Pépite intemporelle n°132 : All my tears (2013) de Ane Brun

61jt9qehkwL._SL1200_Alors que le ciel reste désespérément gris ce dimanche, voilà un son qui va vous permettre de vous lover avec vous-même, tout en regardant la lumière au bout du tunnel. All my tears de Ane Brun affiche dix années au compteur, et fait pourtant partie de ces morceaux absolument intemporels qui fonctionnent en tout lieu et toute époque. Nous avions déjà rencontré Ane Brun sur ce blog, au travers de sa délicate et émouvante reprise de Big in Japan d’Alphaville (une chronique à relire par ici) : la délicatesse d’une guitare folk surplombée de la voix assez magique de l’artiste norvégienne. Cette dernière, qui a débuté sa carrière en 1998, compte à sa discographie pas moins de 12 albums studios, ainsi qu’une poignée de lives, singles et EP. On retrouve également son nom aux BO de séries comme Breaking Bad (oui, le Breaking Bad, excusez du peu), Bones ou encore Wallander. Notre All my tears du jour est tiré de Rarities, paru en 2013 : un album dans lequel Ane Brun a regroupé diverses chansons jamais retenues pour de précédent albums. Une sorte de compilation de B-sides et inédits pourtant de très haut niveau.

Et ce n’est pas All my tears qui nous contredira. En à peine deux minutes, Ane Brun déroule un titre qui s’insinue directement en nous. Selon la même recette que pour la reprise de Big in Japan, c’est uniquement à la force d’une guitare folk et de sa voix que la chanteuse nous émeut. Un titre qui prépare la disparition et le deuil, du point de vue de celle/celui qui ne sera plus là. Ceux qui restent porteront leur peine, mais pour la/le disparue-e, c’est la paix et la sérénité trouvée, loin de ce monde bousculant et trop souvent foutraque et illogique. « The wounds this world left on my soul / Will all be healed and I’ll be whole » : Les blessures de mon âme en ce monde / Seront guéries et je serai saine et sauve. Il y a du mystique et du religieux à fond dans ce texte, là où Ane Brun parle du Créateur, où encore de Jésus, dont le visage lumineux remplacera le soleil et la lune de ce monde.

On adhère ou pas au propos religieux, mais la sensibilité est bien ailleurs et au-delà de toute croyance. Le refrain, notamment, dont le texte et son interprétation, tout en délicatesse, sont bouleversants : « It don’t matter where you bury me / I’ll be home and I’ll be free / It don’t matter anywhere I lay / All my tears be washed away » (Peu importe où tu m’enterres / Je serai chez moi et je serai libre / Peu importe où je repose / Toutes mes larmes seront séchées). Loin d’être une chanson déprimante et noire, All my tears est un putain de baume, un titre lumineux et apaisant comme on en fait rarement, une douceur absolue qui pose des choses et repose l’esprit. Un peu comme l’est Maybe you are de Asaf Avidan (dont nous avions parlé jadis dans une autre chronique à relire par là), et que je vous remets en écoute juste après All my tears. Voilà deux chansons qui abordent des sujets profonds et sensibles, tout en les sublimant et en réussissant à nous en dire des choses simples et très touchantes, à travers simplement une guitare et une voix (et quelle double voix). Sans plus attendre, place à la douceur et à la sensibilité.

Raf Against The Machine

Reprise du jour n°7 : Big in Japan (1984/2008) de Alphaville par Ane Brun

81oA0IH6PzL._SS500_Après la déferlante émotionnelle de la semaine dernière liée à Gaëtan Roussel et à son album Est-ce que tu sais ?, explorons une reprise aussi improbable que chargée, elle aussi, d’émotions. Ces dernières années, les 80’s ont le vent en poupe, que ce soit dans la mode vestimentaire, les productions culturelles avec des séries comme Stranger Things ou Dark, mais aussi la mise en avant de l’individualisme, de la réussite à tout prix, des grosses bagnoles inutiles et du pognon. C’est une autre histoire bien sûr,  nous ne nous y attarderons donc pas ici. Mais, comme on dit dans le métier, c’est une façon de planter le décor et de contextualiser ce que l’on va raconter ensuite. Les années 1980 sont de retour parmi nous, aujourd’hui en 2021. Pourtant, la reprise du jour de Big in Japan du groupe Alphaville par Ane Brun, titre éminemment célèbre des 80’s, date d’il y a 13 ans. De là à dire que cette dernière fait figure de pionnière, il n’y a qu’un pas de danse que je franchis allègrement.

D’un côté, l’année 1984 et Alphaville. Groupe de new-wave allemand originaire de Münster (comme quoi, l’Allemagne ne produit pas que des bonnes bières et des saucisses, mais chez Five-Minutes nous en sommes déjà convaincus… Berlin, si tu nous lit… <3), le trio emmené par Marian Gold débute en 1981 sous le nom de Nelson Community. Trois ans plus tard, ils deviennent Alphaville, en référence au film de science-fiction Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution réalisé par Jean-Luc Godard. Voilà qui en impose déjà plus. Ne reste qu’à créer le son qui les propulsera à l’avant de la scène musicale. Ce sera le jackpot dès le premier album Forever young, sorti en septembre 1984 et contenant pas moins de 3 hits planétaires : Forever young (titre éponyme), Sounds like a melody et donc Big in Japan. Ce dernier est en réalité sorti dès janvier 1984 en single préparatoire au 33 tours (comme on disait à l’époque, c’est pour vous mettre dans l’ambiance). Côté sound 80’s, tout y est : les synthés métalliques, la boucle rythmique, la batterie électronique sortie de sa boîte à rythmes, et une voix haut placé, produite comme un mix du jeune Robert Smith chez les Cure et d’un Nicola Sirkis sorti du Indochine mid-80’s. S’ajoutent la mélodie du titre et son refrain, entêtants à souhait. En fermant les yeux, facile de revoir notre enfance tout autant que d’imaginer un club berlinois intemporel où je pourrais danser, avec toi, au milieu des autres mais où seul ton regard compterait.

De l’autre côté, 24 ans plus tard, Ane Brun se lançant à l’assaut, non pas des ombres sur l’eau, mais de ce single a priori intouchable qu’est Big in Japan. Intouchable, rien ne l’est mais lorsqu’un titre marque autant son époque et se trouve aussi référencé, se pose la question de comment le reprendre. Ane Brun a trouvé. Cette chanteuse norvégienne, de son vrai nom Ane Brunvoll, voit le jour en 1976. Elle a donc 8 ans lorsque sort Big in Japan. Impossible qu’elle soit passée à côté à l’époque, même si jeune. Après plusieurs singles en 2003 et 2004, puis un EP, Ane Brun enregistre en 2008 Changing of the seasons, son troisième album studio. Elle y glisse, au milieu de ses compositions, cette reprise totalement inattendue de Big in Japan. Totalement inattendue, car son univers musical est assez éloigné de celui d’Alphaville. En effet, Ane Brun évolue plutôt dans le registre pop-folk acoustique, marqué par une guitare, parfois un piano ou quelques nappes de synthés ou de cordes, et surtout une voix très en avant, capable de prouesses mélodiques assez hypnotiques. Voilà le secret de cette reprise si réussie : plutôt que d’aller chercher une pale imitation de l’original, vouée à l’échec immédiat, Ane Brun s’attaque à ce single-image mémorielle d’un temps révolu (quoiqu’on en dise) avec ses propres armes et sa propre personnalité artistique. Le résultat ? Une interprétation bouleversante de beauté, exclusivement construite sur un guitare-voix comme on les aime. L’accompagnement musical est minimaliste et discret, pour laisser s’exprimer toute la puissance feutrée de la voix de la chanteuse. C’est à la fois intimiste, pénétrant, et chargé en émotions à faire se dresser les poils. Un moment de temps suspendu, au cœur du temps malgré tout. L’idée que je me fais d’un moment de douceur à tes côtés. Au bord de l’océan de préférence, mais peu importe le lieu. Où que l’on soit, ce moment-bulle résonnera comme cette reprise : une évasion totale, une sérénité absolue.

Clip officiel de Big in Japan (1984)
Interprétation live de Big in Japan par Ane Brun sur TV Noir (2019)

Raf Against The Machine