mélange un titre qui navigue sans cesse entre la pop électro, le rap West Coast et une sorte de funk disco qui ne laisse insensible et immobile aucun corps sur cette planète. New Gold est un bonbon sucré, une pilule de bonheur sonore immédiat. Sensuel à souhait, bourré d’énergie suave et de douceurs groovy, voilà bien un morceau qui ne peut qu’éclairer votre journée et la faire se dérouler de la meilleure des façons. Que voulez-vous de plus ? Un dimanche de repos et du soleil plein la peau ? Ça tombe bien. On est dimanche, et le soleil va régner comme jamais. New Gold.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°131 : In this world (2002) de Moby

71XuIr3zLsL._SL1300_Du haut de ses 45 ans de carrière (oui, depuis 1978) et de ses 57 ans (oui, déjà), Richard Melville Hall aka Moby n’en finit plus de nous délivrer des compositions qui sont aujourd’hui inscrites dans l’inconscient collectif. Qu’il s’agisse de l’énergique Honey, du délicat Porcelain, du viscéral Natural blues (tous trois sur l’incontournable album Play en 1999), ou encore du pop électro We are all made of stars et du groovy Extreme ways, titre BO de la saga cinéma Jason Bourne (présents eux sur 18 en 2002), nombre de ses morceaux sont devenus presque instantanément des classiques. Et nous ne regardons là que deux albums. On pourrait encore citer l’excellent Hotel (2005), ou plus récemment Reprise (2021), publié sur le prestigieux label Deutsche Grammophon habituellement dédié à la musique classique. Dans cet opus, Moby réenregistre 14 titres avec le Budapest Art Orchestra, démontrant ainsi la richesse et la profondeur de ses compositions. La démonstration n’est plus à faire. Moby est un grand artiste, et nous l’allons voir en revenant sur l’album 18 et In this world, un de ses titres phares.

Titre d’ouverture de 18, In this world nous cueille d’entrée de jeu par un sample vocal de Lord, don’t leave me des Davis Sisters, groupe américain de gospel fondé en 1947 et qui officia jusqu’au début des années 1980. Le sample se mêle à la voix de Jennifer Price. La voix est puissante, pénétrante, subtile, imparable. Tout comme la musique de Moby. L’alliance est parfaite. Mais la perfection ne s’arrête pas à ces samples. Moby ajoute des notes de claviers et des percussions en arrière fond, avant de plaquer une rythmique dans laquelle programmation et piano communient. C’est brillant. Mais la brillance va encore plus loin. Dès la vingtième seconde, et comme une récurrence, une nappe de synthés vient soutenir l’ensemble. Cette nappe de synthés, nous la connaissons déjà. Nous l’avons déjà entendue. C’était 3 ans plus tôt, déjà chez Moby, sur l’album Play.

Plus précisément, dans le titre My weakness (chronique d’il y a quelques temps, à relire par ici), qui refermait l’album Play. Souvenez vous de ce merveilleux morceau, qui débutait lui aussi par des voix, mais bien plus aériennes et mystérieuses que le sample de In this world. La nappe de synthés dont nous parlons arrive à partir de 1 minute 10 dans My weakness et accompagnera pendant près de 2 minutes ce voyage hors de toute réalité. Comme un clin d’œil à ceux qui suivent, Moby reprend dans In this world et en ouverture de 18 cette nappe de synthés qui refermait Play. My weakness/In this world : comme un message subliminal. Ce monde qui est le nôtre, qui sait nous donner des forces et la force, mais qui est aussi notre faiblesse (weakness).

Pour aller un peu plus loin, rappelons nous que My weakness illustrait une des plus belles scènes (peut-être la plus belle) de la série X-files. A savoir le dénouement du double épisode Délivrance (10e et 11e au cœur de la saison 7). Fox Mulder y apprend enfin ce qui est arrivé à sa sœur mystérieusement disparue des années plus tôt. Loin de tout délire d’enlèvement extraterrestre, la réponse est bien plus terre à terre et dramatique. Or, que voit-on dans le clip de In this world ? Une poignée de petites créatures extraterrestres qui tentent, tant bien que mal, d’établir un contact avec la Terre et ses habitants, bien indifférents à la présence de ces êtres venus d’ailleurs. In this world et son clip en 2002 feraient-ils, eux aussi, un clin d’œil à cet épisode fondamental de X-files sorti lui à la charnière 1999-2000 ? D’un monde à l’autre, rien n’est moins sûr, mais j’ai envie de le penser.

Il est désormais grand temps de laisser la place à la musique : In this world, accompagné de My weakness pour se le remettre en tête si besoin. Et pour retrouver, d’un titre à l’autre, cette nappe de synthés si envoûtante et hors du temps.

Raf Against The Machine

Review n°118: JUNGLE de The Blaze (2023)

Un EP percutant TERRITORY en 2017 sublimé par deux titres, TERRITORY et VIRILE, dont les clips sont de vrais petits bijoux d’émotion qui dépassent à eux deux les 120 millions de vue sur Youtube et un premier album DANCEHALL en 2018 qui confirme pleinement tous les espoirs placés en eux (revoir par ici le clip brillant du titre Queens), qui aurait pu prévoir un tel succès instantané de The Blaze, duo français constitué de deux cousins Guillaume et Jonathan Alric ? Après 4 ans de tournée et cette confirmation du pouvoir à faire danser les foules, The Blaze propose un deuxième album JUNGLE davantage taillé pour les dance-floors qui réussit le tour de force de garder une émotion à fleur de peau sous-jacente et de flirter avec les limites d’une trance un peu trop simpliste sans jamais les dépasser.

Le morceau d’ouverture LULLABY joue d’emblée la carte de l’émotion, la voix -toujours travaillée électroniquement – se mariant à merveille avec les synthés et cette petite ritournelle au piano en fond. L’impression que l’électro inventive de Les Gordon hésiterait à aller sur les terres plus dansantes de Jungle (le groupe, sans mauvais jeu de mots par rapport au titre de l’album). CLASH, quant à lui, ne résiste pas et saute le pas vers une électro-pop plus frontale. Sans forcément une grande originalité, il faut reconnaître que la montée uptempo fonctionne à merveille et me rappelle les grandes heures d’un groupe que j’aime à réécouter régulièrement, The Shoes. DREAMER nous rassure ensuite en misant davantage sur l’émotion, la douceur downtempo et la voix moins travaillée nous emportent facilement avant un intermède instrumental de haut vol qui nous emmène vers des terres plus dansantes. L’ensemble, brillamment illustré par le clip ci-dessous, laisse poindre cette émotion masquée sous les machines. Une bien belle pépite qui referme un tryptique initial plein de belles promesses.

MADLY propose ensuite un son plus sombre qui semble happé par les influences trance et techno du groupe, « My Love for you is on fire today » est martelé mais l’âpreté du morceau, si elle a le mérite de briser l’homogénéité de l’album, me séduit moins. HAZE joue ensuite une carte plus originale, entre douceur contemplative à la Boards of Canada au début et intermède volontiers bruitiste pour un résultat séduisant par ses contrastes. Cependant, je dois reconnaître que je suis une âme faible et je ne sais pas résister aux hymnes électro-pop, LONELY séduit par ses sonorités enjouées qui retranscrivent de manière surprenante le désir de solitude de l’être humain, par peur de souffrir.

La trance plus sombre de SIREN est ensuite un véritable bijou instrumental qui réussit le tour de force de me toucher alors qu’on est loin de ma zone de confort musicale. Du coup, BLOOM souffre de la comparaison et paraît un brin trop lisse même si cette ode atmosphérique à l’amitié a tout pour plaire… EYES et DUST vont finir brillamment l’album, le premier rappelle l’EP initial dans le traitement de la voix et touche les fibres les plus profondes alors que le deuxième offre une douceur tellement réconfortante, sublimée par la montée finale juste imparable. Voici en tout cas un JUNGLE qui brisera avec délices la morosité de ce temps et pour reprendre les paroles de LULLABY « You’re such a fucking mess », enjoy !

Morceaux préférés (pour les plus pressés): 6. LONELY – 10. DUST – 1. DREAMER – 7. SIREN

 

Sylphe

Pépite intemporelle n°129 : Ryūichi Sakamoto (1952-2023)

1200x1200bf-60Après Leiji Mastumoto, décédé en février dernier, le Japon a perdu ces derniers jours un autre grand artiste. Ryūichi Sakamoto s’en est allé le 28 mars dernier. Si ce nom ne vous dit rien, nous allons resituer un peu le personnage, en nous focalisant sur deux temps musicaux majeurs de la carrière de ce grand monsieur. A la fois musicien, compositeur, producteur, chef d’orchestre et acteur, Ryūichi Sakamoto voit le jour en 1952 à Tokyo. Très inspiré par la musique impressionniste de Debussy et Ravel, mais aussi la pop rock des Beatles et des Stones, Sakamoto suit des cours à l’Université des beaux-arts et de la musique de Tokyo. Il y étudie tout à la fois la composition, la musique ethnique et la musique électronique. Musique électronique qui, dans le courant des années 1970, prend précisément son essor via le développement des synthétiseurs comme les incontournables Moog. Ryūichi Sakamoto sort dès 1975 de premiers enregistrements, sur lesquels il travaille comme claviériste ou arrangeur.

Il faut se transporter en 1978 pour voir naître le groupe fondamental et fondateur de la carrière de Sakamoto. Le Yellow Magic Orchestra publiera 8 albums studios entre 1978 et 1983, auxquels il faut ajouter un neuvième en 1993. L’essentiel des pépites du Yellow Magic Orchestra se situe donc à la charnière des années 1970 et 1980, avec des morceaux comme Tong Poo (1978), Technopolis (1979) ou encore Nice Age (1980). Si vous n’avez jamais entendu parler de ce trio, dites vous qu’il a été porteur de l’essor de l’électro sous différentes formes : électropop, synthpop, ambient house et electronica. Influencé par la musique de Kraftwerk, le Yellow Magic Orchestra est précisément à l’Orient ce que le groupe allemand fut à l’Occident dans le développement de l’électro. Le Yellow Magic Orchestra mis en sommeil, Ryūichi Sakamoto poursuivra dès les années 1980, et jusqu’aux années 2010, une foisonnante carrière au cours de laquelle il n’aura de cesse de repousser les explorations électro en allant jusqu’au rap et la house music dans les années 1990, tout en travaillant aussi autour des musiques du monde avec, par exemple, deux albums de bossa nova au début des années 2000.

En Occident, Ryūichi Sakamoto est également connu pour une autre facette de sa carrière : celle de compositeur de musiques de films. A commencer par Furyo (1984), dans lequel Sakamoto tient également un des rôles principaux face à David Bowie. C’est pourtant ses talents de musicien qui seront récompensés, puisque la BO de Furyo décrochera le BAFTA de la meilleure musique de film. On écoutera ci-dessous le magnifique thème Merry Christmas, Mr. Lawrence en version originale (parfaite synthèse du double travail électro/musiques du monde), mais aussi interprété en piano solo par maître Sakamoto himself. Tout simplement magique. Quatre années plus tard, c’est l’Oscar de la meilleure musique de film qui récompense Ryūichi Sakamoto pour la BO du Dernier empereur de Bertolucci. Si l’on retient les BO de ces deux films, on peut aussi se souvenir de celles d’Un thé au Sahara (1990), Talons aiguilles (1992), Snake eyes (1998) ou plus récemment Babel (2006) et The Revenant (2015), cette dernière en collaboration avec Alva Noto. Autant de compositions diverses qui donnent un aperçu du pléthorique travail de Sakamoto au fil de ses années de carrière.

Une œuvre emplie de pépites, que vous pouvez aller découvrir en piochant ce que bon vous semble. Il faut des heures et des heures d’écoute pour faire le tour de la question, et mesurer la perte artistique que représente la disparition de Ryūichi Sakamoto. Comme pour tous les artistes disparus, le plus bel hommage consiste à faire vivre leur travail. Nous y apportons ici une infime et modeste contribution, en vous donnant à écouter deux titres du Yellow Magic Orchestra, puis le magnifique thème de Furyo. Bonne écoute, et merci maître Sakamoto.

Pépite intemporelle n°123: Mia Mia d’Um (Romulus Remix – 2017)

Ce soir j’ai très envie de mettre la lumière sur un titre obsédant que j’ai croisé par hasard sur une compilation il y a 5 ansUm - Mia Mia et qui m’électrise toujours autant lorsque l’aléatoire de ma playlist Top Choucroute (mon paradis musical qui envoie du lourd comme la choucroute…#nosrégionsontdutalent) me l’offre. Le titre original Mia Mia est sorti sur le trois titres Take My Way en 2017 par le français Üm, un beau morceau chill sublimé par des choeurs d’enfants et des cordes en fond qui rajoutent ce supplément d’âme sur une rythmique funk savoureuse. Cependant, j’ai découvert l’original après ce remix extatique de Romulus qui insuffle un vent de folie épique au morceau. Il y a dans ce titre tout ce que j’aime dans la musique électronique au sens le plus large, dans sa capacité à nous raconter et nous emporter sans paroles. C’est une véritable terre de contrastes entre une rythmique électro/techno affirmée et ces cordes initiales qui prennent une véritable place centrale avec sa construction d’une grande intelligence qui réveille en moi cette foutue envie de laisser mon corps prendre le pouvoir sur mon dance-floor intérieur. Un bijou que Baudelaire aurait bien placé au rang des paradis artificiels avec le vin et l’opium, enjoy !

 

Sylphe

Pépite du moment n°121: Bien cordialement de The Toxic Avenger feat. Simone (2022)

Voici mon titre addictif du moment, dans cette période si particulière de décembre où les best-of commencent à tomberThe Toxic Avenger - Yes Future et nous font regretter de ne pas avoir écouté certains artistes/albums… Bref, il faut encore résister quelque peu avant de jeter un regard dans le rétroviseur de cette riche année musicale.

Le 4 novembre dernier, Simon Delacroix alias The Toxic Avenger sortait son sixième opus Yes Future qui est passé sous mon radar embrumé en cette période automnale. L’électro du français sait me séduire sur certains titres mais je dois reconnaître que ce son très frontal peine à me convaincre sur des albums entiers. Peut-être que ce Yes Future que je n’ai pas écouté intégralement au moment de cet article me fera mentir… Ce qui est certain, c’est que ce Bien cordialement qui fait appel à la voix désenchantée de Simone m’a infligé une superbe claque. Cette lettre de motivation oscille entre humour décalé et amertume liée à la situation économique actuelle pour un résultat qui me fait indubitablement sourire. L’électro en fond, saturée de synthés spatiaux, est addictive et monte doucement en tension pour prendre le pouvoir sur toute la fin du morceau. The Toxic Avenger signe ici incontestablement un morceau original que je vous mets au défi de ne pas réécouter après sa première écoute, enjoy !

 

Sylphe

Review n°112 : Transmissions (2022) de Transmission

Capture d’écran 2022-11-04 à 11.29.03Pour qui a eu la chance de passer un moment au festival HopPopHop d’Orléans mi-septembre dernier, il y avait une performance à ne rater sous aucun prétexte : le collectif Transmission, pour une création originale. Nous avions entendu à peu près tout et son contraire avant d’entrer dans la dernière session des quatre programmées : « Sans doute le meilleur moment du festival » versus « C’est particulier, mais c’est intéressant » versus « Il y avait des gens dans la salle qui ont manifestement aimé ». On kille le suspense tout de suite : on a adoré Transmission, et c’est personnellement la meilleure prestation que j’ai vue et entendue durant ce weekend là. Une claque. Transmission est fait de plein de personnes et d’influences différentes. Autour de Johann Guillon et Benjamin Nérot tout droit sortis d’Ez3kiel, on y trouve d’autres artistes : James P Honey aka Dull Fame, Lionel Laquerrière, Félix Classen et Victor Neute. Autant de personnalités différentes qui unissent leur talent au sein de Transmission.

Et du talent dans Transmission, il y en a : dès les premiers sons, nous voilà plongés dans un monde qui se dessine note après note, mot après mot. Dans un savant mélange d’électro et de hip-hop, le sextet dessine un univers sonore nerveux et mélancolique plein de machineries, de bruits de ferrailles, mais aussi de nappes infra-basses et electro-ambient. Comme par exemple dans Mussolini mistress. Il en résulte la fantasmée bande son d’un film à la croisée de Blade Runner et de 8 mile. Transmission est cinématographique dans l’âme. Les premières minutes nous installent dans un univers cyberpunk, violent, dark, parfois cauchemardesque, mais toujours profondément humains par les deux voix qui interviennent tour à tour dans les compositions. A la voix grave et toujours incroyable de Benjamin Nérot répond celle de James P Honey qui déverse un flow généreux et imparable.

Au cœur de Transmission et du dispositif scénique, une cabine téléphonique 3.0. Relique d’un monde passé, l’objet sort tout droit de notre imaginaire post-apocalyptique. Tel un vestige d’un monde où la communication passait par le temps d’attente à la porte de ladite cabine, la patience, mais aussi l’essentiel : avec quelques pièces ou une carte téléphonique (les plus jeunes, ne me regardez pas avec des yeux effarés… oui, ceci a existé), il fallait synthétiser nos échanges, tout en profitant un maximum de ces quelques minutes. C’est quasiment la réussite méta, en plus de la claque sonore, de Transmission. Comme des personnages échoués d’un Fallout ou d’un Death Stranding, les musiciens du groupe entrent tour à tour dans la cabine pour des Calls, qui servent d’intermèdes entre les morceaux comme autant de tentatives de remettre en lien un monde fragmenté. Plus encore, le collectif recrée un lien communicationnel en faisant de cette prestation d’une heure un vrai moment de partage entre la scène et le public. Autre signe qui ne trompe pas : l’espace scénique est central, le public en cercle autour. Reconstituer du tissu social et humain par l’art, c’est bien l’éclatante réussite de Transmission.

Si l’on en parle aujourd’hui, c’est à la faveur de la réécoute du disque Transmissions (sorti le 19 août dernier), ou l’occasion de replonger dans cette création assez incroyable portée par les festivals HopPopHop (Orléans) et Les Rockomotives (Vendôme), sous l’égide de l’association Figures Libres. Disponible chez Figures Libres Records/L’Autre Distribution, le double LP est disponible accompagné de la version CD. Tout ceci pour la modique somme d’une vingtaine d’euros : ne passez pas à côté d’un des albums les plus percutants et enchanteurs de cette année 2022. L’occasion de (re)découvrir des titres assez incroyables tels que Jane Austen (et le flow de Dull Fame qui tabasse), The ebb and the flow (peut-on mettre de la cornemuse dans de l’électro hip-hop et que ça soit génial ? Oui), ou encore Diana folded in half (le cauchemar cyberpunk incarné).

L’album est aussi disponible sur Bandcamp en version numérique, mais faites vous plaisir et soutenez la création artistique : offrez vous ce génial album en physique comme on dit, vous ne regretterez pas le voyage. Et vous bouclerez ainsi la boucle meta en remettant un peu de matérialité dans ce monde parfois trop virtuel et humainement désincarné. Merci Transmission et Figures libres pour tout ça.

L’album en LP + CD est disponible sur le site de Figures Libres Records : https://figureslibresrecords.fr/transmission-2-x-lp-cd/

Le visuel pochette est tiré de la page Bandcamp de Figures Libres, où vous pouvez trouver l’album en numérique, mais aussi l’acheter en version physique : https://figureslibresrecords.bandcamp.com/album/transmission-transmissions

Raf Against The Machine

Review n°111: 9 Pieces de Thylacine (2022)

C’est la tournée de mes chouchous électros français actuellement… Après Les Gordon, c’est au tour de Thylacine deThylacine - 9 Pieces sortir un nouvel album, son cinquième déjà, intitulé 9 Pieces. Depuis 2019 et Roads Vol.1, je prends plaisir à suivre le périple musical de William Rezé qui confronte aussi bien les gens que les sons dans ses voyages sonores. Sur ce puzzle de 9 pièces, certaines sont déjà connues et les lecteurs assidus du blog ont déjà entendu parler de Polar ou Versailles qui ouvrent et ferment l’album de 39 minutes.

Polar offre donc d’emblée une électro puissante avec le bruit des créatures marines en fond, une rythmique assez sombre qui contraste à merveille avec la voix féminine qui a presque quelque chose d’incantatoire. Le résultat est aussi surprenant qu’envoûtant. Les titres suivants vont ensuite nous emmener du côté de cette Turquie à l’identité floue, entre Europe et Proche-Orient. Anatolia est un bijou qui résume musicalement tout ce qu’est la Turquie avec d’un côté les instruments qui représentent les traditions de la Cappadoce et de l’autre les tentations de la techno pour la jeunesse d’Ankara. Duduk (du nom d’un hautbois d’Arménie) et Olatu creusent le sillon de cette électro contemplative qui survole les paysages mélancoliques pour un résultat d’une finesse et d’une justesse inégalables – le piano de Duduk est un exemple imparable. Olatu, qui me fait penser au travail sur les boucles de Les Gordon, propose des sons plus électro-pop et sort quelque peu Thylacine de sa zone de confort. Bosphorus clôt ce voyage turc dans une ambiance plus rythmée et tournée vers les dance-floors, la montée est excitante, tout comme le saxophone habituel de Thylacine qui tente d’insuffler une douce mélancolie à l’ensemble. La musique de Thylacine est à l’image de la Turquie moderne, une terre de contrastes qui se veut un lieu de rencontres.

War Dance surprend alors par son âpreté et cette techno martiale -néanmoins pas aussi monolithique qu’elle ne peut le paraître à la première écoute – comme un triste clin d’oeil à l’actualité ukrainienne… Pleyel nous ramène vers une orchestration plus classique, dans la droite lignée de son dernier opus Timeless, pour un résultat tout en tensions d’une grande modernité. La richesse des propositions de ce morceau -qui me fait penser à Aufgang – est proprement hallucinante. Night Train est le morceau le plus frontal de l’album avec une électro débordante d’énergie qui se présente comme la bande-son idéale d’un voyage en train, le titre est peut-être un peu en-dessous en termes d’originalité de la proposition. Versailles clôt enfin avec subtilité l’album en jetant des ponts entre les époques, après avoir jeté des ponts entre les peuples, en s’appuyant sur des instruments, des mécanismes et des objets du château de Versailles. Le résultat confirme la volonté sur la deuxième partie de l’album de mettre en avant des ambiances plus dansantes. S’il y a bien quelque chose que Thylacine sait parfaitement faire, c’est nous faire voyager -dans les époques, les contrées, les genres musicaux – dans notre fauteuil, le casque vissé sur les oreilles… Enjoy !

 

Sylphe

Five Titles n°29: EBM d’Editors (2022)

Des nouvelles aujourd’hui des Anglais d’Editors qui nous ont offert de superbes albums rockEditors - EBM dans les années 2000 – The Back Room en 2005 et An End Has a Start en 2007 en tête qui méritent d’être régulièrement réécoutés – portés par un souffle rock subtil et la charismatique voix de Tom Smith. Je les ai clairement perdus de vue depuis plusieurs années, étant juste tombé par hasard sur la version électronique de leur dernier opus Violence (2018), The Blank Mass Sessions ( petit article en passant par ici). Depuis Blank Mass (un des deux Fuck Buttons) est devenu un membre à part entière du groupe comme le titre de ce septième opus l’explicite (EBM = Editors + Blank Mass…Je sais, vous êtes bluffés par cette équation subtile…) et le virage électronique est pleinement assumé. J’ai longtemps hésité à parler de cet album car mes sentiments sont très partagés, autant il possède quelques titres percutants autant l’enchaînement des 9 titres et ses 52 minutes s’avère assez épuisant… Les doigts sont littéralement restés dans la prise et les rythmiques uptempo nous martèlent, la voix de Tom Smith passant malheureusement quelquefois au second plan… Néanmoins, certains titres surnagent et méritent amplement qu’on en parle.

  1. Le morceau d’ouverture Heart Attack qui traite de la puissance intemporelle du sentiment amoureux d’une manière quelque peu inquiétante -« No one will love you more than I do/I can promise you that/ And when your love breaks I’m inside you/ Like a heart attack  » propose un son rock bien lourd. Des drums assourdissants et un refrain puissant donnent une tonalité épique au titre.
  2. Picturesque est ensuite à la limite de la faute de goût avec un gimmick électronique de fond un brin entêtant. Néanmoins la rythmique uptempo, les riffs acérés et ce sentiment d’urgence palpable nous embarquent, comme si on écoutait une version sous acide de Bloc Party.
  3. Kiss me plaît ensuite car ce titre rappelle l’amplitude de malade de la voix de Tom Smith, capable d’aller chercher des notes très hautes. Dommage que la rythmique électro de fond assez monolithique ne la mette pas vraiment en valeur.
  4. Silence rappelle enfin ce que fut Editors sur ses premiers albums. Rythmique downtempo, voix caverneuse, émotion à fleur de peau, une ode au passé déchu.
  5. Educate propose de son côté un son électro-rock plein d’énergie qui résiste à la tentation de tomber dans les excès.

Quelques beaux moments, une sensation globale plus mitigée, la collaboration avec Blank Mass manque quelque peu de légèreté. A vous de vous faire votre propre avis désormais, enjoy !

 

   

Sylphe

Son estival du jour n°81 : High life (2001) de Daft Punk

81G3AiMU+pL._SL1500_2001, année de l’odyssée de l’espace : trente trois ans après le chef-d’œuvre cinématographique créé par Stanley Kubrick, deux autres magiciens, mais du son cette fois, livrent un autre chef-d’œuvre. Discovery, deuxième album studio des Daft Punk aka Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter, tombe dans les bacs précisément le 12 mars 2001. Au menu de la galette, quatorze titres s’enchainent durant une heure pour former un ensemble piochant à la fois dans l’électro en mode french touch, mais aussi dans les ambiances disco et pop, ce qui ne manquera pas de choquer les fans de la première heure et une partie de la presse. Qu’importe, Discovery est le meilleur album du groupe, point barre. Les différents titres contiennent de nombreux samples et références aux années 80, à commencer par le long clip qui accompagne l’album. Plus exactement, sort en 2003 Interstella 5555 : The story of the secret star system, un film d’animation muet japonais de science-fiction, dont la particularité est sa BO. Cette dernière est intégralement composée de l’album Discovery, faisant du disque et du film deux objets artistiques indissociables. Interstella 5555 est drivé par Leiji Mastumoto. Qui ça ? Le papa d’Albator. Rien que ça? Question référence à la pop culture et aux années fin 70’s début 80’s, on fait difficilement mieux.

Tout comme Insterstella 5555, Discovery ne connaît aucun temps mort. Bien qu’il alterne titres énergiques taillés pour le dancefloor et moments plus intimistes, rien ne peut arrêter l’affaire lorsque vous lancez l’album. Après une ouverture sur le hit One more time, vous attendent des folies sonores comme Harder Better Faster Stronger ou encore Crescendolls, à moins que vous ne craquiez sur le groovy/funky Voyager ou le très Herbie Hancockien 80’s Short circuit. En passant, vous aurez un peu soufflé sur Digital love ou Nightvision. Et, à peu près à mi-course, notre son estival du jour. High life semble résumer en trois minutes vingt la pêche incroyable qui explose à chaque seconde de Discovery. Porté par un beat qui n’est rien d’autre que notre petit cœur de Human after all (#vousl’avez?) qui palpite de vie, chaque sample vocal explose de lumière comme un pamplemousse qui gicle à chaque cuillerée. Implacable morceau à bouger son corps sans aucun complexe en oubliant tout le reste, High life pulvérise toute grisaille et toute morosité. Discovery est un album insolent d’énergie et de lumière, un disque dont l’intelligence autant que l’accessibilité nous sautent à la tronche à chaque instant. High life est l’épicentre de cet incroyable séisme émotionnel qui me rend dingue à chaque écoute.

Mettons sans plus attendre dans nos oreilles cette pépite absolue. Puis, pour maintenir l’énergie et la vibe, on vous ajoute le spiralesque Crescendolls, avant de glisser Voyager. Y en a un peu plus, je vous le mets quand même ? One more time qui ouvre l’album, mais qui peut aussi clore notre petite brochette musicale : sitôt arrivés à la fin de Discovery, vous vous direz « On se le remet encore une fois ? » Go. Faites vous plaisir et relancez autant que vous le voulez ce son estival par excellence.

Raf Against The Machine