Si vous êtes des lecteurs réguliers de ce blog, vous n’êtes pas sans savoir que je suis un fervent admirateur du travail de Grand Corps Malade (voir par ici la review sur Mesdames) et de GaëlFaye (ou par ici la review sur Lundi Méchant). Je n’ai jamais écrit sur Ben Mazué mais des titres comme Quand je marche ou La résiliation me désarment, tant la plume de ce dernier est juste et touchante. Les trois me parlent particulièrement car ils sont de ma génération et nous avons donc des références communes, les trois mettent en avant une amitié forte d’une grande simplicité qui fait plaisir à voir…. bref vous l’aurez bien compris, je suis très impatient de découvrir cet EP avec Mosimann et Guillaume Poncelet à la réalisation…
S’enfermer dans un studio une semaine pour composer un EP, le défi est pour le moins ambitieux et, autant ne pas tergiverser, le résultat est brillant. Nous nous retrouvons avec 7 titres variés qui entrelacent avec un plaisir non feint l’émotion et l’humour, le tout porté par des textes finement ciselés. Le morceau d’ouverture On a pris le temps frappe fort d’emblée avec cette thématique du temps qui file, de ces artistes pris dans le cyclone de leur vie professionnelle et personnelle -« Alors j’ai tout fait tout fait / Jusqu’à étouffer étouffer » – qui ont enfin décidé de prendre le temps et ces 7 jours pour composer à leur rythme cet EP. On reconnaît la patte de Mosimann avec la superbe montée finale entre cuivres et synthés qui te donnent une envie immédiate de bouger et de prendre toi aussi ton temps. Tailler la route est ensuite pour moi un des titres qui représente le mieux le projet avec trois textes très personnels, trois sensibilités si différentes mais qui se rejoignent sur l’idée de découvrir le monde, le tout sur une instrumentation en retrait, entre piano et quelques cuivres sur la fin. Sous mes paupières prolonge cette émotion à fleur de peau en s’appuyant sur la nostalgie des souvenirs d’enfance, le piano accompagne avec délices et pudeur ces trois plongées sensibles dans le passé. Un bijou d’émotion pure qui picote les yeux…
Comme si l’émotion était devenue trop poignante, Qui a kidnappé Benjamin Biolay? va amorcer un virage à 360 degrés en proposant un délire cinématographique dont je ne me suis toujours pas remis. On est au cinéma et on suit les conséquences liées au vol (fictif je vous rassure) de la Victoire de la Musique de Benjamin Biolay pour Grand Prix (qui l’avait remporté face à nos trois acolytes), le résultat est jouissif et hilarant. Franchement à quand un court-métrage autour de cette histoire loufoque? Pour le clin d’oeil, le titre suivant La cause s’appuie sur l’instru de La Superbe (faut croire que la famille a payé la rançon pour récupérer Benjamin Biolay…) afin d’aborder la notion de l’engagement pour un artiste. Question difficile à trancher que Gaël Faye résume finalement assez bien dans la formule « Parler c’est prendre position / Se taire c’est prendre position » qui montre que l’artiste est prisonnier du tribunal médiatique.
Besoin de rien s’appuie sur un ping-pong verbal entre Grand Corps Malade et Gaël Faye qui rappelle bien que ces deux-là sont issus de la scène du slam. Le plaisir de manipuler les mots et de partir de rien -une attente à un abribus et une réflexion hautement philosophique autour de Chipster et Curly – débouche sur une explosion pop savoureuse menée par Ben Mazué. Ephémère clôt enfin l’album en rendant hommage à cet éphémère qui donne toute la saveur à notre quotidien, à l’image de cet opus. Quitte à manquer cruellement d’originalité et à finir sur une chute attendue, je ne peux que prier intérieurement pour que la collaboration entre ces trois-là ne soit pas qu’éphémère, tant le résultat est d’une grande humanité, touchante en ces temps difficiles… Enjoy !
Dans la famille de The xx, à l’origine de trois superbes albums dont le coup de maître initial en 2009 (écouter Intro et Crystalised devrait être déclaré d’utilité publique), Jamie Smith et Romy Madley Croft se sont déjà lancés dans des projets individuels dignes d’intérêt mais le bassiste Oliver Sim était jusqu’alors resté en retrait. Poussé par Jamie Smith qui est à la production de ce Hideous Bastard, Oliver Sim saute le pas d’une manière brillante. 34 minutes épurées, intimistes, sensibles qui ne sont pas sans me donner des frissons identiques à ma découverte de The xx…
Porté par sa voix profonde – une vraie révélation – et une volonté de se livrer tout en retenue, Oliver Sim nous offre une sublime introspection en 10 titres finement ciselés. Le morceau d’ouverture Hideous qui sample Your Sweet Love de Lee Hazlewood montre toute la difficulté à s’accepter et la faille du VIH contracté à 17 ans. Nous retrouvons cette basse, ces cordes, cette rythmique downtempo qui ont fait le succès de The xx et le superbe contraste de voix entre les graves d’Oliver Sim et le timbre cristallin de JimmySomerville, mentor talentueux. Un moment d’une grande intensité…
Romance With A Memory propose un son plus rythmé avec une batterie plus présente et une voix résolument plus pop, Sensitive Child joue la carte de l’introspection éthérée avec une mélodie au piano obsédante (et une fin abrupte qui me laisse songeur, au passage) avant le deuxième grand moment de l’album, Never Here. Des synthés dignes de Radiohead et une rythmique rock imparable donnent à ce titre une intensité folle. Le solide Unreliable Narrator brille ensuite par le travail sur la voix et l’autotune afin de faire surgir les fantômes de James Blake et Alt-J, le résultat nous plonge dans un univers intemporel en deux petites minutes.
Saccharine aborde de manière subtile la peur de l’amour et de la tendresse pour un résultat d’une grande sobriété qui aurait mérité de figurer sur n’importe quel album de The xx. Un Confident Man plus classique dans son approche et sa structure piano/voix amène vers un autre morceau majeur de l’album, GMT, qui est un bijou de douceur démontrant définitivement la beauté de la voix d’Oliver Sim. Fruit traite ensuite du sujet épineux du rapport aux parents et de la difficulté de ne pas correspondre à l’image de nous qu’ils ont essayé de façonner avant que Run The Credits ne finisse l’album sur une note plus légère et plus extravertie avec une vraie pop hédoniste. Un coup de maître, tout simplement, enjoy !
Morceaux préférés (pour les plus pressés) : 1. Hideous Bastard – 4. Never Here – 8. GMT – 5. Unreliable Narrator
Le 19 août dernier, Hot Chip nous a aidés à bien gérer la dernière ligne droite des vacances et l’approche de la rentrée de septembre avec son huitième opus, Freakout/Release, produit par le duo belge Soulwax (les rois du bootleg et des mixes de folie sous le nom de 2 Many Dj’s). Croisant avec subtilité la synthpop et une dance flamboyante, Hot Chip n’est plus à présenter et reste sur un septième album A Bath Full of Ecstasy sorti en 2019 (chroniqué par ici) qui soulignait le besoin intact de proposer une musique hédoniste, destinée à faire bouger les corps, tout en s’adressant aux esprits.
3 ans plus tard et un épisode covidesque qui n’en finit pas après, nous sommes en droit d’espérer que la bande centrée autour de Joe Goddard et Alexis Taylor aura encore plus l’intention de nous faire danser pour nous faire oublier cette époque anxiogène. Nos espoirs ne sont pas déçus et nous tenons là un album dansant savoureux, comme une éternelle madeleine de Proust des sons 80’s. La recette est sans grande surprise mais redoutable : la voix aiguë si reconnaissable d’Alexis Taylor, la débauche de synthés 80’s, des singles percutants révélant un sens inné des mélodies et quelques prises de risque somme toute assez mesurées. 18 ans après Coming on Strong, les Anglais d’Hot Chip continuent à creuser avec justesse le sillon d’une pop dansante jouissive.
Le morceau d’ouverture Down qui s’appuie sur un sample de More Than Enough de Universal Togetherness Band joue la carte d’un funk surprenant qui me fait penser à LCD Soundsystem se transformant en cours de morceau en Alexis Taylor. Le vent pop prend peu à peu le dessus, ce qui est confirmé par Eleanor, porté par ses synthés et cette voix qui me donne le sourire immédiatement. Le genre de titres que Metronomy était capable de produire avant de tomber dans le classicisme et l’insipide (#balleperdue). La surprise va venir du titre éponyme Freakout/Release dont la voix robotique initiale fera penser à Daft Punk ou Intergalactic des Beastie Boys. Ce morceau plus électro, assez déstructuré et gorgé de sonorités synthétiques, ne me déplaît pas mais me laisse tout de même assez circonspect. Un sentiment qui ne dure pas très longtemps, tant je suis sous le charme du single pop Broken dont l’instrumentation lumineuse contraste à merveille avec les doutes soulevés sur la capacité à aider les autres. Not Alone va clore avec brio une très bonne première partie d’album marquée par sa diversité, rarement Hot Chip n’aura proposé de titre aussi doux avec ses synthés irréels.
Hard To Be Funky qui invite sur la fin du titre Lou Hayter propose un titre tiraillé entre rythmique downtempo et tentation groovy dont les premiers mots sont savoureux « Ain’t it hard to be funky when you’re not feeling sexy? / And it’s hard to feel sexy when your not very funky ». Si Miss TheBliss et ses excès de vocodeur ou Guilty me touchent un peu moins, la deuxième partie de l’album nous offre trois belles pépites : la sucrerie pop uptempo Time qui réalise le tour de force de réveiller nos corps malgré la thématique plus sombre du tempus fugit, The Evil That Men Do illuminé par son refrain et par le superbe rap final de Cadence Weapon et le très beau morceau de fermeture Out Of My Depth qui brille par sa douceur et ses cordes.
Ce Freakout/Release sera définitivement mon album de chevet face à la sinistrose septembrale, en plus de rajouter quelques pépites à la liste déjà longue des morceaux de choix d’Hot Chip, enjoy !
Morceaux préférés (pour les plus pressés) : 4. Broken – 7. Time – 1. Down – 11. Out Of My Depth
Je vous avais déjà parlé il y a peu du très beau single En famille tiré du sixième opus de Florent Marchet, Garden Party (à relire par ici pour les retardataires ou les visiteurs d’un jour). Depuis l’album est sorti le 10 juin et cela va presque faire un mois que le vinyle tourne aussi régulièrement sur ma platine que les jambes des coureurs dopés du Tour de France… Dans ses remerciements, Florent Marchet justifie avec son humour habituel le choix de ce titre particulièrement éclairant de Garden Party : « Faire bonne figure est de rigueur et les problèmes ou autres douleurs intimes n’ont pas leur place dans les échanges entre les invités, mieux, il est de bon ton de montrer chance et réussite. […] il n’en demeure pas moins que trop souvent, elle se termine mois bien qu’elle n’avait commencé, avec des odeurs de grillades et des taches de mauvais vin sur la chemise ou la robe toute neuve (quand ce ne sont pas des disputes, des guerres intestines qui éclatent). On se dira dans ces moments-là qu’on aurait mieux fait de rester chez soi. » Tout est dit… L’album d’une profonde humanité va s’appuyer sur cette dichotomie séduisante : la douceur et la fragilité de la musique au service de sujets très durs qui ont pour point commun la difficulté des êtres humains à vivre ensemble. Moi qui ne suis habituellement pas forcément sensible à la puissance des textes mais plus enclin à savourer les ambiances instrumentales, je ne peux que m’avouer désarmé face à la pudeur de Florent Marchet qui aborde des thématiques très complexes avec humilité. Ce Garden Party se lit encore plus qu’il ne s’écoute et je ne peux que vous inviter à vous attacher à la beauté des textes.
Le morceau d’ouverture De justesse aborde d’emblée le lien paternel et la peur de perdre son enfant. Ce titre, qui s’appuie sur une ligne de basse et des synthés d’une grande douceur, traite de la fragilité de la vie humaine et de la force de l’amour filial. Une liste de tous les dangers qui rappelle que l’on ne peut pas contrôler totalement la vie de son enfant et qu’il faut savoir accepter cette cruelle part d’incertitude de la vie, « Promets-moi mon amour/ De passer ton tour/ Promets-moi mon enfant/ De rester vivant ». On retrouve cette thématique difficile de la relation parents/enfant avec La vie dans les dents qui nous enveloppe de sa tonalité élégiaque. On suit le regret d’un père après le départ de son enfant, le regret de ne pas avoir su communiquer et vu grandir son enfant. Titre d’une simplicité et justesse imparables. Paris-Nice prolongera cette difficulté de la communication au sein de la cellule familiale. Parfaite bande-son de Juste la fin dumonde de Lagarce, le titre traite avec pudeur de la difficulté de se faire accepter par sa famille, à travers les thématiques du retour impossible et de l’homosexualité. Le refrain puissant met paradoxalement en avant le poids des silences dans les familles.
En famille aborde avec un humour grinçant le sujet des réunions de famille et la difficulté de trouver sa place alors que Comme il est beau réussit le tour de force d’aborder le thème de la violence conjugale à travers la puissance de l’amour. Titre d’une grande douceur instrumentale, comme souvent sublimé par des cuivres à la fin, il souligne tous les sentiments contradictoires qui animent une femme battue: la peur, la culpabilité, l’amour qui trouve des excuses perpétuelles au conjoint violent. La musique est d’une grande pudeur mais les mots frappent aussi juste que les coups et dénoncent avec puissance, « ses mots, ses colères/Entrent dans sa chair/Comme un couteau » ou encore « Pour que ça s’arrête/ Il faudrait ta tête/ Sur le carreau/ Pour que plus jamais/ Il dise tu sais/ Je t’ai dans la peau/ J’aurai ta peau ».
Créteil Soleil se montre ensuite plus sombre afin d’aborder les disputes conjugales et la difficulté de ne pas se laisser dominer par nos émotions, Loin Montréal qui est un duo avec la très belle voix de P. R2B entrelace avec merveille les deux voix pour aborder la difficulté d’être une jeune mère et la volonté insatiable de fuir une réalité trop dure quitte à passer pour une lâche. Freddie Mercury va alors frapper un coup immense avec ses 7 minutes d’une grande puissance narrative. La voix parlée de Florent Marchet nous narre une amitié adolescente sur un fond de maltraitance familiale dans une atmosphère musicale dépouillée qui n’est pas sans me rappeler les effluves aériens et intemporels de la BO de Virgin Suicides. Incontestablement l’acmé de l’album…
La deuxième partie de l’album est plus classique musicalement, Les amis aborde la fragilité du lien amical sans aucune condescendance, Cindy traite avec pudeur de la joie d’une femme qui sort de prison et possède une véritable « envie d’avaler le ciel ». L’éclaircie ou l’incendie possède pour moi sa part de mystère, Lindbergh-Plage se présente comme une esquisse prise sur le vif d’un être immensément seul au milieu de la multitude alors que Dakota finit brillamment l’album avec la puissance de ses cuivres et ses choeurs pour traiter avec un regard décalé l’avenir sombre de notre planète que les hommes maltraitent.
Si vous avez envie d’un regard profondément bienveillant mais sans aucune concession sur l’humanité, il ne vous reste plus qu’à enfiler votre plus belle tenue pour aller boire une coupe à la Garden Party. Attention aux taches de vin, enjoy !
Morceaux préférés (pour les plus pressés): 4. En famille – 8. Freddie Mercury – 3. Paris-Nice – 1. De justesse
Des nouvelles aujourd’hui d’un groupe de musique électronique qui ne m’a jamais déçu, Moderat. Quand Sascha Ring (Apparat) et le duo Gernot Bronsert/ Sebastian Szary (Modeselektor) oeuvrent ensemble, le résultat est souvent bluffant. Après trois albums de haut vol –Moderat en 2003, II en 2013 et III en 2016 – et la décision après une longue tournée en 2017 de mettre en parenthèses leur collaboration pour privilégier leurs projets personnels, Moderat revient aux affaires avec MORE D4TA, anagramme évident du groupe qui met avant le thème principal de ce nouvel opus, l’isolement paradoxal de nos sociétés face à la surcharge d’informations. Thème forcément central après les diverses périodes de confinement vécues dernièrement… Sans faux suspense, cet album est une bien belle réussite qui, sans révolutionner la recette du groupe, a cette capacité à m’emporter. M’emporter loin de cette canicule inquiétante qui ne laisse pas augurer un avenir réjouissant… Allez, on met son casque et c’est parti.
Le titre d’ouverture FAST LAND et ses synthés inquiétants frappe fort d’emblée. Très inspiré dans ses premières minutes par Boards of Canada, le son se densifie peu à peu et s’alourdit pour une ouverture pachydermique comme on les aime. L’ambiance est sombre et esthétique à souhait. EASY PREY va ensuite placer le curseur très haut en s’appuyant sur la toujours aussi séduisante voix de tête de SaschaRing qui se marie parfaitement à des synthés plus aériens. Le résultat est un subtil condensé des aspirations du groupe qui n’est pas sans rappeler certaines atmosphères propres à Bonobo. DRUM GLOW, qui commence sur les bruits d’une forêt la nuit avec les hurlements de loup, va ensuite nous ramener sur les cendres du dubstep et de son plus grand représentant, Burial. Le titre très sombre s’avance subrepticement avec mélancolie.
Un intermède SOFT EDIT d’un peu plus d’1 minute qui propose une débauche de synthés spatiaux (Baths?) nous amène vers un excellent duo: d’un côté UNDO REDO (Défaire-refaire en japonais) qui aurait pleinement sa place dans la discographie de Radiohead en proposant un univers intemporel qui nous met mal à l’aise avec délices et de l’autre NEONRATS, morceau d’électro pure qui se propose comme une créature hybride entre Trentemoller et Bonobo. La montée finale est jouissive à souhait !
La fin de l’album est plus homogène et propose moins de moments très puissants. MORE LOVE joue la carte d’une électro-pop qui fonctionne pas mal mais manque un brin de subtilité par son choix d’un son saturé. NUMB BELL est une débauche de sons âpres dans la droite lignée de l’ouverture FAST LAND alors que DOOM HYPE est à rapprocher de DRUM GLOW. Cependant la voix de Sascha Ring et les choeurs en arrière-fond sur la fin du titre rappelleraient presque un groupe qui nous est cher, Archive. COPY COPY clôt enfin l’album sur une créature pop hybride qui me désarme par sa structure. Voilà en tout cas un bien bel album à savourer au casque avec un cocktail bien frais, enjoy !
Morceaux préférés (pour les plus pressés): 2. EASY PREY – 6. NEON RATS – 5. UNDO REDO – 1. FAST LAND
Ecrire un article quand l’inspiration te fuit et que le plaisir d’écrire te coule entre les doigts alors que le plaisir de partager demeure intact… S’attaquer à une review sur un album d’Arcade Fire, un groupe sacré pour toi qu’il devient de bon ton de mépriser dans la sphère indé comme l’ont été d’autres avant eux tels que U2, Muse ou encore Coldplay… Jalousie face au succès, regret de ne pas garder pour soi un groupe qu’on a pris plaisir à découvrir aux portes du succès (le syndrome du « le meilleur album c’était le premier »), difficulté à se voir vieillir et donc idéalisation des premiers albums ? J’enfonce bien évidemment des portes ouvertes et m’en excuse mais j’ai tout lu sur ce sixième album WE et certaines chroniques m’ont laissé quelque peu sur ma faim. C’est le jeu des chroniques musicales et il faut savoir accepter toute subjectivité….
J’ai toujours perçu Arcade Fire comme ma porte d’entrée dans la sphère musicale indé -même si bien sûr cette perception est un brin caricaturale – et j’ai pris de plein fouet un Funeral auquel je n’étais pas du tout préparé. Un concert en plein après-midi à Rock en Seine en 2005, une autre soirée orageuse quelques années plus tard au même endroit, des albums brillants et très différents les uns des autres sur lesquels je n’ai jamais osé poser mes mots maladroits, un coup de mou ô combien compréhensible avec Everything Now en 2017. Arcade Fire mérite amplement cette étiquette facile de « groupe majeur des années 2000 ».
C’est vrai que la production de Nigel Godrich a tendance à prendre trop de place, que les 40 minutes passent trop vite, que la structure binaire des titres (première partie intimiste laissant place à une explosion épique, la symbolique du passage du I au WE qui sont les deux parties de l’album) est répétitive, que le featuring de Peter Gabriel sur Unconditionnal II (Race and Religion) est assez dispensable et ressemble à un coup de pub ou que le Prelude de 30 secondes en troisième titre ressemble à une blague pas drôle mais… tout le reste.
Mais les deux sublimes Age of Anxiety… La douceur du piano et cette voix de Win Butler qui me hérisse les poils comme toujours laissent la place à des explosions électroniques savoureuses. Sur Age of Anxiety je vous mets au défi de ne pas succomber à la rythmique électro et à la batterie alors que je retrouve avec plaisir Regine Chassagne sur Age of Anxiety II (Rabbit Hole) pour une fin toute en tension sublimée par les cordes finales.
Mais End of the Empire et sa mélancolie désabusée d’une justesse imparable.
Mais l’explosion rock certes attendue mais jouissive de The Lightning II qui vient trôner avec délices au milieu de ces morceaux d’Arcade Fire qui te font perdre contact avec la réalité.
Mais Unconditionnal I (Lookout Kid) qui est un bijou de pop lumineuse qui te ramène dans le vent d’optimisme qui soufflait sur Funeral, espèce de No Cars Go presque 20 ans plus tard.
Il y aurait tant à dire sur ce très bel album d’Arcade Fire mais les mots sont trop faibles, enjoy !
Morceaux préférés (pour les plus pressés): 8. Unconditionnal I (Lookout Kid) – 7. The Lightning II – 1. Age of Anxiety I – 4. End of the Empire I-III
Quand tu prends le nom de Wet Leg et que ton premier titre -au passage un énorme carton- s’appelle Chaise Longue c’est que vraisemblablement tu as décidé de ne pas trop te prendre au sérieux et d’aborder l’aventure musicale avec légèreté. Rhian Teasdale, la voix principale, et Hester Chambers, la blonde plus introvertie, sont toutes les deux originaires de l’île de Wight -que nous plaçons tous les yeux fermés sur un planisphère bien sûr…- et viennent de faire une vraie entrée par effraction dans le monde de la musique indépendante. Tout commence donc en juillet 2021 avec la sortie de ce single punk jouissif Chaise Longue, la voix lancinante de Rhian Teasdale dont le charme anglais est imparable laisse place à un refrain jouissif porté par un riff de guitare aussi simple qu’évident. La litanie hypnotique autour de la chaise longue sur la fin témoigne de ce goût prononcé pour le second degré et il n’en faut guère plus pour que la toile se prenne de passion pour ce duo improbable.
Au moment d’enclencher la lecture de ce premier album éponyme, je n’ai pas d’attente particulière et presque plutôt la curiosité de voir où l’humour so british de Wet Leg a tenté de nous emmener… Le morceau d’ouverture Being In Love va nous donner des réponses rapides. En à peine deux minutes, sur la thématique ressassée de la souffrance en amour, le duo nous offre une belle leçon de pop débridée où le refrain tout en guitares contraste à merveille avec la nonchalance de la voix. Chaise Longue nous surprend ensuite toujours autant par son instantanéité presqu’un an après sa sortie initiale.
Angelica va alors jouer la carte de la surf music et de la coolitude assumée avec un refrain soyeux à souhait, j’ai l’impression d’entendre une version solaire et reposée de MGMT et je commence à me dire que les deux demoiselles ont décidément plus d’une corde à leur arc musical. Voilà en tout cas un tryptique initial assez excitant ! I Don’t Wanna Go Out creuse le sillon de cette surf music en se permettant de ralentir les rythmiques comme Air le faisait si bien dans la BO de Virgin Suicides entre autres pour une deuxième partie plus planante.
Wet Dream et ses connotations mutines pleinement assumées sous le voile du flegme britannique s’impose comme le deuxième single jouissif de l’album. Un sens inné de la mélodie et de ce genre de refrain addictif, l’humour décalé teinté d’une certaine provocation, tout fonctionne à merveille ! Après un Convincing qui m’évoque la sensualité de Goldfrapp et Loving You qui, sous des airs angéliques, exécute l’ancien amoureux en lui refusant une amitié factice, Ur Mom s’impose comme une version débridée de The XX qui aurait débauché Alison Goldfrapp au chant.
Une fois passée la rythmique plus saccadée et un brin agaçante de Oh No qui, pour moi, est le titre le plus faible de l’album dans cette envie punk un peu caricaturale, Piece of Shit introduit des sonorités électroniques judicieuses pour un résultat qui n’est pas sans rappeler l’univers de The Pixies auquel se serait greffé le démon de la pop. L’album tient la longueur de ses 36 minutes haut la main avec deux derniers titres séduisants : Supermarket flirte avec la tentation de la britpop et Too Late Now nous assène une belle montée rock finale digne de Clap Your Hands Say Yeah et ouvre un champ de possibilités infinies.
Voilà en tout cas un premier album de très grande qualité qui confirme que le buzz autour de Wet Leg est amplement mérité, ce Wet Leg a pris possession de mes futures playlists estivales et j’espère que nos deux Anglaises vont vite nous concocter une suite, enjoy !
Morceaux préférés (pour les plus pressés): 2. Chaise Longue – 5. Wet Dream – 12. Too Late Now – 3. Angelica
Déjà une semaine qu’il est sorti, et huit journées d’écoutes en boucle : Call to Arms & Angels, douzième album studio canonique d’Archive, est enfin disponible après une longue année d’attente et de communication ultra maîtrisée. Album canonique, car depuis 2016 et The False Foundation, rien à se mettre sous la dent, malgré le coffret et la tournée 25, ou encore Rarities et Versions. Vous me direz que ça fait tout de même de quoi faire. Certes. Je vous rétorquerai qu’après le triple tir Axiom (2014), Restriction (2015) et donc The False Foundation, le collectif britannique Archive avait vogué vers son quart de siècle d’existence en alternant tournée anniversaire et revisites de leur répertoire. En somme, du toujours très qualitatif, mais rien de très innovant. Au cœur du printemps 2021, le groupe commence à teaser sur un nouvel album, nom de travail #archive12. Par une savante distillation d’indices, notamment sur internet et les réseaux sociaux, Archive a su faire monter l’attente comme jamais. Le résultat est-il à la hauteur ? Que vaut ce Call to Arms & Angels ? Parcourons ensemble les 17 titres de ce triple vinyle/double CD, pour comprendre en quoi on tient là, très possiblement, le disque de l’année 2022 et sans doute un des meilleurs opus du groupe, mais aussi un album majeur pour la musique.
Call to Arms & Angels est le fruit d’un long travail débuté fin 2019, juste après la conclusion de la tournée 25. Archive s’apprête alors à replonger en mode écriture/création. Sauf que, quelques semaines plus tard, une inattendue pandémie fait son apparition, et provoque confinement et isolement de chacun. Les membres du groupe n’y échappent pas. Suivent deux années pourries (disons les choses clairement) pendant lesquelles Darius Keeler et sa bande vont littéralement bouillonner d’idées et de créativité. Comme si le COVID, dans son empêchement à être ensemble, avait par ailleurs décuplé le potentiel de chacun. Call to Arms & Angels est un album sombre et profondément covidesque, à la fois dans ce qu’il raconte, mais aussi comme un témoignage de ce que furent nos vies et la créativité artistique pendant ces deux longues années.
L’album du retour et des retrouvailles
Comme un clin d’œil, les premières secondes de l’album laissent entendre une tonalité d’appel visio, qui perdurera en fond durant tout le premier titre. Ces fameux appels visios qui, pendant des mois, ont symbolisé à la fois notre isolement, et la possibilité de rester en contact. C’est à cela que nous invite Archive : se retrouver. Avec un premier titre, Surrounded by ghosts (Entouré de fantômes), qui permet de faire connaissance sans attendre avec Lisa Mottram, la nouvelle et renversante recrue voix du groupe. C’est bien ce qu’on a tous vécu : des semaines à être entourés de personnes fantomatiques qui nous ont manqué, mais aussi des journées et des journées à voir partir, par centaines, des êtres humains vers le monde des fantômes. Un titre faussement paisible, puisque si le son est aérien et posé, le propos est sec et violent. Peut-être est-ce pour ça que la transition vers Mr. Daisy se fait si naturellement. Voilà un deuxième morceau rock et tendu, guitares en avant pour porter la voix, toujours incroyable, de Pollard Berrier. Ce même Pollard qui enchaîne avec Fear there and everywhere, dont nous avions déjà parlé par ici lors de sa sortie en single. La plongée dans le mauvais rêve se poursuit, et ce n’est pas Numbers qui nous fera mentir. De deux titres très rock, on passe à un autre plus speed, bien plus électro aussi, dans la droite ligne de ce que l’on a pu trouver sur Restriction et The False Foundation. En seulement quatre morceaux, Archive a déjà balayé quatre styles et mis tout le monde d’accord. La puissance de ces premières minutes dévastatrices nous remémore le cauchemar covidesque dont on peine à sortir encore aujourd’hui.
C’est Holly Martin qui apporte le baume nécessaire avec Shouting within (précédemment chroniqué par ici), comme une première bulle respiratoire. Une simple illusion, pour un titre de nouveau faussement apaisé, qui relate en réalité les hurlements intérieurs d’un esprit troublé. Qui n’a pas ressenti ça un jour ? Qui n’a pas hurlé intérieurement d’ennui, de peur, de colère, pendant son confinement ? Shouting within raconte ces moments. Avant de passer la main à une première pièce maîtresse de l’album, Daytime coma. Premier extrait rendu public et déjà chroniqué ici également, il permet à Archive de renouer avec des morceaux longs, alambiqués et construits sur de multiples variations. Ce coma diurne a été inspiré à Dave Pen par ses sorties dans la ville déserte, les gens aux fenêtres, fantômes dans la cité éteinte. Un monde post-apocalyptique qui ne dit pas son nom, mais qui nourrit les quatre mouvements de ce quart d’heure torturé, éprouvant, mais hypnotique et magistral.
Vient ensuite Head heavy (Tête lourde), parfait prolongement de Daytime coma. Un titre très Pink Floyd qui rappellera par exemple un Shine on you crazy diamond, avec des nappes de synthés très travaillées et empilées soigneusement pour accueillir la voix de Maria Q. A ce stade de l’album, j’étais déjà conquis, mais c’était sans compter sur Enemy, autre pièce maîtresse du disque, et probablement son climax. Le titre est divisé en deux, pour une sorte de longue intro de quatre minutes où se superposent piano et violon mélancoliques, corne de brume en guise d’alerte, nappes de synthés aériennes, et la voix de Pollard qui inlassablement répète un « Come on enemy I see you / Come on enemy I feel you ». Et la menace, sournoise et omniprésente, qui monte. Pour se densifier et se violenter à mi-chemin, par une entrée de la section rythmique, amenée par des sons de plus en plus distordus, et des voix inquiétantes. La seconde partie est une folie absolue de tensions, faite d’innombrables superpositions sonores et d’un jeu vocal sur « Come on enemy / Come on into me ». A l’image de Bullets (sur Controlling crowds en 2009) où se mélangeaient « Personal responsability / insanity ». La bataille a eu lieu, on en sort épuisé et exsangue en y ayant laissé beaucoup d’énergie, mais aussi en transe de tant de créativité. Métaphore d’Archive traversant la pandémie.
Comme un nouveau répit, Every single day se pare d’arrangements pop-rock entre Lennon et Bowie, avant de replonger dans Freedom, un nouveau titre à l’improbable construction. D’abord un long couplet quasi hip-hop et scandé, qui nous rappelle que jadis Rosko John officia dans Archive. Avant un refrain qui rappelle le Free as a bird de Lennon, tout en se mélangeant avec des nappes de synthés et collages sonores en tout genre. Mais la vraie audace arrive au bout de quatre minutes, lorsque Archive colle une deuxième chanson dans la chanson, en mode piano-voix. Un mouvement musical d’une beauté transperçante, à peine ponctué de quelques notes de synthés complémentaires. Peut-être pour nous préparer à All that I have, un autre six minutes voix-piano-programmations d’un intimisme bouleversant, parfois aggravé de quelques sombres nappes. La palette de l’album s’élargit encore. Il pourrait presque s’arrêter là tant on est déjà comblés. Sauf que, chers Five-minuteurs, il reste six titres, et pas des moindres.
Un album profondément humain
Frying paint reprend la main de l’électro, avec là encore une construction audacieuse. Longue intro faite de collages sonores avant l’arrivée du chant de Pollard pour un titre bluesy dans ses couplets, et plus pop dans le refrain. Un titre furieusement groovy, avant de se laisser totalement hypnotiser par We are the same, dernier extrait publié voici quelques semaines. Qui sommes-nous après cette expérience de pandémie ? Qui avons-nous été pendant ? Sommes-nous si différents les uns des autres dans les temps sombres ? Magistrale chanson sur la différence et nos similitudes, sur ce qui fonde notre communauté humaine et nos aspirations, au-delà de nos peurs les plus viscérales. Et finalement, à la sortie de tout ce grand bazar, nous voilà vivants. Alive, comme un chœur de ressuscités ou jamais vraiment disparus. A moins que ce ne soit les Archive qui nous fassent entendre, voix unies, leur existence au-delà de tous les empêchements rencontrés. Oui, le groupe est bel et bien en vie, et Everything’s alright : encore un titre d’accalmie sonore autour de Pollard et de boucles vocales. On monte haut, très haut, on prend de la distance, là où, enfin, tout va bien. Disons mieux. Et, une fois encore, l’album pourrait s’arrêter là.
Pourtant, il lui reste deux temps majeurs à nous livrer. The Crown expose plus de huit minutes d’explorations électros et de samples. « Can you hear me now ? / Can you see me now ?”, comme si Archive avait besoin de nous crier que ce putain de bijou d’album est enfin sorti. Avant de nous laisser sur Gold, une dernière pépite (ok, elle était facile). De nouveau construit autour de collages, le morceau évolue lentement vers une sorte de Dark Side of The Moon, et surtout vers une émotion créative à fleur de peau, portée par les voix de Dave Pen et Maria Q. Une fois encore, près de huit minutes pour dérouler seconde après seconde, l’inattendu. Et pour quatre dernières minutes denses, aériennes, envoûtantes, construites sur une interminable boucle d’arpèges qui semblent ne jamais vouloir s’arrêter.
Et qui s’arrête pourtant en suspendant son vol, après une heure et quarante cinq minutes d’un voyage absolument incroyable. Call to Arms & Angels est un album majeur dans la discographie d’Archive, mais aussi pour la musique. Il ne cède jamais à la facilité et réussit la prouesse de nous surprendre en n’étant jamais là où on l’attend. Un son, un rythme qui change, un second titre dans le même titre : tout est fait pour nous surprendre à la première écoute, mais aussi après. L’album ne s’épuise jamais, malgré sa longueur et sa densité. Archive aligne les pépites comme autant de créations imparables, pour une ensemble d’une folle cohérence qui se découvre petit à petit, à chaque minute, mais aussi à chaque écoute. N’allez pas croire que vous ferez rapidement le tour de ce disque. J’en suis facilement à la vingtième écoute, et je continue à découvrir des sons, des variations, des émotions nichées là où elles ne se révèlent pas toutes en même temps.
Audace, créativité et document historique
Est-ce pour autant le meilleur Archive ? Depuis Controlling Crowds assurément. Treize années après ce double album puissant, cohérent et d’une rare intensité, le collectif frappe extrêmement fort. With us until you’re dead (2012) était brillant, mais n’était qu’une prolongation de Controlling Crowds. Axiom (2014) est un énorme album, mais restreint à une des branches musicales d’Archive. Enfin, Restriction et The False Foundation manquaient peut-être d’une pincée de cohérence et de variété. Et avant ? Avant, il y a Londinium (1996), album originel et hors-normes avec son univers trip-hop bristolien. Tellement hors-normes qu’il est pour moi à part dans la discographie d’Archive. Comparable à aucun autre, parce qu’ils basculeront dès Take My Head dans le rock électro/progressif. Les suivants sont de vraies claques à chaque fois et restent des disques fabuleux. Toute la discographie d’Archive est une référence absolue pour moi, mais Call to Arms & Angels surprend par son audace. Archive se permet un triple album avec dix-sept titres, dont plusieurs dépassent les huit minutes et sont construits hors de toute structure classique couplets/refrains. Archive ose expérimenter et nous embarquer dans une expérience sonore et sensitive, porté notamment par le travail du discret mais toujours efficace Danny Griffiths. A l’heure du formatage et des créations cloisonnées et sages, voilà qui fait un bien fou.
Call to Arms & Angels surprend aussi par la diversité de ses ambiances, d’un morceau à l’autre. Grâce à cette variété, chacun des titres de Call to Arms & Angels décrit musicalement une des facettes de cette trouble période pandémique. L’album alterne l’intimisme le plus strict, nous mettant face à nous-mêmes à espérer les autres, et des ambiances déchirées et violentées à en devenir complètement dingue. A l’écoute du disque surgissent des images mentales et sensorielles de ce que l’on a traversé, et de ce que l’on traverse encore. Call to Arms & Angels raconte deux années de ce siècle, aussi inattendues que bouleversantes, au sens où elles auront chamboulé nos vies comme jamais. L’enfermement, la solitude, l’isolement et l’exacerbation des travers de ce monde sont venus exploser tous nos repères. Archive raconte la vie sous pandémie. Ce que l’on croyait ne voir que dans les meilleurs récits de SF post-apocalyptique nous est finalement tombé dessus sous une forme que l’on ne soupçonnait pas. Combien d’entre nous sont restés des semaines, voire des mois, face à eux-mêmes, coupés de toute relation sociale ? Combien d’entre nous n’en sont jamais réellement sortis ? Combien d’entre nous y sont encore enfermés et n’ont toujours pas renoué avec une vie sociale du monde d’avant ? Combien d’entre nous n’ont pas encore retrouvé le frisson et la chaleur d’un contact corporel ?
Album après album, Archive raconte notre monde et archive ainsi une forme de mémoire de notre époque. Dans plusieurs siècles, lorsque nos descendants (pour peu qu’ils existent) voudront entendre des visions musicales du monde fin 90’s/début 21e siècle, ils pourront réécouter la discographie de ce groupe. Et lorsque les historiens seront en recherche d’objets historiques pour étudier les années pandémiques 2020-2022, ils auront avec Call to Arms & Angels une trace inattendue et inhabituelle mais ô combien cruciale de deux années qui ont changé le monde à jamais.
Un parfait chef-d’œuvre instantané
Cette année 2022 restera comme une année hors-normes, avec une guerre en Europe, un dérèglement climatique au bord du gouffre, ou encore une élection présidentielle à la fois tendue et usante. Hors-normes aussi, parce qu’on n’attendait pas non plus un Elden Ring aussi incroyable, un The Batman aussi puissant, un Horizon Forbidden West aussi dépaysant. Et un Archive aussi brillant. Malgré toute ma fanitude archivienne, je n’attendais pas le groupe à ce niveau. Call to Arms & Angels est un parfait et pur chef-d’œuvre par lequel Archive réussit à se réinventer et à offrir un album dense, intense, diversifié et mémorable. Les Beatles avaient leur White album, Radiohead leur OK Computer (oui, ils ont aussi leur KID AMNESIA), Pink Floyd leur Dark Side of the Moon. Archive a son Call to Arms & Angels. Même la durée est parfaite. Les 17 titres suffisent, en formant un ensemble complet, cohérent et achevé.
Un petit plus quand même ? Ça tombe bien, la Deluxe Edition est accompagnée d’une quatrième galette contenant le soundtrack du documentaire Super8 : A Call to Arms & Angels, qui retrace le parcours créatif du groupe. Un documentaire génial à voir absolument. Et dix titres instrumentaux supplémentaires pour prolonger le voyage. On en reparlera très vite, lorsque j’aurai reçu mon exemplaire et pu écouter cette quatrième partie. L’étape suivante, ce sera la déclinaison scénique de ce grand album, avec le Call to Arms & Angels Tour, qui passe nécessairement par chez vous : pas moins de quatorze dates françaises, et au moins autant en Europe (dont deux à Bruxelles). Inratable. Tout comme cet album incroyable et incontournable qui prend une option évidente pour (au minimum) le titre de disque de l’année 2022.
Il est temps aujourd’hui de prendre des nouvelles d’un artiste qui me tient particulièrement à coeur, Konstantin Gropper, qui est la tête pensante des Allemands de Get Well Soon. Je ne reviendrai pas sur leur très riche carrière qui redonne ses lettres de noblesse à une pop baroque mâtinée de tendances électro assez romantiques mais leur premier album Rest Now, Weary Head! You Will Get Well Soon possède une place de choix dans mon panthéon musical. Leur dernier album The Horror sorti en 2018 (et chroniqué par ici pour les curieux) jouait la carte de la sobriété pour un résultat assez grave qui m’avait moins séduit que l’excellent LOVE qui l’avait précédé. Alors qu’en est-il de ce sixième album studio?
A première vue la pochette semble mettre l’accent sur une ambiance plutôt pesante avec ce Amen apposé sur une tombe -peut-on raisonnablement parler d’une borne kilométrique? Le vinyle amène à s’interroger avec la présence d’un personnage mystérieux, un Mickey Mouse possédant trois yeux et des dents de vampire qui se montre souriant en prononçant Amen. Vous avez 4h pour analyser cet univers extrêmement coloré où le rose du costume de KonstantinGropper a pris le pouvoir. Le morceau d’ouverture A Song For Myself va nous ramener d’emblée en terrain conquis avec une pop orchestrée de haut vol qui se marie à merveille avec la voix caverneuse, les cuivres sont omniprésents même si les synthés pointent le bout de leurs touches et les choeurs féminins donnent encore plus d’ampleur au titre. Voilà une ouverture classique mais bien inspirée. Une ouverture qui va contraster avec My Home Is My Heart qui affiche avec clarté un autre objectif principal de l’album: s’adresser aux corps et faire danser. La rythmique uptempo est jouissive et pop jusqu’au bout des ongles, les synthés prennent le pouvoir pour un résultat hybride entre la tension d’un Depeche Mode et l’intensité d’un Arcade Fire. Les références sont élevées mais le résultat est aussi surprenant -quand on connaît la gravité de GetWell Soon depuis les débuts – qu’enthousiasmant. Cette tendance à allier deux pôles opposés, la mélancolie de la pop baroque et le besoin de laisser s’exprimer les corps à travers des sonorités plus électroniques, est la clé de voûte de cet album. Même si cette dichotomie peut à juste titre déstabiliser, le résultat est assez brillant.
I Love Humans -on retrouve beaucoup de considérations philosophiques dans cet album composé pendant le confinement – prolonge l’intensité mélancolique de A Song For Myself dans un dialogue touchant entre le chanteur et les choeurs féminins, sublimé par ces cuivres toujours aussi désarmants. A peine le temps de contrôler les picotements au coin des yeux que This Is Your Life nous tire par la manche pour nous lancer dans une danse échevelée avec sa rythmique âpre obsédante. Ce morceau démontre la capacité de Konstantin Gropper à faire ce qu’il veut de sa voix en utilisant à bon escient ici sa sublime voix de tête. Le duo Our Best Hope / One For Your Workout résume finalement assez bien l’album: d’un côté le lyrisme assez épique qui fait mouche tant le talent d’interprétation de Konstantin Gropper est incontestable et de l’autre cette envie inédite de créer une bombinette électro imparable. La rythmique de One For Your Workout est juste jouissive et le morceau ouvre un champ de possibilités infini.
La première moitié de ce Amen est particulièrement aboutie et donnerait presque envie en ce 1er mai de filer poser un cierge de remerciement à l’église -euh non finalement, je vais me contenter d’acheter un brin de muguet. La deuxième partie prolonge le plaisir mais je dois reconnaître qu’il y a moins de moments très marquants. La pop ambient aquatique de Mantra, le funk de Chant & Disenchant ou la mélancolie dépouillée de Richard, Jeff And Elon nous amènent vers Us vs Evil qui illumine la deuxième partie de l’album. Morceau plus sombre porté par les percussions et des sonorités plus discordantes, son refrain n’est pas sans évoquer la puissance rock des Belges de Balthazar. Ce titre est en tout cas inclassable dans la discographie de GetWell Soon et c’est ce qui le rend encore plus jouissif. La pop baroque de Golden Days et le vent d’optimisme qui transporte le morceau final Accept Cookies permettent à ce Amen de finir de manière plus (trop?) classique.
Ce Amen nous permet de croire encore et toujours dans le talent de Get Well Soon qui a pris le risque de faire évoluer son univers pour déserter ponctuellement la pop baroque. Le résultat est brillant et donne envie de réécouter la discographie brillante d’un groupe qui mériterait une plus grande reconnaissance encore, enjoy!
Morceaux préférés (pour les plus pressés): 6. One For Your Workout – 2. My Home Is My Heart – 10. Us vs Evil – 3. I Love Humans – 4. This Is Your Life
Au lendemain d’une soirée électorale quelque peu difficile qui confirme l’inéluctable montée en puissance des extrêmes et de ce spectre de la peur qui alimente le racisme, le besoin de la musique-refuge se fait profondément ressentir… Cela fait plusieurs mois que je suis obsédé par un titre rencontré au gré du hasard des playlists, Can’t Hide It pour ne pas le citer, single de power-pop imparable mâtinée de soul qui me file une sacrée patate digne de l’explosion positive qui m’anime à écouter un Crazy de Gnarls Barkley. Je ne connais pas du tout son interprète originaire d’Atlanta, Curtis Harding, un ancien choriste de CeeLo Green, qui a déjà sorti deux albums, Soul Power en 2014 et Face Your Fear en 2017. La soul n’est pas mon domaine d’écoute et encore moins d’écriture (si tant est que je possèderai vraiment un domaine d’écriture) mais je ne peux pas laisser passer ce troisième opus sorti en novembre dernier If Words Were Flowers tant il me fait chaud au coeur, et la chaleur humaine fait clairement défaut quand on voit les résultats de l’extrême-droite… Oublions cette politique pour le moins nauséabonde et saisissons la main tendue pleine d’espoir de Curtis Harding qui continue à donner toutes ses lettres de noblesses à la soul-music en 2022.
Le morceau d’ouverture If Words Were Flowers met d’emblée en avant les cuivres qui se verront utilisés toujours à juste titre dans l’album. La mélodie de la trompette, la rythmique soul et les choeurs dignes d’Harlem nous offrent un premier instant de poésie apaisée, pour le seul morceau de l’opus où Curtis Harding ne chante pas. Hopeful nous ramène alors davantage sur les traces de la Motown avec son chant engagé à la Curtis Mayfield, les choeurs ne cessant de nous inviter à l’optimisme et les cordes qui viennent s’inviter avec justesse avant la guitare électrique finale. Ce morceau réussit le tour de passe-passe de reprendre les codes de la soul-music des années 60/70 tout en restant résolument moderne. Passée l’incandescente déclaration d’amour Can’t Hide It qui mérite de trôner dans toutes les meilleures playlists, With You nous ramène vers la douceur downtempo avec une véritable ode à la sensualité sublimée par la voix de Sasami Ashworth.
Explore démontre l’amplitude vocale hallucinante de Curtis Harding et lance une deuxième partie d’album très puissante. Entre le phrasé plus hip-hop de Where’s The Love qui contraste à merveille avec le refrain cuivré, la sensualité soul de The One qui semble ressusciter le Curtis qu’on ne présente plus et le bijou So low qui sublime le topos du chagrin d’amour en se permettant d’utiliser avec brio l’auto-tune, je ne sais plus à quel saint me vouer et j’ai envie de me réécouter en boucle la BO de Shaft et d’enfiler un cuir de justicier. La soul mid-tempo de Forever More qui montre la facilité de Curtis Harding à tutoyer les sommets vocaux et l’intemporel It’s A Wonder qui donne l’impression que Balthazar a momentanément déposé les guitares électriques nous amènent vers le brillant morceau final I Won’t Let You Down, ode célèbrant la puissance de l’amour tout en dessinant les contours de la soul du XXIème siècle. Curtis Harding vient de faire une entrée tonitruante dans mon ADN musical avec ce sublime If Words Were Flowers, j’aurais bien été égoïste de garder cela pour moi, enjoy !
Morceaux préférés (pour les plus pressés): 3. Can’t Hide It – 8. So Low – 11. I Won’t Let You Down – 4. With You