Review n°77 : Est-ce que tu sais ? (2021) de Gaëtan Roussel

unnamedSorti le 19 mars dernier, le quatrième album de Gaëtan Roussel Est-ce que tu sais ? impressionne par sa cohérence et sa force poétique. En dehors des aventures Louise Attaque, Tarmac et Lady Sir, les trois premiers opus solos avaient tranquillement installé des repères textuels comme musicaux chers à l’artiste. Après Ginger (2010) et Orpailleur (2013), son Trafic (2018) avait franchi un pas vers ce qu’on pourrait appeler la maturité. Plus d’harmonie musicale, un ensemble mieux équilibré et quelques titres très efficaces comme Hope, ou encore le duo Tu me manques (pourtant tu es là) avec Vanessa Paradis. Sans oublier Début, titre de clôture d’un album déjà très abouti, et dont nous avions dit le plus grand bien sur Five-Minutes. C’était il y a 3 ans, autant dire une presque éternité. Depuis maintenant près d’un mois, Est-ce que tu sais ? tourne régulièrement sur la platine. La question n’est pas vraiment de savoir s’il fait mieux que ses prédécesseurs, et ce qu’il fait de mieux, mais simplement de décortiquer ce qu’il fait. Point barre.

Est-ce que tu sais ? est un album dans la droite ligne du travail de Gaëtan Roussel. Avec cette nouvelle galette, le chanteur de Louise Attaque poursuit ce qu’il a entamé avec sa formation originelle, avant de décliner chez Tarmac, puis en solo et aux côtés de Rachida Brakni dans Lady Sir. Sous des aspects de ritournelles pop légères et parfois dansantes, sont abordées des thématiques bien plus profondes, voire plus sombres, qu’on ne pourrait l’imaginer. Lorsque sort en 1997 le premier opus de Louise Attaque, des titres festifs comme Les nuits parisiennes ou J’t’emmène au vent inondent les radios et nos oreilles, occultant des titres plus tourmentés comme Arrache-Moi ou Cracher nos souhaits. Même les hits les plus enjoués cachent en réalité une recherche de soi, d’évasion pour trouver à se sentir bien. Louise Attaque poursuivra dans ses albums suivants, avec des morceaux comme Tu dis rien, Comme on a dit, Si c’était hier, Depuis toujours, Avec le temps, tout en passant le relais à Tarmac. De cette formation, on pourra se pencher sur Dis-moi c’est quand, Je cherche, Cher oubli ou Longtemps. En écho, Lady Sir enfoncera le clou en 2017 avec Le temps passe, Son absence ou Je rêve d’ailleurs. Elément commun, toujours : Gaëtan Roussel, qui portera ces préoccupations aussi dans ses albums solos. Il est alors question de l’existence, de la mort, de l’amour, de la connaissance de soi et du choix des autres (ou pas). Lorsque l’on connaît le parcours artistique du garçon, Est-ce que tu sais ? apparaît comme une évidence, comme l’album tant attendu. Lorsqu’on connaît moins, ce nouvel album est une excellente porte d’entrée sur le travail d’un artiste qui a bien des choses à raconter.

Est-ce que tu sais ? est un album sur la vie. Composé de 11 titres, il balaie différentes facettes existentielles qui, parfois (souvent ?), nous empêchent de dormir la nuit. Tu ne savais pas ouvre le bal en listant nos ignorances en venant au monde : la naissance, l’apprentissage de la vie, les joies, les tristesses, la mort. Et, en filigrane, l’innocence qui se perd peu à peu au fil de nos années. Un peu plus loin, le titre éponyme Est-ce que tu sais ? sonne comme une variation du « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » de Socrate. Seule persiste la conscience d’être au monde, et la fragile perception de ce même monde qui nous entoure. Comme un prolongement, La photo (en duo avec Camélia Jordana) aborde l’avant/après d’un cliché photographique. Ce que raconte une image de tel ou tel moment de vie, c’est aussi ce qu’elle ne raconte pas de l’immédiat avant ou du juste après, ou ce qu’elle suggère par le hors-champ. Ou encore, tout ce qui ne donne pas lieu à photo et dont, malgré tout, on a pleinement conscience et mémoire. Comment ne pas penser, une fois encore, à l’exceptionnel ouvrage d’Annie Ernaux Les Années ? Bourré d’images mentales et d’autant de photos collectives qui nous renvoient à nos parcours individuels, ce livre raconte une vie, la vie, notre vie. L’autre duo de l’album Sans sommeil (avec Alain Souchon) regarde l’existence comme depuis l’extérieur, dépouillée de tout parasite. Telle une représentation minimaliste dans laquelle on ferait le vide pour ne conserver, finalement, que l’essentiel, à savoir la vie et ce que l’on en fait.

En effet, il ne suffit pas d’être au monde et d’avoir conscience de l’existence pour être en vie. Encore faut-il faire sa vie. Les matins difficiles revient sur les choix et les décisions, mais aussi ce qui les fonde. Notamment, comment on reste debout, comment on reste en vie face au temps qui passe et aux claques reçues, comment on avance. Qu’est-ce que nous mène ? Ce titre interroge sur la place ô combien fondamentale de l’envie et du désir. Deux choses que l’on ne peut suivre que si on les connaît. Et pour cela, il est incontournable de bien se connaître. Illustration dans Le tour du monde, ou l’idée d’explorer en soi-même ce que l’on souhaite, mais aussi ce dont on a besoin pour être et se sentir en vie. De l’amour, de l’espace, des hiers et des lendemains pour se construire et savoir, jour après jour, mieux fonctionner avec soi-même. Et notamment avec La colère, qui s’invite parfois bien plus souvent qu’on ne le voudrait. Ce morceau rappelle combien ce sentiment est une composante intrinsèque de l’existence, tout en interrogeant sur son origine, et sur ce que l’on en fait lorsqu’elle est là, bouillonnante en nous et tapie dans l’ombre de notre personne. Au risque parfois de « croire qu’elles sont plusieurs à nous grignoter le cœur ». Pourtant, la colère n’est qu’une, mais elle se montre parfois tenace et persistante.

Les claques de la vie, la résilience et les choix qui en découlent ont une autre conséquence fondamentale : si chaque épreuve nous atteint, elle nous permet aussi d’avancer, de nous construire, d’encaisser puis de nous relever pour continuer le chemin en se connaissant toujours un peu mieux, étape après étape. Si On ne meurt pas (en une seule fois), cela signifie aussi que l’on reste en vie, avec toujours une meilleure appréhension des choses (si toutefois on veut s’en donner la peine) pour trouver sa place en ce monde. La place qui me convient et qui correspond à ce que je suis vraiment, histoire d’être à l’aise dans mes baskets (quelle que soit la paire du jour). Ce titre aborde aussi une dernière grosse thématique existentielle : trouver sa place et être soi, dans une vie en solitaire, ou à deux.

Est-ce que tu sais ? ne s’attarde pas sur la façon de vivre avec l’autre. L’album met surtout en avant, au travers de plusieurs titres, ce qu’est l’autre. Un refuge. Une bulle. Je me jette à ton cou déroule tous ces moments de vie où l’on se réfugie en l’autre pour partager, pour supporter aussi. Et parfois simplement pour vivre : « C’est mon île d’être ensemble ». L’autre est un endroit qui n’appartient qu’à moi, et à nous deux. Un peu plus loin, Tout contre toi sonne comme un écho intimiste avec, plus encore, l’idée de cette bulle refuge. Un asile de complicité avec l’autre qui se révèle le plus serein et le plus vivifiant des endroits que l’on pourrait imaginer. Dans ce lieu immatériel auprès de l’autre se trouve l’énergie dont on a besoin pour poursuivre malgré tout, et contre tout. C’est aussi le point de départ rêvé pour faire Le tour du monde : une odyssée avec l’autre, quelque soit le monde envisagé. Le voyage peut se trouver à des milliers de kilomètres, ou juste à quelques centimètres quand je suis Tout contre toi. Je le fais sans hésiter, parce que tu es ma bulle.

Cet album très chargé émotionnellement se clôt avec Si par hasard, une immense bouffée poétique dont nous avons déjà parlé récemment ici. Très intelligemment, Gaëtan Roussel nous amène petit à petit à ce onzième titre, dont l’écriture recèle un twist assez imparable. Pour toute personne faite de force et de caractère, mais aussi de fragilités confinant parfois à l’hypersensibilité, voilà une très belle chanson pour conclure Est-ce que tu sais ? Ce disque affiche une rare cohérence textuelle au travers d’un fil rouge existentiel traité avec une grande poésie. Cohérence également présente dans l’unité musicale affichée. Sous des airs parfois enjoués et rythmés, Gaëtan Roussel livre un album très intimiste, donc les différentes mélodies s’enchainent comme par magie, passant d’une simple guitare effleurée à quelques programmations intelligentes qui soutiennent toujours les textes. Cette unité musicale et de propos font de Est-ce que tu sais ? le meilleur album de Gaëtan Roussel à ce jour, réitérant en solo la magnifique réussite que constituait Lady Sir. Le mélange parfait entre interrogations, poésie, introspection, énergie, lumière, vie. Et plaisir.

Est-ce que tu sais que, pour gérer La colère et Les matins difficiles après des nuits Sans sommeil, on pourrait faire Le tour du monde ? Je viendrais alors Tout contre toi, pour s’assurer qu’On ne meurt pas (en une seule fois). Si par hasardTu ne savais pas… C’est dit, et Je me jette à ton cou pour La photo. La première, avant toutes les autres à venir.

Raf Against The Machine

Five Reasons n°27 : Elysée Montmartre – Mai 1991 (2021) de Noir Désir

Live-a-l-Elysee-MontmartreDemain 19 mars tombera dans les bacs une double galette invitant à un saut de 30 ans dans le passé. Uniquement disponible à ce jour dans le coffret CD Noir Désir – Intégrale sorti en décembre 2020, le live Elysée Montmartre – Mai 1991 des Bordelais s’offre une sortie CD, ou double vinyle pour les amateurs (avec, au passage, une chouette édition limitée vinyle rouge à la Fnac). A ce jour, on ne dispose officiellement que de 4 albums live : Dies Iræ (1994) pour la tournée Tostaky et Noir Désir en public (2005) pour la tournée Des visages, des figures, auxquels on peut ajouter Nous n’avons fait que fuir (2004), captation d’une performance poético-musicale de juillet 2002 et Débranché (2020), regroupement de deux prestations acoustiques période 666.667 Club. Nous voilà donc avec un 5e enregistrement live. Pour quoi faire, serait-on tenté de se demander. Y a-t-il encore des choses à découvrir de ce qui est très possiblement le meilleur groupe rock français ? Y a-t-il une bonne raison de plonger dans ce disque ? Pour être honnête, j’en vois même cinq.

  1. Elysée Montmartre – Mai 1991 constitue, à ce jour, le seul témoignage sonore officiel de ce que fût sur scène Noir Désir Période 1. Une Période 1 qui englobe les trois premiers albums Où veux-tu qu’je r’garde ? (1987), Veuillez rendre l’âme (à qui elle appartient) (1989) et Du ciment sous les plaines (1991). Viendra ensuite la Période 2 qui regroupe Tostaky (1992) et 666.667 Club (1996), avant la Période 3 (inachevée) uniquement faite de l’exceptionnel Des visages, des figures (2001). Ce découpage en trois périodes n’a aucun caractère officiel. Il ne sort que de mon regard sur la carrière du groupe. Si le dernier album ouvre des perspectives sonores inattendues et prometteuses, le dyptique Tostaky/666.667 Club déploie du gros son et marque surtout la reconnaissance internationale pour le groupe. Les trois premiers opus sont ceux d’une formation naissante mais terriblement excitante, inscrits dans une tendance très 80’s et un poil dépressive du rock français. Trois mois après la sortie de Du ciment sous les plaines, Noir Désir investit l’Elysée Montmartre pour une série de 9 concerts qui annonceront une mutation musicale.
  2. Côté mutation musicale, l’album Du Ciment sous les plaines amorce déjà bien les choses début 1991. Jusqu’alors, Noir Désir se résume à un 6 titres en 1987 qui fleure bon le rock underground new-wave (il n’y a qu’à voir les looks du groupe à l’époque, savant mélange de Cure et d’un style gothico-romantique qui se cherche), puis à un premier LP dont les radios retiendront surtout Aux sombres héros de l’amer. Alors que cet album contient des pépites brûlantes comme Les écorchés, La chaleur, et surtout le génial et poisseux Le fleuve. Du ciment sous les plaines apporte un son plus épais et plus dense, résolument plus rock et électrique. La tournée qui suit confirme la tendance : en écoutant cet Elysée Montmartre, on devine déjà le gros son à venir de Tostaky, et l’énergie furieuse qui habitera le live Dies Iræ.
  3. Elysée Montmartre est une ode à Du ciment sous les plaines. Parmi les 14 titres de l’album studio, 8 alimentent le live sur un total de 15. Soit une grosse moitié. Du ciment est à la fois l’album le moins connu du groupe, et celui qui a enregistré le moins de ventes. De là à dire que c’est le moins apprécié, il y a un pas que je ne franchirai pas, puisque j’ai précisément une passion pour cet opus. L’énergie de titres comme En route pour la joie, Tout l’or, Le Zen émoi, la tension insoutenable de Si rien ne bouge, No No No, ou encore la dépression rock de Charlie sont autant de facettes musicales d’un rock que j’aime profondément. Pas étonnant de retrouver ces titres sur le live, aux côtés d’autres pépites du même acabit tirées des deux premiers albums : La rage, Les écorchés, La chaleur, Pyromane envoient du très très lourd. Quelqu’un qui ne saurait pas dans le détail de quels albums sont tirés les titres pourrait penser qu’il sortent d’une seule et même galette. En un mot : la capacité d’un groupe à mélanger anciens et nouveaux morceaux, dans un son unique.
  4. Ce son est celui du début des années 1990. Celui d’il y a 30 ans tout rond. Celui d’un monde qui n’est plus, dans lequel nous avons vécu et écouté à sa sortie Du ciment sous les plaines, au milieu de dizaines d’autres albums tout aussi marquants. Ce son est aussi celui qui accompagnait nos existences quotidiennes d’il y a 30 ans. Vous faisiez quoi en 1991 ? Vous étiez où ? J’ai pour ma part un souvenir très précis de ces années et de poignées de moments dans lesquels ont résonné ces titres de Noir Désir. Loin de tomber dans la nostalgie car je suis bien plus heureux aujourd’hui et à mon âge actuel, ce sont plutôt des images mentales de moments passés avec des copains autour d’un demi, de nuits à refaire le monde ou du moins à rêver qu’il change, d’interminables weekends à passer de la guitare à une clope à un verre à un film à des rires à des regards… C’est aussi l’époque d’une fougue et d’une énergie qui sont intactes aujourd’hui, avec un peu de patine, d’expérience et de connaissance de soi. Mais, voilà pourquoi il est bon de replonger dans Elysée Montmartre et 1991 : retrouver des sensations de ce que nous avons été, pour mieux apprécier ce que nous sommes devenus et se préparer à la suite.
  5. Pour tous les fans de Noir Désir, cet album est tout bonnement indispensable. Indispensable dans le son rock et unique qu’il porte, et que l’on ne retrouvera pas dans les futurs lives du groupe. Pas même dans Dies Iræ qui, s’il lui ressemble à la première écoute, est nettement plus marqué gros son épais. Indispensable pour le vide qu’il comble dans la case de disques Noir Désir. Pour les autres, je vous laisse seuls juges. Néanmoins, si vous aimez la musique, si vous aimez le rock (et notamment le rock français), si vous vous intéressez à son histoire et son évolution, il y a de fortes chances que vous craquiez sur cette pièce hautement incandescente. Enfin, peut-être cet Elysée Montmartre vous sera-t-il incontournable juste parce qu’il est la mémoire d’un temps qui fût et qui n’est plus. En l’écoutant, j’ai pensé au magnifique livre Les Années d’Annie Ernaux : cette biographie sociétale collective que l’autrice construit page après page à coups d’images mentales et de petites touches du quotidien de chaque époque. Voilà un album qui a toute sa place dans mes années à moi.

Elysée Montmartre – Mai 1991 de Noir Désir sort officiellement demain 19 mars. Si vous n’avez pas, tel le bon iencli que je suis, déjà précommandé (et reçu, je l’avoue !) la double galette, il ne vous reste plus qu’à foncer demain chez votre disquaire préféré pour pouvoir écouter à fond tout le weekend un album un peu inespéré, qu’on n’attendait plus à l’unité puisqu’il était disponible en coffret, mais terriblement incendiaire et addictif.

Raf Against The Machine

Reprise du jour n°1 : Motion Picture Soundtrack de Radiohead (2000) par Thomas Méreur (2020)

Deux titres pour le prix d’un, ou plus exactement deux versions d’une même pépite : voilà l’idée de fond pour cette nouvelle rubrique sur Five Minutes, sobrement intitulée Reprise du jour. Pour l’inaugurer, connectons-nous à l’actualité tout en retrouvant deux grands artistes.

D’un côté, Radiohead. On ne présente plus le groupe de rock britannique, emmené par Thom Yorke et les frères Greenwood. De ses débuts au milieu des années 80 à son Moon Shaped Pool (2016), voilà une aventure musicale qui nous a offert quelques-uns des très grands albums des dernières décennies. OK Computer (1997) en est un, figurant aussi dans ma top liste des albums parfaits. Amnesiac (2001) en est un autre, immédiatement précédé de Kid A (2000). Ces deux derniers LP constituant d’ailleurs un diptyque par lequel Radiohead a redessiné de nouvelles voies musicales qu’il s’est empressé d’emprunter. Kid A fête ses 20 ans : la galette est tombée dans les bacs le 2 octobre 2000. Soit 3 ans après OK Computer qui nous avait ravagé la tête de tant d’invention, de génie, de sons, d’énergie. Après cette torgnole artistique, tout le monde se demandait ce que Radiohead pourrait bien proposer de nouveau et d’aussi puissant. Réponse : Kid A.

De nouveau, rien à jeter dans cet opus, comme d’ailleurs très souvent chez Radiohead. L’album s’ouvre par Everything in its right place, titre annonciateur pour recaler les choses, sans aucune guitare. Si vous ne connaissez pas encore ce disque et ses merveilles, foncez : The National Anthem, Optimistic et autre Morning Bell vous feront passer un sacré moment. Et une écoute hors du temps, conclue par Motion Picture Soundtrack, qui ferme l’album comme il avait débuté : sans guitare, avec la voix de Thom Yorke enveloppée de synthés et de sons électro, finalement soutenue par des chœurs aussi lunaires que crépusculaires. Ce morceau est une pépite absolue, une parenthèse temporelle et une bulle d’émotions concentrées. Pour la beauté de sa composition et de son interprétation, mais également parce que l’on sait que c’est la fin. Du disque en premier lieu, mais ce pourrait être la fin de tout, et ce titre pourrait bien résonner comme une ode funèbre ou un mini-requiem. Dans les faits, il n’en fût rien : à peine un an plus tard, le groupe publie Amnesiac ; quant à nous, 20 ans plus tard, nous sommes toujours là (enfin il semblerait).

De l’autre côté, Thomas Méreur, toujours là lui aussi, pour notre plus grand plaisir. Son actualité à lui, c’est, dans quelques jours, la première bougie plantée sur ce qui reste, sans hésitation aucune, le plus bel album de 2019 : Dyrhólaey, sorti le 18 octobre 2019. Nous avions alors rencontré cet artiste à la fois discret et terriblement talentueux pour une review/interview à relire d’un clic ici-même. Il n’a jamais caché l’influence majeure de Radiohead dans son travail, ni l’importance du groupe dans sa vie. Comme un clin d’œil, il a choisi de saluer les 20 ans de Kid A avec une reprise de Motion Picture Soundtrack qui porte indéniablement sa touche artistique. A l’exception de quelques micro-ajouts électros sur la fin, nous voilà plongés dans une version épurée piano-voix à forte puissance émotionnelle.

Reconnaissons-le : il faut soit de l’inconscience, soit du courage pour s’attaquer à la reprise d’un Radiohead, particulièrement de ce Motion Picture Soundtrack qui me semblait intouchable et parfait (et donc sans aucune nécessité d’être touché). La version de Thomas Méreur me prouve le contraire. Sans doute est-ce son approche délicate et bourrée d’émotions tout autant que de talent qui vient sublimer le matériau de départ, déjà fantastique. C’est la marque des réinterprétations de très haut vol : lorsque l’artiste qui reprend a tout bonnement intégré en totalité l’esprit du titre visé, et qu’il le restitue avec sa propre personnalité. Vous l’aurez compris, la reprise de Motion Picture Soundtrack de Thomas Méreur ne relève ni de l’inconscience, ni du courage. C’est tout simplement un musicien qui en admire d’autres, qui le montre avec ses propres voix et sons, et qui n’a rien à leur envier dans le domaine poils qui se dressent/chialade.

La cerise ? Thomas Méreur a aussi mis en images (humblement comme il le dit dans son tweet) sa reprise de Motion Picture Soundtrack. Ce titre, que j’ai toujours perçu comme une forme de bande-son d’une époque qui s’achève, retrouve tout ce sens avec ce clip maison. En mode Tenet, nous regardons et écoutons la reprise, en avançant dans le temps et dans son écoute, alors que sous nos yeux nous le remontons puisque tout va à l’envers. Des images d’un temps perdu, mais qui sont toujours là et nous reviennent tout en s’évanouissant. Dans ce genre de moment, me reviennent aussi des pages d’Annie Ernaux dans Les Années (2008), un livre exceptionnel dont je ne me lasse pas. C’est tellement brillant et touchant que les mots me manquent pour vous dire l’effet que ce titre, ainsi que sa reprise et sa mise en images par Thomas Méreur me font.

Je préfère donc vous laisser plonger dans cet océan d’émotions. C’est évidemment un grand merci à Radiohead (comme toujours) d’avoir écrit ce titre. C’est une immense reconnaissance à Thomas Méreur de s’en être emparé de cette façon. Le genre de moment artistique qui rend ce monde un peu plus doux et plus supportable.

Raf Against The Machine