Quittons quelques minutes l’actualité musicale, mais pas nécessairement l’actualité tout court, avec un son qui affiche déjà plus de 12 ans au compteur mais qui tabasse toujours autant. A tout moment la rue vient tout droit du quatrième album studio d’Eiffel, groupe de rock français formé en 1998 autour de Romain Humeau. La formation, toujours en activité, affiche des influences multiples et diverses, de Brel à Sixteen Horsepower en passant par dEUS ou les Stooges, sans oublier bien sûr les Pixies et Noir Désir. Les Pixies pour l’énergie rock, mais aussi parce que le groupe tire son nom d’Alec Eiffel, une des chansons du groupe. Noir Désir, parce que l’influence de feu les Bordelais est évidente jusque dans les intonations de voix de Romain Humeau. A commencer par ce A tout moment la rue qui est possiblement un des titres les plus marqués Noir Désir du répertoire d’Eiffel.
« A chacun de nos souffles / Au moindre murmure des bas-fonds » ouvre cette pépite tendue comme une journée en établissement scolaire sous protocole sanitaire. Si vous trouvez que ça démarre calmement, rassurez-vous, ça ne va pas durer. Ce sont rapidement une basse omniprésente et ronflante, accompagnée par une batterie obsédante, qui vont étirer l’intensité de la chanson jusqu’à une mise en tension extrême. Et la voix de Romain Humeau qui, tout au long des 4 minutes 30, déroule un texte nerveux, puissant, incandescent, sans concession. A tout moment la rue bouscule avec cœur et conviction un système devenu incompréhensible et insupportable. A tout moment la rue est un pavé, un brûlot, une claque rebelle qui remet les choses à leur juste place : « A bien compter le monde est X fois plus nombreux / Que ces 300 familles qui sur la rue ont pignon / A tout moment elle peut aussi dire non ».
Ce titre sent le souffre, la révolte, le ras-le-bol, l’envie de tout envoyer chier et vient côtoyer d’autres pépites comme La rage de Keny Arkana, n’importe quel titre de Rage Against The Machine (disons Calm like a bomb ou Know your enemy), ou encore Le feu de No One Is Innocent. Pépite intemporelle parce qu’elle date de (déjà) 2009, donc pas dans l’actualité musicale directe, mais terriblement actuelle et terriblement d’actualité en ce 13 janvier 2022. Pas grand-chose de plus à ajouter. A tout moment la rue est un titre qui s’écoute et se vit comme une prémonition et comme un espoir. Comme une putain de boule d’énergie rageuse pour traverser un bordel sans nom. Comme un gigantesque coup de pied au cul qu’on se prend pour avancer, et qu’on donne pour dégager les médiocres. « A tout moment la rue peut aussi dire non » : c’est maintenant.
Raf Against The Machine