Pépite intemporelle n°122 : Leiji Matsumoto (1938-2023)

On ne sait pas vraiment dans quelle rubrique mettre la chronique du jour. Nous avons choisi les Pépites intemporelles mais elle aurait tout aussi bien pu passer en Ciné – Musique, ou encore en Five Reasons. Qu’importe la case : nous posons aujourd’hui quelques lignes pour rendre hommage à Leiji Matsumoto. Décédé le 13 février dernier à l’âge de 85 ans, le dessinateur japonais occupe une place toute particulière dans nos souvenirs d’enfance. Mais pas que. Leiji Matsumoto est un mangaka (auteur/dessinateur de manga) à l’œuvre prolifique. Il réalise ses premières planches dès l’âge de 9 ans, et remporte à 15 ans un concours du magazine Manga Shônen. Il est alors repéré par Osamu Tezuka, dont il deviendra l’assistant. Pour resituer, Osamu Tezuka est un autre mangaka, peut-être même le mangaka originel. Créateur d’Astro le petit robot, mais aussi auteur de nombreuses merveilles comme L’histoire des 3 Adolf, Osamu Tezuka est une référence absolue, parfois considéré comme le Walt Disney japonais. Retour de digression… C’est donc aux côtés de ce grand personnage que Leiji Matsumoto fait ses premières armes.

Leiji Matsumoto entre dans une période faste à partir des années 1970. Il produit de plus en plus, autour de trois thématiques récurrentes : la guerre, le western et la science-fiction. A la croisée de ces trois mondes, il publie entre janvier 1977 et janvier 1979 Capitaine Albator, peut-être son manga le plus connu. Manga qui sera adapté en série animée dès 1978, et qui arrivera sur nos écrans de télévision française en janvier 1980. Le voilà notre souvenir d’enfance. Souvenir d’un capitaine courage qui est quasiment le seul à mesurer le danger constitué par l’arrivée des Sylvidres. La société n’a plus aucune ambition, l’humanité est repue et oisive de sa propre suffisance. Personne ne mesure le péril grandissant, à l’exception d’Albator et de son équipage. On est loin des bluettes guimauves et des dessins animés sans profondeur. L’œuvre est brillante, humaniste, philosophique, existentielle. Quarante ans plus tard, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec les risques du dérèglement climatique et le trop peu de prise de conscience par les puissants qui pourraient réagir. La thématique sera d’ailleurs au cœur de l’excellent film Albator, Corsaire de l’espace (2013), tout aussi pessimiste et badass que l’est Albator 78. Oui, il y a aussi Albator 84, préquelle à Albator 78 bien que réalisée après, mais mon cœur bat définitivement pour la série 1978.

Vous avez remarqué ? Nous n’avons pas encore parlé musique, alors que nous sommes sur Five-Minutes, le blog qui garantit cinq minutes de bon son par article. Réparons cela, avec un autre souvenir d’enfance : le générique d’Albator 78. Avant de dire encore un mot sur Leiji Matsumoto, double pause musicale, avec le générique français qui éveillera vos souvenirs de goûter devant Récré A2, mais aussi le magnifique générique japonais, dont le texte plus sombre laisse entrevoir la réelle tonalité de la série.

Nous venons de parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître… pas directement du moins. Leiji Matsumoto ne se limite pourtant pas aux années 1950-1980. Si l’artiste se fait plus rare à partir des années 1990, il continue à créer, et reviendra sur le devant de la scène grâce notamment à sa collaboration avec Daft Punk. En 2003, le duo français sort son excellent album Discovery (le meilleur à mon goût), qui s’accompagne d’un film animé en forme de clip géant, couvrant l’intégralité de l’album. Intitulé Interstella 5555 : the 5story of the 5ecret 5tar 5ystem, l’animé est conçu par Leiji Matsumoto. La combinaison des deux mondes et le résultat sont incroyables. Est-on en train d’écouter un album de Daft Punk illustré par Leiji Matsumoto, ou bien de regarder un animé de Leiji Matsumoto dont la BO serait faite par Daft Punk ? Peu importe la réponse, le plaisir est là, et bien là. Pas moins de 68 minutes d’ultra-maitrise visuelle et sonore, de références à tout va, de souvenirs et d’émotions à retrouver encore tant de talent chez le mangaka.

Leiji Matsumoto n’était bien entendu pas qu’Albator et Interstella 5555. Ses mangas, ses séries, ses films, riches de préoccupations philosophiques et humanistes, sont autant d’œuvres dans lesquelles replonger pour s’échapper de ce monde, ou parfois tenter de le comprendre. Au-delà des souvenirs d’enfance et du plaisir procuré par son travail, Leiji Matsumoto nous laisse un peu orphelins de son intelligence et de son regard sur nous-mêmes et nos sociétés. C’est avec grande émotion que j’ai appris sa disparition voici quelques jours, et que j’ai relu quelques pages de ce grand monsieur. Avant de ressortir Interstella 5555, pour un énième visionnage. One more time, Monsieur Leiji Matsumoto.

Raf Against The Machine

Son estival du jour n°81 : High life (2001) de Daft Punk

81G3AiMU+pL._SL1500_2001, année de l’odyssée de l’espace : trente trois ans après le chef-d’œuvre cinématographique créé par Stanley Kubrick, deux autres magiciens, mais du son cette fois, livrent un autre chef-d’œuvre. Discovery, deuxième album studio des Daft Punk aka Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter, tombe dans les bacs précisément le 12 mars 2001. Au menu de la galette, quatorze titres s’enchainent durant une heure pour former un ensemble piochant à la fois dans l’électro en mode french touch, mais aussi dans les ambiances disco et pop, ce qui ne manquera pas de choquer les fans de la première heure et une partie de la presse. Qu’importe, Discovery est le meilleur album du groupe, point barre. Les différents titres contiennent de nombreux samples et références aux années 80, à commencer par le long clip qui accompagne l’album. Plus exactement, sort en 2003 Interstella 5555 : The story of the secret star system, un film d’animation muet japonais de science-fiction, dont la particularité est sa BO. Cette dernière est intégralement composée de l’album Discovery, faisant du disque et du film deux objets artistiques indissociables. Interstella 5555 est drivé par Leiji Mastumoto. Qui ça ? Le papa d’Albator. Rien que ça? Question référence à la pop culture et aux années fin 70’s début 80’s, on fait difficilement mieux.

Tout comme Insterstella 5555, Discovery ne connaît aucun temps mort. Bien qu’il alterne titres énergiques taillés pour le dancefloor et moments plus intimistes, rien ne peut arrêter l’affaire lorsque vous lancez l’album. Après une ouverture sur le hit One more time, vous attendent des folies sonores comme Harder Better Faster Stronger ou encore Crescendolls, à moins que vous ne craquiez sur le groovy/funky Voyager ou le très Herbie Hancockien 80’s Short circuit. En passant, vous aurez un peu soufflé sur Digital love ou Nightvision. Et, à peu près à mi-course, notre son estival du jour. High life semble résumer en trois minutes vingt la pêche incroyable qui explose à chaque seconde de Discovery. Porté par un beat qui n’est rien d’autre que notre petit cœur de Human after all (#vousl’avez?) qui palpite de vie, chaque sample vocal explose de lumière comme un pamplemousse qui gicle à chaque cuillerée. Implacable morceau à bouger son corps sans aucun complexe en oubliant tout le reste, High life pulvérise toute grisaille et toute morosité. Discovery est un album insolent d’énergie et de lumière, un disque dont l’intelligence autant que l’accessibilité nous sautent à la tronche à chaque instant. High life est l’épicentre de cet incroyable séisme émotionnel qui me rend dingue à chaque écoute.

Mettons sans plus attendre dans nos oreilles cette pépite absolue. Puis, pour maintenir l’énergie et la vibe, on vous ajoute le spiralesque Crescendolls, avant de glisser Voyager. Y en a un peu plus, je vous le mets quand même ? One more time qui ouvre l’album, mais qui peut aussi clore notre petite brochette musicale : sitôt arrivés à la fin de Discovery, vous vous direz « On se le remet encore une fois ? » Go. Faites vous plaisir et relancez autant que vous le voulez ce son estival par excellence.

Raf Against The Machine

Son estival du jour n°72 : Derezzed (2010) de Daft Punk

61wVcH7ByhL._SL1417_En 1982 sort sur les écrans Tron, réalisé par Steven Lisberger. Film culte de tout geek qui se respecte, ce long métrage de science-fiction traite à la fois d’informatique, de gaming et d’intelligence artificielle. Au-delà du pitch de départ (Kevin Flynn, un programmeur de jeu vidéo exploité et spolié de ses créations par un de ses collègues malveillant et sournois), Tron est resté célèbre pour ses scènes qui plongent ledit Kevin au sein même du jeu vidéo. Scènes qui occupent une bonne partie du film et dont la conception assistée par ordinateur est restée dans les mémoires. Presque trente années plus tard, Disney, déjà à l’initiative de Tron, imagine une suite intitulée Tron : L’héritage (Tron: Legacy en VO). On y fait la connaissance de Sam Flynn (fils de), qui plonge à son tour in-game pour retrouver son père et combattre une nouvelle intelligence artificielle. Les deux films forment un diptyque diversement apprécié. Si Tron a rejoint les films cultes, sa suite a été plus décriée. L’ensemble forme toutefois un divertissement qu’on ne négligera pas, surtout au cœur de l’été et alors que le monde n’a jamais été aussi déprimant.

Si Tron : L’héritage est resté dans les mémoires, c’est aussi grâce à sa bande originale, composée par Daft Punk. Le duo s’est adjoint les services de l’orchestre symphonique de Londres pour un résultat assez étonnant. Là où l’on connaissait le groupe pour ses tubes à dancefloor (rappelons que trois ans plus tôt sortait l’excellent et explosif Alive 2007), Tron: Legacy met l’accent sur des compositions électro-symphoniques qui posent une ambiance parfois sombre et mystérieuse, bien plus qu’elles ne font danser (comme en témoigne The game has changed, en écoute plus bas). Derezzed est précisément l’exception qui confirme la règle : trois minutes de pure folie sonore, sur lesquelles je vous défie de rester immobiles. Un pur son estival. Le son dont on a besoin, avant de se refaire les deux films.

Raf Against The Machine

Pépite intemporelle n°11: Instant Crush de Cage The Elephant (2017)

L’une de mes dernières claques musicales a eu lieu l’été 2017 en écoutant un live d’unCage The Elephant groupe que je ne connaissais pas, Cage The Elephant… Je n’ai pas véritablement d’intérêt pour les albums live qui me paraissent souvent des pompes à fric qui aspirent les fans, incapables de résister à la tentation. Oui, bon, je me rends bien compte que je suis quelque peu extrême dans mes propos quand mes yeux tombent sur le Live from Mars de Ben Harper… Bref, la pochette de l’album n’était pas véritablement attirante, c’était un live et un groupe que je ne connaissais pas… et mon Dieu, quelle claque!

Du rock assez jouissif, des perles à foison (Trouble, Cold Cold Cold, Sweetie Little Jean, Too Late To Say Goodbye), un aspect intemporel et j’oserai même dire suranné particulièrement séduisant… Vous n’êtes pas à l’abri que je vous reparle un jour de ce sublime Unpeeled à ne pas mettre entre les mains de tous les amateurs de rock, par peur de vous retrouver avec un procès sur le dos ayant pour motif « Deal de produits créant une dépendance totale »…

Je m’égare et ne dois pas perdre de vue que je veux vous parler d’une superbe reprise du Instant Crush de Daft Punk (avec Julian Casablancas, le chanteur de The Strokes en featuring) présente sur ce live. Le morceau de base est déjà imparable et s’impose comme un des sommets de Random Access Memories, la rythmique oscillant entre électro et funk et le chant percutant et survitaminé au vocoder sont estampillés « Made in France de qualité ». La version live de Cage The Elephant réussit le tour de force de redonner un second souffle à cette pépite dans une version acoustique brillante. La diction faussement nonchalante de Matthew Shultz et les cordes subliment cet Instant Crush qui garde son pouvoir mélodique addictif.

Je serais bien embêté de devoir choisir ma version préférée parmi ces deux pépites… et vous, vous êtes plutôt Daft Punk ou Cage The Elephant? Voilà de quoi animer quelques repas de Noël soporifiques où, après 7 entrées et un chapon destinés à vous faire péter la panse, vous voudrez éviter les convives un peu saoûls de s’écharper autour du sujet des Gilets jaunes… Bref Five-Minutes vous souhaite un joyeux Noël!

Sylphe