Envie d’une petite pépite feelgood en ce dimanche ? On a ça en stock. On en a même un bon paquet, duquel nous allons sortir aujourd’hui New soul de Yael Naim. Premier single et succès immédiat de l’artiste franco-israélienne, cette chanson contient déjà tout le talent d’une auteure-compositrice qui nous ravit à chaque création. Si New soul est très connoté pop-folk, Yael Naim commence par étudier la musique classique durant une dizaine d’années, avant de se tourner vers un savant mélange de pop/folk/jazz. A partir de 2000 (soit à peine âgée de 22 ans), elle participe à des projets divers comme la comédie musicale Les Dix Commandements ou encore la BO du film Harrison’s Flowers, tout en sortant un premier album dès 2001, In a Man’s Womb. L’année 2004 sera déterminante pour elle : elle commence à travailler avec David Donatien, pour aboutir en 2007 à l’album Yael Naim porté par le single New soul.
N’y allons pas par quatre chemins : New soul est une pépite de douceurs et de couleurs. L’ouverture se fait sur des accords de piano, vite rejoints par la jolie voix de Yael Naim. Viennent ensuite se greffer d’autres instruments et musiciens pour une ritournelle collective pop/folk qui me fait immanquablement penser à l’esprit qui régnait lors de la tournée 1975 de Bob Dylan. Celle-là même qui est retracée dans le très chouette documentaire Rolling Thunder Revue de Martin Scorsese (dont nous avions parlé voici quelques temps, à relire ici). Ce n’est pas le clip de New soul qui me fera changer d’avis, notamment dans sa deuxième moitié avec l’arrivée desdits musiciens. Ces images se confondent dans ma tête avec quelques-unes du film de Scorsese.
Le texte apporte lui aussi son lot de douceurs. Yael Naim y alterne paroles réalistes sur un monde étrange où l’apprentissage de donner et recevoir est parfois délicat, et mots rassurants qui contrebalancent ce constat par petites touches : de la sérénité, une note d’espérance, une main. Autant dire de la lumière. Quant au clip (déjà évoqué), c’est lui aussi une petite merveille que je vous laisse revoir ci-dessous. Lorsque les images collent et répondent ainsi à la musique, on peut parler de multi-pépite.
Ceci est New soul de Yael Naim, dont vous pouvez écouter les autres compositions. Il n’y a vraiment pas grand-chose à jeter dans la carrière de cette artiste, qui sait aussi nous toucher au travers de reprises assez magnifiques. On se souvient notamment de son Quand on a que l’amour de Brel en 2015 (suite aux attentats du 13 novembre), ou plus récemment de sa version du Chant des partisans. Mais c’est une autre histoire, dont nous reparlerons peut-être. Pour l’heure, écoutons New soul dans la plus grande des douceurs.
Petite virée dans des terres musicales hautement émotionnelles aujourd’hui, avec Asaf Avidan. D’abord connu comme le leader du groupe de folk-rock Asaf Avidan and the Mojos, le garçon s’est fait connaître en 2008 avec The Reckoning, le premier et très chouette album du groupe. La galette contient notamment le méga connu Reckoning song (One day), ensuite remixé de diverses façons plus ou moins heureuses. Dès ces premières compositions, c’est tout à la fois la richesse musicale et la voix hors normes d’Asaf Avidan qui nous saisissent. Un talent à fleur de peau qui ne fera que se confirmer, et particulièrement dans Different Pulses (2013), son premier album solo. C’est pourtant sur le deuxième que l’on va s’arrêter quelques minutes, le temps d’une pépite intemporelle. Gold Shadow (2015) est, lui aussi, une merveille de 13 titres qui ne laissent personne indemne.
A commencer par Over my head, splendide ballade qui sonne un peu comme du Bob Dylan qui aurait enregistré Blonde on Blonde dix ans plus tôt dans les années 1950. Il en résulte deux minutes trente de pure merveille musicale. Tout comme Maybe you are irradiait l’ouverture de The Reckoning, Over my head annonce le grand album qui s’offre à nous. Rien que les quatre premiers titres sont une immense fessée musicale, introduite par ce Over my head qui m’a obsédé des jours durant à la sortie de l’album. Pour son rythme doux et lancinant, pour la tendre plainte vocale d’Asaf Avidan, pour la puissance du voyage en moins de trois minutes. Comment un seul garçon peut-il contenir autant de talent, autant d’émotions, et savoir si bien les exprimer ? Je n’en sais foutrement rien. Seul compte le plaisir que j’ai à chaque écoute de Gold Shadow, à commencer par Over my head. Pour vous avoir fait saliver, vous aurez un deuxième titre en écoute. Et pour prolonger le tout, écoutez Gold Shadow en entier, avant de plonger dans The study on falling (2017), troisième album d’Asaf Avidan, et autre merveille à explorer.
En bref, écoutez Asaf Avidan. En commençant par ça.
La saison estivale est parfois le bon moment pour plonger dans une série TV, ou la redécouvrir. Avoir le temps de binge-watcher les épisodes par poignées est un luxe, qu’il faut savoir saisir lorsque le timing des journées le permet. Au planning des séries mémorables dans lesquelles se r(e)plonger, se trouvent en vrac Mr. Robot, Lost, The Leftovers, Westworld, ou encore Californication. Créée par Tom Kapinos et diffusée de 2007 à 2014, cette dernière suit, en 84 épisodes au format 25 minutes répartis sur 7 saisons, les tribulations et les déboires de Hank Moody, romancier new-yorkais exilé à Los Angeles. Séparé de sa femme Karen, également mère de sa fille Becca, Hank Moody est un écorché. Perturbé par sa situation personnelle et le syndrôme de la page blanche, le garçon s’abandonne dans divers alcools et drogues, mais aussi dans à peu près toutes les femmes qui, un instant ou plus durablement, sont partantes pour coucher avec lui. Comme tout écorché, Moody est au fond un grand tendre qui n’aspire qu’à reconquérir sa femme et reconstruire sa famille.
Grande série sous-côtée, Californication raconte la vie, nos questionnements et nos errances, nos erreurs et parfois nos réussites, ainsi que les relations humaines. A certains moments, il y a presque du Cassavetes dans le propos. Sous couvert d’une série facile et provoc, Californication est une vraie bouffée de vie et une profonde introspection pour le spectateur. L’ensemble est porté par la prestation de David Duchovny. Ce dernier aura réussi la prouesse d’être d’abord indissociable de Fox Mulder durant des années dans les X-Files, avant de devenir pleinement Hank Moody pour Californication. Chapeau l’artiste.
Pour accompagner cette virée destroy et tendre à la fois, les épisodes sont accompagnés d’une BO à tomber qui ravira tous les amateurs de rock. Californication tire sa force de son scénario, de ses acteurs, mais aussi de ses sons totalement raccords avec le propos. On passe ainsi de titres assez rageux à d’autres plus folk et touchants. En témoigne ce For my next trick, I’ll need a volunteer entendu dans la saison 6 et concocté par Warren Zevon. Décédé en 2013 à l’âge de 56 ans, il aura connu une carrière faite de hauts et de bas, mais a travaillé avec les plus grands dont Bob Dylan, Neil Young ou R.E.M. For my next trick est issu de Life’ll kill ya (2000) et l’ambiance qu’il dégage colle parfaitement à Hank Moody en pleine saison 6. Sorte de mélange d’influences entre Dylan, les Stones et Bowie, le titre transcrit en quelques minutes la psyché de Moody à cette étape de la série.
Foncez découvrir tout ça, non sans avoir écouté For my next trick, mais aussi une reprise par les Shaw Blades de California Dreamin’ (créée par The Mammas and the Pappas en 1965) et entendue dans la saison 2. Avant de finir avec New situation de The Stereotypes. Un tiercé qui vous donnera un aperçu de la couleur musicale de la série et (peut-être, je l’espère) l’envie de vous y abandonner.
Une fois n’est pas coutume : le son estival du jour sera fait d’un album entier. Soixante dix minutes de musique à se caler entre les oreilles, pour ce qui est sans doute un des plus beaux disques de ces dernières années. Rough and rowdy ways est le trente-neuvième (et dernier en date) album studio de Bob Dylan. Sortie en 2020, la galette renoue avec ce que le poète et prix Nobel de littérature a fait de mieux. Dans un savant mix de blues et folk à la fois crépusculaire et intimiste, Dylan apporte la preuve que, à presque quatre-vingt ans alors (il en a quatre-vingt-un aujourd’hui), il est encore largement capable de nous surprendre. Sa voix, horripilante pour certains mais magique pour moi et bien d’autres, n’a pas été aussi magnétique depuis des années. Elle se pose sur des balades dépouillées, ou encore sur du rythm and blues plus marqué.
Rough and rowdy ways oscille constamment entre ces deux ambiances. D’un côté False prophet, Goodbye Jimmy Reed ou encore Crossing the Rubicon. De l’autre, My own version of you, Black rider ou Key West (Philosopher pirate). Au milieu, somme de ces deux facettes, un album diablement envoûtant qui peut s’écouter le matin avec le café du réveil, en journée dans la torpeur estivale, ou le soir au soleil couchant avec une bière fraîche. Cerise sur le gâteau déjà délicieux : Rough and rowdy ways est construit comme jadis Highway 61 revisited (1965) ou Blonde on blonde (1966), à savoir une flopée de titres tous plus réussis les uns que les autres, avant de se conclure sur un long morceau de plus de dix minutes. Le génial Desolation row sur Highway 61 revisited, le bouleversant Sad-eyed lady of the lowlands pour Blonde on blonde, et ici Murder most foul, long poème musical de dix-sept minutes faisant référence à l’assassinat du président Kennedy.
Chaque titre de Rough and rowdy ways peut s’apprécier isolément, comme autant de sons estivaux du jour. C’est pourtant en écoutant l’intégralité de l’album qu’on apprécie le mieux les dix pépites livrées par Dylan. Histoire de vous mettre un peu l’eau à la bouche, on écoute le très bluesy False prophet, suivi de Key West (Philosopher pirate), avant de revenir au rythm and blues de Goodbye Jimmy Reed, un titre qui rappelle les plus belles heures de Blonde on blonde, et notamment Leopard-skin pill-box hat. C’est juste ci-dessous. Montez le son et profitez. Vous êtes sur Five-Minutes (et merci une nouvelle fois de venir nous visiter et nous lire).
Nous y voilà : à la porte de sortie de 2021, pour un passage en 2022. Avant de laisser derrière nous ces douze derniers mois, passons par le marronnier de chaque fin d’année, à savoir le bilan top/flop. Côté flop, je ne m’attarderai pas, puisque l’idée de Five-Minutes est de vous faire partager des coups de cœur, non de dégommer telle ou telle production. Je préfère me concentrer sur ce qui a étayé et marqué, en musique et parfois à la marge, mon année 2021. Sans plus attendre, balayons ensemble ces mois passés, et ce qu’il m’en reste musicalement à l’heure de la fermeture. Dix minutes de lecture, accompagnées d’une soixantaine de minutes d’écoute. D’un bloc ou en picorant, c’est à votre appréciation. Let’s go.
Il est de tradition de faire un top, un petit jeu auquel le copain Sylphe excelle. Il adore faire des classements, et vous en aurez la preuve cette année encore avec son top à lui. Pour ma part, je vous propose un podium albums qui a la particularité de compter quatre places. Selon la phrase convenue, la quatrième place est toujours la pire, la plus rageante, celle de la médaille en chocolat (cela dit de loin la meilleure des médailles). Voici donc, pour éviter cette maudite quatrième place, un podium avec une première place, assortie d’une marche intermédiaire pour une première place bis, puis de deux deuxièmes places. Un podium bien peu commun, dominé assez largement par Thomas Méreur avec The Dystopian Thing, son deuxième album, qui est clairement mon album de l’année 2021. Plein de finesse et de sensibilité, bouillonnant d’émotions et de lumière malgré les temps sombres qu’il décrit, voilà bien un disque que j’attendais et qui a dépassé mes attentes (chronique à relire ici), en clôturant 2021 de la plus belle des façons. Pas très loin derrière, et donc sur cette fameuse place numéro 1 et demi, Low skies de Nebno. Un album musicalement dans l’esprit de The Dystopian Thing : de l’ambient mâtiné d’une créativité sans nom, pour des ambiances toujours plus envoûtantes et un voyage dans des univers dont on ne ressort pas indemne, tout en affichant une unité artistique évidente (chronique à relire par là). Marvel cherche désespérément son multivers au cinéma. Dans le monde musical, Nebno propose un autre multivers qui, lui, fonctionne : il est dans Low skies.
A long way home de Thomas Méreur, sur The Dystopian Thing
Maze de Nebno, sur Low skies
Reste la double deuxième place du podium. Les lauréats ne surprendront aucun habitué de Five-Minutes. D’une part, The shadow of their suns. Le cinquième album studio de Wax Tailor (sixième si on compte By any remixes necessary, album de relectures de By any means necessary) a claqué très fort dès le moins de janvier, et à ouvert les hostilités en plaçant la barre très haut. Disque sombre mais optimiste (comme je l’écrivais dans un Five reasons à relire ici), aussi brillant qu’élégant et obsédant, The shadow of their suns n’a pas faibli en intensité, loin de là. Il reste un très grand album de Wax Tailor, et un gros pavé musical de 2021. D’autre part, et dans un tout autre genre, Est-ce que tu sais ? de Gaëtan Roussel. J’ai toujours été très client du garçon et de ses différents projets Louise Attaque, Tarmac, Lady Sir, et bien sûr ses albums solo. Toutefois, ce dernier opus en date occupe une place particulière pour moi. Il est arrivé à un moment où chaque titre m’a raconté un bout de moi, où chaque mélodie et chaque texte ont résonné d’une façon très personnelle. J’en avais déjà dit beaucoup de bien (à relire par ici), et je pourrais me répéter puissance dix. Album pop intimiste et poétique, chaque seconde qu’il égrène me ramène à toi. Inévitablement, inlassablement, et toujours avec la même force. Sache le, où que tu sois et si tu me lis.
The light de Wax Tailor, sur The shadow of their suns
Tout contre toi de Gaëtan Roussel, sur Est-ce que tu sais ?
Sorti de ce podium à quatre places, bien d’autres sons ont occupé mon année. Il faut pourtant faire un tri, faute de quoi je vous embarque pour plusieurs heures de lecture et d’écoute. Un tri facilité en retenant deux albums découverts en 2021, mais ne contenant pas du matériel de 2021. Subtil. The Rolling Thunder Revue de Bob Dylan est une belle découverte, appuyée par le visionnage du film éponyme de Martin Scorsese disponible sur Netflix. Ce dernier retrace le retour sur scène de Bob Dylan en 1975, après presque dix années d’absence live. Documentaire et album se complètent magnifiquement : l’émotion magnétique des images de Dylan et de sa troupe en tournée se retrouve dans les enregistrements, et réciproquement. Il en résulte un témoignage musical à la fois bouleversant et de haute qualité, dont j’avais déjà dit le plus grand bien voici quelques mois (à relire ici). Avec, au cœur de tout ça, une version habitée de The lonesome death of Hattie Carroll, mais aussi un échange puissant et humain (dans le documentaire) entre Bob Dylan et Joan Baez sur eux-mêmes et leur histoire commune. L’évidence mise à nu d’un lien profond, dans sa plus simple expression et son plus simple appareil. Je ne m’en suis toujours pas remis.
The lonesome death of Hattie Carroll de Bob Dylan, sur The Rolling Thunder Revue
Autre album de 2021 qui rassemble des sons du passé, At the BBC de Amy Winehouse (chronique à retrouver ici). Ou la sortie officielle, propre et parfaitement masterisée, d’enregistrements entre 2003 et 2009, soit la période la plus puissante d’Amy Winehouse. On y retrouve des versions live de titres connus, d’autres moins, et quelques reprises comme celle de I heard it through the grapevine avec Paul Weller. Si l’on connaissait déjà bon nombre de ces versions, l’album sorti cette année est l’occasion de tout rassembler en un seul endroit, et de se faire une plongée dans les traces des meilleures prestations scéniques d’une immense artiste partie bien trop tôt.
I heard it through the grapevine par Amy Winehouse feat. Paul Weller sur At the BBC
Autres temps, autres lieux : 2021 a aussi été l’année du retour annoncé d’Archive pour l’année prochaine. Là encore, aucune surprise pour les lecteurs assidus du blog, tant ce groupe est pour moi une référence absolue et indéboulonnable. Si le douzième album studio Call to Arms & Angels ne sortira qu’en avril 2022, il a été précédé par deux singles d’une rare efficacité. Daytime coma est une plongée de plus de dix minutes dans l’état d’esprit et les déchirements sociétaux covidesques (pépite à relire par ici), tandis que Shouting within est un modèle de rage et de colère intérieures, sous couvert d’intimisme (pépite à relire par là). Ajoutons à cela Super 8, premier extrait de la BO qui accompagne le documentaire en lien avec ce nouvel album, et la hype est absolument totale. Je trépigne chaque jour de hâte d’être au 8 avril 2022, et donc je me gave d’Archive pour patienter (qui a dit « comme d’habitude » ? J’ai entendu, ne vous cachez pas 😉 ).
Super 8 de Archive
Gaming, cinéma et au-delà
Au-delà des albums, il s’est aussi passé bien des choses en 2021. Dans le domaine numérique/vidéoludique, je retiendrai trois moments très marquants. Tout d’abord, l’expo virtuelle/en ligne proposée par Radiohead, à l’occasion des vingt ans du dyptique Kid A/Mnesiac, devenue KID A MNESIA (chronique disponible ici). Elle se visite comme un jeu vidéo en vue à la première personne. La plongée visuelle, sonore et musicale dans cette KID A MNESIA EXHIBITION (disponible gratuitement rappelons-le) est une vraie expérience de folie pour tout fan du groupe, mais aussi pour tout amateur de musique et de création multimédia. A voir absolument, tout comme il est indispensable de réécouter KID A MNESIA pour mesurer le potentiel créatif de Thom Yorke et de ses compères.
Trailer de la KID A MNESIA EXHIBITION de Radiohead
Ensuite, du côté jeux vidéo, comment ne pas parler de Death Stranding et de sa double BO à couper le souffle ? Oui, j’ai enfin pris le temps de faire et de terminer le dernier jeu d’Hideo Kojima, à la faveur de la Director’s cut sortie à l’automne 2021. Quelle claque côté jeu ! Une aventure qui ne serait pas ce qu’elle est sans le score original de Ludvig Forssell, ni sans les chansons de Low Roar, Silent Poets ou encore Woodkid. L’ambiance est prenante et totalement envoûtante. Cette double BO y joue un rôle majeur et peut s’écouter indépendamment. La marque des grandes. Enfin, autre BO de jeu vidéo, celle de NieR Replicant, dont le remake est sorti en 2021, pour un jeu initialement paru en 2010 : l’occasion de réenregistrer et de redécouvrir de magnifiques compositions. NieR: Automata avait déjà frappé très très fort en 2017, tant sur le plan du jeu en lui-même que de la BO. NieR Replicant (qui est sorti et se passe chronologiquement avant Automata) confirme que la franchise NieR est, à mes yeux et mes oreilles, au-dessus de tout ce qui se fait en matière de jeux vidéo et d’OST, et de très loin. Par le maître Keiichi Okabe.
Once there was an explosion de Ludvig Forssell, sur l’OST de Death Stranding
I’ll keep coming de Low Roar, tiré de l’OST de Death Stranding
Snow in summer, tiré de l’OST de NieR Replicant
Petite cerise vidéoludique musicale (oui, ça fait finalement quatre moments marquants et non plus trois, ne boudons pas notre plaisir) : la BO de Deathloop, dont on a parlé pas plus tard que la semaine dernière. Si le titre Déjà vu par Sencit feat. Fjøra est un petit plaisir assez jouissif, le jeu en lui-même et le reste de l’OST le sont tout autant. On reparle sans doute en 2022 de cette BO rock/jazz 60’s/70’s. En termes de cohérence jeu/musique, ça se pose là bien comme il faut. A l’image de Space Invader de Tom Salta, une composition qui n’a rien à envier à Lalo Schifrin.
Déjà Vu de Sencit feat. Fjøra, tiré de l’OST de Deathloop
Space Invader de Tom Salta, tiré de l’OST de Deathloop
Enfin, je ne peux pas terminer cette subjective et non exhaustive rétrospective 2021 sans faire un crochet par le monde du cinéma. Si ce dernier a payé cher (comme bien d’autres secteurs) le prix d’une épidémie qui n’en finit plus, je retiens tout de même deux moments qui m’ont marqué. D’un côté, le retour de l’univers Matrix avec Matrix Resurrections, qui est le quatrième volet de la saga sans l’être vraiment. Aucun spoil à craindre ici. Je ne dévoilerai rien de ce film que j’ai beaucoup aimé, mais qui risque d’en dérouter plus d’un. Si j’en parle, c’est pour son générique de fin qui reprend habilement le Wake up de Rage Against The Machine (entendu à la fin du premier Matrix), mais dans une version revue par Brass Against et Sophia Urista. Oui, Sophia Urista, celle-là même qui a défrayé la chronique voici quelques semaines, après avoir uriné sur un fan lors d’un concert. Toujours est-il que, la chanteuse s’étant platement excusée depuis, pendant que le fan en question se disait sur les réseaux sociaux ravi de l’expérience, on se concentrera sur le titre musical, à la fois reprise fidèle et référence tout en n’étant pas vraiment le titre de base. Comme un clin d’œil méta à ce qu’est possiblement le film. Mais toujours une putain de boule d’énergie. Rage Against The Machine forever, Brass Against & Sophia Urista enfoncent le clou avec brio et un flow qui n’a pas à rougir de la comparaison avec celui de Zach de la Rocha.
Wake up de Rage Against The Machine par Brass Against feat. Sophia Urista
De l’autre, c’est avec une grande tristesse que j’ai appris voici quelques jours la disparition du réalisateur canadien/québécois Jean-Marc Vallée. Si ce nom ne vous dit rien, sachez que c’est l’homme derrière C.R.A.Z.Y. (2005), Dallas Buyers Club (2013), Wild (2014), ou encore les séries Big Little Lies (2017) et Sharp Objects (2018). Autant de réalisations brillantes et touchantes, toujours assorties d’une bande son incroyable. Jean-Marc Vallée était un cinéaste féru de musiques, qui se définissait ainsi : « Je crois que je suis un DJ frustré qui fait des films ». Cette frustration a eu du bon, et nous a permis de vivre des films et séries toutes plus humaines et touchantes les unes que les autres, grâce à un sens pointu des images soutenu par une pertinence musicale toujours impressionnante. En témoigne Demolition (2015), son dernier long métrage en date, avant qu’il ne se tourne vers les séries TV. A mes yeux son film le plus bouleversant, tant dans ce qu’il raconte que dans la façon de le dire, de le mettre en images et en musiques. Sans doute parce que, comme plus récemment l’album de Gaëtan Roussel, Demolition est arrivé à un moment clé de ma vie où il a résonné puissamment. Au point d’être un film majeur à mes yeux, pour m’avoir fait prendre conscience de multiples choses, et très possiblement pour m’avoir sauvé la vie. Tout simplement. La chialade et la lumière en même temps. Merci infiniment pour tout ça, et si vous n’avez jamais vu/écouté Demolition, foncez (comme sur toute l’œuvre de Jean-Marc Vallée).
Bruises de Dusted, tiré de la BO de Demolition
Impossible de conclure sans un mot sur le blog lui-même. L’année 2021 a été pour Five-Minutes l’année de tous les chiffres. Nous avons multiplié par trois depuis l’an dernier le nombre de vues mais aussi le nombre de visiteurs sur le blog. Avec le copain Sylphe, on ne court pas après les chiffres et les statistiques. Chaque semaine, on écrit avant tout pour mettre en avant et partager un son qui nous plaît, nous touche. Ne nous mentons pas, on écrit aussi pour être lus. Alors, découvrir en cette fin d’année que la fréquentation de notre modeste et humble Five-Minutes a triplé, c’est une sacrée récompense et sans doute la meilleure motivation pour continuer cette chouette aventure. Merci à toi mon ami Sylphe. Merci infiniment à vous toutes et tous, de passage ou lectrices et lecteurs plus réguliers. Merci de venir partager quelques minutes de bon son de temps en temps avec nous. Likez, commentez, et n’hésitez pas à nous faire connaître autour de vous. Rendez-vous en 2022 pour bien d’autres sons. Ce sera avec un immense plaisir. Merci à vous, du fond du cœur.
Le voilà ce fameux live teasé depuis deux jeudis consécutifs : après avoir écouté la semaine dernière les brillantes prestations live d’Amy Winehouse tout juste tombées dans les bacs, quittons un moment l’immédiate actualité discographique pour revenir en 2002. Cette année-là sort The Rolling Thunder Revue de Bob Dylan, dans la collection des Bootleg Series. Il s’agit d’enregistrements live, inédits, rares, alternatifs mais néanmoins officiels, constituant un complément plutôt riche et instructif pour qui apprécie un minimum la carrière de Dylan. Estampillé numéro 5 de ces Bootleg Series (rien à voir avec le parfum du même nom), The Rolling Thunder Revue offre un panorama de ce que fût la tournée 1975-1976 de Dylan, en se concentrant toutefois sur la première moitié de la tournée en 1975. D’où son sous-titre Live 1975. En quoi ce live serait-il plus intéressant que celui de 1966 au Royal Albert Hall, ou celui de 1964 au Philarmonic Hall ? Il n’est pas plus intéressant. Il est une des facettes de Dylan, artiste aux multiples visages et aux influences diverses, comme le montre l’excellent film I’m not there (2007) de Todd Haynes, dans lequel Dylan est interprété par cinq acteurs et une actrice différents, chacun incarnant un personnage (et donc un visage) différent du chanteur. The Rolling Thunder Revue est aussi un témoignage de la forme que peut prendre la création artistique, tout en étant bourré de moments incroyables. Préparez-vous au grand huit émotionnel, en cinq raisons chrono.
The Rolling Thunder Revue marque le vrai grand retour de Bob Dylan sur scène, après une période plus discrète. En dehors de sa participation au concert caritatif pour le Bangladesh organisé par George Harrison en 1971, Dylan n’est plus réapparu en concert depuis 1966. Année au cours de laquelle, après sept albums studio exceptionnels, sa carrière connaît un brutal arrêt suite à un accident de moto. Durant ces presque dix années, sortiront plusieurs albums et on verra Dylan au cinéma dans Pat Garrett et Billy le Kid (1973). Il en écrit également la BO, dont le désormais classique Knockin’ on heaven’s door. Mais, point de scène, aucun concert. Il faut attendre 1974 et la tournée Before the flood pour retrouver l’artiste on stage après la sortie de Planet Waves. Dylan sort de dépression, joue et chante de façon tourmentée et sauvage. Sa vraie renaissance scénique intervient lors de cette Rolling Thunder Revue, qui prend naissance à l’automne 1975 pour une première phase, avant de se poursuivre en 1976 comme prolongement de la sortie de l’album Desire.
Avec The Rolling ThunderRevue, Dylan propose une tournée hors normes. D’une part, en choisissant de se produire exclusivement dans des salles à taille humaine, parfois dans de petites villes, au grand dam du producteur qui pensait capitaliser sur le retour scénique de Dylan en remplissant des stades. D’autre part, en réunissant autour de lui toute une bande de vieux amis et de personnages hauts en couleurs, au premier rang desquels Joan Baez, mais aussi Mick Ronson ou Roger McGuinn. Se joignent également à cette épopée Allen Ginsberg (poète américain fondateur de la Beat Generation) et Sam Shepard. Ce dernier publiera en 1977 (en 2005 pour l’édition française) Rolling Thunder Logbook, copieux journal de tournée illustré de photos de Ken Regan. S’ajouteront, au fil des dates et parfois temporairement, des artistes croisés sur la route comme Joni Mitchell. Cette troupe, là encore multi-facettes, confère à la tournée un côté épique et bohème, avec une forte coloration hippie déjà passée de mode en 1975. Peu importe, c’est l’ambiance dans laquelle Dylan va se ressourcer et proposer des moments live inattendus, hors du temps et d’une intensité imparable.
Il n’y a rien à jeter dans les 22 titres qui composent The Rolling Thunder Revue. Cet enregistrement est constitué de prises à différentes dates du premier segment de la tournée. Pas de prestation intégrale d’un seul trait, mais le choix ô combien pertinent de retenir les meilleures versions de ces titres proposés au long des soirées de la tournée. La playlist alterne titres récents et plus anciens. Parmi les premiers, Simple twist of fate et Tangle up in blue (issus de l’album Blood on the tracks), mais aussi Isis, One more cup of coffee ou Hurricane, de l’album à venir Desire. Dylan est dans son temps et synchronise ses prestations publiques à son actualité, comme une façon de reprendre pied après une période chahutée. Il n’oublie pas d’intégrer, dans un savant dosage, des morceaux plus anciens entendus dans ses albums sortis entre 1962 et 1966. Un choix qui donne lieu à des réinterprétations incroyables. Dylan est un spécialiste de la revisite de ses titres, dans des versions souvent méconnaissables, et parfois un peu scabreuses. Ici, tout fonctionne comme par magie. Il suffit d’écouter The lonesome death of Hattie Carroll (une pépite déjà chroniquée ici), Mr. Tambourine Man, It ain’t me, babe ou encore Just like a woman pour mesurer le potentiel créatif et émotionnel du bonhomme. Dylan déroule ses chansons et n’a jamais semblé aussi à l’aise dans ce subtil mélange de rock-folk-country éclairé de sa voix unique, que l’on n’a jamais entendue s’exprimer avec tant d’aisance, entre intimisme et énergie communicative d’un poète écorché.
Se plonger dans The Rolling Thunder Revue, c’est aussi la possibilité de (re)découvrir Rolling Thunder Revue – A Bob Dylan Story (2019), le documentaire de Martin Scorsese, disponible sur Netflix. Le réalisateur avait déjà proposé l’excellent No direction home en 2005, concernant la période 1961-1966 de Dylan. Avec ce nouveau film, Scorsese explose les frontières et les règles du documentaire. Il mélange images de coulisses, captations live, interviews d’aujourd’hui et images tournées à l’époque pour une fiction, et donne ainsi à voir la dimension hors normes de cette tournée. Entre mythe et réalité, magie et moments du quotidien, Rolling Thunder Revue – A Bob Dylan Story accentue le côté irréel et hors du temps (et parfois de la réalité) de cette incroyable tournée. Chaque image est hypnotique et nous envahit, faisant passer les presque 2h30 de film comme un seul moment sans aucun temps mort et sans jamais regarder la montre. S’il fallait retenir trois séquences en particulier ? Premièrement, les captations scéniques dans lesquelles Dylan est magnétique, présent comme jamais, insaisissable et fascinant sous son maquillage blanc et ses yeux cernés de noir. Deuxièmement, ce court moment lors d’une fin de concert où l’on voit une jeune femme du public, presque hébétée et totalement sonnée émotionnellement de ce qu’elle vient de vivre. Troisièmement, un échange entre Joan Baez et Bob Dylan qui, en quelques phrases et regards, raconte tout le respect et l’amour intemporel qu’il y a entre ces deux-là. C’est à la fois réservé, retenu, et d’une puissance émotionnelle incroyable.
The Rolling Thunder Revue est possiblement le live le plus riche et captivant de Bob Dylan. Il reste bien d’autres raisons pour soutenir cette idée, mais la dernière que je retiens est la possibilité d’augmenter sa collection de vinyles avec le bel objet qui contient ces enregistrements. Au-delà du double CD sorti en 2002, les plus complétistes et acharnés se tourneront vers le coffret 14 CD sorti en 2019 et contenant 5 shows intégralement captés, plus 3 disques de répétitions et un de raretés. L’exhaustivité pour un prix relativement raisonnable (autour de 60 euros). Pourtant, à quelques euros près, est également disponible un coffret 3 vinyles (également sorti en 2019), celui-là même sur lequel repose cette chronique. Pourquoi préférer prioritairement le vinyle ? Pour le choix des meilleurs enregistrements, comme déjà évoqué plus haut. Pour la qualité du mastering son mais surtout du pressage, qui fait enfin oublier le calamiteux Hard Rain sorti en 1976 et qui donnait un aperçu de cette même tournée. Pour le livret 64 pages grand format qui met en valeur bon nombre de photos d’époque. Enfin, pour profiter pleinement de la photo de pochette : un magnifique portrait noir et blanc de Bob Dylan, qui dit autant le côté fantasque et magnétique que les tourments et l’humanité qui habitent ce grand poète de notre temps.
The Rolling Thunder Revue est une pièce maîtresse pour tout amateur de bon son, mais aussi de la carrière de Bob Dylan. Si les cinq raisons évoquées ne suffisent pas, ou s’il en fallait une sixième qui chapeaute et rassemble toutes les autres, il y a simplement à se dire que The Rolling Thunder Revue, c’est du Dylan. Un artiste au parcours unique, prix Nobel de littérature en 2016 (faut-il le rappeler), qui a traversé les époques pour devenir une figure intemporelle, pourtant bien vivante, qui fêtera le 24 mai prochain ses 80 ans. Quelle plus belle occasion pour (re)plonger dans The Rolling Thunder Revue ? Aucune. Foncez.
Poursuite de la balade dans les années 1960 : après Feeling Good (à relire/réécouter ici), remontons un peu plus loin dans le temps, plus précisément en 1963/1964 pour (re)découvrir une pépite absolue et intemporelle du répertoire de Bob Dylan. The lonesome death of Hattie Carroll fait partie de mes titres préférés, dont je ne me lasse jamais et que je peux écouter en boucle. Que ce soit pour ce que la chanson raconte ou pour la façon dont elle est écrite et la manière dont Dylan l’interprète, tout me renverse dans Hattie Carroll. Si vous avez quelques minutes devant vous, je vous explique tout ça.
Que raconte The lonesome death of Hattie Carroll ? Dylan écrit et enregistre ce titre en octobre 1963, suite à un fait de violence et la mort d’une femme, le 9 février de la même année à l’hôtel Emerson de Baltimore (Maryland). Hattie Carroll, serveuse de 51 ans, meurt suite à des coups portés par William Devereux Zantzinger, client et riche propriétaire terrien de 24 ans. La première est noire, le second est blanc. Tout ceci en 1963, dans des Etats-unis très marqués par la ségrégation raciale, et qui voient émerger le combat pour les droits civiques des Noirs américains que porteront des figures comme Martin Luther King, Medgar Evers, Malcolm X ou encore James Baldwin. William Zantzinger, passablement alcoolisé ce 9 février 1963, commande à Hattie Carroll un énième verre qui n’arrive pas assez vite à son goût. Il l’insulte de « négresse » et s’en prend à elle verbalement et à coups de canne, tout comme à deux autres personnes présentes. Hattie Carroll meurt le lendemain matin. Une mort causée par une hémorragie cérébrale liée à des problèmes de santé, et sans doute déclenchée par les injures et la brutalité de Zantzinger plus que par sa canne. Il n’empêche : le mal est fait. Un homme a tué une femme. Un homme blanc a tué une femme noire, dans le contexte sociétal tendu et explosif évoqué plus haut. Fin août 1963, après une requalification des faits de meurtre en homicide et coups et blessures, Zantzinger, qui admet avoir été tellement ivre qu’il ne se souvient de rien, est condamné à six mois de prison.
A peine deux mois plus tard, en octobre 1963, Dylan enregistre The lonesome death of Hattie Carroll. Et raconte cette histoire, avec quelques ajustements : William Devereux Zantzinger devient William Zanzinger, celui qui a battu à mort Hattie Carroll à coups de canne. Le titre ne dit jamais que l’une est noire et l’autre blanc, mais le talent d’écriture de Dylan est de nous le faire comprendre entre les lignes, si toutefois on ne connaît pas le fait. Ce que raconte aussi cette chanson, c’est l’incroyable bienveillance (pour ne pas dire privilège et favoritisme) dont Zantzinger a bénéficié de la part de la justice, à la fois de par sa classe sociale mais aussi de par sa couleur de peau. Six mois pour avoir causé la mort d’une femme, c’est dérisoire et révoltant. Surtout lorsque l’on sait que cette durée de détention permet à l’intéressé de purger sa peine dans la prison du comté et non la prison d’Etat, où sont alors détenus des prisonniers en majorité noirs, qui n’auraient pas manqué de s’en prendre à lui. Comble du cynisme ? Zantzinger versa 25 000 dollars à la famille d’Hattie Carroll, de sa propre initiative. 25 000 dollars, le coût d’une vie arrachée ? Les questions d’argent et de racisme poursuivront Zantzinger : en 1991, la justice découvrira qu’il loue des logements en violation de la loi du comté. Des logements qu’ils ne possède plus. A des locataires poursuivis en justice lorsqu’il étaient défaillants, et contre lesquels il a gagné ses procès. Des locataires noirs. Un portrait édifiant et abject de ce que l’humanité peut faire de plus crasse, au panthéon de la négation de l’Autre.
Comment Dylan raconte-t-il The lonesome death of Hattie Carroll ? D’une part, en écrivant sa chanson sans attendre, presque dans le feu des événements. Hattie Carroll meurt en février 1963, le procès de Zantzinger se tient en août de la même année, et il ne faut pas deux mois à Dylan pour écrire et enregistrer son titre. Cette réaction immédiate l’est pourtant moins qu’on pourrait le penser : le morceau ne débarque pas dès février, ou même au moment du procès. C’est le juste délai pour porter une révolte, des émotions et un engagement, tout en laissant mûrir un propos qui ne prend que plus de poids. Ici, rien d’explosif mais plutôt un engagement profond, extrêmement solide et hautement convaincant. D’autre part, les choix musicaux de Dylan sont parfaits : la trame musicale est dépouillée (guitare folk et quelques pointes d’harmonica). C’est sa marque de fabrique de l’époque. La chanson sortira en janvier 1964 sur The times they are a-Changin’, son 3e album studio. Ce n’est qu’en 1965 avec Bringing it all back home (5e album) qu’apparaitront des instruments électriques. Nous n’en sommes pas là : Dylan porte ses mélodies folk épurées, et The lonesome death of Hattie Carroll l’est encore plus. Par exemple, la piste précédente When the ship comes in sur The times they are a-Changin’ enchaine les accords avec un certain rythme. Pour Hattie Carroll, Dylan ne se sert de sa guitare que pour gratter quelques trames d’accord qui servent de support musical à son phrasé.
La voix de Dylan est la dernière pièce à cet édifice. Une voix nasillarde, reconnaissable entre toutes, qui raconte l’histoire et la mort de Hattie Carroll, plus qu’elle ne les chante. Dylan est observateur engagé de son temps et nous conte Hattie Carroll comme écrivaient et lisaient à l’époque les poètes de la Beat Generation. Allen Ginsberg, Jack Kérouac ou encore William Burroughs (pour ne citer qu’eux) ont toujours savamment mélangé musiques, rythmes et textes. Avec Hattie Carroll, Bob Dylan est dans cette droite lignée, en y ajoutant une dimension protest-song dont il est un des meilleurs représentants. Son texte prend rapidement le dessus sur la grille musicale, mais il n’aurait pas cette force et cette puissance sans le rythme apporté par ses cordes qu’il semble gratter à la cadence de son texte, et réciproquement.
The lonesome death of Hattie Carroll poursuivra son chemin au répertoire de Dylan, et trouvera son écho protest-song dans la décennie suivante avec Hurricane, parue sur l’album Desire (1976) : un titre qui revient sur la condamnation à perpétuité et l’emprisonnement du boxeur Rubin “Hurricane“ Carter pour un triple meurtre en 1966, dans lequel l’implication de ce dernier n’a jamais été prouvée. Carter sera libéré en 1985 après cassation du verdict et bénéficiera d’un non-lieu en 1988. Témoins peu fiables et approximations en tout genre : une controverse judiciaire de plus sur fond de racisme et d’inégalités sociales, qui sera l’occasion pour Dylan d’écrire une nouvelle petite merveille. The lonesome death of Hattie Carroll et Hurricane font d’ailleurs l’objet d’un judicieux segment dans l’excellent film Rolling Thunder Revue : A Bob Dylan story (2019) qui suit la tournée du même nom entamée en 1975. Une passionnante virée dans l’univers dylannien par Martin Scorsese, qui avait déjà réalisé le très chouette No direction home (2005) sur les années 1961-1966 de Dylan. Rolling Thunder Revue est disponible sur Netflix : vous y entendrez Hattie Carroll et y trouverez plein d’autres bien belles choses, dans une “atmosphère douce, feutrée, intimiste, poétique“, teintée d’un “profond engagement“ (des guillemets car je n’ai pas trouvé mieux que ces jolis mots de la personne de très bon goût qui m’a emmené sur ce film). Des mots qui, pour boucler la boucle, qualifient parfaitement aussi la pépite qu’est The lonesome death of Hattie Carroll.
Avant de poursuivre l’exploration de ce mois de novembre et de ses nombreuses belles sorties musicales, faisons une parenthèse reprise avec un de mes titres préférés, tout artiste et époque confondus. Desolation Row fête cette année ses 55 ans et clôt, du haut de ses 11 minutes et quelques, Highway 61 revisited, le 6e album de Bob Dylan.
D’un côté, donc, Bob Dylan aka Robert Zimmerman. Aujourd’hui 79 ans au compteur, il affiche 61 ans d’activité artistique à travers, bien sûr, sa musique, mais aussi la peinture et la sculpture. Des albums par dizaines, le prix Nobel de littérature en 2016 et, depuis 1988, un Never Ending Tour consistant en un enchainement incessant de concerts et de tournées : voilà qui est Dylan. Un artiste incontournable des 20e et 21e siècles et une des figures majeures de la musique populaire occidentale, qui a livré quelques-unes des plus belles galettes qui garnissent ma discothèque. Highway 61 revisited en fait partie. Bourré de pépites, il recèle notamment le célèbre Like a Rolling Stone, et donc notre Desolation Row du jour. D’une durée inhabituelle de plus de 10 minutes, ce titre est également inédit dans sa construction et dans sa narration. Comme quasiment chaque titre de Dylan issu de ses 7 premiers albums, Desolation Row est un classique absolu, un des piliers de l’univers dylanien et, au-delà, du monde folk-rock. Le genre de classique intouchable ? Oui, jusqu’à ce qu’une poignée de garnements décide de toiletter l’ensemble, de fort belle façon.
De l’autre côté, nous trouvons My Chemical Romance. Un quatuor de rock alternatif américain, qui a officié de 2001 à 2013, puis a fait son retour en 2019. Plutôt adepte d’un rock énergique et qui envoie le bouzin, la formation s’empare en 2009 de Desolation Row pour en livrer une version condensée, percutante et sans concession. Il est difficile, sur les premières notes, de reconnaître le classique de Dylan, tant My Chemical Romance a sorti les guitares et poussé à fond les potards. Vient ensuite se greffer la voix de Gerard Way qui, sans rechercher de comparaison facile, me fait penser à la fois à Billy Corgan des Smashing Pumpkins et Johnny Rotten des Sex Pistols. L’esprit punk est d’ailleurs assez présent dans notre reprise du jour, tellement on a la sensation d’entendre, en sous-titre de cette réinterprétation, une remarque du genre : « Ouais, on dézingue un classique dylanien, et si ça vous déplaît, tant pis. Never mind the bollocks ! »My Chemical Romance bouscule le classique et le réinvente, avec cependant tout le respect qui se doit.
Cette reprise de Desolation Row et cette sensation punk ont trouvé leur prolongement au cinéma, toujours en 2009. Lorsque s’amorce le générique de fin du film Watchmen, les gardiens de Zack Snyder, c’est le son de My Chemical Romance qui nous submerge. Or, qu’est donc Watchmen à l’origine ? Un comics/roman graphique sorti au milieu des années 80, sous la plume d’Alan Moore et Dave Gibbons. Mais pas n’importe quel comics : Watchmen est précisément une relecture du comics de super-héros, tout en distorsion et en punkitude. Tous les codes super-héroïques sont présents, pour être mieux dégommés, retournés, secoués. En réalité, My Chemical Romance fait avec le titre de Dylan ce que Moore a fait 30 ans plus tôt avec les classiques de la BD anglo-américaine. Dans un cas comme dans l’autre, c’est rock, c’est osé, c’est un peu bordélique, mais c’est intelligent et au final terriblement jouissif. Desolation Row par My Chemical Romance, c’est juste le son qu’il nous faut ce soir. Enjoy, comme dirait mon gars sûr Sylphe !
Le son du jour n’aura d’estival que le nom, puisque c’est plutôt une chanson à la poésie crépusculaire que l’on écoute ensemble aujourd’hui.
Petit matin 4.10 heure d’été est tiré de Suppléments de mensonge (2011), le 16e album studio d’Hubert-Felix Thiéfaine (HFT pour les intimes). C’est alors le grand retour du bonhomme, après Défloration 13 (2001) et Scandale Mélancolique (2005), deux albums qui, dans leur globalité, m’ont moins convaincu que tous les précédents, bien qu’ils recèlent de vraies pépites comme Guichet 102 ou les Confessions d’un never been. En 2007, HFT prendra aussi le temps d’Amicalement blues, un génial album en collaboration avec Paul Personne. Autant dire que la réunion des deux (la poésie de Thiéfaine et le blues de Personne) est un pur bonheur.
Arrive ensuite Suppléments de mensonges en 2011, avec du très lourd. J’adore cet album, pour Garbo XW Machine, pour Infinitives voiles, pour Ta vamp orchidoclaste, pour Les filles du Sud. Pour sa cohérence de la première à la dernière note, et sur l’ensemble de ses textes.
Et donc pour ce Petit matin 4.10 heure d’été. La musique, faite de guitare et d’harmonica, ressemble à un long Dylan. Donc forcément envoûtant. L’écriture, de très haut niveau et bourrée d’images, permet de retrouver la meilleure plume de HFT. Avec, en plein milieu du titre, comme un climax, ces 4 lignes imparables : « Je n’ai plus rien à exposer / Dans la galerie des sentiments / Je laisse ma place aux nouveaux-nés / Sur le marché des morts vivants ».
Il y a quelques paroles de chansons qui me restent gravées à jamais. Celles-là en font partie. Et j’y reviens plus que souvent. Notamment au petit matin. Qu’il soit 4.10 ou pas.
Et pour la version total dylanienne, on écoute cette interprétation live sur le VIXI Tour XVII (2016)
Poursuite cette semaine de la virée dans les fondamentaux avec un œil dans le rétroviseur. Mon gars sûr Sylphe nous a aussi fait le coup hier avec un Arcade Fire bienvenu, non sans avoir fait un crochet par le dernier Les Gordon, une chouette galette qui fait du bien. De mon côté donc, je continue les retrouvailles avec des morceaux qui ont compté et comptent toujours. Parce que ce sont souvent des titres très bien faits et interprétés, ou tout du moins parce qu’ils me touchent énormément en me ramenant à des moments de vie.
C’est bien entendu le cas avec ce Maybe you are d’Asaf Avidan & The Mojos. Ce déchirant morceau ouvre The Reckoning, premier album du garçon, ou plus exactement de son groupe de l’époque. Nous sommes en 2008 : Asaf Avidan est à l’époque lui-même, augmenté de The Mojos. Le groupe de folk-rock-blues s’est formé fin 2006 et a écumé en long, en large et en travers Israël (dont Asaf est natif, tout comme ses copains de route), mais aussi donné quelques concerts aux Etats-Unis. Enregistré courant 2007, l’album sort dans les bacs en mars 2008. Un an plus tard, la galette est disque d’or, puis disque de platine en 2010. Pas très étonnant pour un album excellent, tant dans sa construction musicale que dans sa diversité. Les 15 titres jouent sur les genres de façon distincte : le blues dans Her lies ou A Phœnix is born, le rock plus énergique avec Hangwoman ou Growing tall, ou le folk le plus intimiste à travers The Reckoning (dont on oubliera l’affreux Wankelmut Remix dance de 2012, pourtant multi-diffusé) ou encore notre Maybe you are.
Pour ouvrir un album de folk-rock-blues avec un titre si minimaliste (guitare folk/voix) et si puissant, il faut soit être totalement inconscient, soit accoucher d’une merveille. Dans le premier cas, pour peu que le morceau présente la moindre faille, c’est des coups à stopper net l’écoute et à regretter amèrement son achat. Heureusement, Asaf Avidan est dans la seconde catégorie. Lorsque j’ai découvert ce titre, je suis resté littéralement tétanisé de bonheur et d’émotions. Une grosse touche de Bob Dylan, une mélodie qui n’a rien à envier à sa référence, et la voix d’Asaf Avidan, stratosphérique et pénétrante comme bien peu. D’entrée de jeu, cette chanson m’a bouleversé par sa puissance, sa fragilité, et son inscription directe dans le marbre de mon cerveau musical et émotionnel.
A l’image d’un Cornerstone de Benjamin Clementine, d’un Apex de Thomas Méreur ou d’un Long way down de Tom Odell, Maybe you are fait indéniablement partie de ma liste de chansons parfaites, qui me retournent à chaque écoute. Il n’y a rien à redire sur aucun aspect du titre, tout est maîtrisé de bout en bout. Il n’y a qu’à se laisser porter, et écouter ce que corps et tête nous disent de ce qu’ils reçoivent. Au-delà du texte et de ce qu’il peut raconter (et dans cette chanson, autant dire que c’est pas la grosse joie). Ça n’est, à ce stade, plus qu’une question de sensations et d’images. Au-delà de la perfection musicale et émotionnelle, tout comme ces autres morceaux, Maybe you are fait également partie de mon jardin secret. Un jardin où je me sens bien et apaisé. Un refuge où je peux me blottir. Si tu me lis, tu te souviendras. Tu en sais quelque chose.