Après Mon ami et Bertrand Betsch la semaine dernière, poursuite d’une petite virée dans la chanson française/en français qui raconte des choses et qui vient s’infiltrer au fond de nos corps pour pincer le cœur, agiter le ventre, faire frissonner le dos et remuer la tête. Quelques jours avant le fiasco des César et la sortie classe et percutante d’Adèle Haenel (suivie d’autres, Adèle est loin d’être seule #TeamAdele), les 35e Victoires de la Musique ont décerné quelques récompenses bien vues. Digression César : si ce n’est déjà fait, je vous invite à lire la tribune de Virginie Despentes dans Libération (un lien pour vous y aider : https://www.liberation.fr/debats/2020/03/01/cesars-desormais-on-se-leve-et-on-se-barre_1780212). C’est du Despentes, mais c’est bien plus que ça. Un texte à la fois bouleversant et rageux, fondateur et lumineux. J’en reste hanté et admiratif, sur le fond comme sur la forme.
Transition toute bienvenue pour revenir à notre pépite du moment. Grandiose est le 3e titre du 2e album de Pomme intitulé Les failles, récompensé aux 35e Victoires de la Musique (vous suivez 😉 ?) dans la catégorie « Album révélation ». Une galette d’ailleurs rééditée récemment et augmentée de 5 inédits, sous le titre Les failles cachées. Je m’engage à y revenir plus amplement dans une review complète, tant il y aurait à dire de la cohérence de l’ensemble des titres, de la beauté des textes, de la subtilité de la co-réalisation d’Albin de la Simone, et des magnifiques illustrations de Ambivalently Yours. En guise de teaser/mise en appétit, il y a ce Grandiose.
Pomme (aka Claire Pommet) n’est pas tout à fait une nouvelle venue, puisqu’elle a déjà publié un opus en 2017, A peu près. Elle se fait alors remarquer pour ce premier disque, mais aussi pour ses prestations scéniques qui intègrent autoharpe et guitare. La suite, ce sont les premières parties d’Asaf Avidan toujours en 2017, puis de Louane et Vianney en 2018. Même sans être forcément client de ces artistes, obligé d’admettre que ça donne une visibilité non négligeable. Du haut de ses 23 ans (seulement, oui oui !), cette jeune lyonnaise impressionne par la maturité de son travail et la poésie qui s’en dégage. Au passage, c’est à se demander ce qu’il y a de spécial à Lyon : on y trouve aussi Paillette, dont on a parlé longuement et en bien dans cet article (à relire d’un clic).
Grandiose est la parfaite illustration de cette maturité d’écriture. Je ne trahirai pas le sujet abordé, pour vous laisser l’entier plaisir et la totale émotion de découvrir cette magnifique chanson. Disons seulement que ça commence presque comme une comptine légère, portée par la voix assez incroyable de Pomme. Incroyable par son grain, mais aussi par le travail mélodique qu’elle lui confère. Instrument à part entière, elle l’utilise comme tel pour produire une ligne mélodique au service du texte et de l’accompagnement musical. Ce dernier est d’une beauté absolue, en ce qu’il reste aérien tout en se noircissant par petites touches comme si le Tim Burton d’Edward aux mains d’argent avait saupoudré le berceau de Pomme. C’est étrangement cette comparaison qui m’est venue en écoutant Grandiose, bien que le sujet des deux œuvres soit différent. Une sensation renforcée par les arrangements tout en finesse d’Albin de la Simone, à coups de légers bruitages et cliquetis en tout genre, qui assombrissent peu à peu l’impression de comptine enfantine du début.
En 3 minutes 15, Pomme nous transporte dans une histoire à la fois personnelle et universelle. Ce titre respire et pleure d’une humanité bouleversante. Comment ne pas se sentir concerné, en accord, à l’écoute de ce que porte Grandiose ? Difficile de continuer à en parler sans dévoiler le texte. En voici un court passage qui n’abime pas la découverte à venir : « Grandiose, la vie que j’avais inventée / Pour toi, la vie qu’on nous vend bien tracée / Une vie comme ça n’existe pas ». Grand écart entre l’espoir et le constat, cette chanson remet les choses à leur place. La vie est un savant mélange de rêves et de désillusions. Faire vivre et exister ses rêves au-delà de la réalité du monde demande une énergie, une volonté, un combat incessant. Une sorte de combat ordinaire (spéciale dédicace/pensée pour l’exceptionnelle BD de Manu Larcenet). Cette vie grandiose que l’on pensait exister, simple, facile à dérouler, sans obstacles et chargée de joies… cette vie n’existe pas d’elle-même. A chacun-e de nous de la faire exister, dans un monde meilleur qu’il nous appartient aujourd’hui de choisir. Des artistes comme Pomme, Adèle Haenel ou Virginie Despentes m’y aident chaque jour, pour ne pas désespérer et mettre la clé sous la porte. Aux côtés des belles personnes que j’ai la chance de rencontrer et de cotoyer. Pour profiter non pas d’une vie Grandiose, mais de moments humains et apaisants. C’est déjà ça et c’est précieux.
Raf Against The Machine
Un commentaire sur “Pépite du moment n°60 : Grandiose (2019) de Pomme”