Reprise du jour n°1 : Motion Picture Soundtrack de Radiohead (2000) par Thomas Méreur (2020)

Deux titres pour le prix d’un, ou plus exactement deux versions d’une même pépite : voilà l’idée de fond pour cette nouvelle rubrique sur Five Minutes, sobrement intitulée Reprise du jour. Pour l’inaugurer, connectons-nous à l’actualité tout en retrouvant deux grands artistes.

D’un côté, Radiohead. On ne présente plus le groupe de rock britannique, emmené par Thom Yorke et les frères Greenwood. De ses débuts au milieu des années 80 à son Moon Shaped Pool (2016), voilà une aventure musicale qui nous a offert quelques-uns des très grands albums des dernières décennies. OK Computer (1997) en est un, figurant aussi dans ma top liste des albums parfaits. Amnesiac (2001) en est un autre, immédiatement précédé de Kid A (2000). Ces deux derniers LP constituant d’ailleurs un diptyque par lequel Radiohead a redessiné de nouvelles voies musicales qu’il s’est empressé d’emprunter. Kid A fête ses 20 ans : la galette est tombée dans les bacs le 2 octobre 2000. Soit 3 ans après OK Computer qui nous avait ravagé la tête de tant d’invention, de génie, de sons, d’énergie. Après cette torgnole artistique, tout le monde se demandait ce que Radiohead pourrait bien proposer de nouveau et d’aussi puissant. Réponse : Kid A.

De nouveau, rien à jeter dans cet opus, comme d’ailleurs très souvent chez Radiohead. L’album s’ouvre par Everything in its right place, titre annonciateur pour recaler les choses, sans aucune guitare. Si vous ne connaissez pas encore ce disque et ses merveilles, foncez : The National Anthem, Optimistic et autre Morning Bell vous feront passer un sacré moment. Et une écoute hors du temps, conclue par Motion Picture Soundtrack, qui ferme l’album comme il avait débuté : sans guitare, avec la voix de Thom Yorke enveloppée de synthés et de sons électro, finalement soutenue par des chœurs aussi lunaires que crépusculaires. Ce morceau est une pépite absolue, une parenthèse temporelle et une bulle d’émotions concentrées. Pour la beauté de sa composition et de son interprétation, mais également parce que l’on sait que c’est la fin. Du disque en premier lieu, mais ce pourrait être la fin de tout, et ce titre pourrait bien résonner comme une ode funèbre ou un mini-requiem. Dans les faits, il n’en fût rien : à peine un an plus tard, le groupe publie Amnesiac ; quant à nous, 20 ans plus tard, nous sommes toujours là (enfin il semblerait).

De l’autre côté, Thomas Méreur, toujours là lui aussi, pour notre plus grand plaisir. Son actualité à lui, c’est, dans quelques jours, la première bougie plantée sur ce qui reste, sans hésitation aucune, le plus bel album de 2019 : Dyrhólaey, sorti le 18 octobre 2019. Nous avions alors rencontré cet artiste à la fois discret et terriblement talentueux pour une review/interview à relire d’un clic ici-même. Il n’a jamais caché l’influence majeure de Radiohead dans son travail, ni l’importance du groupe dans sa vie. Comme un clin d’œil, il a choisi de saluer les 20 ans de Kid A avec une reprise de Motion Picture Soundtrack qui porte indéniablement sa touche artistique. A l’exception de quelques micro-ajouts électros sur la fin, nous voilà plongés dans une version épurée piano-voix à forte puissance émotionnelle.

Reconnaissons-le : il faut soit de l’inconscience, soit du courage pour s’attaquer à la reprise d’un Radiohead, particulièrement de ce Motion Picture Soundtrack qui me semblait intouchable et parfait (et donc sans aucune nécessité d’être touché). La version de Thomas Méreur me prouve le contraire. Sans doute est-ce son approche délicate et bourrée d’émotions tout autant que de talent qui vient sublimer le matériau de départ, déjà fantastique. C’est la marque des réinterprétations de très haut vol : lorsque l’artiste qui reprend a tout bonnement intégré en totalité l’esprit du titre visé, et qu’il le restitue avec sa propre personnalité. Vous l’aurez compris, la reprise de Motion Picture Soundtrack de Thomas Méreur ne relève ni de l’inconscience, ni du courage. C’est tout simplement un musicien qui en admire d’autres, qui le montre avec ses propres voix et sons, et qui n’a rien à leur envier dans le domaine poils qui se dressent/chialade.

La cerise ? Thomas Méreur a aussi mis en images (humblement comme il le dit dans son tweet) sa reprise de Motion Picture Soundtrack. Ce titre, que j’ai toujours perçu comme une forme de bande-son d’une époque qui s’achève, retrouve tout ce sens avec ce clip maison. En mode Tenet, nous regardons et écoutons la reprise, en avançant dans le temps et dans son écoute, alors que sous nos yeux nous le remontons puisque tout va à l’envers. Des images d’un temps perdu, mais qui sont toujours là et nous reviennent tout en s’évanouissant. Dans ce genre de moment, me reviennent aussi des pages d’Annie Ernaux dans Les Années (2008), un livre exceptionnel dont je ne me lasse pas. C’est tellement brillant et touchant que les mots me manquent pour vous dire l’effet que ce titre, ainsi que sa reprise et sa mise en images par Thomas Méreur me font.

Je préfère donc vous laisser plonger dans cet océan d’émotions. C’est évidemment un grand merci à Radiohead (comme toujours) d’avoir écrit ce titre. C’est une immense reconnaissance à Thomas Méreur de s’en être emparé de cette façon. Le genre de moment artistique qui rend ce monde un peu plus doux et plus supportable.

Raf Against The Machine

Review n°54: Earth d’EOB (2020)

On ne présente plus le grand groupe Radiohead dont les membres, depuis quelques EOBannées, se lancent dans des projets solos. Thom Yorke que ce soit en solo depuis Eraser en 2006 ou dans le groupe Atoms for Peace avec Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers, continue à partager avec brio son sens de l’interprétation. Le batteur Phil Selway  a sorti deux albums, Jonny Greenwood s’épanouit en parallèle dans les musiques de film (There Will Be Blood en 2007  par exemple). Il ne manquait plus jusqu’à maintenant qu’à voir Colin Greenwood et Ed O’Brien sauter le pas… Vous aurez bien compris, subtils lecteurs que vous êtes, que derrière ce sobre et mystérieux EOB se cache donc le guitariste Ed O’Brien qui nous offre son premier opus tant attendu, Earth. Nous sommes bien sûr en droit de nous demander si cet album sera ou non dans la droite lignée des albums de Radiohead… Modeste tentative d’explication en approche…

Le morceau d’ouverture Shangri-La (du nom d’une cité imaginaire inventée par James Hilton dans son roman Lost Horizon en 1933) nous ramène en terrain connu. La voix douce est très convaincante, le morceau se déploie gracieusement avec une ritournelle quelquefois électrisée par les riffs de guitare bien sentis d’Adrian Utley de Portishead pour un résultat qui sonne comme du Radiohead. La comparaison n’a rien de négatif et on ne peut pas reprocher à Ed O’Brien de ne pas tourner le dos à son ADN musical. Les 8 bonnes minutes de Brasil rappellent que EOB a posé les bases de son album lorsqu’il est parti vivre quelques années avec sa famille au Brésil. Ce morceau d’une grande douceur voit EOB sobrement accompagné de sa guitare pour une belle complainte autour de la fin d’une relation amoureuse mais la basse de Colin Greenwood et les sonorités électroniques au bout de 3 minutes viennent donner une savoureuse envie de danser. La montée est séduisante et la construction de ce morceau d’une grande précision et d’une grande richesse.

Le trio suivant va ensuite mettre l’accent sur une douceur folk prédominante, Deep Days et sa guitare acoustique témoigne des qualités du chant d’EOB, Long Time Coming m’évoque un croisement entre Peter von Poehl et Devendra Banhart tout en rappelant à quel point EOB est un grand guitariste alors que Mass tente par quelques déflagrations sonores de briser la douceur pour un résultat tout en tensions. Banksters vient alors avec justesse redonner un supplément d’intensité, on savoure cet art de la réverb propre à Radiohead et la parenté s’avère incontestable. Le désincarné et dépouillé Sail On évoquant la mort de son cousin touche au sublime et nous amène avec délicatesse vers les 8 minutes d’Olympik qui donnent une furieuse envie de bouger son corps et évoquent Depeche Mode qui aurait rêvé de faire du Pink Floyd (#payetoncroisementfumeux). L’album se clot sur une note de douceur folk bien sentie avec Cloak of the Night en duo avec Laura Marling.

Fans ou non de Radiohead, je ne peux que vous inviter à savourer la subtilité de ce très beau Earth qui réchauffera les coeurs, enjoy!

Sylphe