Review n° 110 : Comme elle vient – Live à Evry 2002 (2022) de Noir Désir

Comme-elle-vient-Live-2002En 2002, Noir Désir boucle la tournée de son dernier album Des visages, des figures. Commencé un an plus tôt, ce marathon scénique s’achève à l’Agora d’Evry le 14 décembre 2002 et donne aujourd’hui lieu à un album intitulé Comme elle vient. Vingt ans déjà que le plus grand groupe de rock français s’est tu, autant dire une éternité. Depuis, le monde a poursuivi son évolution, pour le meilleur comme pour le pire. 2002, c’est notamment l’année de l’accession de l’extrême-droite au second tour d’une élection présidentielle en France. La quasi-majorité des Français dit non à ce cauchemar bien réel, et Noir Désir s’en fait une des voix parmi tant d’autres. Pour qui a eu la chance d’assister à un des concerts de l’entre-deux tours, il reste en mémoire l’incandescence de ce refus, et des salles qui reprennent en cœur les Bérurier Noir pour scander que « la jeunesse emmerde le Front National ». C’était il y a vingt ans. Autant dire une éternité.

Comme elle vient sort pile vingt années après cette ultime et mémorable tournée. Ultime, puisque Noir Désir se désagrègera quelques mois plus tard. Mémorable parce qu’elle laisse entrevoir la mue du groupe et ses nouveaux horizons. Lorsque sort Des visages, des figures (le 11 septembre 2001, comme si cette dernière aventure de Noir Désir devait être marquée du sceau des tristes coïncidences), on mesure déjà l’évolution musicale de la formation. L’album offre un son à la fois plus posé mais pas moins tendu. Sous ce faux calme bouillonne toujours Noir Désir. Même si les très énervés et brutaux Tostaky et 666.667 Club sont un peu laissés de côté, des titres comme L’appartement, A l’envers à l’endroit ou Bouquet de nerfs suintent de tensions grinçantes à la limite du malaise. Alternant avec d’autres morceaux plus rock comme Le grand incendie, Son style 1 ou Lost, l’ensemble se révèle diablement excitant en ouvrant totalement les portes à de nouvelles pistes artistiques pour le groupe. Jamais il n’aura été aussi créatif et musical, jamais il n’aura développé autant d’émotions variées. Des visages, des figures se conclut en outre sur le morceau de bravoure qu’est L’Europe : un duo de plus de 23 minutes avec Brigitte Fontaine doublé d’une virée musicale aujourd’hui encore étourdissante d’intelligence.

Nous voilà donc, deux décennies plus tard, avec entre les mains et entre les oreilles ce Comme elle vient, conclusion de la tournée 2022 de Noir Désir. Avertissement important : cet album n’est en rien la réédition du Noir Désir en public sorti en 2005. Ce dernier représentait, en 24 titres, une compilation des meilleures versions enregistrées sur la totalité de la tournée. Les 56 concerts de la tournée avaient été captés, en prévision de ce témoignage somme. Les membres du groupe en ont ensuite tiré la substantifique moelle, pour obtenir un panorama de cette virée live. Comme elle vient épouse une autre logique, en livrant la captation du dernier concert donné à Evry le 14 décembre 2002. Il est donc logique de ne pas y retrouver des titres non joués ce soir-là, et tout aussi logique que la tracklist ne corresponde pas à celle de Noir Désir en public. Dès lors, si l’on possède déjà celui-ci, faut-il craquer pour celui-là qui sort aujourd’hui 28 octobre ?

N’y allons pas par quatre chemins : la réponse est oui. Si vous êtes un inconditionnel et inconsolable fan de Noir Désir, vous vous procurerez Comme elle vient tel un complétiste compulsif. Si vous êtes amateur de rock et de bon son, vous plongerez aussi. Enfin, si vous n’avez que faire de Noir Désir, et/ou que vous voyez là une sombre démarche mercantile éhontée, il est probable que vous ayez déjà arrêté de lire cette chronique. Ou que, tout simplement, vous ne soyez même pas arrivé jusqu’à cette page du blog !

Comme elle vient pose ce que Noir Désir était devenu sur scène en 2002, peut-être plus encore que Noir Désir en public. Après la compilation de moments choisis et réellement fascinants, on accède ici à un soir en live avec le groupe, qui plus est à sa toute fin. Et l’on redécouvre ce mix et ce dosage parfaits entre moments posés et faussement apaisés, et explosions rock comme on ne les espérait plus. D’un côté, l’ouverture avec Si rien ne bouge, puis Septembre en attendant, Le fleuve, ou encore Des armes. De l’autre, Les écorchés, La chaleur ou Tostaky dans une de ses plus belles et furieuses interprétations. Noir Désir manipule l’énergie comme jamais, en nous balançant à la gueule sa fougue, tout en se ressourçant dans des moments finalement tout aussi incandescents. Le résultat est brillant, et se conclut avec le titre éponyme Comme elle vient. Un dernier salut, un baroud d’honneur en forme d’ultime explosion dans lequel la formation jette ses dernières forces.

A écouter l’ensemble, ce sont des paquets d’émotions qui remontent et nous submergent. Des frissons, du feu, et des larmes aussi de (re)vivre les derniers instants de la meilleure formation rock française, et d’un des plus grands groupes de tous les temps. Comme elle vient nous permet de mesurer, une fois de plus, le vide béant laissé par la disparition de Noir Désir. Voilà un enregistrement qui dépasse toutes les catégories et les cases, pour ne plus être simplement du rock et devenir l’expression d’un art. Comme elle vient est une galette absolument indispensable, qui se paye le luxe d’être disponible sur toutes les bonnes plateformes de streaming, mais aussi physiquement en CD et vinyle. Chez Five-Minutes, on est adeptes de toutes ces formes, mais on a grand plaisir à acheter l’objet, surtout quand il est aussi percutant que ce Comme elle vient. Disponible en diverses éditions, dont certaines avec pochettes alternatives et vinyles colorés, l’album bénéficie en outre d’un pressage de haute qualité avec un remastering de très haute tenue qui rend justice au son Noir Désir.

Aussi incontournable que génial, Comme elle vient se doit d’être dans vos oreilles, et plus si affinités, à savoir dans votre discothèque. Pas encore convaincus ? Voici trois titres en écoute pour vous décider. Les 12 autres vous attendent chez votre disquaire préféré.

« J’ai douté des détails / Jamais du don des nues ».

Raf Against The Machine