Pour tous les amoureux du bon son, du sirop d’érable, du rock indé, des grands espaces et des accents chatoyants, Wake up d’Arcade Fire s’impose comme une pépite absolue. Mais pas que. Ce titre fait partie de Funeral (2004), premier album du groupe mené par Win Butler et Régine Chassagne. Premier album qui est lui-même une pépite absolue. Les puristes ne m’en voudront pas, puisque je laisse de côté Arcade Fire (2003), EP-mini album qui ne se classe donc pas dans la case albums, bien qu’il soit déjà très bon. La formation canadienne a depuis sorti plusieurs autres opus percutants et efficaces, mais rien à ce jour n’égale la claque absolue qu’est Funeral. A ce propos, un de ces jours, il ferait bon se pencher sur les premiers albums indépassables et jamais dépassés de bon nombre d’artistes qui nous tiennent à cœur chez Five-Minutes : Jeff Buckley et son Grace (1994), PJ Harvey et son Dry (1992), Oasis avec Definitely maybe (1994), Ben Harper et son Welcome to the cruel world (1994) ou encore Portishead avec Dummy (1994). Intéressant aussi de voir cette concentration mid-90’s d’albums parfaits. Je m’égare toutefois, mais je note cette piste pour le futur (s’il y en a un).
Revenons à Wake up, qui n’a rien à voir avec celui de Rage Against The Machine, à ceci près qu’il en partage le titre et la puissance. Le Wake up d’Arcade Fire fait partie de ces morceaux qui me donnent envie de sauter du haut de la falaise. Je vous rassure : pas avec l’objectif de s’écraser plus bas et de quitter ce monde en quelques secondes. Non. Juste sauter du haut de la falaise, bretonne de préférence (mais toute autre fera l’affaire), et rester en suspens, comme ça. Pour le plaisir de sentir l’air pur, la suspension, mais aussi un grand vide synonyme de champ des possibles en cette période qui nous en prive tant. Pour, aussi, la sensation d’être en vie et le super-pouvoir de se réveiller de ce putain de sommeil humain et sociétal qu’un pangolin (ou une chauve-souris, on n’est plus à ça près) nous impose depuis bientôt un an.
Il y a tout ça dans le Wake up d’Arcade Fire : l’ouverture sur un riff furieux, presque aussitôt illuminé de voix sorties de nulle part et projetées je ne sais où. Puis le texte en la voix de Win Butler, poussée à son presque point de rupture émotionnel entre grain rocailleux et tension à la limite de la chialade. Et toujours, en toile de fond, le riff qui revient, enrobé de nappes de synthés et de cordes. Le petit pont à 3 minutes 25, pour aller vers une sorte de ritournelle pépouze à partir de 4 minutes, se pose comme un signe que le meilleur est à venir. Le meilleur, c’est peut-être à partir de 4 minutes 40, cette reprise du thème initial, allégé musicalement, qui s’embellit d’un retour de tous les instruments du départ pour clore le titre dans un climax d’énergie assez imparable.
Ce titre est assez dantesque en lui-même, et s’inscrit dans une proposition musicale absolument vertigineuse. Lorsqu’on écoute Funeral en totalité, Wake up arrive en 7e position, après une première face d’album qui nous laisse déjà littéralement exsangue : les quatre Neighbourhood entrecoupés de Une année sans lumière (qui a parlé de 2020 ?). Face B, c’est tout aussi puissant avec donc notre Wake up, qui nous prépare au ravageur Rebellion (Lies) à venir. Tout est parfait dans cette galette, et si Wake up est une pépite dans la pépite, c’est qu’il tombe, comme chacun des 10 titres, à l’endroit parfait de l’écoute, en plus d’avoir toutes les qualités émotionnelles et de suggestion évoquées plus haut.
A toi qui est confiné-e dès 18 heures chaque soir et que je vais possiblement rejoindre sous peu par la magie de la conférence de presse gouvernementale du jeudi… A toi qui, comme moi, crève d’envie d’aller faire un ciné ou de boire une bière en écoutant un concert… A toi que je crève d’envie d’emmener pour un verre ou un resto, pour le plaisir de ta compagnie et d’un bon moment partagé sans contrainte… A toi qui, comme moi, regarde ce monde en espérant qu’il se réveille, et se dit que 2020 c’était vraiment une fucking year… A toi qui espère chaque minute que 2021 nous verra revivre et qui répète que le meilleur est à venir… Je t’envoie cette pépite intemporelle qu’est Wake up pour l’écouter et le partager, sentir l’air frais caresser la peau de nos visages et regarder au loin en y voyant enfin quelque chose. Puis, s’approcher du bord de la falaise, surtout sans regarder en bas parce que ce n’est pas là qu’on va. La destination c’est droit devant, en suspension, main dans la main. Parce que sauter de la falaise seul, c’est bien. Ensemble, c’est (évidemment) mieux. Tu sautes avec moi ? Chiche.
Raf Against The Machine