Review n°112 : Transmissions (2022) de Transmission

Capture d’écran 2022-11-04 à 11.29.03Pour qui a eu la chance de passer un moment au festival HopPopHop d’Orléans mi-septembre dernier, il y avait une performance à ne rater sous aucun prétexte : le collectif Transmission, pour une création originale. Nous avions entendu à peu près tout et son contraire avant d’entrer dans la dernière session des quatre programmées : « Sans doute le meilleur moment du festival » versus « C’est particulier, mais c’est intéressant » versus « Il y avait des gens dans la salle qui ont manifestement aimé ». On kille le suspense tout de suite : on a adoré Transmission, et c’est personnellement la meilleure prestation que j’ai vue et entendue durant ce weekend là. Une claque. Transmission est fait de plein de personnes et d’influences différentes. Autour de Johann Guillon et Benjamin Nérot tout droit sortis d’Ez3kiel, on y trouve d’autres artistes : James P Honey aka Dull Fame, Lionel Laquerrière, Félix Classen et Victor Neute. Autant de personnalités différentes qui unissent leur talent au sein de Transmission.

Et du talent dans Transmission, il y en a : dès les premiers sons, nous voilà plongés dans un monde qui se dessine note après note, mot après mot. Dans un savant mélange d’électro et de hip-hop, le sextet dessine un univers sonore nerveux et mélancolique plein de machineries, de bruits de ferrailles, mais aussi de nappes infra-basses et electro-ambient. Comme par exemple dans Mussolini mistress. Il en résulte la fantasmée bande son d’un film à la croisée de Blade Runner et de 8 mile. Transmission est cinématographique dans l’âme. Les premières minutes nous installent dans un univers cyberpunk, violent, dark, parfois cauchemardesque, mais toujours profondément humains par les deux voix qui interviennent tour à tour dans les compositions. A la voix grave et toujours incroyable de Benjamin Nérot répond celle de James P Honey qui déverse un flow généreux et imparable.

Au cœur de Transmission et du dispositif scénique, une cabine téléphonique 3.0. Relique d’un monde passé, l’objet sort tout droit de notre imaginaire post-apocalyptique. Tel un vestige d’un monde où la communication passait par le temps d’attente à la porte de ladite cabine, la patience, mais aussi l’essentiel : avec quelques pièces ou une carte téléphonique (les plus jeunes, ne me regardez pas avec des yeux effarés… oui, ceci a existé), il fallait synthétiser nos échanges, tout en profitant un maximum de ces quelques minutes. C’est quasiment la réussite méta, en plus de la claque sonore, de Transmission. Comme des personnages échoués d’un Fallout ou d’un Death Stranding, les musiciens du groupe entrent tour à tour dans la cabine pour des Calls, qui servent d’intermèdes entre les morceaux comme autant de tentatives de remettre en lien un monde fragmenté. Plus encore, le collectif recrée un lien communicationnel en faisant de cette prestation d’une heure un vrai moment de partage entre la scène et le public. Autre signe qui ne trompe pas : l’espace scénique est central, le public en cercle autour. Reconstituer du tissu social et humain par l’art, c’est bien l’éclatante réussite de Transmission.

Si l’on en parle aujourd’hui, c’est à la faveur de la réécoute du disque Transmissions (sorti le 19 août dernier), ou l’occasion de replonger dans cette création assez incroyable portée par les festivals HopPopHop (Orléans) et Les Rockomotives (Vendôme), sous l’égide de l’association Figures Libres. Disponible chez Figures Libres Records/L’Autre Distribution, le double LP est disponible accompagné de la version CD. Tout ceci pour la modique somme d’une vingtaine d’euros : ne passez pas à côté d’un des albums les plus percutants et enchanteurs de cette année 2022. L’occasion de (re)découvrir des titres assez incroyables tels que Jane Austen (et le flow de Dull Fame qui tabasse), The ebb and the flow (peut-on mettre de la cornemuse dans de l’électro hip-hop et que ça soit génial ? Oui), ou encore Diana folded in half (le cauchemar cyberpunk incarné).

L’album est aussi disponible sur Bandcamp en version numérique, mais faites vous plaisir et soutenez la création artistique : offrez vous ce génial album en physique comme on dit, vous ne regretterez pas le voyage. Et vous bouclerez ainsi la boucle meta en remettant un peu de matérialité dans ce monde parfois trop virtuel et humainement désincarné. Merci Transmission et Figures libres pour tout ça.

L’album en LP + CD est disponible sur le site de Figures Libres Records : https://figureslibresrecords.fr/transmission-2-x-lp-cd/

Le visuel pochette est tiré de la page Bandcamp de Figures Libres, où vous pouvez trouver l’album en numérique, mais aussi l’acheter en version physique : https://figureslibresrecords.bandcamp.com/album/transmission-transmissions

Raf Against The Machine

Review n°93: La mémoire du feu d’EZ3kiel (2022)

Je tiens le coup de coeur de ce début d’année 2022 et le futur vinyle qui viendra enrichir maEz3kiel La mémoire du feu collection ! J’ai déjà une belle histoire commune avec nos voisins tourangeaux d’EZ3kiel (#teamOrleans, #teamregionCentre) et de nombreux flashes me parcourent quand je pense à eux: un titre sombre et brillant déroulant une liste qui fait honte à l’humanité (l’étouffant Versus sur le deuxième opus Barb4ry), deux albums sublimes aux antipodes l’un de l’autre avec l’éthéré Naphtaline en 2006 et le post-rock pachydermique de Battle Field en 2008 qui se verront brillamment réunis dans Naphtaline Orchestra en 2012 pour une création scénique visuelle de haut vol que j’ai eu la chance de voir. Paradoxalement, je suis moins connaisseur du dernier album studio LUX sorti en 2014 et j’ai l’impression de déterrer une boîte secrètement enfouie, en espérant qu’elle n’ait pas perdu ses saveurs premières. Ce nouvel opus, qui tient son titre d’une nouvelle de Caryl Férey, s’est construit dans une formule élargie autour de Johann Guillon et Stéphane Babiaud avec Nicolas Puaux (Narrow Terence, Narco Terror), Benjamin Nerot (The Healthy Boy, Belone Quartet), Jean Baptiste Fretray (Grauss Boutique, Ultra Panda) et Jessica Martin-Maresco (Le Grand Sbam, Pili Coït). Le résultat est un véritable album-concept qui illustre avec brio cette nouvelle et la relation amoureuse de Diane et Duane, possédant une vraie force narrative qui n’est pas sans rappeler la démarche de Laurent Garnier et The Liminanas pour De Pelicula. Véritable album somme, il croise les sonorités post-rock habituelles avec une folk surprenante et des textes parlés, les nouvelles voix donnant encore plus de corps à l’ensemble. Voilà un album qui, fidèle à son titre, laisse des traces indélébiles. Je vous invite à suivre avec moi les aventures de Duane et Diane…

Le morceau d’ouverture Diaphane frappe fort d’emblée avec son post-rock sombre qui est sublimé par cette voix taillée à la serpe de Benjamin Nérot. Le résultat est puissant et pose la rencontre de Diane et Duane dans un contexte apocalyptique. Jessica Martin-Maresco vient ensuite dans Les amants d’antan apporter une touche de douceur avec une électro aux sons aquatiques et un texte parlé. Vous rajoutez le morceau instrumental L’absolu sombre et cinétique à souhait, réveillant les souvenirs de Battle Field, et vous obtenez un trio inaugural qui résume les grandes directions de l’album.

Les moments forts en émotions ne vont cesser de s’enchaîner au rythme de cette passion dévorante qui unit les deux personnages. De la surprenante folk douce et nostalgique m’évoquant Malajube de Les galions oubliés à l’instrumental et épique Serpent corail en passant par la rage de Rouge sang et son brutal martèlement de drums ou encore la débauche de synthés de Les spirales ascendantes, un vrai désir de vie et d’amour/destruction se dégage de ce superbe roman d’anticipation musical. A une époque où le format album est de plus en plus en danger et où les plateformes musicales amènent à l’éparpillement des titres à renfort de playlists, ce choix fort est savoureux et, à l’instar de De Pelicula, une réussite totale ! De mon côté, je suis en train de réécouter la discographie d’EZ3kiel et vais rapidement me plonger dans la littérature de Caryl Férey, cela devrait persuader les derniers indécis à se confronter à ce très beau La mémoire du feu, enjoy!

Morceaux préférés (pour les plus pressés): 1. Diaphane – 4. Les galions oubliés – 6. Serpent corail – 2. Les amants d’antan

 

Sylphe