Alors, vous l’aviez (#semainedernière) ? Oui, nous allons replonger un moment dans A plus tard crocodile (2005), le 3e excellent et incontournable album de Louise Attaque, qui connaît ces jours-ci une réédition très stylée en vinyle de couleur jaune, dans une sobre mais efficace pochette jaune unie. Pourquoi donc revenir sur un album qui s’apprête à fêter ses 15 ans ? Parce qu’on est face à une galette qui réussit à mêler diversité des compositions tout en offrant une cohérence de dingue, et qui mérite toute notre attention. Tentative d’éclaircissement en 5 titres (et plus si affinités).
- Ouverture de l’album avec La traversée du désert, et son texte a capella : « Il y a rien faire par moments / regarder le monde à l’envers, croire en tout / en l’éphémère, décider de l’avant / car il y a dans l’air, par moments / ce léger souffle, séduisant / peut-on rester débutant, apprivoiser ses nerfs ? » Tout est annoncé en quelques mots. Une invitation à l’oisiveté, pour un album absolument pas paresseux. Mais aussi la double proposition d’un autre regard, et d’avancer en devenant meilleur.
- Sean Penn, Mitchum, ou la lecture du trip-hop par Louise Attaque. Un morceau aux antipodes des Ton invitation et Les nuits parisiennes qui ont propulsé le groupe au sommet des charts dès 1997. Le son est posé, le tempo slow-down. Tout ça livré dans un écrin de sons électros et de collages sonores. Des samples en veux-tu en voilà, un texte lui aussi en boucle qui prend son temps et le temps de s’insinuer dans les moindres recoins de nous. Les touches électros de Sean Penn, Mitchum étaient d’ailleurs déjà en gestation dès Notre époque (2003), le second album de Tarmac (le duo Gaëtan Roussel et Arnaud Samuel, violon de Louise Attaque). Voilà un des plus beaux morceaux que je connaisse, tout album et artiste confondu.
- Manhattan fait partie des titres plus pop-rock qui rappellent le passé de Louise Attaque. En cela, il se connecte directement avec, sur ce même album, Si c’était hier, Nos sourires ou Shibuya station. Et plus avant avec la veine des premiers albums et des titres comme Savoir ou L’imposture sur le premier album Louise Attaque (1997), Qu’est-ce qui nous tente ou D’amour en amour sur le second opus Comme on a dit (2000).
- Il y a ensuite un lot de titres parsemés tout au long de A plus tard crocodile, mais toutefois indissociables les uns des autres par leur thématique : Oui / non, Depuis toujours, La nuit, Est-ce que tu m’aimes encore ? Les mélodies sont différentes mais ces textes-là creusent déjà le sillon du futur Gaëtan Roussel en solo. Sortes de rengaines amoureuses qui posent les questions des liens humains, de la vie amoureuse, de la durabilité et la persistance des sentiments. Autant de boucles interrogatoires qui remonteront à la surface dès Ginger (2010), premier album solo, au travers de Dis-moi encore que tu m’aimes ou Des questions me reviennent. Echos dans son dernier album Trafic (2018) et Tu me manques ou Début. Echos aussi dans le dernier Louise Attaque Anomalie (2016), dans Il n’y avait que toi ou Du grand banditisme. Des questions en outre déjà posées chez Tarmac, lorsqu’on écoute Dis-moi c’est quand, Longtemps ou Ces moments-là.
- Et clôture de A plus tard crocodile par Ça m’aurait plu. Une ballade aux airs apaisés qui relance pourtant de multiples cogitations, tout comme les titres de clôture des albums futurs : Se souvenir des belles choses sur Ginger (2010), Un peu de patience sur Anomalie (2016), Tout va mieux partout sur Accidently yours (2017) de Lady Sir (l’album duo avec Rachida Brakni), Début sur Trafic (2018). L’art assumé de sans cesse relancer la boucle. Ces même boucles dont, justement, Louise Attaque s’est fait la spécialité. Ici, Ça m’aurait plu résonne comme une clôture (temporaire) de Louise Attaque : une histoire qui se referme en mêlant le plaisir de l’avoir vécu et les pistes non explorées. Pistes que Gaëtan Roussel défrichera et développera dans ses créations futures.
A plus tard crocodile est un album somme dans ses émotions et dans ses intentions. Un bilan d’étape de l’aventure Louise Attaque et une flopée de titres variés pour un ascenseur émotionnel qui s’arrête à tous les étages. Mais aussi un réel incubateur pour les projets à venir de Gaëtan Roussel, qui , après avoir aussi été Tarmac, sera également Lady Sir, de nouveau Louise Attaque et avant tout lui-même.
A la base de cette carrière multiforme et d’une cohérence à faire pâlir d’envie bien des musicos, Louise Attaque irrémédiablement gravée, telle une matrice originelle. Je peux bien me réjouir des autres formes de Gaëtan Roussel, je reviens sans cesse et régulièrement à Louise Attaque. Et particulièrement à ce A plus tard crocodile qui, rien que dans son titre, est une invitation du moment tout autant qu’une promesse à se retrouver. Sans larmes (#elleétaitfacile), pour le plaisir des souvenirs et de l’univers des possibles.
Raf Against The Machine