A l’heure où à peu près tout le monde récapitule 2020 et son flot de tops et de flops (y compris le poto Sylphe qui bosse dur sur la question), arrêtons nous sur un album en particulier avant de sacrifier à cette grande tradition rétrospective. Notre galette du jour est une double, comme dans les bonnes crêperies, avec dedans tous les ingrédients nécessaires à un excellent moment pour vos oreilles. La bande originale de Cowboy Bebop fait partie de ces soundtracks dont je pense le plus grand bien. Si vous traînez par ici régulièrement, vous connaissez ma position sur la question : lorsqu’une BO peut s’écouter et s’apprécier isolément de l’œuvre qu’elle accompagne, c’est qu’elle a gagné la partie et qu’elle devient alors une œuvre à part entière. Plus encore : lorsque cette même BO réussit à elle seule à convoquer des images mentales et des souvenirs du film, de la série ou du jeu vidéo qu’elle renforce, on touche alors au sublime. C’est le cas de bon nombre de BO, et celle de Cowboy Bebop en fait assurément partie.
Avant de plonger dans ladite BO, resituons : Cowboy Bebop, kézako ? Une série TV animée japonaise sortie en 1998, pilotée par Schin’ichiro Watanabe (réalisation) et Keiko Nobumoto (scénario). Au long des 26 épisodes, on suit les aventures de plusieurs chasseurs de primes, appelés les cowboys, dans un futur plutôt proche puisque l’histoire se place en 2071. L’intelligence de la série consiste en un savant mélange de quêtes isolées et d’arcs narratifs plus larges qui permettent de suivre le parcours des personnages principaux. Spike Spiegel est le premier d’entre eux : un ancien membre d’une organisation criminelle qui fuit son passé tout en recherchant la femme qu’il y a aimé. Il y a à la fois du Edgar (le détective cambrioleur) et du Cobra dans ce personnage plus profond qu’il n’en a l’air au départ. Spike voyage à bord du Bebop, le vaisseau de Jet Black, autre chasseur de primes de l’équipe. Cette dernière est complétée de Faye Valentine et Edward, respectivement une joueuse endettée et amnésique et une jeune hacker surdouée. Autant dire que la galerie est déjà très cool, et ce ne sont pas les personnages secondaires qui me feront mentir.
Au-delà de ses protagonistes hauts en couleurs et en sentiments, Cowboy Bebop est une grande série. Les situations tour à tour comiques, émouvantes, inquiétantes s’enchainent pour donner finalement une longue histoire qui sait mélanger divertissement et réflexions, autant sur le monde actuel que sur nos parcours de vie. La série nous balade dans un mix de futur et de monde actuel. Si les environnements urbains ressemblent à ceux que l’on connait de nos jours, ils prennent place sur Mars ou Venus. La Terre, en comparaison, n’est que peu évoquée. On en retient surtout que les Terriens se sont installés ailleurs et y reproduisent leurs erreurs, comme dans les meilleurs récits de SF.
Autre force de Cowboy Bebop : ses références à n’en plus pouvoir au cinéma de SF, mais pas que. Rien que le générique est une perle avec ses ombres et son écran splitté. En quelque sorte, un savant mélange de James Bond et de L’affaire Thomas Crown, soit la garantie d’une classe immédiate. Ce sont ensuite plusieurs gros morceaux du ciné qui sont référencés plus ou moins explicitement. Citons simplement Akira, Blade Runner (avec un personnage nommé Deckard), 2001 : L’odyssée de l’espace, Alien (épisode à hurler… de rire) ou encore Django avec ce perso de passage en ville qui traîne sa camelote dans son cercueil. Ce ne sont là que quelques exemples, mais pour qui aime le ciné, il y a de quoi se régaler à chaque épisode.
Enfin, et c’est bien l’objet premier du jour, la BO tout simplement démentielle. Composée par Yoko Kanno et son groupe Seatbelts, elle mélange jazz, blues, rock et quelques autres petites surprises, que nous allons tenter de balayer en cinq titres représentatifs.
- Impossible de ne pas commencer par Tank!, le son du générique, qui envoie un bon gros jazz swing Big Band. Le morceau fait la part belle aux cuivres et saxos, avec au milieu un bon chorus de saxophone justement. Ce titre là balancé avec le générique visuel dont on a parlé plus haut, c’est de la pure énergie et ça donne le ton de l’univers à la fois groovy et rock dont la série est imbibée. Cette même énergie revient fréquemment dans d’autres titres comme Bad dog no biscuits, qui s’ouvre sur un free jazz puissant pour se poursuivre sur un ska total foutraque. Ou encore Rush qui sonne plutôt comme un morceau perdu de Bullitt que Lalo Schifrin aurait ressorti d’un tiroir.
- La BO sait aussi se faire plus intimiste, avec par exemple un Spokey Dokey qui regroupe uniquement une guitare folk et un harmonica pour un blues lent. Ce genre d’ambiance reviendra plusieurs fois, sous des formes différentes. Cosmos est une petite pépite avec sa trompette bouchée qui pose direct une ambiance de film noir à détectives des années 30/40. Quant à la Waltz for Zizi, c’est juste une merveille de composition avec une valse (sans surprise) interprétée à la guitare folk. Enfin, en dernier exemple, citons Diamonds, un des rare titre chanté, qui pose une ambiance de James Bond romantique. Diamonds are forever.
- La série sait aussi se faire plus légère et très décalée par certains moments. En témoigne The Egg and I, constitué de percussions, de guitare slide et d’un gimmick mélodique joué haut perché à la flûte. Le genre de titre qui transporte immédiatement dans un autre univers et qui, surtout, devrait bien vous rester en tête pendant des heures, même en ne l’ayant écouté que quelques minutes. Bon courage pour vous en défaire (mais puisque le son est bon, on ne va pas se plaindre).
- Autre parenthèse un peu inattendue, avec Pot city, qui est très marqué années 80 et crée un climat sans réelle mélodie. La basse et la guitare dialoguent dans des sonorités étranges et psychédéliques, soutenues par une batterie arythmique qui contribue à l’étrangeté du moment. Tout ceci ponctué de mini-phrases de trompette. C’est possiblement le morceau le moins facilement abordable de cette BO, mais qui a néanmoins toute sa place dans ce qu’elle apporte de palette de couleurs musicales indispensables à la série.
- Enfin, les sept minutes de Space lion apportent la touche émotion à cet ensemble. Ouverture par un long solo de saxophone, auquel viennent s’ajouter des nappes de synthés, des percussions douces et des chœurs de toute beauté : voilà un morceau qui dénote dans cet ensemble jazz mais qui s’intègre naturellement à ce que Cowboy Bebop nous raconte, visuellement comme musicalement.
Cette géniale BO de Cowboy Bebop ne m’a pas attendue pour se révéler. Dès 2006, IGN a élu la série comme l’anime ayant la meilleure bande son de tous les temps. Je ne peux que souscrire, et vous invite (si ce n’est déjà fait) à binge-watcher les 26 épisodes (20 minutes chacun, ça passe crème) avec le son bien réglé pour profiter de chaque pépite musicale. Dernier point : si vous n’avez pas la série sous la main, la BO, vous l’aurez compris, se suffit à elle-même. Coup de bol, elle est disponible sur les plateformes de streaming mais aussi en réédition double vinyle couleurs de toute beauté. La pochette est splendide et invite, bien entendu, à sortir la galette et à la poser sur votre platine. Le temps pour moi de replonger dans les chroniques 2020 pour en sortir l’album de l’année. Cependant, si vous Five-minutez régulièrement, vous pouvez déjà deviner le podium qui s’annonce. Vérification très bientôt !
Impossible pour moi de clore ce papier BO sans un clin d’œil vers la rédaction de Gamekult, qui voit partir aujourd’hui 24 décembre un de ses plus brillants membres : Gauthier Andres aka Gautoz quitte la boutique après 6 années à nous régaler de ses talents et d’innombrables découvertes BO de jeux vidéo. L’homme qui écoute les JV au moins autant qu’il y joue m’aura baladé dans des univers insoupçonnés et incroyables. Rien que pour ça (mais aussi pour le reste du boulot accompli), merci et bonne continuation.
Raf Against The Machine
Un commentaire sur “Five Titles n°17 : Cowboy Bebop (1998/2020) de Seatbelts”