La semaine passée, nous avons écouté et aimé le dernier Ben Harper, empli de douceurs et d’émotions. Changement de décor ce jeudi avec PJ Harvey et une furieuse pépite de 24 ans d’âge : Heela n’a pas vieilli d’un poil et reste d’un efficacité redoutable.
Resituons l’action : en un peu plus de 3 ans (soit depuis 1992), PJ Harvey a dégainé 3 albums d’une puissance folle. Dry (1992) a posé les bases d’un rock sec et intense, Rid of me (1993) s’enrichit du son noisy de Steve Albini, et To bring you my love (1995) enfonce le clou d’une démarche artistique faite à la fois de fureur (contenue ou pas) et de fragilité tendue. Après ces trois opus, la grande question était de savoir où la Britannique du Dorset allait nous emmener, et surtout s’il y aurait une suite aussi captivante que ces premiers albums studios assez imparables. Il faudra attendre 1998 et Is this desire ? pour avoir la réponse. Toutefois, entre-temps, il se passe quelque chose : un album écrit et interprété à 4 mains qui va rapidement trouver sa place sur les platines.
Dance hall at Louse Point tombe dans les bacs en 1996. Avec une surprise : PJ Harvey ne bosse pas en solo. Elle s’est adjoint les services de John Parish. Pas tout à fait un inconnu, tant auprès de PJ que dans le monde musical. Ce musicien et producteur anglais était déjà dans l’aventure To bring you my love comme musicos et producteur, ainsi que sur la tournée qui suit. Au cours des années suivantes, il produira d’autres galettes de PJ Harvey, mais contribuera aussi à la conception de divers albums aux côtés de 16 Horsepower, Eels, Goldfrapp, Dominique A, Dionysos, Arno ou encore Rokia Traoré. Sacrée carte de visite à venir.
Voilà donc les 4 mains qui vont composer, élaborer, fabriquer, interpréter Dance hall at Louse Point. Le résultat est tout simplement excellent. A l’origine composé pour servir de bande-son à une chorégraphie de Mark Bruce, ce LP réussit la prouesse de vivre par lui-même et de se suffire à lui-même. J’ai déjà évoqué ce point par le passé : lorsqu’une bande-son (film, chorégraphie, jeu vidéo) existe par elle-même et s’écoute comme une composition originale à part entière, elle bascule dans la catégorie des pépites que l’on n’hésite pas à faire tourner en boucle. Dance hall at Louse Point est un album de rock plutôt épuré. Pas de grosse fioritures ou d’arrangements pompeux. Ça sent le disque enregistré avec simplicité, sincérité, en mélangeant sons bruts et émotions.
Heela est le 9e titre de cet album, et l’illustration parfaite de cette vision des choses : un morceau clairement blues-rock, mais du blues-rock façon PJ Harvey & John Parish : ça commence avec du riff de guitare qui tape, ça se poursuit avec la voix inimitable de PJ Harvey (bordel cette voix !) posée sur une ligne de basse lourde et ronflante. Tout ceci parsemé de touches de guitare cristallines, pour en arriver au refrain balancé à deux voix décalées. Pile à la moitié, le coup de grâce avec PJ qui perche sa voix très haut pour une boucle vocale qui rappelle direct le « Lick my legs / I’m on fire / Lick my legs / Of desire » de la fin de Rid of me. L’ensemble est à la fois totalement électrique et purement inflammable. Un des titres les plus fiévreux et bandants de PJ Harvey pour une sensualité vénéneuse qui ne laisse pas de marbre malgré les années d’écoute. Heela fonctionne toujours aussi bien et fait partie de ces pépites intemporelles qui ont gardé leurs propriétés incendiaires.
Autour de Heela, l’album Dance Hall at Louse Point contient 11 autres pépites. PJ Harvey, c’est un peu le système des poupées russes : des morceaux pépites rassemblés dans des albums pépites, eux-mêmes contenus dans la carrière pépite d’une artiste pépite. Je vous l’accord, ça ne sent pas l’objectivité. Mais filez écouter Heela et le reste de l’album, vous ne le regretterez pas si vous appréciez ce son. Autre bonne raison de reparler de ce disque : longtemps indisponible, il l’est de nouveau à la faveur de la réédition progressive de toute la discographie de PJ Harvey, en CD comme en vinyle. Vous n’avez donc plus aucune excuse si la tentation vous saisit. Et si vous venez d’écouter le dernier album de NZCA LINES, chroniqué récemment par l’ami Sylphe et que vous avez terminé en dansant nus chez vous comme sa chronique le suggérait, restez à poil et lancez Heela avec le son à fond. Et profitez.
Raf Against The Machine